Festival de Monterey  
FT.  @Andrea Hopkins  
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Je n’aurais peut-être pas dû revenir près de ce stand, j’ai conscience qu’ils ont eut du pas mal de difficultés à se débarrasser d’moi tout à l’heure. La blonde, elle est vraiment charmante, bénie (en plus de sa beauté à couper l’souffle) d’une patience que je ne possèderais sans doute jamais. J’suis pas convaincu qu’elle sera ravie d’me voir revenir à la charge, mais j’peux pas lutter contre ça. La nuit avance et j’ai aucune envie d’rentrer chez moi, d’faire face à mes pensées, à mes sensations intérieures qui m’torturent sans que personne puisse jamais l’soupçonner. Un gars comme moi ? Ouais les gens... L’insouciant, il en a gros sur le cœur, il a les nerfs à vif et cette douleur d’vivre s’en va jamais… Jamais.  

La foule, ce n’était pas ce qui m’rendait le plus à mon aise, mais j’avais passé une journée mémorable, de celles qui m’laissent à penser que la vie en vaut la peine, que j’peux continuer d’endurer encore tout ce merdier dans ma tête pour ces p'tits bonheurs. Ce festival m’avait donné l’occasion de voir Dante sur scène et même si j’en avais été convaincu depuis ma couchette derrière les barreaux, je le sais plus que tout désormais : il est fait pour ça, pour la musique. J’aurai aimé ça, moi : avoir une voie, une passion, être doué pour quelque chose. Enfin, doué, j’le suis pour taper sur les nerfs. Et pour voler... D’ailleurs, j’ai fais quelques poches pendant mes vagabondages, c’est l’avantage de la foule… Et la tentation avait été trop forte.

J’reviens auprès du stand de tatouages, chargé par deux milkshake dans les mains. Elle était en train d’faire un pansement alors j’me dis que cette fois, j’tombe peut-être pas au mauvais moment. Et curieusement hein, j’ai attendu (presque trop sagement) qu’elle ai fini et que l’client soit parti pour ouvrir la bouche. Ouais, ça doit l’étonner aussi, mais j’ai réussi à me calmer, un peu. Un peu, précisons le bien fort.

- Parait qu’il y a un grand débat entre la vanille et la fraise niveau milkshake, ça serait qu’moi : j’mettrai les deux ensemble dans l’même pot… Mais j'crois que j’suis assez dégoutant aux yeux des gens pour oser faire ça, à moins que j’suis plus vraiment à ça prêt… J’suis pas encore fixé sur c’point.

J’hausse les épaules puis j’pose les deux gobelets sur la table avec un p’tit sourire amusé. J’suis revenu beaucoup - même AMPLEMENT - plus tard que prévu. C’est ça, le TDAH, l’superpouvoir de s’perdre dans l’temps et malgré tout de retrouver son chemin même trop tard. J’pense qu’elle n’a plus vraiment envie de tatouer grand monde à cette heure, surtout gratos, et c’est bien fait pour ma tronche ! Elle m’a proposé un tatouage à l'oeil et j’suis pas foutu d’me débrouiller pour revenir avant de ce qui s’rapproche être la fin du festival. M’enfin, si au moins cette histoire de diner tient toujours, j’crois que… Ouais… Ça m’plairait carrément.

- Enfin, c’est juste une p’tite collation… La journée a du être longue ici, hein ?

J’aurai été incapable de cette prouesse à sa place.

- T’es toujours partante pour… Euhm…

Comment elle a dit déjà ?
C’était bien plus classe quand c’était elle.

- L’diner ? Enfin, si tu veux, Birdy…  

J’le connais pas, son p’tit nom à la blonde. J’suis pas obligé d’le savoir, en taule, on a tous plus ou moins des surnoms… Ceci dit, s’il y avait eut ce genre de p’tite mésange en prison, ces cinq dernières années m’auraient été bien moins destructrices. Non… Les oiseaux ne sont pas faits pour être en cage, j’sais d’quoi j’parle…

J’cache mes mains dans mes poches, ça m’évite de tripoter les petits papiers éparpillés sur sa table, j’garde mes distances, j’veux pas lui mettre la pression. Elle a encore l’droit de refuser et j’m’envolerai loin d’elle, comme un oiseau chassé par l’bruit d’une détonation.

Deux pences le sac ! à ce cri, au-dessus d'elle, tous les oiseaux remplissent le ciel
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TW: étonnamment, un peu de langage cru, ça change, pour Andrea! Ainsi que mentions légères de femme battue.

Je termine tout juste le tatouage de mon premier client, celui qui a été l’élément déclencheur d’une drôle de série d’évènements, durant ces dernières heures. Je suis très satisfaite de mon travail et le jeune homme semble également ravi du résultat. Tant mieux, c'est pour cela que j'ai choisi ce métier, ce tournant dans ma vie. Souriant bêtement, j’accepte son paiement, très fière de moi. Tenir un stand lors de ce festival de Monterey était une sacrée bonne idée mais qu’il soit à l’origine d’autant de situations incongrues… Je n’aurais jamais imaginé!
Comme quoi, dans la vie, tout peut arriver.
Même se voir offrir un encas sucré par un drôle de loustic avec qui la connexion s’est bizarrement effectuée presque instantanément. D’ordinaire, je ne suis pas aussi souple avec les inconnus, surtout les hommes. La faute à un passé amoureux plus que compliqué, à des stigmates autant physiques que psychologiques. Je me traîne un sacré fardeau dans le coeur et même si je met tout en oeuvre pour le laisser derrière moi, parfois, je n’arrive pas à aller au devant de mon ancien statut de femme… malmenée.
Pourtant, avec le coco’ au sacré oiseau, tout paraît simple et naturel. Je décide de ne pas me poser davantage de questions, histoire de ne pas m’embrouiller l’esprit. Je dois rester ouverte et bienveillante… Ce que je m’efforce d’être en le voyant débarquer avec ces deux gobelets. Bredouillant, j’enfonce mes mains dans ma taille et réponds, fronçant des sourcils et pinçant des lèvres:

Merci! C’est euh… En vérité, j’crois que le mélange des deux, ça serait parfait. On tente?

J’attrape deux tasses que je gardais sous le coude, histoire de pouvoir servir du thé à des potentiels clients qui en auraient marre de la bière ou des sodas. Faut dire que je suis comme ça: je pense à tout et je suis surtout une éternelle optimiste. Comme si les festivaliers en avaient un jour marre de l’alcool, non mais franchement! Enlevant avec douceur les capuchons, je verse un peu des deux liquides dans chaque tasse, mélangeant grossièrement avec une cuillère. Avalant une gorgée de la mixture après avoir trinqué avec le gars qui me regarde comme si j'étais une extraterrestre, je demande, perplexe:

Bon… T’en dis quoi?

