Show Me Mercy...
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Une ombre qui se profile à travers l'obscurité oppressante, lorsque je passe sous un lampadaire, vive lueur dans la noirceur de cette nuit qui meurt aussi vite que son apparition. Seul le claquement de mes talons sur les pavés crève le bref silence de cette étrange nuit. Je tente de marcher le plus vite possible, en vain. A priori, l'idée de porter des talons hauts pour sortir ce soir était bien mal avisée. D'ailleurs, je ne sais pas ce qui m'a prit : je n'en porte jamais, préférant aisément le confort de mes baskets ou le maintien de bottines cloutées en cuir. Je ne suis plus le genre de femmes qui doit faire attention à son apparence. Sauf que pour fêter mon retour à Monterey, j'avais choisi la plus belle robe de ma valise, seule vestige de mon incroyable garde robe. Et donc, la seule paire de chaussures qui pouvait s'accorder avec une tenue aussi habillée était mes précieux escarpins. En même temps, fuir son futur mari et une ville en seulement quelques jours est loin d'être idéal pour embarquer tout un camion de déménagement dans la foulée. Mais je savais que c'était la meilleure décision à prendre: dire non aux portes de mon mariage et enfin reprendre le contrôle de mon existence. Revenir à Monterey, c'est recommencer à zéro et à la fois reprendre le cours de ma vie là où je l'avais laissé, il y a des années. Je tente, en vain, de fuir les douloureux instants de ma relation avec Jacob, alors, je me surprend à agir de manière complètement déraisonné. Emprunter la pire rue de Monterey pour rejoindre mon ancien bar fétiche, par exemple. Des mois et des mois que je n'avais pas déambulé à travers ces rues, les souvenirs qui remontent, incontrôlables, peuvent presque provoquer une unique larme d'émotion, qui perle sur ma joue. Cette boutique dans laquelle, pour rire, j'avais volé un fond de teint pour ma meilleure amie de l'époque. Ce minuscule cinéma, où Alexis et moi adorions passés des après midi, enfants, pour fuir le climat étouffant de notre foyer. Oh, et... les soulards qui n'arrêtent pas de beugler. Ça, je les avais aussi, à Londres. Je les retrouve donc, à quelques mètres de moi, ils ressemblent à des animaux. Et même si je devrais faire demi-tour pour m'enfuir, me protéger et me réfugier entre les murs de mon appartement délabré, je poursuis ma route. Je n'ai pas envie d'abandonner mon projet de ce soir, je ne veux plus être faible et me comporter telle une pauvre petite chose.

Tête baissée, je tente de poursuivre sereinement mon chemin, sans m'inquiéter. Je serre contre moi mon sac à main de luxe, que j'hésite encore à revendre pour pouvoir me payer de nouvelles encres pour mon salon de tatouage. Quoi qu'il en soit, perdue dans mes pensées, je me rends à peine compte que je fonce tout droit dans la gueule du loup. Véhément, un homme sort du lot, s'approchant de moi. Je lève la tête, doucement et m'arrête. De toute manière, inutile de les ignorer. Je ne veux plus être la victime de qui que ce soit, c'est terminé. Trouvant enfin un brin de stabilité, je les écoute copieusement me surnommer, je fais une moue qui semble être interpréter comme un acquiescement. Lorsque sa main moite et dégoûtante frôle ma poitrine, j'esquisse un mouvement de recul. Enfin la limite est franchie. Je gémis et commence à lever la voix, vainement, d'ailleurs.

Pitié, faîtes que cela cesse... Faîtes que quelqu'un vienne à mon secours...

J’aime la nuit. Enfant, j’avais la certitude que le coucher du soleil levait le voile du royaume des fées. Même si je suis désormais adulte, cette croyance enfantine me borde les lèvres d’un sourire. Je n’ai plus l’âge de croire à la magie, telle qu’on la narre dans les contes. Pourtant, je m’en berce. L’illusion m’apporte un réconfort nécessaire. Sa principale vertu curative consiste à me consoler d’une horrible soirée en compagnie de mon père. Je m’applique à oublier chacune de ses injonctions. Mon œil est aguerri à repérer la beauté, au milieu de l’obscurité. Dans ces instants oniriques, je ne vois ni la misère, ni le mal de ce monde-ci. J’opte pour une forme de résistance passive, refusant de laisser le pragmatisme morne, ni un quelconque cynisme, me remettre les pieds sur terre. J’erre sans réel but. Un voyage n’en est plus véritablement un, si nous lui infligeons une destination. La lumière des lampadaires nappe les rues d’une aura vacillante. Je trouve ça beau. J’en regretterais presque de ne pas de quoi croquer cet instant volé.

