« It’s Time  »

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Mai 2024

Il y a plusieurs jours, comme je le fais pratiquement quotidiennement, j’ai ramassé mon courrier, à la boîte aux lettres. Des factures, de la publicité, et… une enveloppe blanche. Elle n'était pas cachetée, donc c’est que quelqu’un est venu la déposer en personne. Intriguée, je l’ai ouverte. Mon prénom, en tête de liste, j’ai immédiatement reconnu l’écriture sur la feuille. Je me souviens très distinctement d’un exercice que nous avions fait, pendant une séance, sur la gestion du deuil. Accrocher une feuille de papier dans son dos et laisser un membre du groupe écrire un mot, un seul, qui pourrait décrire à la perfection la personne qui porte cette feuille. Nyls y avait participé et c’est sur moi, qu’il était tombé. J’ai encore la petite feuille de note sur mon réfrigérateur, qui me rappelle que je suis « combattante », tous les jours. Je ne l’oublie pas, pour mes garçons qui ont terriblement besoin de leur maman. Ça je le sais. Nyls, c’est un bon médecin. Il écoute, (certes c’est son métier) mais il écoute au-delà du possible. Il entend ce qu’on n’ose pas dire. Il s’aventure là où personne n’est encore allé et je regrette que les choses se soient dégradées entre nous. Cependant, je dois continuer à me tenir loin de lui. Pour mon bien, avant tout. J’ai si mal, dans ma poitrine. Et chaque fois que je pense à lui, ça me fait souffrir davantage. Je ne prends même pas la peine de lire sa lettre. J’en suis incapable. Je ne veux pas savoir ce qu’il a écrit. Je ne veux pas agrandir mes blessures, je ne veux pas m’effondrer, une fois de plus. Nyls Norwood est la source de tant de souffrances pour mon âme. Je ne peux pas accepter qu’il puisse m’atteindre de cette manière, plus longtemps.

Je dépose la lettre sur la table basse de mon salon et m’installe sur le canapé avec mon verre de soda, quand le chat s’installe à mes côtés. Notre nouveau pensionnaire semble prendre ses marques de mieux en plus et les enfants sont dingue de cette belle boule de poil !! Estéban a eu une bonne idée de revenir avec ce chaton, à la maison. Il ne panse pas tous mes maux mais c’est plaisant d’avoir un peu de compagnie quand le petit frère est parti travailler et que les garçons sont à l’école. Je n’ai pas repris le boulot, depuis la tempête. Le médecin à l’hôpital à bien gentiment allongé mon congé maladie, parce que ça ne va pas fort. Il m’a prescrit des antidépresseurs que je ne prends pas. Je crois que, au fond, à part Nyls, je n’ai confiance en aucun autre médecin alors je ne suis pas capable de prendre des médicaments dont je ne comprends pas la posologie. Et à force de penser à lui, je finis par attraper la lettre sur la table. J’inspire profondément, me prépare mentalement. Je ne sais pas exactement ce à quoi je vais avoir à faire, mais je me prépare tout de même au pire. Je le reconnais, avoir blacklisté mon ancien psy était une bonne chose, je ne compte pas changer d’avis, même en commençant la lecture de sa lettre. Il est ingénieux, il a trouvé un moyen de communication, que je pense à sens unique, à cet instant.

J'éprouve de la difficulté à lire chaque phrase, parce qu’elles me renvoient à nos échanges précédents. « Notre peine conjointe… » j’ai envie de rire. Et de pleurer. Quelle peine conjointe ? Nous n’avons rien en commun, Nyls Norwood. Certainement pas MA douleur. « Je ne veux plus qu’elle existe… » Et pourtant, elle l’est davantage encore plus grande, cette putain de distance. Avant de connaître la vérité vraie, j’aurais tout fait pour la faire disparaître mais aujourd’hui, j’ai besoin qu’elle soit encore plus grande et qu’un gigantesque mur nous empêche de nous voir, même de pouvoir penser à l’autre ! Ça me fait si mal, de penser à toi. Et je suis fatiguée, de ça.  « Une relation inédite, vouée à l’échec » Tu le dis toi-même.