De mon côté, je trouve ça… Surprenant. Surtout cette manière que j’ai de tutoyer mon futur client. Oui, je n’ai qu’une seule parole: je lui ai promis un tatouage à l'œil en échange d’un dîner, ce que le fameux oiseau ne manque pas de ramener sur le tapis. Hochant la tête avec très certainement un peu trop d’entrain, j’ajoute, posant ma tasse sur le comptoir de fortune, me lavant les mains et préparant une toute nouvelle aiguille:

Birdy… C’est mignon, tiens. Moi, j’serais tenté de t’appeler “Le Voleur de Bouffe”. Genre, t’es pas Percy Jackson mais… Entre les milkshakes expérimentaux et notre repas de ce soir… Faut que je t’en trouve un nouveau. En tout cas, t’es pas craintif, j’en suis certaine. T’es prêt?

Je fais claquer mes gants à usage unique contre la peau blanche de mes mains, attachant avec un soin approximatif mes cheveux afin de me dégager la vue.
Faudrait pas louper son futur chef d'œuvre. Il pourrait m’en vouloir, déjà, et surtout se raviser pour le dîner…
Alors que franchement, j’ai secrètement hâte d’être à cette partie de la soirée…

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Mes sourcils s’envolent à la vue de ces tasses, j’la laisse faire le mélange, me penchant un peu pour regarder la couleur s’mélanger. C’est immature, comme fascination, mais j’trouve ça beau, même si le résultat est très… Rose. J’suis pas fan de rose. Pas parce que je me la joue macho, j’ai déjà porté plus d’un vêtement rose dans ma vie, mais j’trouve ça juste… Fade ? Bien que, l’rose des lèvres de cette fille… J’le trouve pas si fade que ça.

J’me reconcentre en sentant ma tasse trinquer contre la sienne. J’souris, un peu trop enthousiasme et goute à ce mélange fraise vanille. J’fais mine de prendre le temps de donner mon avis… Si elle savait ce que j’ai déjà du manger au cours de ma vie, elle ne me prendrait certainement pas pour un goûteur fiable. La cantine de la prison… Une des innombrables choses qui ne me manquera pas.

- Je dirais de loin que c’est le meilleur milkshake que j’ai bu, à moins que ça soit l’effet de l’boire dans une si jolie tasse, j’suis un homme facilement euh… Fascinable ?

Oh je sais que j’ai l’air stupide quand j’invente des mots, mais j’suis pas un gars particulièrement intelligent, du moins, pas avec une intelligence aussi académique que le reste des gens. J‘ai eu le temps de m’faire à cette idée, à n’plus me sentir géné. J’suis pas mort de ridicule depuis l’temps, alors tout va bien.

J’ai un sourire dans l’regard, même si j’essaie de paraitre stoïque, j’veux pas avoir l’air de ce que je suis : un gars qui n’a pas invité une fille depuis bien longtemps, qui s’enthousiasme beaucoup trop pour un diner, pour juste… S’laisser vivre et exister libre.

- Tu veux savoir mon nom ou j’te laisse le temps de trouver quelque chose ?

Que j’lui demande avec un sourire, j’la regarde mettre des gants, sans comprendre, avant de me souvenir que ouais, c’est ce que font les tatoueurs en temps normal. J’me penche pour regarder les motifs restants, avant d’poser l’index sur une bougie, presque par hasard… Mais pas vraiment. J’ai tellement de tatouage que ça serait beaucoup trop long d’ne raconter toutes les histoires, toutes les raisons. J’dirais qu’une unique raison pourrait résumer l’ensemble de tout ce qui est gravé sur ma peau, mais j’la donne à personne.

- Mais t’as raison, j’suis pas du genre craintif…

Que j’lui réponds en m’asseyant.

- Et toi ? J’ai pas l’air de t’effrayer, mais peut-être que si j’te révèle un p’tit secret ça pourrait changer ? Et en même temps… J’ai pas vraiment envie qu’t’aie peur de moi, j’aime bien ta p’tite flamme dans l’regard.

J’insiste sur l’mot flamme en retapotant l’motif de l'index. Il y a certains jours, j’serais près à n’importe quoi, pour raviver la mienne, qu’elle arrête de vaciller, qu’elle soit forte et stable. Stable, elle ne l’a jamais été, trop forte ou trop faible… Ce soir, j’crois qu’elle est puissante ma flamme, mon envie de vivre tout simplement.

- C’est un peu génant, hein ? C’que j’viens de dire…

J’lâche un p’tit rire qui sonne un peu comme des excuses. Putain, si j’la fais pas fuir ou appeler la sécurité, c’est réellement que nos chemins étaient destinés à s’croiser. J’crois pas au destin, ça m’a toujours déçu, mais pourquoi pas… Pour une fois ?

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Je ne sais pas ce qui m’est passé par la tête pour proposer ce mélange de milkshake aussi surprenant que fantaisiste. Il doit vraiment me prendre pour une barge, une nana borderline mi femme enfant, mi délurée qui s’essaye à de drôles d’expériences. Bref, un sacré cocktail tout aussi étrange que celui qu’on sirote sans grande conviction, à cet instant précis. À y réfléchir un peu plus, tandis que le liquide froid coule le long de ma gorge, cette réaction est sans doute la conséquence de tant d’années à être bridée, enfermée dans une cage qu’on m’a présenté comme rassurante et remplie d’amour. C’est vrai, même si j’ai encore du mal à le réaliser, je ne dois pas oublier à quel point j’ai vécu enfermée, prisonnière de ma propre existence. Et qu’après ce lourd silence et cette solitude forcée, je reprends goût à la vie et à ses expériences parfois étranges mais tellement ancrées dans la réalité.
Bordel, que ça fait du bien de vivre spontanément. Sans calculer, sans réfléchir.
Profiter. Et c’est tout.

Le mélange est, contre toute attente, délicieux. J’ai toujours eu des goûts alimentaires assez… éloignés de la réalité et tandis que je pouffe de rire en entendant le Voleur de Bouffe se qualifier d’un drôle de terme inventé, je rétorque, terminant ma tasse en provoquant un bruit affreux à cause de la paille et de la fin du breuvage dont je ne veux pas perdre une goutte:

Mmmm… Miam! Moi, j’ai adoré. Ça change! Et j’dirais que t’es… Impressionnable? Ça se dit aussi, ça?

Quelle importance, après tout?! C’est pas comme si on cherchait à s’en mettre plein la vue, l’un et l’autre. Le naturel est décidément le mot d’ordre à garder à l’esprit, celui qui doit m’insuffler l’énergie de lui produire un tatouage à la hauteur de ma réputation. Enfin… surtout à la hauteur de l'exigence que j’estime être indispensable dans la pratique de ma passion. Tandis que je pose le contenant désormais vide, après quelques coups de doigts passés le long de la paroi afin de récupérer un maximum de milkshake fraisille? Vanillise? Bref, on s’en fout, je le fixe intensément, détaillant chaque trait de son visage et lui réponds, à sa question spontanée:

Ton prénom? Mm… J’sais pas, j’finirais bien par le savoir. En attendant, que dirais-tu de Monsieur Je Tombe à Pic? Faut dire que ton intervention, tout à l’heure, était mythique.