Une voix féminine perce le voile de mes rêveries. Une sensation visqueuse me glace l’échine.  J’amorce des pas prudents, surveillant les alentours. Je bifurque, guidé par mon audition. - Allez, fais pas ta timide. Avec une robe pareille, on sait bien ce que tu cherches. Le choc m’immobilise. En injuriant cette demoiselle, c’est toute la cause féminine que l’on blesse ! Pire encore, cette bestialité crasse salit le monde entier. Je la reçois de plein fouet, trop empathique pour ne pas ressentir. Je frémis d’horreur, nauséeux d’assister à une scène effroyable. - Lâchez là, enfin ! Effaré, j’élève la voix sans en avoir réellement conscience. Juste assez, en tout cas, pour que l’attention se focalise temporairement sur moi.

Je ne suis pas de ceux qui se battent. Je ne l’ai jamais été. J’ignore comment lever le ton suffisamment fort pour asseoir ma virilité. “Sois un homme, Archibald ! Montre-moi ce que tu as dans le ventre !” Mon père avait l’habitude de me tenir ce genre de propos. De son point de vue, naître de sexe masculin m’obligeait, de facto, à agir comme un rustre. Je n’ai jamais su me fondre dans son idéal. En revanche, ce soir, je m’interpose, le menton redressé, les yeux brillants d’un élan chevaleresque. Je ne le fais pas pour moi. J’agis parce qu’il m’est inconcevable de détourner les yeux. Mes doigts enveloppent le poignet délicat de cette lady des temps modernes. Je la guide instinctivement dans mon dos, barrant le passage de son agresseur principal.- Allez, pousse-toi de là. Tu vois pas que c’est moi qui la fait mouiller ? Son haleine alcoolisée me fait plisser le nez. Son rire gras me fait froncer les sourcils. Même aux heures les plus noires de mon existence, je n’ai jamais molesté autrui. Ma résolution se raffermit pourtant. - Il est hors de question que je vous laisse l’approcher. De ça, au moins, je suis convaincu. Ceci dit, je n’ai aucune idée de la manière dont je vais pouvoir m’y prendre pour repousser ses assaillants. - Soit vous partez, soit j’appelle la police.

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Les propos orduriers de ces affreux bonhommes n’arrivent pas à glisser sur ma peau salie par leurs mains qui me brutalisent. Cela n’a rien à voir avec des caresses, je me sens profondément… tel un objet, de leur point de vue. Avec une foudroyante rapidité, je suis plongée dans mes affreux souvenirs, qui me paralysent. Je suis de retour dans mon ancienne vie, aux côtés de Jacob, à subir, à me taire, à baisser la tête, à accepter cette violence sans nom, ce manque de respect effrayant. Et toutes mes bonnes paroles et résolutions sont vaines, ma volonté de sortir grandie de mon passé se retrouve balayée d’un vague revers de la main, à cause d’un minuscule grain de sable dans la machine bien huilée de mon quotidien.
J’ai beau tout faire, fuir, mais mes démons me rattrapent toujours. J’aimerais tant ne pas être réduite à ces traumatismes… Mais je ne suis pas aussi forte que je l’imaginais.
Geignant, tentant de me défaire de leur emprise, je finis par retrouver une once de courage en m’exprimant ainsi:

Je… Non mais…

Et puis, le salut.
Mes prières sont entendues, mes souhaits emplis de désespoir finissent par se réaliser. Surgissant de la nuit profonde, un homme au visage contracté mais m’inspirant une profonde confiance s’occupe de se dresser entre moi et ces harceleurs de bas étage. Il hausse le ton tout en conservant un sang froid impressionnant. Écarquillant les yeux, je me contente de le fixer, ébahie, les lèvres entrouvertes, comme mise sur pause.
Les menaces de l’inconnu ont eu raison de cet attroupement d’âmes bestiales, ils finissent donc, après quelques secondes d’affrontement de regards, par déguerpir. Mais avant cela, celui qui semble être le chef du groupe s’occupe de jeter la fin de sa bière sur le pull immaculé de mon sauveur. Mais quel geste outrancier! Je suis scandalisée mais n’ose piper mot, je préfère me taire, faire comme si je n’existais pas. Soulagée quand enfin ils disparaissent au coin de la rue, je finis par relâcher la pression en courbant le dos, mes mains posées sur mes genoux, expirant grossièrement. En réalité, je réalise que j’avais le souffle coupé, que j’étais prostrée, figée telle une statue. Mais qu’enfin, je pouvais à nouveau respirer. Je n’étais plus une victime, je me refusais à cela, j’avais bien trop longtemps cette étiquette collée à mon front, je ne pouvais pas, une nouvelle fois, accepté qu’elle me soit de nouveau attribuée. Riant nerveusement, je finis par retrouver le regard de l’inconnu et je lui dis, extrêmement gênée par mon comportement spontané:

Oh, je… Mon Dieu, la peur que j’ai eu! C’est… Un véritable miracle que vous soyez passer par là, je ne vous remercierais jamais assez! Je… Andrea, échantée.

J’adopte une position acceptable, tendant assurément la main dans sa direction. Retrouvant un sourire sincère, je finis par balancer le doigt contre sa tâche et lui affirme, les sourcils froncés:

Je… Je dois vous remercier. Laissez moi donc nettoyer ce pull, mon salon de tatouage n’est qu’à quelques mètres d’ici, je peux faire quelque chose. Je vous en prie, je dois vous rendre ce que vous venez de m’offrir.

Es-tu sérieuse, Andrea? Penses-tu seulement que ce simple service est à la hauteur de l’incroyable bonté dont il a fait preuve…?
Une partie de moi en est certaine, il m’a sauvé. La vie, mon honneur et à la fois… La fébrile ébauche de la nouvelle version moi-même que je tente de présenter au reste du monde.
C’est donc le moins que je puisse faire, donnant donnant, comme le dit l’adage…

La mâchoire serrée, je fronce les sourcils en recevant le contenu d’un verre. Un froid humide me mord le ventre, pourtant, je ne quitte pas du regard cet imbécile, si gonflé de sa propre suffisance. De quel droit pense t'il pouvoir imposer sa volonté ? Je ne comprends pas son attitude. Suis-je supposé sortir de mes gonds ? Devrais-je me métamorphoser en bête sauvage, hurler tel un singe pour asseoir ma domination ? Ce serait primitif. La violence, à mes yeux, n’est rien d’autre que la défaite de l’esprit. Si certains savent comment y répondre, moi, je refuse de me plier à ses injonctions. Incapable de faire preuve de la moindre hargne, ou de me faire respecter, comme le disait mon père. Ce genre de respect ne m’intéresse pas. J’attends que la silhouette titubante du rustre ait disparu dans l’intersection pour m’autoriser à respirer.

Le rire de la demoiselle me ramène à sa présence. Je cligne des yeux, abasourdi par ce si joli son. Ses notes hautes, résonnent d’autant de sensibilité. Comment peut-elle rire d’avoir été la cible de cette farce grossière ? Où trouve-t-elle cette force ? Moi, je ne ressens que de la honte. Ce sentiment me ronge l'abdomen. Le déshonneur me rosit les joues. À demi tourné vers elle, la main tendue afin de pouvoir la rattraper au cas où, j’assiste au spectacle de la résilience.

Ma main se glisse dans la sienne alors que je rive mon regard au sien. - Archibald… Archie. Impossible de comprendre pourquoi je viens de lui donner mon prénom dans son entièreté. Pour un peu, j’aurais pu lui décliner mon identité complète, accompagné par ma date et mon lieu de naissance ! Ridicule et suranné. - Je suis sincèrement navré que vous ayez croisé leur route de ces … Le mépris me tord la bouche. - Je… Vous… Allez, un effort ! Elle a ri ! Comprenez ! Je suis stupéfait par cette force d’esprit. C’est inattendu. Un peu magique, également. - Vraiment, vous n’avez pas à remercier. Ils n’auraient jamais dû agir comme ils l’ont fait. C’est odieux ! Aucune femme ne mérite d’être malmenée. Ma voix vibre de révolte contenue. La violence m’effare.

Sur son impulsion, je baisse les yeux vers mon pull, en cachemire blanc. Un cadeau de ma mère, qu’elle m’a expressément demandé de porter. Misère ! - Vous pensez pouvoir le sauver ? Pendant une seconde, j’ai plus l’air d’un idiot incapable que d’un chevalier blanc. Étrangement, cela me paraît plus familier. - C’est que… Je ne saurais absolument pas comment m’y prendre, admets-je piteusement. Ma logeuse saurait peut-être comment traiter cette fibre délicate, mais elle a déjà tant fait. Je me vois mal lui demander davantage. Je secoue la tête. - Enfin, ce n’est pas important, évidemment. Vous n'êtes pas blessée ? Ce qui compte, c’est comment elle se sent, elle. Ce n’est qu’un pull ! Ce n’est pas important ! - Je vous suis, Andrea.