Et y’a rien qui puisse exister entre nous. Il y a bien trop de mensonges, trop de douleurs. Trop de… « trop ». Je ne suis pas prête à l’aimer et à envisager un semblant de relation, ce serait tellement aller à l’encontre de ce que je ressens actuellement. Je lui en veux beaucoup, je doute de pouvoir lui pardonner un jour. « L’espoir, lui, a toute sa raison de vivre… à faire couler l’encre plutôt que les larmes … ». Les larmes, ça me connaît. Je n’arrête pas de les laisser me dominer, je me sens vulnérable, à bout de tout. J’aimerais que tout s’arrête, même si ça ne dure pas. J’inspire profondément, je me laisse facilement envahir par le chagrin et la colère. Je chiffonne la lettre, la transforme en une boule de papier, que je jette à travers le salon. Seulement, je touche Esteban, qui passait une tête par ici. Surpris par mon geste, et moi-même surprise de sa présence, je lui dis :

Oh, Esté ! Pardon, je ne te visais pas particulièrement. C’est promis.

Je tente l’humour, mais avec les larmes aux yeux, les joues rougies, je ne suis pas très crédible. Esteban ramasse la boulette de papier, qu’il déplie. Je m’empresse de lui dire :

Non ne fa…

Trop tard. Il est déjà en train de la lire… Je baisse les yeux. Je lui ai tout raconter, la dernière fois. Il sait ce qu’il se passe dans ma vie. Nyls, Sylvia. Mes sentiments pour son mari, ses mensonges, sa trahison qui m’amène à mon nouvel état d’esprit pas très convaincant, quotidiennement.

Je ne compte pas y répondre, si c’est ça que tu te demandes ?

Je préfère préciser, juste au cas où. Je l’observe faire ses mimiques. L’expression sur le visage de mon petit frère se durcit. Je m’apprête à lancer un autre argument de taille lorsqu’on donne à la porte. Je me lève d’un bon. Sauvés par le gong, dira-t-on. Sans doute oui. Cela permet également à mon frère de sortir la tête de cette missive, envoyée par Nyls. Lorsque je tire le rideau pour regarder qui est à la porte de chez moi, je découvre le loup. Je pousse un hoquet de surprise, referme le rideau aussitôt que je me fait prendre sur le fait, de l’observer. Putain, il m’a vue. Je lance immédiatement à Esteban, paniquée :

C’est lui, Estéban. C’est lui… J’peux pas… j’ve… Dis lui que je ne suis pas là.

Même s’il m’a vue !

Je ne veux pas le voir. S’il te plait, aide-moi.

Je supplie mon petit frère, les yeux brillants. Je ne suis pas prête à confronter Nyls Norwood.

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Mai 2024

Agir. Sans réfléchir.
Ou plutôt se décider après un long cheminement de pensées…?

Telle est une dualité qui compose chacune de mes actions, dernièrement. La lettre envoyée à Shelby est restée sans réponse. Mais le contraire m’aurait fortement étonné, à défaut de m’apporter un espoir dont j’ai cruellement besoin. Le contact est rompu depuis un long moment entre nous mais je refuse d’abandonner l’idée que nous puissions échanger à nouveau, dans un avenir proche. Dernièrement, ma vie si platonique prend des airs de montagnes russes, rien n’a de sens, tout part en vrille. Le réveil de Sylvia, reprendre contact avec Luna, ma fille, qui ose désormais me confier son propre enfant. La confiance évolue, les compromis ne sont plus de mise. J’ai des raisons évidentes de sourire, pourtant, il me manque la plus belle et symbolique de toutes:

Shelby.

Une femme que j’ai cru perdre, avec l’éffondrement de ce pont de malheur. C’est dans l’adversité qu’on réalise l’importance capitale des êtres dans notre existence et c’est surtout quand on les perd qu’on comprend à quel point ils nous étaient chers. J’ai toutes les raisons du monde de conserver un éloignement avec Shelby et pourtant, pour une fois dans ma vie, je refuse d’être raisonnable. Honnête, pourtant, aurait été un choix judicieux, dès notre rencontre. Mais j’ai préféré adopter la politique de l’autruche, compter sur le temps, sur un futur loin d’être gravé dans le marbre. Tout pouvait encore changer.
Jusqu’à cette fameuse journée catastrophe qui a frappé Monterey mais aussi notre étrange relation.