Je lui lance un clin d'œil et je suis la première surprise d’une telle audace. Mais faut dire que le loustic me laisse pantoise. J’ai rarement croisé de tels personnages, dans ma vie. Et je me laisse porter par l’absurde de la situation tout en contrôlant les aspects que je dois mesurer, comme l’hygiène, la distance entre la tatoueuse et son client. Tandis qu’il s’assoit sur la table de torture (ou de plaisir, tout dépend comment on voit les choses), je me raidis en l’entendant m’avouer que je pourrais changer d’avis concernant mon attitude à son égard, si j’étais informée d’un soit disant secret.
Inspirant longuement, je finis par planter mon regard dans le sien et rétorque, presque du tac au tac:

J’ai pas envie d’avoir peur. C’est un sentiment que j’ai connu trop longtemps et que j’ai décidé de laisser derrière moi. Donc ton secret, garde le. Ou attends plus tard, peut-être, je préfère profiter de l’instant. Là, c’est toi qui devrait avoir peur de moi.

Je souris, sentant que malgré moi, je rougis. Ça, c’est la faute à sa mention de petite flamme dans le regard. J’pourrais affirmer que ça ne me réchauffe pas le coeur, mais ce serait mentir. Recevoir un tel compliment me touche incommensurablement. Le Voleur de Bouffe ne le saura jamais car j’ai aussi des secrets. Et pas sûr que je sois en mesure de les dévoiler.
Grâce à son index posé sur un dessin, je visualise le tatouage qu’il désire. Une flamme. Tout est question d’intensité, chez lui. Un feu qui se déchaîne, partout dans son corps, parfois trop puissant, qui nécessite sans doute de se tortiller dans tous les sens, tant la ferveur semble être une caractéristique essentielle dans son comportement.
Allez, va pour la flamme, dans ce cas.
J’ai si hâte de reprendre mon aiguille. De me plonger de nouveau dans la création, pure et dure. Car même si j’ai bien compris ce qu’il voulait, j’compte bien ajouter ma petite touche perso. Il s'agirait de le surprendre et l'exercice semble périlleux.
Tout en allumant mon aiguille, j'adopte une voix douce pour une ultime question:

T’en fais pas, va, j’prends ça comme un compliment… parce que ça en était un, n’est ce pas? Tu la veux où, ta flamme?

Mon regard détaille chaque parcelle de son corps, enfin, celle que je peux voir, en tout cas. Je finis par trouver une place sur son mollet, que j’attrape de mes mains glaciales et caressant la peau, j’éclate de rire en affirmant:

Allez, là, j’pense que c’est parfait. Tu me fais confiance? Ça ne sera pas long.

Grondement de tous les Diables dans mon ventre, oui, ça, c’est comme qui dirait un appel du corps. Qui n’a pas oublié un certain dîner qui va suivre après cette drôle de séance durant laquelle je compte bien bavasser… J’reste une nana, une pipelette et une incorrigible curieuse.
On ne me refera pas, comme dirait l’autre…

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J’la regarde littéralement dévorer son mélange de milkshake, j’ai toujours c’te p’tite fascination pour les femmes comme elles… Celles qui s’moquent bien d’être des princesses, qui préfèrent croquer la vie à pleine dents. Je les trouve magnifiques, ces femmes là… LIbres… C’te liberté du carcan d’la société, c’était définitivement quelque chose que j’trouvais indéniablement séduisant… Bon, sa manière de lécher son doigt était clairement indécent ! J’détourne l’regard, pas envie d’être trop génant à la fixer d’la sorte.

- Impressionnable oui, ça doit être ça ! Enfin, j’suis pas impressionné devant ceux qui veulent s’la jouer plus fort que moi, juste… Par c’que j’trouve… Différent et beau ?

L’attrait d’la nouveauté m’était particulièrement poignant.

- Ah oui ? J’ai pas voulu être dérangeant tout à l’heure, j’suis un peu.. Incontrôlable ? Dis donc, ça en fait une collection d’mots pas très vendeur pour m’décrire !

J’riais, même si j’étais assez habitué. Au moins, Monsieur J’tombe À Pic ne l’avait pas trop agacé, pire… Effrayé. Son p’tit clin d’oeil lui donnait une audace des plus plaisantes, j’la couvais d’un regard un peu trop curieux, même si j’essayais de garder des distances correctes pour pas la mettre mal à l’aise. Je m’asseois après avoir choisi un motif, parlant beaucoup trop, c’est clair… Bordel, pourquoi j’ai dis ça, hein ?

Mes yeux verts accrochent aux siens.

- J’ai aucune intention de t’faire peur, mais j’ai pas l’impression que les gens se sentent souvent en sécurité près d’moi… Enfin… Au premier contact… Après, ils comprennent.

J’suis pas un Bad Boy, mes mauvaises actions je ne les ai jamais commises pour faire du tort, c’est même pas prémédité la plupart du temps. J’dis pas que c’est pas ma faute, mais que me mettre dans des situations improbables, slash dangereuses, slash merdiques ; c’était un peu ma marque de fabrique. Une chose certaine, les gens qui comptent pour moi finissent bel et bien par se sentir en sécurité et protéger quand j’suis dans les parages, parce qu’ils savent que mon impulsivité m’poussera même au sacrifice pour les sauver s’il le fallait. J’suis pas un héros, mais j’sais que ma vie vaut pas autant que celles de ceux que j’aime. J’suis bien allé moisir en prison pendant cinq ans en me basant sur ce constat.

Elle cachait un lourd passé, Birdy.
Ça m’contrariait pas mal, d’imaginer qu’un homme lui ai fait du mal.
Parce que c’est toujours ça, dans l’fond… Un homme. Un connard.
J’en ai croisé assez en taule pour savoir les reconnaître en un coup d'œil.

- Ouais… C’était un compliment.

Que j’confirme avec un p’tit sourire avec une pointe de pudeur. J’ai une manière souvent dérangeante de dire un peu trop ce que j’pense quand j’essaie d’faire un compliment, soit ça partait en couille, soit c’était un peu… Too much ? Mais sincère, ça toujours.

On s’met d’accord pour tatouer mon mollet, pas du côté où s’trouve mon bracelet électronique. Elle ne voulait pas savoir mon secret pour l’moment, alors soit.

Ses mains sont particulièrement froides, mes sourcils s’envolent quelque peu à ce contact et la douceur qu’elle exerce sur ma peau. Ok, ça veut rien dire… Mais elle a pas idée de savoir à quel point… J’avais effacé de genre de délice sensoriel d’ma mémoire. C’était un peu comme si on m’touchait la jambe pour la première fois d’ma vie et j’prenais sur moi pour ne pas me montrer… Émotif. Son rire me raccroche à la réalité.

