Ariana aurait adoré les festivités en ville cette année. Deuxième édition des Olympiades à Monterey oui, mais c’est aussi la deuxième année où elle n'est plus parmi nous. J’ai énormément souffert de sa disparition et chaque jour je m’efforce d’honorer sa mémoire. Ari était ma meilleure amie depuis le lycée au même titre que Oonagh. A nous trois, on formait le trio parfait. C’était surtout nous trois contre le reste du monde et aujourd’hui nous ne sommes plus que deux. Il nous manque notre pilier mais on fait en sorte de tenir le coup, comme toujours. On y arrivera, on s’en sortira. Alors j’ai pensé à Ari toute la journée, j’ai dessiné des tas de formes, visages comiques ou encore des objets en lien avec le thème qu’a proposé le maire pour l’anniversaire de son chien, Spiky.

Et là, l’évidence même : J’ai envie de marquer le coup, d'honorer la mémoire de ma meilleure amie. En dessinant cette petite bobine de film au crayon de plomb sur ma feuille à dessin, j’ai comme, l’idée de me le faire tatouer sur le corps. Moi qui ait une sainte horreur du cinéma, c’est le comble hein ? Pour vous dire qu’on ferait tout et n’importe quoi pour les gens qu’on aime, ou qu’on a aimé. Enfin, Ari, je l’ai aimé, je l’aime et je l’aimerais. Toute ma vie et elle me manque cruellement, c’est un fait ! Et qui dit coup de tête, dit, recherches… Je pose mon crayon sur ma table de dessin, et commence à chercher un salon de tatouage en ville. Plusieurs me sont proposés, difficile de choisir mais suffit de regarder les pages Insta pour se faire une idée de l’endroit où l’on veut mettre les pieds. Et là, je tombe sur le Snake Ink. Après quelques scrolls je décide d’appeler le numéro de téléphone sur la page principal, en demandant à la jeune femme qui me répond si elle a de la place pour un tout petit tatouage ? Vraiment pas gros, parce que je veux qu'il reste discret mais aussi parce que je pourrais le regretter. Peut-être pas le geste en lui-même mais le dessin que j'ai osé faire ! Tout en travers de mes convictions, on dirait bien.

La jeune femme, adorable, me cale un petit rendez-vous en fin de journée. Je me dis que j'ai encore le temps de renoncer à cette idée saugrenue mais y'a plus rien à faire... Quelques heures plus tard, je ferme la galerie et je suis devant son salon de tatouage. En tout cas, c'est bien l'adresse qui se trouvait sur son profil ! En tenant ma feuille a dessin dans les mains, j’inspire profondément et pousse la porte du salon de tatouage, en remarquant le petit bruit que fait la cloque quand je referme cette dernière. Tout sourire, j’avance vers le comptoir où je découvre surement la femme que j’ai eu au téléphone tout à l’heure et lui dis :

— Bonjour, je suis Nikki. J’ai téléphoné tout à l’heure pour un petit tatouage de rien du tout…

Oui oui Nikki, un petit tatouage de rien du tout. C’est ça. Ne prends pas peur pour si peu. C'est juste une petite bobine de film hein.

@Harmony Dorris

Dépasser les trente ans pour se faire un tatouage, okay pourquoi pas ? Y’a vraiment pas d’âge pour se faire dessiner sur le corps, après tout. Par contre, choisir un dessin qu’on est pas sûr de vouloir à cent pour cent… c’est un autre débat.

Nous en vérité, je veux vraiment faire ce tatouage là et pas un autre. J’ai besoin de marquer le coup et que ça en vaille la peine. Que ça signifie vraiment quelque chose à mes yeux, et aux yeux des personnes qui connaissait mon lien avec Ariana et surtout son amour pour le cinéma. Sa détermination à me faire découvrir des films et des séries dans l’espoir que je puisse aimer ça… Je n’ai pas eu une vie facile, avec la télévision, les caméras et le cinéma. J’ai surtout vu et compris l’impact négatif que tout ceci a eu sur mon existence mais surtout sur celle de mon frère Eugène alors abolir le cinéma de ma vie n’a pas été quelque chose de compliqué à faire, parce que je le voulais sincèrement. Ceci dit, Ari s’est montrée tout aussi tenace que moi et on s’en ait donné des coups de tête, toutes les deux !