Enfin, je lui ai tout avoué. Une première fois, tandis que je la pensais partie pour toujours. Une seconde fois, à l’hôpital, les yeux dans les yeux. L’épreuve la plus douloureuse que je n’ai jamais vécu. Voir cet éclat dans son regard disparaître, constater une nouvelle fêlure, plus douloureuse que les autres. La dernière chose que je lui souhaitais, c’était de souffrir par ma faute. Mais comme dit l'adage, on ne fait pas toujours ce que l’on veut, dans la vie…
Sauf quand il s’agit de prendre les choses en main. Le Silence est une donnée effrayante, une compagne qui s’impose à moi depuis trop longtemps. Désormais, il est temps de se défendre, de rendre les coups, de refuser la fatalité.

Je n’ai personne à prévenir de mon absence, aucune âme à laquelle me justifier quand à mon départ de la maison. Mon chez moi est froid, vide, silencieux. Le trajet est à l’image de ma concentration, maîtrisé et plutôt rapide. Quand enfin je coupe le moteur, m’étant arrêté le long du trottoir d’une rue bien précise, je tourne la tête en direction d’une maison dans laquelle j’ai déjà pénétré. Que j’ai effleuré, y agissant comme un intrus…
Mais je ne veux plus être réduit à ce rôle bien triste. Je ne désire qu’une seule chose: qu’enfin, le dialogue reprenne. Que les vérités soient dites, digérées et qu’enfin, nous puissions avancer.
Ensemble.

Mes foulées sont rapides, déterminées. Je m’accorde quelques secondes de répit, avant de signaler ma présence, grâce à une pression courtoise sur la sonnette. J’attends… Patiemment…
Pas de réponse.
Mais le contraire m’aurait fortement étonné.

N’abandonne pas, Nyls. Ne tourne pas les talons. Ne refuse pas un nouveau défi, ne laisse pas une occasion si belle d’aller au bout d’une démarche essentielle.
Alors, je rompt le silence nocturne et prononce un mot, un seul, d’une voix claire et déchirante à la fois:

Shelby…? Shelby…? Shelby…?

Trinité éprouvante, à chaque fois que je prononce ce prénom qui me hante depuis des semaines, je sens une pointe s’enfoncer dans ma poitrine, toujours plus profondément.
Mais je refuse d’abdiquer. Du coin de l'œil, je les aperçois, ces ombres. Je remarque qu’une âme se déplace, que la maison n’est pas abandonnée pour la soirée, qu’une réponse peut-être apportée.

Et que je suis en vie. Tant qu’il y en a, il perdure une forme d’espoir non négligeable. Me raclant fortement la gorge, tout en continuant de frapper doucement contre le bois de la porte, j’ose prononcer quelques phrases qui, je l’espère, auront le mérite d’aboutir sur une issue favorable:

Shelby… Je t’en prie, ouvre moi. Je ne bougerais pas, je suis décidé à attendre toute la nuit, s’il le faut. Il faut qu’on parle.

Un semblant d’ordre qui plane dans l'atmosphère, une voix grave, une détermination sans limite.
Shelby, crois moi. Je n’ai jamais été aussi sérieux qu’à cet instant.
Je n’ai eu de cesse d’être un homme entier, à tes côtés. Brisé, certes, indécis, parfois, cachotier, de toute évidence.
Mais ce soir, je n’ai qu’une certitude qui cogne dans mon cœur: celle que tout est encore possible entre nous…