- J’te fais confiance Birdy, mais j’suis pas vraiment tatouage coloré.

J’ris faiblement en entendant son ventre gronder avant qu’elle n’allume sa machine, j’serais pas surpris que la bougie finisse par ressembler à un burger ou une part de pizza.

- T’as pas de tatouages visibles.

Que j’fais remarqué.
J’pense que la plupart des clients doivent le lui dire.

- J’me suis jamais fais tatouer par une femme, pas que j’voulais pas… J’ai juste pas eu l'occasion, parce que j’suis à peu près sûr que les femmes font ça mieux que les hommes. Comme pour pas mal de choses… A part peut-être se battre ou pisser debout, tu vois ?

Putain, j’parle de trop !

-  Mais les types qui m’tatouaient étaient plutot du genre… Comme moi ? Tatoué d’la tête aux pieds. Et la tronche d’un mec qui fume du crack, hein ?

C’est à peine si j’sens les aiguilles me piquer, faut dire que j’ai passé de sales moments en prison pour certains tatouages, alors ça… C’était vraiment doux.

- J’fume pas. Enfin, pas du crack.

J’en ai consommé, mais j’suis clean maintenant.
Même si parfois, ça me manque.

- Toi non plus, j'dirais... T'aime la Téquila ?

Faut vraiment que j'arrête de dire tout c'qui m'passe par la tête.

- Appuie plus fort si tu veux que j'me taise !

Lui disais-je en riant faiblement, bien qu'un poil sérieux.

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C’est fou, la vie, quand on y pense. Les coïncidences, le hasard, le foutu destin, peu importe comment on qualifie ce genre d’évènements. Lui aussi, c’est un drôle d’oiseau. Sommes-nous compatibles afin de voler côte à côte? Rien n’est moins sûr. Mais tandis que je l’écoute rire, que je l’observe, aussi discrètement que possible, tout en faisant preuve d’un naturel déconcertant, même pour moi, je me dis que nos chemins ne se sont pas croisés par hasard. Quelque part, dans les étoiles, c’était écrit. Qu’il m’interrompe durant mon échange avec un futur client, que je finisse par choisir de lui répondre, d’une voix cinglante et chargée d’une répartie étonnante, tandis qu’il dresse devant ma pauvre silhouette le fantôme de toutes mes angoisses:

Si tu savais à quel point je connais ce mot… Insécurité. T’en fais pas, je suis du genre coriace.

Qu’est ce qu’il me prend de me montrer aussi sûre de moi? Quelle vaste blague. Andrea Hopkins qui prétend ne pas avoir peur! Alors qu’au fond, elle est effrayée, à chaque seconde qui passe. Mais faire face à ses plus profondes peurs est une thérapie évidente, une nécessité inavouée.
Et l’origine de ma frayeur, à cet instant, n’est clairement pas Monsieur Je Tombe à Pic mais plutôt l’idée de ne pas produire le tatouage qu’il avait en tête. Pas qu’il soit exigeant, le bougre, au contraire, il a plutôt l’air du genre à tout prendre à la rigolade, alors que je suis le Sérieux incarné.
Drôle de duo, n’est ce pas? Les opposés s’attirent ou en tout cas, se rapprochent suffisamment pour causer des explosions qui produiront des dommages étonnants.

Sur le papier, mon avenir était tout tracé et il promettait d’être fabuleux. Ok, je n’avais pas forcément démarré du bon pied: Une Maman qui manquait à l’appel, un Père quasiment absent, en tout cas, émotionnellement parlant. Mais je me suis battue pour sortir d’une spirale infernale qu’on appelle La Fatalité. Aux côtés de mon jumeau Alexis, je suis à peu près devenu quelqu’un. Une jeune nana un peu timide, un peu différente, un peu artiste. Grâce à mes crayons mal taillés, je produisais l’équisse de la femme que j’aurais aimé devenir. Jusqu’à ce que je trébuche, les pieds dans le tapis, en rencontrant un homme qui allait devenir le centre de mon existence. L’épicentre d’une autodestruction programmée et indéfectible. Quelle fichue connerie.
Il m’a détruite. Mise plus bas que Terre. Et maintenant que j’ai réussi à me défaire de son emprise, il ne reste que des boules de papier chiffonnés, vestiges d’un espoir réduit à néant.
Et maintenant… Que faire?
Ce que tu as toujours su, Andrea.
Dessine. Exprime toi. Libère ton art. Rien que pour voir l’admiration dans les yeux de l’autre…
J’attaque donc mon travail, concentrée, presque en transe. Reniflant en l’entendant me faire remarquer que je n’ai pas de tatouages visibles, je ricane et ajoute, d’une voix malicieuse:

Aucun que tu peux voir. Enfin, remarque, si tu tends l'œil, tu pourras peut-être te contredire…

Oui, ma position me forçant à courber l’échine, il se pourrait que mon haut soit tiré et qu’il puisse découvrir la constellation de mon signe astrologique, savamment inscrite à tout jamais dans le creux de mes reins. D’ordinaire, j’aurais été extrêmement pudique, me dandinant afin de me couvrir davantage. Mais je suis tellement absorbée par ma tâche que je ne bouge pas d’un millimètre, usant de mon aiguille, de ma passion, de mon envie de recouvrir sa peau de ma patte personnelle, intime. Sa peau est déjà tellement usée par la vie, par les épreuves, par les souvenirs…
Et si, cette fois-ci, elle brillait, grâce à la bonté qui transpire de chacun de mes pores, qui est devenue comme une véritable planche de salut…?
Je l’entends papoter, inlassablement. D’ordinaire, cela m’aurait fortement dérangé mais pour le coup, son monologue sonne comme une douce musique à mon oreille. Riant doucement sans pour autant cesser mon activité, je souligne, telle une balle tirée à blanc:

Oh, nous les femmes sommes douées dans bien des domaines. Et pisser debout, j’sais faire aussi, je te rassure.

Wow, Andrea, quelle audace! Bon, après, faut dire qu’il m’a cherché, le loustic. Et quoi de plus stimulant qu’une bonne vieille rengaine, du genre guerre des sexes à l’ancienne, hein? Sans louper la perche qu’il me tend, j’ajoute, fronçant des sourcils, insistant sur une ligne un peu trop légère à mon goût:

Et ouais, j’aime la tequila, on s’en jette un quand j’aurais terminé ta future merveille.

Tandis que je me penche encore un peu plus afin de poursuivre mon travail, mon biceps frôle son autre jambe et je ne peux m’empêcher de sentir un objet sous son pantalon, vers sa cheville. Affreusement gênée, je me redresse, d’un geste brusque, ce qui est fortement prohibé en tant que tatoueuse. Bafouillant telle une enfant, je murmure, ne cessant de fixer l’oeuvre que je suis en train de produire:

Oh, mince, désolée… Pardon, je suis navrée…

La palme des excuses en série pourra t’être évidemment remise, ma pauvre petite.
Est-ce que le quatrième mur est en train de se déchirer?
T’aurais pas gaffé, là, par hasard, ma pauvre chérie…?