Pourquoi, puisque nettoyer ce vêtement me semble si secondaire ? Simplement parce que cette jeune femme est nimbée d’une aura fascinante. Auréolée par la lumière d’un lampadaire, elle ressemble davantage à une fée qu’à un être humain. Il faut, au minimum, être fée, pour survivre à un tel outrage sans se faner. La délicatesse de sa beauté, la finesse de ses traits est enchanteresse, certes. Mais, ce qui me touche encore plus encore, c’est qu’elle a ri ! De plus, il m’est inconcevable de la laisser courir le risque de se retrouver une nouvelle fois face à ses agresseurs. - Vous êtes tatoueuse alors ? C’est ce qu’elle a dit ! Mon ton l’invite à m’en dire davantage. Je m’y prends sans doute de façon très malhabile pour amorcer la discussion. J’ai simplement envie de continuer à lui parler, et aucune envie de la laisser seule après tous ces événements. Je lui offre naturellement mon bras, la laissant s’y accrocher, ou même l’ignorer, selon son souhait. - Vous alliez quelque part ? Je peux vous y conduire si vous voulez. Enfin… Vous y conduire à pied ! Je suis venu en marchant. J’ai déambulé sans but, erré dans mes rêveries. Peut-être que mes pas me menaient justement qu’à pouvoir croiser les siens.


@Andrea Hopkins

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Il n’y a eu que trop peu de place au hasard, dans ma vie.

Je l’ai compris le jour où je suis revenue à Monterey. Assise dans un fauteuil inconfortable d’une compagnie low cost, j’ai quitté les nuages gris de Londres pour retrouver l’éternel soleil californien. Et à la fois, j’ai chassé la morosité et la détresse de mon existence en choisissant de renouer avec mes origines, avec mes proches que j’avais si lâchement abandonné. Prendre la décision de ne plus avancer mais au contraire de revenir au point de départ possédait de lourdes conséquences et j’étais encore très indécise au sujet de la marche à suivre.
Quelle idée, vraiment, de prendre le risque de me retrouver dans une situation si délicate, entourée d'hommes alors que j’ai toutes les raisons du monde de détester la gente masculine.

Et pourtant.

Un simple échange de regard et je me sens en confiance. Mieux, ce sombre inconnu m’inspire un sentiment de sécurité que je pensais perdu à tout jamais. Le souffle coupé, chacun de mes muscles tendus, je me surprends à attendre une violence comme répartie. Après tout, il serait bien légitime d’en faire preuve. Des coups, des claques, en tout cas, une expression malveillante de la part de ses bras, mains et jambes. C'est tout ce qu'ils méritent, ces malotrus. Je suis pétrifiée et à la fois extrêmement soulagée de constater qu’il n’en est rien. Au contraire, son calme et son sang froid m'apaise.
Il réussit un véritable coup de maître. Désamorcer un bombe sans même toucher le moindre fil. Je suis... subjugué, sincèrement.
Une fois seuls, les présentations sont faites, j’apprends ainsi qu’il s’appelle Archie. Puis Archibald. Quel magnifique prénom. Pourtant, je ne peux m’empêcher de froncer des sourcils tout en lui demandant, sincèrement intéressée:

Vous… Vous préférez Archie ou Archibald? Moi qui n’ai jamais eu de surnom attitré, je trouve que la différence peut être importante.

Souligner un détail aussi futile, c’est tout moi, tiens. Et le regard fuyant que je lui offre suite à une de ces remarques est le maximum que je peux produire, à cet instant. Il parle d’honneur, de maltraitance… C’est plus fort que moi, je sens une puissante colère mélangée à une tristesse incomparable grandir dans mes entrailles. Le visage fantomatique de Jacob vient danser sous mes paupières mi closes, pourtant, au prix d’un important effort, j’arrive à le chasser. Je me concentre sur le moment présent.
Sur Archie.
Quelque chose chez lui m’attire, m’intrigue, m’inspire une profonde curiosité et à la fois un respect naturel. Son charisme pourrait m’intimider pourtant, je lui propose spontanément de venir au salon de tatouage. Comme ça. Tout bêtement.
Me retrouver seule, en pleine nuit, avec un inconnu.
C’est encore une idée de génie, tiens, Andrea. On dirait même que tu as fait fort, sur ce coup.
Mais lui rendre l’appareil en sauvant son vêtement abîmé, ça, c’est dans mes cordes. J’ai toujours ressenti un affect particulier pour les tissus et je n’ose pas détacher mon regard de cette monstrueuse tâche.
Tout est de ma faute.
Tout est de ta faute, Andrea. C’est ce qu’aimait me cracher en plein visage mon ex-compagnon.
Mais ce soir, les choses peuvent changer. J'ai le pouvoir sur mon bonheur. C'est le mantra que je me répète sans cesse, depuis la première seconde de mon retour. Et ce soir n'échappe pas à la règle.

