Elle avait tout préparé. Le repas, la table, les petites attentions pour ses fils, ses jumeaux, ses éternels bébés. À ses yeux, Nathan et Naveen resteraient toujours des enfants dans son cœur. Pourtant, elle les voyait doucement grandir. Elle était en train de les voir aimer, s’accrocher à une personne le plus fort possible, construire une relation qui lui paraissait saine. Du peu qu’elle avait entendu parler de Luna et Lola, Maya se permettait enfin de chasser une part de son anxiété vis-à-vis de ses propres expériences. À leur âge, elle était coincée dans une relation qui ne lui convenait pas, amourachée d’un manipulateur.
Son regard se perdait au loin tandis qu’elle était en train de faire la vaisselle des ustensiles qu’elle avait utilisé pour faire à manger. Un léger sourire de fierté s’esquissa doucement sur ses lèvres, en pensant à ses enfants. Mais aussi au chemin parcouru depuis ses vingt ans. Tout en lavant une casserole, Maya repensait à son ex-mari qu’elle avait quitté deux ans plus tôt. Elle songea que la maison était drôlement silencieuse, elle qui avait toujours été entourée de ses enfants. Aujourd’hui, elle était seule dans cet appartement. Elle savait, au fond d’elle, que quelques années plus tôt, se retrouver seule chez elle l’aurait rendu anxieuse. Aujourd’hui, elle avait la sensation de le vivre mieux qu’avant. Elle savourait ces moments de solitude et cette indépendance inédite qu’elle avait refusé d’avoir avant. Elle termina sa vaisselle pour aller se changer et s’habiller convenablement. Doucement, mais sûrement, le printemps prenait fin et viendrait tôt ou tard être remplacé par les grosses chaleurs de l’été. Longuement, elle hésita sur sa tenue. L’envie était à la petite robe fleurie mais le temps frais lui disait de se couvrir davantage. Elle opta finalement pour un haut simple accompagnée d’une jupe et d’éternels talons — talons trop nombreux dans son placard, mais elle avait bien trop de mal à porter autre chose que cela.

Un coup d’œil à sa montre et elle se précipita dans la cuisine pour finir de ranger ce qui pourrait encore traîner. Dans son élan, Maya manqua de tomber, se rattrapant de justesse à la table, songeant qu’elle devrait peut-être arrêter d’en faire trop parfois. Ça finirait bien par lui coûter un bras ou une jambe, ces bêtises. Elle s’époussetait lorsque la sonnerie résonna dans l’appartement. Dans un demi-tour plus ou moins contrôlé, elle manqua à nouveau de perdre l’équilibre. Son cœur battait la chamade. Elle regarda à nouveau la table pour être sûr que tout était parfait. Puis elle tira sur sa jupe. Prit une profonde inspiration. Souffla bruyamment pour évacuer le stress. Et ouvrit enfin la porte. Un grand sourire aux lèvres. « Bonjour ! Comment va mon merveilleux fils ? » Elle l’embrassa sur la joue et posa un regard sur la demoiselle qui l’accompagnait. « Tu dois être sa copine, n’est-ce pas ? Contente de te rencontrer enfin. » Elle la salua en la prenant dans ses bras puis en lui faisant la bise avant de s’écarter du pas de la porte. « Entrez, je vous en prie. Et enlevez vos chaussures. Il y a des chaussons dans le placard à chaussure. » Elle leva les yeux vers son fils. « Tu sais quand arrivent ton frère et sa copine ? »  

Un repas de famille, Nathan n'a connu ça que tardivement mais il s'agissait de quelque chose qui tenait à cœur sa mère. Ne l'ayant rencontré qu'à l'âge de douze ans, celle-ci a rapidement pris une place importante dans sa vie et quelque part, elle lui a fait prendre conscience de la manipulation que pouvait octroyer son propre père. En ce jour, il s'agit d'une étape à passer dans sa vie amoureuse avec la jeune femme qui partage désormais sa vie. Luna a été pendant toutes ses années une amie et aujourd'hui, elle est beaucoup plus. Naveen n'avait pas spécialement bien accueilli la nouvelle mais il avait réussi à le convaincre qu'il tenait véritablement à la blonde. Il était pourtant légèrement nerveux à l'approche de l'appartement où il était attendu. Tenant la main de sa petite amie, il espérait ne pas avoir les mains trop moites. Quelques minutes plus tôt, il était venu la récupérer chez elle. Hésitant, il finit par appuyer sur la sonnette, espérant ne pas être le premier. La porte s'ouvrit sur sa mère qui l'embrassa sur la joue, il en fit de même et fronçait les sourcils à ses questions. Un sourire qui se voulait rassurant se dessinait sur son visage alors qu'elle lui demandait comment il allait. « Très bien et toi ?  » demanda-t-il, alors. Puis il se montrait plus fermé, n'ayant en effet pas fait attention à si son jumeau le suivait de près ou non. « J'en sais rien, je ne l'ai pas croisé sur la route. » répondit-t-il, ensuite. Il hocha ensuite la tête pour confirmer qu'il s'agit bien de sa copine. « Oui, c'est Luna. Maman, voici Luna et Luna, voici ma mère, Maya. » déclara-t-il sur un ton presque solennel.