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Je n’étais pas une personne particulièrement timide, c’était même bien assez son contraire, bien qu’avec les femmes, depuis ma sortie de prison, je me sentais… Écrasé par leur aura, je me sentais illégitime d’attarder mon regard sur elles, de profiter de leur beauté, d’la douceur de leur présence même sans contact direct. J’ai toujours aimé les femmes, au-delà d’une simple orientation sexuelle, je les trouvais fascinantes. Supérieurement intelligentes aux hommes, plus fortes pour surmonter les épreuves de la vie (être coriace face à l’insécurité) et plus douées dans quasiment tous les domaines, sauf peut-être ouais… Pisser debout.

J’éclate de rire à sa réponse.

- Je serais ravi de faire le concours de qui pisse le plus loin avec toi, au moins pour essayer de faire honneur aux hommes, d’avoir au moins une compétence supérieure aux femmes !

Est-ce que… Je viens d’inviter cette fille carrément magnifique à faire un concours de pisse ? Bordel de cul je suis vraiment pathétique ! Il avait eu raison l’autre type, de parier que j’pourrais pas décrocher un rendez-vous avec la tatoueuse, et pourtant… Pourtant on en était là.

- Deal, je sais exactement où aller pour ça !

On se met d’accord pour de la Téquila, moi ça m’plait de plus en plus cette soirée. J’avais bien envie de l’emmener dans ce rad mexicain, j’espère qu’elle est prête à prendre des couleurs avec les piments servis là bas ! Une éternité que je n’y suis pas allé, au moins cinq ans en fait… Avec Albano, on s’y rendait souvent, entre frères, pour oublier la merde qui nous pendait au nez avec la drogue qu’on avait dans les poches. J’revois les couleurs des murs, les musiques clichés, une ambiance qui fait voyager en restant coincé dans cette maudite ville.

J’sens son bras qui flirte avec ma cheville couverte. J’la vois presque bondir, j’sais pas si elle a conscience de la présence de mon bracelet électronique. J’relève le regard pour le planter dans ses yeux bleus alors qu’elle multiplie les excuses, j’crois qu’elle a très bien compris…

- Merde, j’suis pas très doué pour garder les secrets j’crois, ou cacher c'qui s'passe sous mon pantalon.

QUOI ? Putain j'vais pas recommencer !!!

- Euh, j'parle d'la cheville hein... Rien de putain d'pervers. Enfin, j'dis pas que tu fais pas d'effets, mais j'sais m'tenir... Putain j'recommence ! J'sais vraiment pas parler aux femmes, c'est pathétique ! Si tu peux oublier ça m'arrangerait...

Bordel, bordel !
Vite, un autre sujet d'conversation. Vite !

Je jette un coup d’oeil sur mon tatouage en cours, bon au moins elle n’a pas fait une affreuse rature, juste un trait irrégulier, j’ai un p’tit sourire attendri.

- J’l’aime bien c’te ligne un peu bancale, n’y touche pas Birdy.

J’crois que j’l’ai un peu cerné sur un point.

- Difficile, hein ? J’ai l’impression que t’aime que tout soit parfait, non ? Mais regarde moi… Un tatouage parfait sur moi, ça serait… Imparfait. J’suis pas du genre à avoir grand chose de parfaitement réussi dans ma vie, mais c’qui compte, c’est que ça ressemble quand même à quelque chose de fonctionnel.

J’me demande si elle va savoir résister à l’envie de tenter de rattraper sa maladresse ou si elle allait accepter de laisser ça en l’état. Et si elle allait savoir garder à l’idée de passer une soirée avec un type qui porte un bracelet électronique, ce qui signifiait que j’étais un criminel qui purgeait encore sa peine… Je doutais bien plus pour le second cas que pour le tatouage.

- C’est vraiment pas quelque chose dont j’suis fier, c’truc à ma cheville… C’est jamais facile à aborder dans une discussion, mais j’suppose qu’une femme à l’droit de savoir avec quel genre de gars elle s’apprête de diner… J’en sais trop rien…

Seuls les criminels dangereux sortent avec ce genre de gadget, pour éviter la récidive, pour surveiller ses nouvelles habitudes, pour s’assurer qu’il ne représente aucun danger pour autrui. Le truc, c‘est que moi, j’suis pas le grand bandit pour lequel j’ai été incarcéré, juste un voyou qui a endossé l’mauvais rôle pour protéger sa famille. Mais va expliquer ça… Impossible.

- J’peux juste te dire que t’as rien à craindre de moi… Mais j’sais pas comment t’convaincre de ça à vrai dire, à part te demander de m’croire…

Ce qui est rudement pauvre comme argument.

- Hm… Si j’te donne mon nom tu pourrais voir sur google que j’suis pas un assassin, c’qui… C’qui serait un assez bon point, non ? D’expérience maintenant, j’sais que les gens croient plus facilement leur téléphone qu’un type farouchement tatoué d’la tête au pied qui essaie d’montrer patte blanche.

J’lui adresse un pauvre sourire, mais j’crois bien que j’suis en train de voir s’envoler loin, très loin, c’te tête à tête inattendu. L’retour à la réalité quoi.

Deux pences le sac ! à ce cri, au-dessus d'elle, tous les oiseaux remplissent le ciel
ft  @Jayson Salazar    

TW: étonnamment, un peu de langage cru, ça change, pour Andrea! Ainsi que mentions légères de femme battue.

Bizarre, bizarre. Pourtant, Andrea, tu t’en doutais, n’est ce pas? Que cet adjectif qualificatif serait parfaitement approprié envers Jayson. Envers cette rencontre. Envers ce tatouage, cet échange verbal, que dis-je, une véritable joute. Je me surprends moi-même, à faire preuve d’autant de répartie, moi qui suis d’ordinaire une véritable calamité pour m’exprimer, voilà que tout est fluide, presque comme un affrontement agréable, une douleur sacrificielle.
En haussant les épaules, incapable de détacher mon regard de sa cheville, je soupire et m’exclame, d’une voix blasée:

Franchement, j’aurais presque préféré sentir une protubérance à un niveau plus élevé de ton anatomie.

Wow, Andrea… Non, on ne va pas revenir sur tes propos complètement déplacés et incohérents, non, nous n’avons littéralement pas le temps. Il t’arrive quoi, ma grande? Certes, le bougre est drôlement familier mais ce n’est pas une raison de te comporter comme une…
Comme une quoi, hein? Comme la nana guindée et réprimée que j’étais, autrefois, quand j’étais sous la coupe de Jacob, mon ex futur mari?
Rien à foutre de tout ça, désormais. Je n’emporte rien, vraiment, de ma précédente existence. Désormais, je me réinvente, je repars de zéro, je reste légère au vent, me laissant porter par la vie, ses surprises, ses délices, ses mises à l’épreuve.
Et puis, l’absolution.
Me proposer d’oublier. Effacer ce que j’ai pu voir, deviner, sentir, conclure. Voilà ce que me propose son visage peiné, presque déçu.
Soudainement, tel un éclair, touchée par les anges, je me surprends à sourire, pleinement, de toutes mes dents blanches et lui rétorque, après un vif clin d’oeil:

T’en fais pas, j’sais même pas de quoi tu parles.