Me raclant la gorge en tentant de me sortir d’un souvenir aussi malfaisant, je retrouve un sourire timide tout en répondant, faisant quelques pas en direction de mon fameux salon:

Oui, tatoueuse, c’est ça. Je me suis installée depuis… quelques jours à peine, deux semaines maximum, je dirais. Et je… Oui, j’allais… Ça n’a plus d’importance. Vous… Vous me suivez…?

J’insiste mais en réalité, je ne me sens pas des plus à l’aise en pleine rue, je me sens si vulnérable. Même si son contact me réchauffe le cœur. L’image qui me vient immédiatement en tête est une bulle protectrice qui s’est formée autour de nous et qui semble nous insuffler la sensation d’être... invincibles.
Enfin, j’ose lui tourner le dos afin de mener la marche. Ma respiration se tranquillise et en moins de cinq minutes, nous sommes arrivés à destination.
Et tandis que je me débats pour ouvrir la serrure tant mes mains sont tremblantes, je fais cet aveu à haute voix, sans m’en rendre compte:

Je crois que vous êtes la première personne à venir ici…

Et oui, aussi improbable que cela puisse paraître, mon sauveur est le premier invité de mon salon de tatouage. Ce lieu que je chéris et dans lequel je souhaite voir naître une béatitude sans égale.

Il n’y a pas de hasard.
Tout est lié. Interconnecté.
Et tout commence ici…

Je tâtonne le long du mur afin de trouver l’interrupteur. Exaspérée par ma maladresse car je manque de trébucher en avançant à travers l’obscurité, je finis par y arriver et ferme la porte derrière lui, tout en demandant, toujours étrangement souriante:

Vous… Vous me le donnez, ce pull, histoire que je le sauve d’un si triste sort?

Façon déguisée de réclamer qu’il se déshabille. Et bien, on dirait que les rôles sont inversés! La femme prend les devants, l’homme devient docile?
Non, je refuse ce triste constat.
Ce soir, il n’y a pas de dualité, seulement du soutien et un soupçon de complicité dans l’air…

Un sourire se faufile discrètement sur mes traits. - Archie. Ce sera moins pompeux qu’Archibald. Il n’y a guère plus que mes parents pour m’appeler de la sorte, ainsi que mon frère quand il a décidé de se montrer grinçant. Pourquoi lui raconter tout ceci ? Je n’en sais rien ! Peut-être suis-je en train d’essayer de réinstaurer un peu de normalité après cet outrage. Il me paraît si facile de lui parler, même à moi, qui suis pourtant réputé pour faire preuve de mesure. Je la suis, respectant son silence, sans bien le comprendre. Regrette-t-elle sa proposition ? Devrais-je trouver une raison pour m’esquiver, la soulageant ainsi de l’engagement qu’elle a pris ? Sur le chemin, je l’interroge. Si elle bégaie, c’est forcément parce qu’elle est fée et ne maîtrise pas totalement notre langage ici-bas. - Après vous.

Elle ouvre le chemin. J’assure ses arrières. Voici ce que je me plais à imaginer. Ma nature attentive me rend perméable à son anxiété. Soudainement, je voudrais simplement pouvoir la rassurer, prendre ses mains tremblantes dans le creux des miennes pour lui promettre qu’elle n’a rien à craindre de moi. Pour cela, il faudrait bien sûr lui conter mon histoire, de l’enfant que j’étais à l’homme que je suis devenu. Cela serait sans doute trop étrange, hors des convenances. Mieux vaut garder le silence, non ? Alors que je cherche comment m’y prendre, elle m’avoue n’avoir encore invité personne. - Vous venez d’arriver il y a peu. Laissez-vous le temps de vous faire une clientèle. Je … perds  mes mots.