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Tu ne sais pas quoi faire pour qu’elle aille mieux. Il t’arrive de l’entendre pleurer tard la nuit, bordel, mais qu’est-ce que tu ne ferais pas pour retourner en arrière. Ses moments où tu es plus jeune et tu vois ta sœur sourire sur son visage. Ce sourire magnifique à pleines dents et sans douleur derrière. Ses dernières années sont loin d’avoir été les plus faciles, tu as cette partie de toi qui est complètement vide, ce n’était que ta nièce, que tu considérais plus comme ta meilleure amie, mais elle te manque énormément. Tu ne peux rien changer aujourd’hui, la vie t’a bien fait comprendre que c’est loin d’être un long fleuve tranquille. MAIS MERDE ! Qu’est-ce qu’on a fait pour naître dans un monde pareil ! Pour toi, venir vivre avec ta grande sœur est une évidence. Vous devez être présent tous les deux pour affronter cette douleur. La douleur est très différente, tu ne peux pas rivaliser avec celle de Shelby, mais elle est présente et ça tous les jours. Il t’arrive de penser plus à elle pendant une période plus importante. Depuis l'enlèvement de ta meilleure amie à la fin de l'année dernière, et surtout en ce moment. Des éléments dans votre vie font qu’après une grosse discussion avec Shelby, tu comprends beaucoup de choses. Surtout la raison des larmes qui coulent sur ses joues. Ça t’énerve intérieurement. Tu t’écoutais, tu irais parler à ce docteur. Tu ne le fais pas, car elle te l’a demandé. Tu te consoles à ce que tu peux, ta copine, ta patronne, la musique ou même tes révisions pour l’examen qui approche. D’ailleurs, tu as le nez dans tes révisions qui ne rentrent pas dans ta petite tête. Il te faut une pause, une pause pour pouvoir souffler un peu avant de reprendre. Tu es dans cette chambre depuis quoi ? 3 heures ? Tu en sais rien.
Pile au moment où tu sors et que tu pointes ton visage dans le salon, tu te fais « agresser » par une boulette de papier. « Super merci pour l’accueille.   » Lâches-tu avant de lui adresser un petit rire. Tu te baisses afin de récupérer cette boulette de papier. Oui, en voyant le visage de ta sœur, tu veux t’assurer que ce ne soit pas très grave. Comment ça pouvait être plus grave maintenant ? Tu lis cette lettre écrire en main propre. Petite a petit, tu ne caches pas ta réaction faciale. Tu es fermée, les machoirs serrer, tu ne prends même pas le temps finir cette lettre avant de la déposer sur la table. Quel culot ce gars, franchement, il n’a pas l’impression que c’est assez dur comme ça pour elle. Tu ne dis rien, tu n’as pas le temps de dire quoi que ce soit qu’elle décide de répondre à la question. « Comment as-tu reçu cette lettre ?   » Tu poses ton regard bien fermé sur elle. Ça te donne envie de vomir. Pas le temps de répondre que la porte sonne. Vu l’heure ? Sans doute un voisin qui a besoin de sucres ? Ou peut-être ta copine qui vient te faire une surprise. Franchement, vu votre dernière discussion au téléphone, ce matin, tu n’as pas vraiment envie de te prendre la tête avec elle après cette découverte. Tu t’avances vers le chat afin de lui faire des petits câlins quand tu te lèves brusquement en entendant les paroles paniquer de Shelby. . « Quoi ?! » tu penses au début que c’est une blague. Pourquoi elle te ferait ce genre de blague. Tu entends taper à la porte à nouveau, tu l’entends parler à travers celle-ci. . « Ok.. Ok, ne bouge pas, je vais m’en occuper. » Tu t’approches d’elle avant de lui faire les bisous sur le front pour la rassurer. Un regard vers elle avant de t’avancer à la porte. Tu soupires avant d’ouvrir brusquement la porte d’entrée. Tu ne lui fais pas le meilleur des accueils. Tu poses ton regarde vers lui tout en ayant le regard noir et la mâchoire serrer. . « QUOI ? Qu’est-ce que vous foutez ici ?   »

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Elle est là. Juste à quelques mètres de moi. Shelby.

C’est étrange mais je peux sentir les battements de son cœur. Ils tambourinent dans sa poitrine, au point où j’ai la sensation qu’il s’est réfugié dans ma propre cage thoracique. Le lien qui nous unit existe, je ne suis pas fou, il n’est pas qu’un simple fantasme ou une vague impression. Non, je refuse de le croire. Je lutte contre le dépit et la lâcheté, deux compagnes sur lesquelles je me suis trop longtemps reposé ces dernières années. Désormais, les choses sont différentes. Au pied du mur, les aveux enfin effectués, il est temps d’assumer et de regarder vers l’avenir. Ensemble serait l’idéal, bien entendu. J’ai bien conscience que l’acceptation est une phase impossible à entreprendre pour Shelby mais de mon côté, je m’y suis préparé depuis bien longtemps. Je réalise, droit comme un I derrière cette porte d’entrée, que c’est grâce à cela que j’ai conservé le secret durant tout ce temps.
Car je savais que cet instant arriverait un jour.
Qu’il existerait et qu’il deviendrait ma réalité. Au fond, je n’ai pas menti à Shelby, je lui ai simplement caché la vérité, aussi longtemps que possible. Pour la préserver? Rien n’est moins sûr. Je dirais plutôt que j’ai cherché à gagner du temps et à m’épargner cette lourde épreuve à laquelle je fais face aujourd’hui. Mais je ne suis pas encore au sol. J’ai toujours de la ressource.
Qui s’appelle l’Amour…