Cette interlude ne m’a pourtant pas empêché de continuer mon ouvrage, oscillant entre délicatesse et précision. La passion qui m’anime, comme à chaque fois que je tatoue, est cette fois-ci encore plus vibrante, sans que je n’en connaisse l’origine. C’est qu’il me fait de l’effet, cet épatant client. Quand il remarque une ligne quelque peu désaxée, la faute au cadeau qu’il m’a réservé et qui m’a littéralement plongé dans une affreuse torpeur, je tire la langue, littéralement, réflexe que je garde de ma plus tendre enfance dès que je commet une bêtise. Mais, rassurée par son compliment déguisé, je me penche une nouvelle fois vers sa jambe et sourit, tout en lui disant:

Ok, chouette. Faudrait surtout pas que je te déçoive. Mais ouais, tu m’as plutôt bien cernée, je suis du genre… perfectionniste. Après, l’essentiel, ça reste que ce que je tatoue soit en phase avec tes envies. Et que je prenne plaisir à tatouer. Jusque là, on a tout bon, n’est ce pas, Monsieur Je Tombe à Pic?

Mais au fond, je n’ai pas besoin d’obtenir une quelconque réponse. Je fais confiance à l’énergie qui se dégage de ce partage, le tatouage signifie tellement à mes yeux. Je laisse une part de moi, la personne m’offre une parcelle de son enveloppe charnelle. C’est comme un pacte, les deux parties doivent être en accord.
Et malgré le… dérangeant et surprenant détail qui vient s'immiscer entre nous, rien ne change. Il y aura, à tout jamais, gravé dans sa chair la réaction émotionnelle que j’ai ressenti en apprenant ce… cet… le…
Bref, c’est pas important.
Je ne laisserais plus jamais une insignifiante broutille m’empêcher d’aller de l’avant. Bien au contraire.
Jayson se lance dans un argumentaire plus que convaincant, destiné à me rassurer. Je ne perds pas mon sourire, durant les quelques minutes qui suivent son monologue, au contraire. J’en profite pour terminer mon œuvre, en espérant sincèrement qu’elle lui plaise, me dirigeant avec mon tabouret à roulettes en direction de mon plan de travail où est placée ma crème supposée apaiser sa peau, mais qui semble avoir connu des douleurs bien plus intenses. Pouffant de rire suite à sa proposition de me rendre sur Google, je finis par expirer longuement, plantant mon regard dans le sien, presque par la force et me lance, à mon tour, dans une tirade que je n’espère pas trop rasoir ni moralisatrice:

Bon, mon gars, respire, prends le temps d’avaler ta salive. Tu sais quoi? Je m’en fous. Pourquoi tu portes ça? Je m’en fous. Ce que t’as fais ces dix dernières années? Je m’en fous. Si t’as tué quelqu’un? Bah, je t’assure que je m’en fous. Par contre, j’vais te demander deux choses et ça, ça m’intéresse vachement plus. De un, tu regardes ton tatouage et tu me dis ce que tu en penses. La vérité, hein! Et puis ensuite, tu me dis où on va dîner, j’adore choisir avant d’arriver au resto, on gagnera du temps. Bien que je ne m’ennuie pas à tes côtés, cela va de soi.

Une fois terminé, j’expire, croise mes bras sur ma poitrine, j’attends.
Bon bah…
Balle au centre?

Festival de Monterey  
FT.  @Andrea Hopkins  
tw :  milieu carcéral, langage grossier

J’arque un sourcil, surpris par les mots de la blondinette concernant cet objet dur senti au niveau de ma cheville, après tout, c’est moi qui ait lancé la plaisanterie certes, mais je n’ai pas l’habitude à ce qu’une femme s’amuse de mes propos déplacé… En fait, je n’ai pas l’habitude de parler aux femmes, ça crève les yeux, j’pense même que c’est pour ça, que ça m’surprend autant. Elle est surprenante ouais, cette femme aux allures sages. J’ai plutôt fréquenté des junkies et des filles de ou une porto ricaines au caractère explosif, dans ma vie passée, j’dois dire que les femmes comme elle… Ça m’a toujours impressionné, probablement parce qu’elles semblaient hors de portées par une sorte de mépris que j'apercevais ou imaginais dans leur regard.

J’ai jamais été perfectionniste moi, si quelque chose fonctionne à peu près, j’m’en contente. J’sais pas c’que c’est, d’être dans la tête d’une personne comme elle, qui ne supporte pas la moindre imperfection, qui vit sans doute avec certains rituels… J’crois qu’elle doit y trouver un certain confort, comme moi, j’me complais dans l’anarchie. L’chaos c’est ma zone de confort, faut croire. Pourtant parfois, quand tout n’est que quiétude… J’suis bien.

A c’moment là, y’a pas trop d’quiétude dans mon esprit. Y’a beaucoup trop d’choses qui s’passent. Déjà, il y a elle. Elle est vraiment elle, elle touche ma jambe et c’est tristement le contact le plus intime que j’ai eu avec une femme depuis plus de cinq ans. Puis il y a ce bracelet, que j’tente de cacher comme j’peux, dévoilé à ses yeux. J’me sens obligé, redevable d’explications que j’veux pas donner, parce que ça m’fait mal d’y repenser, à ces cinq dernières années. Alors qu’elle elle m’dit de respirer, j’me rend seulement compte qu’elle a fini l’tatouage, que l’bruit du p’tit moteur a cessé et que mon long blabla nerveux avait monopolisé tout l’espace. Bavard, j’l’ai toujours été, mon hyperactivité se manifeste aussi par là, c’est bien pour ça que mes anciens “collègues” trafiquants ont eu peur que je les balance tôt ou tard. Mais faut savoir que les gens bavard, disent rarement des choses pertinentes.

- C’est vrai, tu t’en fou ?

Ouais, c’est tout c’que j’ai retenu dans un premier temps. Parce que ça m’semble impossible, irréel. J’suis tellement sur l’cul que j’avais vraiment besoin de savoir qu’elle se payait pas ma tête, qu’elle se donnait pas de faux airs et qu’au fond d’elle, elle mourrait de peur là tout d’suite. Parce que j’ai pas envie d’ça moi, qu’elle ait peur.