S'empressant de se tourner vers le placard, il retira sa chaussure et enfila sa paire de chaussons, une règle qui était devenue une habitude chaque fois qu'il lui rend visite.  Les siens étaient au couleur de Bob l'éponge alors que ceux de Naveen étaient au couleur de Larry le homard issu du dessin animé de leur enfance.  Il consulta ses messages pour voir si son frère lui a envoyé un mais rien. « J'suis sûr qu'il va pas tarder à arriver. » ajouta-t-il, calmement. Ne connaissant pas personnellement la copine de Naveen qui répondait au prénom de Lola, il a pourtant entendu parler d'elle à de nombreuses reprises. Ayant même quelques fois donner des conseils sur comment se comporter alors qu'en réalité, lui aussi a encore des choses à apprendre concernant la vie de couple.

Ça fait près de dix minutes que j’attends. Sans surprise. Je la connais, Lola. Je la sais minutieuse, un poil pointilleuse et perfectionniste. Elle fait attention à l’image qu’elle reflète. C’est ainsi qu’on lui a appris, chez Miss USA. Alors, j’attends, j’attends qu’elle se sente fin prête à sortir de sa chambre, parée pour un rendez-vous qui, sur le papier, se veut stressant : la rencontre des beaux-parents. J’m’en doute. A sa place, je prendrais autant de temps. Faire une bonne première impression et, ensuite, la garder pour le reste de la soirée n’est pas mince affaire. Je n’ai pas encore officiellement rencontré des membres de sa famille et je redoute ce jour, qui ne saurait tarder. D’autant plus que, l’un comme l’autre, c’est une première fois. C’est une bonne façon de me rassurer. Si Lola réussit à survivre à cette soirée, je pense pouvoir le faire aussi..? Je crois ? La vérité c’est que Lola, elle a ce charme, ce charisme, cette personnalité forte en couleurs, ce sourire charmeur et ce regard pétillant, capable de captiver n’importe qui. Quant à moi… J’me dis que ce n’est pas encore mon tour et que j’ai le temps de développer mes qualités ?

Assez de me tourmenter l’esprit, la voilà qui sort de sa chambre. Je manque de me cogner sur le banc du couloir en avançant vers elle. Elle est sublime, parfaite – comme toujours. C’est un tel bonheur de la présenter à ma mère. Je le sais, j’en suis persuadée, elle va l’adorer. Il n’y a pas d’autres possibilités. C’est plutôt détendu, sans ce stress qui me détruit l’estomac d’habitude, que je prends la voiture, en direction de chez ma mère. J’entends mon téléphone sonner, vibrer. Je regarde rapidement l’heure sur mon tableau de bord. Oups, on est un peu à la bourre… De toute façon, en me mettant en couple avec Lola, j’ai fait une croix quant à l’idée d’être ponctuel. Ce qui n’est pas cher payé quand je vois la compagnie parfaite et idéale qu’elle m’apporte.

Garé, aussi bien qu’il est possible de se garer dans le coin, nous sortons de la voiture. Instinctivement, je viens chercher pour sa main avant de toquer à la porte, toujours ma main ancrée dans la sienne, mes doigts caressant délicatement sa douce peau.

Presque immédiatement, l’hôte ouvre la porte. J’affiche un énorme sourire avant de lâcher la main de Lola et prendre ma mère dans mes bras. Ça fait de longues, très longues semaines – plus d’un mois, que je ne lui ai pas rendu visite. Je me dois de me rattraper, tout de même. Une fois cette étreinte terminée, je me tourne vers Lola, ne pouvant quitter mon sourire, et fait les présentations comme il se doit. Après quoi, nous rentrons dans la maison. Directement, installés sur le canapé, je vois mon frère et Luna. Où je m’empresse de les saluer. Dans cet élan de salutation, j’envoie à mon frère :

« C’est à cause de toi, tout ça, là. J’espère que tu ne l'as pas oublié. », dis-je en lui tapotant sur le dos.