Mes sentiments ne sont plus naissants envers ma patiente, ils ont perdurés envers la formidable et courageuse femme qu’elle est. C’est en puisant dans le modèle qu’elle est devenue que je trouve la force de toquer, de sonner, de persister.
Non, je ne lâcherais pas. Je ne veux pas faire demi-tour. Je ne veux pas accepter que tout soit terminé.
Alors que rien n’a vraiment commencé…

Mais une surprise m’attend, tandis que la porte finit par s’ouvrir. Les yeux écarquillés, je découvre un jeune homme, plutôt agressif, attitude naturelle tandis que je suis devenu l’Ennemi. C’est un statut que j’ai accepté depuis le temps mais le réaliser, de pleine face, n’est jamais chose aisée. Tentant de conserver une voix polie, je me racle la gorge et l’informe de l’origine de ma présence:

Bonsoir, je… Je viens rendre visite à Shelby. S’il vous plaît.

Je vous en supplie serait plus approprié. Mais je me retiens d’ajouter ce terme peu glorieux, je tente de conserver mon calme alors que pour la première fois depuis bien longtemps, je sens que je peux perdre le contrôle à tout moment. Détournant le regard de son visage furieux, j’aperçois une ombre lointaine et ajoute à son attention:

Shelby, s’il te plaît. Je sais que tu es là. J’ai besoin de te parler. Je t’en prie.

Je force le passage, métaphoriquement parlant, en tout cas le temps de quelques secondes. Mais mes jambes semblent agir à ma place, je fais quelques pas dans le séjour, attiré comme un aimant par la femme qui est devenue le centre de mon univers. Je le sais, je le sens, elle est là, juste là, plus si loin et donc, je murmure, mes yeux deviennent humides sous le fléau de l’émotion:

Shelby, je dois te voir… S’il te plaît…

Ma voix me trahit, les trémolos sont incapables à faire taire. Ils existent, Shelby. Ils ne sont pas mensongers, bien au contraire. Ils ne sont que l’expression d’un sentiment que je ne peux éteindre, depuis le jour maudit de cet accident, le nôtre.
Shelby, prends ma main et accepte de lutter à mes côtés face à une évidence impossible à accepter: la fatalité…

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Ta sœur a subi beaucoup d’événements dans sa vie. C’est une personne que tu admires beaucoup par la force qu’elle dégage alors que tout son monde s'est écroulé lors d’un seul appel. Quand tu as emménagé chez elle, tu t’es promis de la protéger, c’est une promesse que tu t’es faite car elle est fragile. Tu as beau être le petit frère, tu protégeras tes sœurs quoi qu’ils arrivent tout le long de ta vie. Cette lettre entre tes mains, tu en lis chaque mot et tu sens la haine te monter doucement. Ton regard est assez froid même si au moment où tu lèves les yeux sur ta sœur qui est dans un état qui te brise le cœur. Il est en train de forcer les choses et il veut absolument garder contact avec elle. Mais comment peut-on forcer les choses ? Il n’a pas l’impression que sa famille à déjà fais assez de dégâts dans la votre ? Tu poses cette lettre sur la table le temps qu’elle aille ouvrir à la porte. Tu lèves brusquement en entendant l’appel en détresse de sa sœur. Cet homme est là, derrière cette porte et sans hésiter, tu portes aide à ta sœur. Tu finis par ouvrir la porte brusquement, ton regard noir et ta mâchoire serrer. Alors que lui est d’une attitude assez calme et très polie, tu ne prends même pas le temps de répondre à son bonjour… Il n’a rien à faire ici et tu comptes bien lui faire comprendre. « Vous lui vouliez quoi à Shelby ? » Un regard noir. Tu comptes prendre les informations avant de le faire partir de chez vous. Il n’est pas le bienvenu et tu comptes bien le faire comprendre. Hors de question, qu’il rentre dans sa vie intimité et qu’il force les choses. Mais tu as bien compris que cet homme à un but et qu’il veut attendre sa cible. Tu ne sais pas si tu dois trouver ça beau ou pathétique à la fois. Il force le passage et finit par rentrer. D’un pas vif, tu te places devant lui avant de mettre sa main devant lui pour l’empêcher d’avancer plus. « Vous n’avez pas assez fait de mal comme ça ? Sortez d’ici avant que je n'appelle les flics. » Tu lèves bien le bras pour lui montrer la sortie. Tu es proche de lui comme si tu le confrontais. « Elle ne veut pas vous voir, vous ne l’avez pas compris ça ? » Ta sœur, ta demande, un truc alors, tu comptes bien le mettre dehors une fois pour toutes.

