Assis dans un fauteuil qui n'était même pas confortable, je regardais des mannequins défilés devant mes yeux. Je regrettais d'avoir accepté l'offre de ce créateur de vêtement même si le chèque avait eu de bons zéros dessus. Je n'avais jamais défilé dans ma vie et c'était moi qui devais donner mon avis sur ce que j'étais en train de voir - avouer que c'était un comble ? Je me pliais toutefois à l'exercice sans vraiment aucune bonne volonté. Mes victimes étaient pour la plupart des novices, cela se voyait dans la manière qu'ils avaient de marcher. Il pensait surement que j'allai me montrer tendre et compréhensif avec eux. Quelle douce illusion. J'étais plus qu'irritable en ce moment, mon manager pouvait aussi le confirmer. Heureusement que ce dernier avait quelque chose à faire sinon il serait actuellement en train de me crier dessus comme il savait si bien le faire. Cette fois-ci c'était moi qui le faisais, critiquant sans ménagement ce qui n'allai pas sans prendre aucune pincette - comme d'habitude. Après qu'une jeune femme qui devait avoir à peine la vingtaine ait fini son massacre, je m'étais levé de mon siège.

- C'était quoi ça ? Même un éléphant est plus élégant ! Tu veux être mannequin ou bien aller récurer la merde des gens dans les chiottes ?

Déclarais-je en me postant devant la jeune fille en la regardant dans les yeux jusqu'à ce qu'elle baisse la tête. Ses camarades avaient fait de même, entendant aussi des chuchotements.

- Silence ! Vous n'avez pas fait mieux que votre camarade et c'était même pire pour certains ! Ce n'est pas un défilé de haute couture que j'ai vu mais un carnaval des animaux !

J'exagérai surement un peu mais il fallait faire comprendre à ces jeunes que pour survivre dans ce milieu il fallait savoir encaisser les critiques même les pires.

- Vous devez marcher sur ce podium comme s’il était à vous, comme si c'était votre territoire et que vous en êtes fiers ! On va recommencer un par un

Ça ne ferait que la 3ème fois de la journée après tout. Laissant les mannequins reprendrent leur place je faisais signe à un homme typé coréen qui s'en sortait mieux que les autres - dont je n'avais pas retenu le nom - de m'apporter un thé. Sinon je sentais que j'allai faire un meurtre avant la fin de la journée.

Je ne serais pas mannequin toute ma vie. Ce n’est pas ce à quoi j’aspire et c’est pour ça que je continue mes études en parallèle mais depuis que je fréquente Lauren, j’accepte de plus en plus de sollicitation pour des défilés. C’est comme ça que je me suis retrouvé là et je dois avouer que c’est une sacrée chance d’être coaché par Cain Wilder. En tout cas, c’est comme ça que je vois les choses, même s’il est très différent de l’image public qu’il dégage ou de celle qu’on se fait de lui. Je dois même dire que je suis assez choqué, même si je ne dis rien. Dans ce milieu, on applique à la lettre le principe de : « Tais-toi et sois beau ». C’est peut-être pour ça que certains et certaines se transforment en diva ou en tyran lorsqu’ils arrivent à se faire un nom. C’est peut-être une façon pour eux de se venger. En tout cas je ne deviendrais jamais comme ça, j’en fais la promesse.

Lorsqu’il hurle sur cette fille, je ne peux pas m’empêcher de détourner le regard tout en me mordant la lèvre, me retenant à grand peine de lui répondre. Si je fais ça, je serais sans doute viré et ça ne changera absolument rien. Ce milieu est comme ça et on doit tous passer pour là pour réussir. J’ai quand même de la peine pour ma camarade mais je sais que mon intervention ne ferait qu’empirer les choses. Cain Wilder est exigent mais il a raison de l’être, même si je n’approuve ni ses méthodes ni ses paroles.

Quand il nous demande de recommencer pour la troisième fois, j’en profite pour poser une main réconfortante sur l’épaule de ma collègue, accompagné d’un sourire pour l’encourager. Ce n’est pas la première fois et ça ne sera pas la dernière mais au moins, on est tous logé à la même enseigne.