Seulement voilà, cette petite bobine que j’ai dessinée à l’arrache un peu, sur mon banc de dessin, dans mon bureau, et bien, c’est celui que j’ai envie de faire. D’un côté pour honorer la mémoire de ma meilleure amie et d’un autre, pour exprimer mon aversion pour le cinéma. C’est une belle façon de voir les choses, de cette manière. Beaucoup de mon entourage comprendront ce que j’ai voulu traduire par cette représentation, alors c’est décidé. J’y vais !!!

J’arrive au salon de tatouage, alors que la ville est sans dessus-dessous. Depuis le début des olympiades, idée géniale du Maire cette année encore, il y a comme une sorte de guerre des clans, et j’avais décidé d’y participer moi aussi. Certains sont plus intenses que d’autres tandis que moi, je prends cela comme ça vient, sans prise de tête. Quand j’entends d’une part : « Je jure solennellement que mes intentions sont mauvaises » et d’une autre « Le lion ne s’associe pas avec le cafard », j’ai la sensation que les équipes vont finir par se taper dessus à un moment donné ! Faut voir comment ça se comporte dans les rues… Y’a des bons joueurs mais aussi des mauvais et je ne donne pas cher pour les meilleurs d’entre nous !! Mais j’ai juste pas envie de m’y prendre au “jeu” pour l’instant. J’ai surtout dans la tête une idée bien plus importante que de me battre réellement avec des gens de mauvaise foi. Quand je pousse la porte du dit salon, j’informe la jeune femme qui se trouve au comptoir d’accueil que nous nous étions parlées plus tôt dans la journée pour ce petit tatouage. J’essaie de me convaincre que ce n’est pas grand chose, car, je n’ai pas envie de l’importuner trop longtemps. Après tout, elle accepte de me prendre comme ça, sans rendez-vous en fin de journée. Elle aurait très bien pu refuser ma demande, surtout que je vais peut-être le regretter (Je n’ai pas pris le temps de peser le pour et le contre, évidemment, j’y penserais que demain, me connaissant!) et rentrer chez elle mais elle est toujours là, alors je lui souris, montrant toute ma gratitude au passage.

— Merci… Je suis ravie de mettre un prénom sur ta voix !Tout en regardant autour de moi, j’observe la déco du salon. Magnifique, d’ailleurs. C’est vraiment un bel endroit, en tout cas. Il rend mieux en vrai que sur ton instagram

En secouant la tête face à la question de la jeune femme, qui répond au prénom d’Harmony, je sors de la poche de ma veste brune, la feuille de papier que j’ai soigneusement plié en quatre morceaux.

— Oui, le voilà.

Tout en l’observant, elle me renseigne sur le fait qu’elle aussi, a dessiné quelques ébauches. Ce qui est intéressant, bien sûr. J’aurais l’embarras du choix. Je lui dis alors :

— Oh, génial ! J’veux bien les voir aussi. J’aurais plus de choix, afin d’être certaine du modèle qui irait à ce que je recherche exactement.

Dessiner, ce n’est pas un problème pour moi. Le rendu, qu’aura ladite bobine de film sur ma peau, est plus primordial. Je suis impatiente de savoir où toute cette histoire de tatouage improvisé va me conduire…

@Harmony Dorris

Je suis nerveuse, mais bien décidée à faire ce tatouage. Il ne me représente pas personnellement parce que je ne suis pas une grande fan de cinéma. Je n’aime tout simplement pas ça, pour plusieurs raisons justifiables mais il a tout de même une très grande valeur sentimentale pour moi. C’est pour Ari, ma meilleure amie. ça fait deux ans qu'elle nous a quittés. Deux ans, que je vais lui rendre visite au cimetière, que je dépose ses fleurs préférées, des camélias. Et aujourd’hui, même si c’est une idée que j’ai eu sans prendre le temps de réfléchir, je sais déjà que je ne le regretterai pas parce que ma meilleure amie était une vraie mordue de cinéma. Je sais qu’elle aurait approuvé ce choix de tatouage pour mon baptême. Quelque chose comme ça !