Je me tends, à sa suite, bras en avant, près à la réceptionner alors qu’elle vacille. Je n’ai que le temps de saisir son coude. Elle trouve son chemin. Seule. Et moi, comme un idiot, je reste planté à ma place. Mon pull, dit-elle ? - Oui, oui… Bien sûr. J’accepte, sans pour autant faire le moindre geste, la bouche entrouverte. C’est que…. Jusque là, je n’avais pas réalisé qu’il allait falloir me dévêtir. La gêne me décontenance. J’ignore désormais comment m’y prendre. Alors, je la regarde, pas plus assuré qu’un enfant devant sa reine. - Pardon, je… L’un de nous devrait cesser de balbutier ! Enfin moi, surtout. Sa maladresse, à elle, est touchante. Puis, par petite touche, dans son discours, j’entrevois une joie de vivre malicieuse. - Je n’ai pas vraiment l’habitude de me retrouver dans cette situation. Je m' excuse presque. Un instant, je ferme les yeux et recule d’un pas. Tout en retirant mon manteau, que je plie soigneusement, je m’explique. - Je peux le poser ici ? Je l’interroge sans oser la regarder. Pire, je lui tourne le dos, le temps d’enlever ce fameux pull. C’est ridicule, puisqu’elle finira par me voir. Je n’ai pas spécialement honte de mon corps. Les complexes physiques me sont assez étrangers, pour être honnête. Alors, quoi ? Je l’ignore ! Du bout des doigts, le bras tendu, je finis par lui tendre mon vêtement. - Je vous remercie. Encore une fois. C’est que ce pull est un cadeau qu’on m’a fait. Je n’y tiens pas particulièrement, mais… Ma mère m’en voudrait énormément de l’avoir abîmé. Les sourcils froncés, je feins un air sérieux et grave, aussitôt remplacé par un sourire.

Je n’ai même pas le réflexe de croiser les bras devant moi  pour me protéger. Mon regard s’attache à la décoration du salon. J’observe autant les meubles que l’agencement, instinctivement attiré par le bois. - Je vous le confirme Andréa, je ne resterais pas longtemps le seul à avoir passé cette porte. Dans ma tentative d’humour, j’accroche son regard. La couleur de ses iris se compose de milliers de nuances. N’est-ce pas des paillettes mordorées que j’y vois ? - J’adorerais voir vos esquisses, si vous m’y autorisez, bien sûr. Je.. Je dessine moi-même. Parfois. Tout en parlant, j’en oublie peu à peu cette semi-nudité. Je n’ai rien à cacher. Aucun tatouage ne marque ma peau blanche. - Il me semble que cet endroit était un disquaire avant. Il y a…. Quelques années déjà. Je venais dans cette rue pour écouter des nouveautés quand il n’y avait pas trop de clients. Comme bien souvent, je me perds dans des souvenirs. En revanche, il est rare que je les partage à voix haute de cette façon. - Puis-je vous demander où vous exerciez  auparavant ?

[HRP : Qu'est-ce que j'aime ce rp. @Andrea Hopkins me fait fondre   ]

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L’obscurité n’a jamais paru aussi lumineuse que durant cette nuit.

Je ne me suis jamais pensé au dessus des dangers, mais quelque part, je pense mériter leurs courroux impitoyables. Et voilà qu’un Ange tombe du ciel étoilé, vient à ma rescousse, tel un preux chevalier.
Archie.
Le surnom est donné, la nuance est soulignée.
M’avancer avec une ombre dans mon dos est loin d’être rassurant, pourtant la confiance à laquelle j’aspire est naturelle. Loin d’être craintive, je me montre complice et souriante, traitement de faveur que je ne pensais pas être capable d’offrir à nouveau à un homme, surtout aussi rapidement avec ma douloureuse rupture. Mais Archie n’a rien de dangereux, l’aura qu’il dégage est palpable, réconfortante, moelleuse et décidément très inspirante.
Je n’ai rien à craindre, j’en suis persuadée. Mais suis-je réellement au bout de mes surprises…?
Arrivés dans mon antre, au sein de laquelle je ne suis pas encore la plus à l’aise, je m’adoucis, offre des sourires, des gestes assurés, une confiance palpable. Je ne sais pas quel miracle je me transforme, mais aux côtés de cet inconnu qui n’en est plus vraiment un, je me réinvente. Prenant les devants, demandant ce pull, symbole du méfait commis mais loin d’être le pire ce soir, je découvre un homme hésitant, poli, soigné, méticuleux. L’observant plier ce manteau pourrait me faire rire, mais je me retiens.
Je préfère contempler, admirer, savourer cet acte banal qui me remplit de satisfaction.
Enfin, je vais pouvoir rattraper mes erreurs, faire le bien, changer le cours des événements. D’une voix polie, je viens lui donner la réplique grâce à ces propos:

Les remerciements ne sont pas nécessaires, ils devraient sans doute venir de ma bouche, plutôt. Vous avez fait preuve d'un tel courage... Merci. Sincèrement.