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Mon cœur cogne aussi fort que Nyls écrase son poing contre ma porte d’entrée. Je sais qu’il m’a vue l’espionner derrière ma fenêtre et il veut qu’on parle. Je ne suis pas prête à l’affronter. Si seulement il savait depuis combien de temps je suis en conflit avec ce que je ressens pour lui, je ne suis pas certaine qu’il insisterait à ce point ? Ma demande sonne surtout comme une supplication. J’ai besoin que mon petit frère me vienne en aide, je veux qu’il chasse Nyls de chez nous, que je puisse reprendre mon semblant de vie depuis six ans. Les derniers événements m’ont complètement mise à terre, j’éprouve de la difficulté à me relever et j’ai la nette sensation que la visite de mon ancien psy ne m’aidera pas à avancer. Déjà que sa lettre me retourne davantage le cerveau, sa présence est vraiment la goutte qui fait déborder le vase. Je souffle, depuis six ans. Je souffre en continu et lui, il me poignarde encore, encore et encore. La douleur ne cessera donc jamais ?

Je suis en conflit dans mes sentiments. Une part de moi souhaite l’aimer. Une part de moi souhaite retrouver la chaleur d’un regard, la douceur d’une caresse. Je me souviens avoir ressenti quelque chose de fort, d’unique l’année dernière, quand nous nous sommes, —malgré moi— rapprochés. Je n’avais jamais rien ressenti de tel et pourtant, j’y pense constamment. Mais cette vague apaisante est obscurcie par la colère que je ressens. Par la noirceur qui m'envahit quand toutes les pièces du puzzle se sont rassemblées. Il m’a menti, il m’a trahie. C’est tout ce que je retiens là-dedans. Il a beau vouloir se justifier, ça ne change rien à ce qu’il a fait et surtout à ce qu’il m’a fait croire, ou espérer. Je n’ai plus confiance.

J’ai envie de lui faire confiance mais l’autre part de moi, réfute cette idée.

Et je dois bien l’avouer, je suis fatiguée. J’en ai ma claque de me battre, de devoir affronter encore et toujours les mêmes douleurs. J’ai beau être forte pour mes garçons, j’ai juste envie d'hurler de toutes mes forces et qu’on me fiche la paix, une bonne fois pour toute. Sa femme a brisé ma famille et lui, il s’acharne à vouloir réparer ses erreurs. A quoi bon ? Le mal est fait y’a rien a réparer. Y’a plus rien à faire… Je laisse donc Esteban gérer la situation à ma place. Avec un peu de chance, il arrivera à faire fuir Nyls. L’un se montre agressif, tandis que l'autre se montre insistant. Je reste loin de l’entrée, à l'abri de mon ancien médecin mais même en restant à l’écart, j’entends l’agitation qui règne dans l’entrée. Nyls n’a rien à faire là et pourtant, il se retrouve dans le séjour. Je joue avec mes doigts, la mine affolée. Je ne sais pas… Je ne sais plus. Je n’arrive plus à réfléchir quand je croise son regard, quand ses yeux s’accrochent solidement aux miens et malgré tout ce flot de sensations qui me traverse le corps, je ne retiens qu’une seule ; l’empathie.

Pourquoi ? Parce que je réalise qu’il est sincèrement meurtri de la situation et qu’il en souffre tout autant que moi. J’inspire profondément en voyant Esteban prêt à relancer les hostilités. Je lui lance :

Esteban !