Dans un second temps, mes yeux clairs quittent son visage pour regarder la peau rougie de ma jambe et y voir ce qu’elle y a dessiné. C’est drôle, c’te bougie elle éclaire en moi à jamais c’qu’elle a dit, Birdy. Elle s’en fou. Alors, peut-être que j’aurai jamais vraiment de deuxième chance aux yeux des autres, mais si j’peux en avoir une p’tite aux yeux de certains… J’crois bien que c’te flamme, elle pourra continuer d’briller.

- Ça faisait longtemps qu’un tatouage n’avait pas signifié quelque chose.

Que j’fini par lui dire. Parce qu’en prison, on sert plus de cobaye, on fait ça pour passer l’temps, pour s’amuser. Moi j’étais tatoué jusqu’à la peau du cul, alors quand on m’proposait un tatouage en taule, j’me voyais pas refuser au risque de provoquer un conflit. J’ai chopé deux infections comme ça, mais j’suis toujours là, alors pas la peine d’en parler.

J’me redresse de la table, j’recule parce que j’avais oublié que j’étais particulièrement grand, je faisais facilement une vingtaine de centimètres de plus qu’elle et je ne tenais pas à avoir l’air envahissant. J’vous jure, c’est pas facile tous les jours d’être un grand salsifis !

- On a dit épicé ? Alors on va chez Mr Azteca. Ça existe toujours j'espère...

J’crois que j’ai répondu à toutes ces questions. J’lui adresse un sourire, j’crois que maintenant qu’elle ne me tripote plus la jambe, j’arrive à regagner un peu d’lucidité. J’crois.

- J’vais t’aider à ranger tout ça s’tu veux, on gagnera du temps.

Pas que je veuille abréger cette rencontre non plus, mais j’me voyais mal la regarder ranger en m’roulant les pouces. Bon le tout, maintenant c’était de ne plus dire de connerie…

- L’avantage Birdy, c’est que l’tatouage aura l’temps de cicatriser à temps bien à l'abri du soleil parce que j’vais pas pouvoir porter de short avant l’été prochain…

Et c’est encore un échec cuisant. Avoir l’information qu’elle sait pour mon bracelet semble avoir débloqué dans mon cerveau l’autorisation de faire des blagues à ce sujet. MAIS NON. Juste non, bordel…

- Juste que… Euh… C’est dommage parce que j’ai d’super beaux genoux, ouais, personne ne me l’a jamais dis, mais maintenant moi j’le dis.

Ah bordel, ta gueule Jayson.

Deux pences le sac ! à ce cri, au-dessus d'elle, tous les oiseaux remplissent le ciel
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J’ai mille raisons de me casser de là et illico presto. Déjà, parce que je dois décamper, je n’aurais pas le plaisir d’occuper ce stand ad vitam aeternam. Le festival de Monterey était un excellent moyen afin de me faire connaître aux yeux du grand public et j’en serais éternellement reconnaissante envers ses organisateurs pour cette chance. J’ai trouvé, dans cet événement, ce que je cherchais: une nouvelle clientèle. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que je ne suis pas déçue du voyage. En plus d’avoir l’occasion de tatouer un sacré énergumène, je me rapproche d’un homme au passif à priori très lourd et je découvre de nombreux points complexes à son sujet. Bref, je ferais mieux de me retirer et de le fuir comme la peste… Mais il n’en est rien. Tandis que je termine mon dessin et que je l’écoute avec attention, je finis par soupirer, à la fin de sa tirade, plantant mon regard dans le sien et répondant, d’une voix très affirmée:

Bah ouais, je m’en fous. Tu me dois rien, non? Et moi non plus. Si tu savais… Le jugement, il m’a toujours effrayé, dans mon passé. Aujourd’hui, j’ai décidé de passer outre. Le pourquoi du comment du machin, je n’ai pas envie de lui accorder la moindre importance. Ce qui compte, c’est le présent.

Et le pire dans tout ça? C’est que je suis fichtrement sincère. Je ne ressens aucune crainte à son égard… seulement de l’amusement et de la curiosité. C’est un sacré petit père et si je veux me montrer honnête, je n’ai qu’une envie: le découvrir davantage. Hors de question de m’arrêter à ce simple détail. Mille questions me viennent en tête, évidemment. Aurais-je le courage de les lui poser? Ça, c’est une autre histoire. Je n’ai pas envie de le brusquer, ni même qu’il finisse par prendre ses jambes à son cou.
De toute manière, son mollet reste douloureux, à cause du tatouage que je viens de lui graver dans la peau. Donc, en quelque sorte, il reste à ma merci. Et je dois avouer que l’idée me plait beaucoup.
Tiquant sur le nom du restaurant qu’il mentionne, je fronce les sourcils et lui fait cet aveu plus que personnel:

Oh, ça me dit quelque chose… J’y allais, quand j’étais petite, avec mon frère jumeau et mon père. Mais je ne sais pas non plus si ça existe, je ne suis pas de retour à Monterey depuis très longtemps.

Andrea, commencerais-tu à te confier, à ton tour? Je distille quelques informations personnelles, avec une flegme bien inattendue de mon point de vue. Autant le gars, c’est une vraie pipelette, autant de mon côté, j’ai toujours été de nature taiseuse et réfléchie.
Pourtant, je réalise, peu à peu, à quel point je me montre spontanée à ses côtés. À quel point ça me plaît. Et la direction que cette future soirée peut prendre.
Faut dire que j’en ai pas trop connue, des rencards. Mais celui-là, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il commence sur les chapeaux de roues. Il souhaite me donner un coup de main pour ranger tout mon bazar, attention qui me touche droit au cœur. En moins de dix minutes, tout est remballé, Jeremy viendra chercher le tout d’ici une petite heure et pendant ce temps là, c’est mon voisin de stand qui surveillera mes affaires, j’ai toute confiance en lui.
Bref, je suis complètement disponible. Pour lui et pour le reste.
Pouffant d’un rire sincère à la suite de sa blague, je lui donne un petit coup d’épaule tout en précisant:

La tatoueuse est rassurée que son dessin puisse cicatriser à l’abri du soleil. Et la nana, elle, te dirait que… bah, je te crois sur parole pour les genoux, mais au fond, je ne crois que ce que je vois, comme Saint Thomas. Déjà, t’as un très beau regard. Et un sourire charmant.

Wow, Ok, Ok, Ok…
T’as pas encore mangé épicé que tu t’enflammes déjà, ma cocotte. Andrea, faudrait penser à redescendre d’un étage, là.
Me raclant la gorge, je finis par demander, redressant la anse de mon sac à main sur mon épaule:

Bon… On y va ou on couche là?

Ok, Andrea, on peut dire que tu mets les deux pieds dans le plat là. En toute simplicité, qui plus est. Mais je ne peux éviter les grondements de mon estomac affamé plus longtemps…

J’espère que les tacos sont savoureux. J’ai une véritable faim de loup!