J’écoute les conseils d’Harmony tout en regardant ses propres dessins. Ils sont d’ailleurs magnifiques. Elle a un don, c’est évident. Tout comme moi, mais ce ne sont pas ce genre de dessins que je dessine en temps normal. C’est plutôt des bâtiments, de longues lignes droites, des angles, etc. Rien à voir avec ce que fait la jeune femme, on s’entend. Je hoche la tête, tout en laissant des “hum” sortir de ma bouche, songeuse. Il y avait tout un tas de choix à faire. Lequel allait être l’élu, à quel format, où le placer… Je souris donc à la tatoueuse aux milles tatouages (Une vraie oeuvre d’art, la madame ! )

— Tu as raison, celle-ci est vraiment parfaite. Ce serait pour l’intérieur de mon poignet gauche…

Je dis cela, tout en le caressant, légèrement stressée. Ah bah ouais, j’me suis jamais faite tatouée, j’ignore encore le seuil à ma douleur hein, c’est quand même une (voire plusieurs) aiguilles qui vont me transpercer la peau. C’est pas rien, n'empêche!

— … Quelque chose de discret, et fin, aussi.

J’inspire profondément, souris de toute mes dents, sans prendre la peine de cacher cette nervosité qui s’insinue dans l’air

— ça se voit tant que ça ?

Et oui, premier tatouage pour la petite Lawson. J’suis certaine que Mano va me faire les gros yeux. Et Eugène, j’suis presque sûre qu’il ne le remarquera pas… alors…


@Harmony Dorris

Quand c’est la première fois qu’on débarque dans un salon de tatouage, avec, certes une idée déjà préconçue, ça ne change pas le fait d’être un brin angoissée. Je le suis un peu beaucoup plus que je ne l'imaginais. Ma nervosité ne passe pas inaperçue auprès d’Harmony, bien évidemment, qui s’amuse légèrement de la situation. Loin de moi l’idée de prendre ce petit rire pour une attaque, j’en ris tout autant qu’elle, bien que ça ne soit pas pour les mêmes raisons. J’suis prête, ce n’est pas une question de courage ou non mais c’est une étape importante dans ma vie, que je ne veux pas prendre à la légère. C’est même crucial, à mes yeux et d’une valeur inestimable. Et puis, il faut bien une première à tout. J’imagine que c’est comme la première fois qu’on fait l’amour ? ça fait mal sur le moment et après c’est qu’une histoire parmi tant d’autres qu’on préfère oublier ? Enfin j’en sais rien… J’pourrais très certainement répondre après et voir si l’exemple que je viens de donner à comparaison est justifié.

Je la gratifie d’un nouveau sourire quand elle me dit que c’est son super-pouvoir de tatoueuse de déceler ces choses-là chez ses clients. Je baisse ensuite les yeux sur le formulaire qu’elle souhaite que je lise et remplisse. Je hoche la tête

— Très bien, oui. Je m’en occupe tout de suite.

Et j’exécute ses directives. Je m’appuie sur le comptoir, je commence ma lecture attentivement. Puis, vint les questions à commencer par les plus courantes comme on avait l’habitude de remplir à l’école ou encore aujourd’hui sur les documents administratifs, sauf qu’on est pas obligé d’y noter son numéro de sécu ! Donc je réponds aux questions, coche “non” à pratiquement toutes les questions. J’suis une fille plutôt rangée quand on y regarde de plus près. Je ne fume pas, je ne bois pas (enfin occasionnellement) pas de drogue et aucune dépendance… enfin à part celle des jeux de casino mais j’crois pas que ce soit pertinent pour Harmony. ( hum, d’ailleurs, ça me fait penser que Ezra organise une sortie avec les copains bientôt,je ne dois manquer ça pour rien au monde!!! ) Quand Harmony me demande si je connais le déroulé de la séance, j’appose justement ma signature sur le ment, imprime le point de ma mine de crayon avant de me tourner vers elle :

— Aucunement, non. J’imagine que tu vas m’expliquer l’opération tout en détail ?