Alors que je reprends ma place, Cain me fait signe de lui apporter un thé. J’arque un sourcil de surprise mais ne dis rien et m’exécute. Je ne suis pas assistant mais si ça me permet de l’approcher un peu et de l’aider à se montrer plus détendu avec nous, pourquoi pas ?

Une fois son thé préparé, je m’approche de lui pour le lui tendre :
« Je vous ai préparé un thé au citron avec une touche de miel. J’espère que ce sera à votre goût, sinon je vous préparais autre chose. »
Avec un peu de chance, ça l’aidera à se montrer moins dur avec nous.
« Est-ce qu’il vous faut autre chose monsieur Wilder ? Au fait, je m’appelle Samuel. »

A ce rythme-là il me faudrait plus qu'une journée pour que ces jeunes sachent défiler correctement. Pourquoi je n’avais pas posé la question avant de signer sur l'expérience des mannequins que j'allai coacher ? Certes, ils devraient se sentir hautement chanceux de m'avoir enfin, peut-être pas là vu tous les mots durs que j'avais. Je ne me retenais absolument pas, cela ne servirait à rien. Le créateur voulait quelque chose de parfait et je comptais bien faire mon job. Même si leur crier dessus ne me faisait pas particulièrement plaisir pour autant. Je ressemblais à un monstre mais ce n'était qu'une armure, une carapace que je m'étais construite tout au long de ma vie et de ma carrière. Pour survivre dans le monde du show biz et aussi du mannequinat. Ils étaient encore jeunes et la plupart pensaient surement que tout était merveilleux, que ce n'était pas compliqué. Mais ça l'était. Entre ceux qui se pensaient tout permis, laissant leurs mains vagabonder comme si nous n'étions que des jouets. Je les haïssais, du plus profond de mon âme et cette haine j'en avais fait mon arme.

Le jeune coréen que j'avais envoyé me chercher un thé était revenu quelques minutes après. Je le remerciai d'un hochement de tête, car même si j'étais un con aujourd'hui, j'étais tout de même poli. Sachant qu'il n'était pas venu là pour m'apporter du thé à la base mais je n'avais pas d'assistant sous la main. A vrai dire, il valait mieux pour eux.

- Ça devrait aller

Je n'avais pas encore goûter en disant cela mais le mélange n'avait rien de fantasque.

- Appelle moi Cain, je déteste qu'on m'appelle par mon nom

Déclarais-je d'un ton un peu sec, pas envers Samuel mais plus à ce que mon nom de famille me rappelait. J'aurai pu en changer mais mettre quoi à la place ? J'ignorais d'où je venais. Je portais la tasse à mes lèvres. Grimaçant de dégoût. C'était tiède. Affreux. Personne ne savait donc servir un thé chaud dans ce monde ou il fallait tout le temps préciser un "thé chaud s'il vous plaît" ? Bon sang.

- Non seulement tu ne sais pas défiler mais tu ne sais pas non plus faire un thé.

Conscient que nous n'étions pas seul, je m'étais retenu de lui jeter son sale thé à la figure. A la place, je m'étais contenté de lui plaquer l'objet violemment contre son torse.

- Et vous attendez quoi ? Que je vienne vous donner un coup de pied au cul pour recommencer ?

Lançais-je à l'adresse des mannequins qui n'avaient pas bouger, visiblement en attente d'un top départ ou quoi. J'en avais fait sursauter certains par mon soudain éclat. Jurant dans ma barbe que je n'avais pas, je faisais signe à Samuel de dégager alors qu'une des filles s'avançait toute tremblante. Bordel mais je n’allai pas les bouffer.

- Stop !

Je soupirai, me pinçant l'arête du nez. Je sentais un mal de crâne arriver à grande vitesse.

- Ok on va faire une pause de dix minutes.

Déclarais-je avant de sortir de la salle pour aller aux toilettes passer de l'eau sur mon visage.