Le stoppant net dans son élan, j’ajoute, afin d’apaiser la situation :

Tu peux nous laisser. Ça va aller. Je te le promets.

Oui, ça va aller Esteban. Je te promets que tout va bien se passer. Inclinant la tête dans sa direction, je lui fais comprendre qu’il va pouvoir nous laisser tous les deux. Je sais ce que j’ai dit tout à l’heure. Que je n’étais pas prête à affronter Nyls mais il faut que je le fasse, je le sens. Mon petit frère s’éclipse sans dire un mot mais je peux lire dans son regard avant qu’il ne quitte la pièce, qu’il ne reste pas bien loin, juste au cas où. J’ai confiance en lui et j’ai besoin qu’il me fasse confiance… alors me tournant vers Nyls, j’affronte ma plus grande peur de l’instant :

Tu n’aurais pas dû venir ici…

Il n’aurait pas dû venir, certes, mais je suis prête à écouter. Quitte à avoir le coeur brisé ; une fois de plus

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Un obstacle de plus qui se dresse et l’absolution et la compréhension.

J’avais bien conscience, en venant chez Shelby, à quel point cette idée était aussi saugrenue que déplaisante. Et pourtant, je n’ai pas pu m’en empêcher, j’ai agi sur un coup de tête longuement anticipé. Car cette distance était devenue trop pesante, l’aspect insoluble de notre conflit m’empêchait de trouver le sommeil? Sans doute, oui. Des raisons valables, louables et quelque peu égoïstes, j’en conviens. Je suis un homme patient et réfléchi d’ordinaire mais cette fois-ci, j’ai eu envie de laisser la place à mon instinct, ma spontanéité. Il semblerait qu’ils me fassent défaut, une fois de plus, mais qu’importe.
Toutes les souffrances du monde vaillent la peine d’être ressenties si elles peuvent m’offrir son visage, rien qu’une poignée de secondes. J’ai bien conscience de l’ampleur du risque, surtout en étant confronté à un jeune homme, un de ses frères sans doute, qui est présent afin de la protéger. Se positionnant entre ma carcasse désespérée et une Shelby apeurée et probablement en colère, il m’empêche de la rejoindre. Soupirant, je baisse le menton vers le sol et je maîtrise une nouvelle fois ma voix, masquant autant que faire se peut mon agacement et ma peur soudaine quand la police est sous entendue:

Je… Je veux simplement lui parler. Inutile de faire intervenir les forces de l’ordre.

Ma voix est calme, mon ton maîtrisé. La dernière chose que je désire, c’est qu’un conflit éclate dans le domicile même de Shelby, au contact de son frère virulent. L’attitude qu’il adopte est parfaitement compréhensible, qui ne ferait pas la même chose pour un membre de sa famille? Mais il doit comprendre que je ne lui veux aucun mal. Bien au contraire. S’il le faut, je passerais la nuit dans ce salon, à trouver une occasion sereine de converser avec celle dont je ne peux plus me défaire. Shelby répond à cet appel, affirme qu’il peut nous laisser en tête à tête et à ce moment précis, une chaleur se déverse dans ma poitrine: tout n’est pas perdu. Le dialogue, interrompu depuis si longtemps, peut de nouveau exister.
À l’écoute de la vérité de Shelby, j’offre un sourire malicieux et réponds, solennellement:

Et pourtant, je suis là, Shelby.

Et je ne compte pas bouger, pas maintenant que la situation s’améliore. Soudainement, je ne trouve plus les mots. Quoi lui dire, moi qui me suis préparé durant des semaines, des mois à cet échange? Complètement déstabilisé, je déambule dans la pièce, faisant des allers retours tout en me tenant le front et en bredouillant, extrêmement mal à l’aise:

Je dois t’expliquer…

Et pourtant, tout a été déjà dit. Il n’y a rien à ajouter, mis à part une phrase pour laquelle je serais prêt à passer l’éternité afin de la répéter en boucle:

Je suis désolé, Shelby. Je regrette tant de ne pas avoir parlé… de… Je n’aurais pas dû garder cette information secrète. Mais je voulais t’aider… J’étais sincère. Je le suis toujours.