Dit comme ça, ça fait presque flipper. Opération, on est pas sur la table d’un chirurgien, hein ! Je m’avance vers elle avec le document signé et le lui tend :

— Mes devoirs sont faits. Je crois n’avoir rien oublié…

@Harmony Dorris

J’imagine que les questions que pose Harmony sont un moyen  pour elle d’en apprendre plus sur ses clients, ses habitudes et surtout s’ils véhiculent des maladies transmissibles Bah quoi ? Hépatite etc, ça existe. Bref, je ne veux pas  me montrer indiscrète, je m'exécute simplement. Il y a des questions banales, jusqu'à des questions un peu plus personnelles mais encore une fois j’imagine que c’est pour se protéger, et protéger les autres en même temps. J’espère néanmoins qu’Harmony va m’expliquer la marche à suivre. C’est la première fois que je me retrouve dans ce genre de lieux. Enfin, je veux dire, sur la table, quoi ! J’ai suivi je ne sais combien de fois Ari, dans ce genre d’endroit, à faire des grimaces à sa place quand elle se faisait dessiner sur le corps. Il n’empêche que ce sont de beaux souvenirs, elle n’avait pas peur, Ari. Elle savait toujours exactement ce qu’elle faisait et surtout, ce qu’elle voulait. Elle débarquait avec son dessin superbement bien travaillé et elle disait, “ok c’est ça que je veux, de cette façon, à cet endroit” J’aimais tellement sa spontanéité, et les directives qu’elle donnait aux autres. Qu’elle disait à moi mais aussi à Oonagh lorsque nous étions inséparables toutes les trois.

Et puis, Ari est tombée malade et c’était fini, la joie de vivre. On vivait carrément au jour le jour, sans prévoir un demain. Elle détestait qu’on fasse ça. Quand on lui demandait. “Et si samedi, on t'emmenait là, ou là ?” Elle nous demandait de ne pas prévoir. Qu’elle pouvait crever d’un moment à l’autre et que demain était incertain. Alors on ne prévoyait plus rien avec elle sous peine de se faire disputer tout l’heure des visites. Quand on a cru en sa rémission, avec Oonagh on s’est mis à se projeter de nouveau vers l’avenir. On y a tellement cru, pour elle mais aussi pour tout le monde. A nous trois, on était une équipe de choc et depuis qu’elle est morte, on tente d'honorer sa mémoire, tous les  jours que Dieu fait. C’est loin d’être évident mais il n’est pas question d’oublier Ari une seule seconde, c’est pour ça que je suis ici. C’est pour elle, pour l’honorer à ma manière d’une façon qu’elle aurait kiffé, c’est certain.

En prenant le formulaire dûment signé, Harmony me demande de la suivre. Ce que je fis dans broncher d’un p'tit poil. Je m’installe sur le siège, prévu à cet effet et tout en m’installant, la tatoueuse m’explique en détail tout ce qu’elle fait, ou ce qu’elle compte faire. Je n’ai pas peur, mais je suis un brin nerveuse, tout de même. Je lui souris tout en me frottant les mains. La musique qui passe sur la chaîne Hi-fi me plait beaucoup. Et instinctivement, ça m’aide à me détendre. Je réponds à Harmony

— Non, non, c’est même parfait. J’adore ce genre de musique. ça détend beaucoup !

Et tandis qu’elle prépare tout devant elle, je lève les yeux au ciel en m’imaginant m’adresser à  Arianna, qui doit prendre un malin plaisir à me voir torturée dans ce salon de tatouage alors qu’aucune aiguille ne m’a encore transpercé la peau. Je chuchote alors :

— Mon tout premier tatouage est pour toi, Ari. Tu te rends compte ?

Je baisse les yeux, et souris un peu gênée quand je me sens observée par la jeune femme en face de moi. Je tiens tout de même à souligner ceci :

— Ari, c’était ma meilleure amie. Elle était mordue de cinéma en plus de tatouage. C’est pour elle que je suis là aujourd’hui.