Cette dernière qui s'étire en un sourire évident, sincère, si naturel. D’une spontanéité à toute épreuve que je ne pensais pas possible. Archie, c’est un des premiers hommes que j’autorise à m’approcher, à franchir le pas de cette antre. Hasard ou choix inconsidéré? Ni l'un ni l'autre, j'imagine. Je préfère chasser mon combat mental et me concentrant sur la discussion, je questionne à mon tour, sentant l’excitation me gagner:

Merci, je… Oh, c’est vrai? Vous dessinez?! J’ai le droit d’en savoir plus…?

Mon audace me surprend mais ma curiosité est sans appel. La tension apportée par la situation de tout à l’heure s’évapore, lentement mais sûrement et mes muscles se détendent, tout comme ceux de ma mâchoire. Je me permets un sourire, un rire franc tout en relançant l’échange:

C’est drôle mais je faisais exactement la même chose, quand j’étais plus jeune. Et quand j’ai appris que le local était à vendre, je me suis sentie coupable… Mais le passé est derrière nous, n’est ce pas? Et le passé nous ouvre les bras, c'est aussi évident que cela.

Sans réfléchir, je l’inclus dans mes propos, je parle de “nous” alors que ma solitude devait être mon unique priorité. Je me sens en proie à un questionnement qui me met mal à l’aise. Je dois expliquer davantage ma situation, présenter mon parcours. Le bégaiement me gagne lorsque je tente de me montrer concise:

Je… Je suis novice, dans le domaine. Je débarque fraîchement de Londres, où j’ai vécu plusieurs années. Mais je suis native de Monterey…

Offrir cette information relève de l’intimité, une fois de plus. Délivrer des détails de ma vie privée semble de circonstance, la nudité qu’il m'offre mérite bien quelques compensations.

Vous… Je… Je file nettoyer ce fameux pull.

Tourner le dos n’est pas un geste sécurisant, et pourtant, je l’effectue sans sourciller. Une poignée de minutes m’est nécessaire afin de rendre à ce pull sa netteté. Mon père était très à cheval sur l’état de nos vêtements quand nous étions petits, il n’avait sans doute aucune envie de se prendre la moindre réflexion de la part de notre maîtresse, étant donné qu’il était papa célibataire. C’est donc fière, sourire malicieux collé aux lèvres, que je retrouve Archie, avec son précieux pull dans les mains mais également un vêtement de rechange, tout en lui expliquant:

C’est un tee-shirt à moi, le plus large que j’ai trouvé… Il devrait vous aller. Ça vous évitera d’avoir froid et d'être… euh, de vous retrouver… Enfin, tenez, voilà.

Je lui tend ce bout de tissu, celui qui pourra sans doute le mettre à l’aise. Dans un soupir provocateur, je tente une approche audacieuse afin de poursuivre la soirée:

Que diriez-vous d’un café? Ou d’une autre boisson chaude? Le shop n’est pas encore ouvert, mais je me suis déjà bien installé… Suivez-moi.

Nous avançant dans les profondeurs de ce lieu qui est désormais le mien, j’ouvre timidement une nouvelle porte, je cherche à me confier, à partager.
À, quelque part, ne plus jamais me sentir seule.
Finalement, sortir ce soir a été une merveilleuse idée. Mais pas autant que celle de revenir, afin de se mettre à l’abri. S’isoler, se protéger.
Et envisager de découvrir un homme qui m’intéresse outre mesure…

Andréa use de sa magie pour me faire lâcher prise. J’acquiesce respectueusement. Je ne me sens ni courageux, ni brave. Pour autant, j’ai vaguement conscience que passer le reste de la soirée à se transmettre nos remerciements, à tour de rôle, serait interminable. Je découvre donc son univers, peuplé d’encre et d’arabesques, de figures métaphoriques et d’éléments naturels. Mon regard s’accroche ci et là, attentif et curieux. - Oh il n’y a pas grand chose à dire. Je… J’ai toujours dessiné, je crois. Enfant, je pouvais y passer des heures. Je… Ne sais pas du tout comment lui expliquer. Sous mon crayon, l’imaginaire se mêle au réel. Je reporte sur le papier ma façon de voir le monde, de l’idéaliser. - Je manque de technique en ce qui concerne les êtres vivants. Je préfère… les paysages naturels ou les… Par exemple, je pourrais dessiner l’intérieur de votre salon, mais il ne serait pas exactement tel qu’on le voit. Lunaire ! Je manque autant de clarté que d’assurance. Changeons de sujet, vite. Sinon, je risquerais de m’enfoncer dans des explications toutes plus nébuleuses les unes que les autres.