Mon cœur tambourine dans ma poitrine, prêt à exploser littéralement en plein vol. Je prends le temps de respirer, j’aimerais tant avaler une ou deux gorgées d’eau afin de me désencombrer la gorge, mais ce serait une demande bien trop ordinaire pour l’instant que nous sommes en train de vivre. Car Shelby est du genre à côtoyer l’incroyable, à subir les foudres d’une existence qui n’a rien de simple ni de normal.
Cela est donc bien naturel qu’elle te repousse, Nyls, toi qui est devenu une version à peine plus attirante du Diable ayant pris place sur son épaule. Non, pire, tu es son mari. Tu vaux la même chose que la femme qui a commis l’irréparable.
Et cette fatalité, peu importe les efforts que je fournirais, inlassablement, sera la seule.
Celle qui pèsera éternellement dans la balance…

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Écouter. C’est tout ce qu’il me reste.
Je dois affronter cette peur que je nourris depuis bien longtemps.
Je ne suis pourtant pas prête à entendre les mots de Nyls. J’ai eu cette sensation que tout avait été dit, il y a de cela plusieurs mois. La missive qui m’est parvenue a rouvert mes blessures, bien qu’elles ne se soient jamais réellement refermées. Des mots étaient forts, puissants, ils ont eu un impact sur moi, de toute évidence. Mais cela ne signifie pas que je veux qu’il soit dans ma vie. Si j’ai coupé tous les ponts, ce sont pour de louables raisons. J’en ai assez de souffrir le martyr. J’en ai assez de ne plus dormir mes nuits, de pleurer plus que de raisons et de ne pas laisser la lumière entrer dans ma vie. J’ai d’autres enfants qui attendent que leur mère redevienne qui elle était, avant le drame. Ben, surtout. Il est tellement en colère contre le monde qu’il l’est tout autant envers moi. Je sais que ce n’est pas pour me blesser mais il exprime un mal être qui le ronge depuis six ans et j’admets ne rien faire pour arranger les choses. Je suis bien trop occupée avec mes propres démons. Mais la situation change, évolue. Je fais face à Nyls Norwood, l’homme qui m’a délibérément menti depuis plus de deux ans. Esteban n’est pas loin, je sais que je peux lui faire confiance. Et à son tour de me faire confiance, je me dis que je sais ce que je fais alors que ce n’est pas le cas. Je vais encore souffrir… mais mon coeur sera-t-il assez fort pour résister à la tornade qui se prépare ?

Il ne devrait pas être là, et pourtant…
Il est là. Il me fait face.
Je dois faire appel à toute ma détermination pour ne pas le laisser gagner davantage du terrain. Dans un murmure, je lance :

Tu es là…

Je croise les bras, me pince les lèvres et soutiens à peine son regard. Quand il commence à faire les cents pas, à confier ses mauvais choix, j’inspire profondément en tournant la tête. Il y a des tas de choses qu’il aurait dû faire ou dire, en effet mais il a choisi de ne rien dire. Il a choisi la facilité, tout comme sa femme. Nous ne parlons pas de conséquences au même niveau mais il est évident qu’il a eu tort. Aujourd'hui c’est moi qui paie pour ses erreurs. Ce sont mes enfants qui paient pour leurs erreurs, à tous les deux. Nyls se cache derrière cette excuse de n’avoir cherché qu’à m’aider. A m’aider moi, ou à l’aider lui ?? Croisant les bras sur ma poitrine comme si je désirais me protéger de ses mots, j’ajoute en fronçant les sourcils :

M’aider ? Tu veux vraiment m’aider Nyls ? Alors reste loin de moi ou de ma famille…

Si j’ai mis de la distance entre nous, ce n’est pas pour rien. L’aimer et le détester en même temps est un sentiment que je n’ai jamais éprouvé de toute ma vie. Quand on aime une personne, on l’aime profondément, on ne peut pas la détester, c’est impossible. Et pourtant…Comment ces deux sentiments antinomiques d’ordinaires arrivent-ils à cohabiter ensemble ? Les larmes aux yeux, je me sens obligée de lui dire, afin de ne pas trahir mes sentiments à son égards :

Je t’en supplie Nyls. Ça suffit. Tu ne vois donc pas le mal que tu fais, en insistant de la sorte ? Tu penses m’aider mais tu fais tout le contraire…