Les personnes qui se font tatouer viennent dans le but de se faire dessiner une image qui restera gravée à tout jamais sur la peau. Cela a forcément une signification propre et personnage. La mienne, c’est Arianna. Elle est la signification de ce merveilleux tatouage que je vais me faire poser, d’ici quelques minutes. J’inspire profondément. J’suis prête, ça y est !


@Harmony Dorris

J’inspire profondément, m’imprègne de la musique qui nous entoure. Elle me fait du bien, elle me détend remarquablement. Je suis nerveuse, après tout, c’est ma première fois. Je me sens totalement en confiance avec la jeune femme en face de moi. Elle a l’air tellement douce et puis, il semble qu’elle sache ce qu’elle fait alors je n’ai aucune raison de m’inquiéter. Tout ce qu’il ne faut pas faire hein, pour une personne qu’on aime. Qu’on a surtout aimé de son vivant et qu’on aime au-delà de la mort, pour le souvenir. Je me rappellerai de toutes ces années passées ensemble jusqu’à mon dernier souffle. J’emporterai également ses secrets dans ma tombe comme elle a emporté les miens, elle aussi. Tout comme les secrets d’ Oonagh, j’en suis persuadée. Mais bref, je sors de mes songes, offre un grand sourire à Harmony qui préparait tout son matériel

— Non, pas vraiment. En fait j’ai une très mauvaise expérience avec le cinéma mais Ari… Ariana, c’était une passionnée comme on n’en fait plus aujourd’hui. Et elle aimait beaucoup les tatouages. Elle en avait quelques-uns …

Je me laisse aller à quelques confessions, comme si je me trouvais dans le fauteuil d’un psy et que j’avais soixante minutes pour lui raconter mes problèmes ou simplement ce que j’ai sur le cœur. Aujourd’hui, mon coeur en a gros mais je suis en paix avec cette idée de me faire graver sur la peau un symbole qui ne me ressemble pas moi, mais qui ressemble surtout à toute l’affection que j’ai eu pour ma meilleure amie. Que j’ai toujours, en moi, bien sûr.

— Elle nous a quittés il y a deux ans, c’est une période très particulière pour moi….

Pas juste pour moi, ceci dit. J’inspire profondément, et lui dit en secouant la tête :

— Pardon, c’est sans doute déplacé de ma part.

La réalité nous rattrape ensuite. Tout semble prêt à être utilisé sur ma peau. Lui montrant mon poignet comme demandé, je la laisse procéder au nettoyage de la peau et secoue la tête quand elle me demande si je suis allergique au miel. Je ne crois pas avoir une quelconque allergie donc… Cherchant au mieux la place du dessin, je ne pipe mot, j’observe avec attention, les gestes de la tatoueuse qui me propose une certaine manière

— Oui, essayons ça. D’accord.

Je crois qu’elle est mieux placée que moi pour savoir où je dois le placer exactement. En réalité, je lui ai simplement dit où je voulais le mettre, après, à quelle distance de ma paume ou vers le milieu de l’avant-bras, quelle différence ça faisait ? Du moment qu’il restait discret… Une fois le dessins déposé sur ma peau, je m’excuse presque aussitôt, regarde dans le miroir si cela me convient.

Je regarde, encore et encore. Est-ce que c’est là que je le veux réellement ? Pour le restant de mes jours ? Il faut que je sois sûre. Je me tourne ensuite vers Harmony, qui attend bien sagement ma décision. Du coup, je lui dis, après m’être pincer les lèvres :

— Je dirais légèrement plus bas ?