Les souvenirs dansent autour de nous. Je croise son regard tandis qu’elle m’explique un peu son parcours. Monterey reste une grande ville. Il n’est pas si étonnant que deux personnes ne s’y soient jamais croisées. Pourtant, je me surprends à imaginer nos histoires se frôler, à la manière des comédies romantiques. Est-ce qu’à quinze ou dix-sept-ans, lorsque j’entrais chez ce disquaire, Andréa venait tout juste d’en sortir ? Avons-nous fréquenté les mêmes plages ? Usé les mêmes pavés, chacun notre tour ? - Londres ? Cela a dû être une formidable expérience. Mon indécrottable romantisme la fait fuir. Bravo, Archie.

Son absence me plonge dans la perplexité. Au début, j’ose à peine respirer. Ai-je vraiment le droit d'être ici ? Quelques minutes me sont nécessaires pour évoluer dans la pièce et observer. Je me retiens de toucher le bois alors que je brûle de sentir sous mes doigts, la matière chaleureuse que j’ai l’habitude de travailler. Quand elle revient, j’ai fait le tour. - Vous êtes vraiment une magicienne, fais-je en constatant la nature impeccable de mon pull. Mon sourire s'élargit. - Il faudrait m’apprendre. Avec vous, j'essaierais de retenir !Plus qu’à le laisser sécher. J’enfile de bonne grâce le tee-shirt prêté. S’il n’est pas tout à fait à ma taille, je ne suis pas assez imposant pour le détendre tout à fait. - Avec plaisir.

C’est ainsi que je la suis, cette luciole chatoyante au milieu de la nuit. - Je ne suis pas mauvais pour préparer le thé. Si vous avez quelques feuilles et de la menthe ? Et si vous m’y autorisez, bien sûr. Quelle audace ! Je m’en étonne. Qu’importe ! Il y a quelque chose, chez elle, qui me pousse à la découvrir et à la suivre. Elle laisse, dans son sillage, des étincelles brillantes en guise de chemins à suivre. De la poussière de fée ! J’en suis certain. Cette idée me fait naïvement sourire. - Dites-moi ce que je peux faire pour vous aider. Je ne vais tout de même pas rester les mains dans les poches. Je le lui demande, tout à fait prêt à répondre à ses sollicitations, et avec la meilleure volonté du monde, en prime ! Qu’elle demande et je m'exécuterais. Je peux ouvrir les placards, sortir les tasses. Tout ce qu’elle voudra. - Votre famille vit-elle toujours ici, ou vous avait-elle suivi à Londres, elle aussi ?

Dieu que c’est indiscret ! Je m’en rends bien compte ! - Pardon. Je me montre trop curieux. Je tente d’effacer mon impair d’une grimace navrée. - Je n’ai jamais vraiment voyagé. J’aurais aimé pourtant, je crois. Mais, pour cela, il faut être exceptionnellement courageux, ne croyez-vous pas ? Me concernant, je me suis réfugié dans le réconfort d’un quotidien très rassurant de régularité. J’évite soigneusement les surprises. J’ai trop peur de bouleverser mon équilibre ! - C’est amusant… Qu’on ne se soit jamais rencontré. Hum… Amusant n’est peut-être pas le terme le plus adéquat.

Dans ma tête, ce mot couvre mille et une question.
Pourquoi, quand je te regarde, ai-je l’impression de te reconnaître ?
Est-ce que deux âmes peuvent se retrouver, par pur hasard ?
Pourquoi ai-je l’impression tenace, de n’être ni si bancal, ni si inadaptée quand tu m’adresses la parole ?
Est-ce juste dans ma tête ?

- Je vis à Monterey depuis toujours, j’en suis à peine parti, le temps de faire d’horribles études d’architecture. Croyez-moi, c’est criminel de manquer de poésie à ce point. Ils ont voulu m’inculquer d’être pragmatique et terre-à-terre. Moi, je préférais rêver, imaginer, inventer des maisons complètement fondues dans leur environnement naturel. Je fronce le nez, me moquant de moi-même.

@Andrea Hopkins