Loin de moi l’envie de faire ma difficile hein, je veux être certaine de mon choix, parce qu’ensuite, plus aucune marche arrière n’est possible…

@Harmony Dorris (Sorry pour le retard)

Le cinéma fait partie de ma vie depuis toujours. aussi loin que je m‘en souvienne, j’ai baigné là-dedans dès mon plus jeune âge. Enfin… d’une certaine manière. J’étais surtout spectatrice d’une étoile montante, mais aussi de tous ses revers de médaille. À la vue de tous, mon grand frère était une star que tout le monde s’arrachait, qui ressemblait à un gamin comme tous les autres mais avec une notoriété qu’ont ces enfants stars dans le show-business. Dans les coulisses, l’ambiance était tout autre. Il travaillait fort, parfois trop. Non. Pas parfois. Il travaillait bien trop fort pour. Un enfant de son âge. Avec notre écart d’âge, je l’ai beaucoup envié. Jalousé. Je voulais être à sa place, avoir les caméras braquées sur moi, avoir des tonnes de copains comme lui. Avoir beaucoup d’argent aussi, bien que dix dollars pour moi, c’était être multimilliardaire, pour dire. En grandissant, j’ai réalisé que je ne voulais pas être à sa place, je ne voulais pas vivre la pression qu’il vivait quotidiennement. On lui en demandait toujours plus, pendant que j’ai vécu aussi loin que possible de sa notoriété. Pourtant, j’ai eu des tas d’amis parce que j’étais « la soeur de ». On ne m’estimait pas vraiment à ma juste valeur. Sauf Oonagh. Sauf Arianna. Mes copines du bac à sable, quasiment. Elles, c’était différent. Elles se fichaient bien de savoir qui était mon frère. Elles ne cherchaient pas à se rapprocher de moi en espérant devenir amies avec Eugène. C’est ainsi que j’ai su qu’elles seraient mes amies pour la vie. Et la vie nous a privés de l’une d’entre nous. Ce trépied solide n’existe plus aujourd’hui, mais il existe encore dans nos souvenirs. C’est tout ce qu’il nous reste. C’est ce que je veux marqué, sur ma peau, pour continuer à faire vivre Ari en moi. Le cinéma c’était sa passion, son identité et quelque part, c’est ce que je tente de représenter.

L’attention que porte Harmony à mon récit m'ébranle quelque peu. Je ne me confie pas aussi facilement à des inconnus, d’habitude mais sur ce fauteuil, j’ai l’impression d’être chez le psy et la langue se délie immédiatement. J’imagine alors ne pas être la seule à avoir une facilité déconcertante pour déballer les raisons de vouloir faire ce tatouage qui correspondrait plus à Ari qu’à moi. Mais qu’est-ce qu’on ne ferait pas par amour ? Oui je l'ai aimé, Ari. Beaucoup. Pas comme on pourrait le croire, mais c’était un peu comme la sœur que je n’ai pas eue. Oonagh et Ari sont ces femmes pour qui je serais prête à tout dans ce monde, au même titre qu’Eugène, c’est évident. Et maintenant, il ne me reste plus qu’Oonagh et cette fâcheuse peur de la perdre, elle aussi. Pas certaine que je m’en remette si elle venait à disparaître. Je ne m’en suis toujours pas remise, pour Arianna et ça fait déjà deux ans. Mais en vrai, m’en remettrais-je sincèrement un jour ? J’en doute beaucoup.

La position du tatouage est importante. Je ne dois pas me louper, parce qu’il sera imprimé sur ma peau pour le restant de mes jours. Je dois être sûre et certaine que c’est là que je le désire. A l’intérieur de mon poignet gauche, côté cœur, pas trop haut ni trop bas. J’hésite un peu, demande à ma tatoueuse de le positionner autrement. Je ne veux pas paraître embêtante mais je me réconforte dans l’idée qu’on peut recommencer autant qu’il le faudra, pour trouver SA place. C’est pour la vie. Tout comme je l’ai promis à ma meilleure amie malade. De l’aimer pour toute la vie, et même au-delà.

Je regarde mon poignet dans le miroir, pour la seconde fois. Mon coeur bat vite. Il sait. C’est exactement là où il doit être. J’en suis maintenant convaincue. En hochant la tête de bas en haut, sans quitter mes yeux de mon poignet au travers le miroir, je dis à Harmony :

— J’en dis que c’est parfait. Oui, c’est parfait.

Inspirant profondément, je me sens prise d’une émotion plutôt vive, et je souris. Je regagne ma place sur ce fauteuil impeccable.

— Je suis prête !

Plus que prête, oui.
Je suis décidée. Pour de vrai.


@Harmony Dorris