Festival de Monterey  
FT.  @Andrea Hopkins  
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Elle s’en fout que j’sorte de prison, vraiment, elle l’affirme et le confirme. J’suis bien obligé de la croire, j’ai juste du mal à me l’imaginer. En général, les gens ont plutôt la réaction qu’elle a eue au tout début, la surprise, la peur aussi… Qu’est-ce que j’ai fais d’aussi horrible pour mériter ça ? J’peux deviner sans peine les questionnements, les scenarii qu’ils se font dans leur tête à ce moment-là. A leurs yeux, j’peux brutalement passer du mec sympa et excentrique, à l'assassin, au trafiquant d’enfant, au violeur ou que sais-je encore ? Non, moi j'étais juste un bon gros dealer. A l’époque, j’étais différent. Moins tatoué, moins sec, moins marqué par la douleur et j’avais l'entièreté de mon humanité. Aujourd’hui j’transpire le manque de confiance en moi compensé par une bien plus excessive agitation… J’vous promets que j’essaie réellement de renouer avec moi-même, mais ce n'est pas facile tous les jours. Il n’y a qu’à voir à quel point je me sens… perturbé par des interactions avec une femme qui au premier abord me plait et qui en plus, à l’air de m’accepter - du moins le temps d’une soirée, ne nous emballons pas - malgré mon package repoussant de redflag comme disent les jeunes.

J’me demande néanmoins, en quoi elle craignait d'être jugée ? Jugée comme étant une femme très belle, à priori très intelligente et avec un caractère tout à fait appréciable ? Ok, j’idéalise sans doute le tableau, mais je crois que c’est plus facile de juger négativement un type comme moi, qu’une fille comme elle. J’dis rien, parce que j’connais rien de sa vie, j’connais même pas son nom… Et moi aussi, j’m’en fou. J’aime juste c’qui se passe en c’moment et mon tatouage tout neuf qui ne m’a coûté que deux milkshakes que j’ai même pas payé…

- J’y allais souvent aussi avant mon camp d’vacances, alors j’espère que c’est toujours sur pied même s’ils ont perdu leur meilleur client y’a quelque temps !

Mon ex était une femme qui aimait manger épicé, moi j’avais dû éduquer mon palais à ce genre de nourriture et j’m’y étais fait, vraiment. Mon ex était aussi une piètre cuisinière, sincèrement. Alors souvent, on finissait dans ce p’tit resto plutôt ancien, mal foutu de l'extérieur, mais la cuisine était délicieuse. C’était familial, donc parfait à l’époque où avec la mère d’Azara, on s’offrait le luxe d’un restaurant tous les trois. Par contre, je ne sais pas si ça convient à un repas entre un homme et une femme qui viennent de se rencontrer…

Elle me fit un sacré compliment, sur mes yeux, qui sont souvent complimentés sans me vanter, parce que j’crois que c’est la seule chose que j’ai de pas trop mal… Et mon sourire, apparemment, ça c’était assez inattendu. J’ai un peu souris, au compliment. J'pensais pas être le genre de gars pouvant être charmé par ce genre de chose, mais ça m'fait tellement de bien d'entendre quelque chose de positif à mon égard, elle a pas idée...

J’apprenais aussi qu’elle avait un frère jumeau, j’décide TRÈS bêtement d’enchainer dessus.  Oui, très bêtement, comme quoi, je ne fais que des mauvais choix.

J’voulais pas lui faire peur, mais…

- Les seuls jumeaux que j’ai connus, c’étaient deux putain de psychopathes. J’aime bien l’idée qu’il puisse en être autrement, j’changerai peut-être d’avis sur les gens qui partagent le même ADN ce soir ! Riais-je.

J’plaisantais bien sur, même si c’est vrai que les seuls jumeaux que j’ai jamais vraiment côtoyés furent en prison avec moi, et me revoilà en train de trop parler tout en rangeant le matériel de la blonde en faisant gaffe de ne pas casser quelque chose. C’est qu’en dix minutes, on peut en dire des choses, surtout quand la personne en face n’est pas l’individu l’plus bavard du monde.  

- Deux pures calamités de la nature humaine. Des clones diaboliques j’dirais même, comme dans les trucs de science-fiction ! Des incarnations de films d’horreur ! Ils parlaient en même temps, comme en stéréo, c’est comme ça qu’on dit ? Est-ce qu’on est obligé de faire la même chose que son frère H24 ? Non, clairement pas, d’ailleurs moi j’en ai des p’tits frères et bah on fait absolument rien ensemble. Oh si, y’a longtemps, on a écrit un poème… J’m’en souviens encore.

Eh oui, je vais réciter un poème absolument ignoble. Je crois que mon hyperactivité n’est pas décidée à me foutre la paix ce soir, ce qui est bien dommage, parce que je serais franchement déçu d’la voir partir en prétendant devoir rejoindre son jumeau justement.

- Spiky le petit corgi s’en allait rejoindre ses amis.
Il y avait Jamie, la fourmi et Henry le grizzly.
Ensemble, ils sont partis, car ils s’ennuyaient ici.
Ils n’avaient plus envie de jouer au frisbee,
Ils se rendent alors au club country.
Des trois amis, Spiky était le plus joli,
Un vieux cowboy dit au petit corgi
“ Pourquoi tous les corgis s’appellent spiky ? “
“De quoi tu te mêles, vieux moisi ? “
Puisqu’il ne fut pas très gentil, il fut puni !
Le vieux lui mordit le zizi.
Spiky pleura et rentra chez lui,
Ses amis, eux avaient toujours leur kiki,
et sont restés s’amuser toute la nuit.

J’cligne des yeux, p’tit arrêt sur image.
Oh bordel, j’viens de raconter quoi ?

- Euh… C’était pour leur… Apprendre à être gentils. Avec les autres… Le respect et... Ce genre de truc. Tu vois ? Sinon… Enfin non, sinon personne allait leur couper la b*te, euh le sexe, enfin, personne n’allait les mordre ! Euh, bref, c’était pour…

Oh bordel. Mais pourquoi je ferme pas ma gueule  ?

- Ouais, j’étais juste un grand frère effroyable…

Que j’fini par conclure en pinçant les lèvres avant d’me mettre à rire.
Bon sang, que j’suis mal dans mon slip là tout d’suite !

- Ouais, ouais, on y va.

Bordel, elle m’a dit que j’avais des beaux yeux tout à l’heure et moi j’lui parle de couper les parties génitale de mes frères ! Quel con !

- T’as de très beaux yeux aussi, en fait tu es très belle.

Petite pose, le temps de réaliser.

- Et c’est définitivement pas l’bon moment pour faire un compliment, hein ? J’vais t’laisser digérer un peu la p'tite fable avant de… Bref, tu veux marcher ou j’ai ma moto un peu plus loin ? Ou on peut coucher là, enfin, manger là. Oh wow, j’vais arrêter d’parler maintenant.

Oui, ça serait l’mieux pas vrai ?  

- Ne me coupe pas la b*te c’est tout c’que j’te demande. que je conclu avec un sourire tellement puéril...

Non. Non, je viens pas de dire ça.
J’AI PAS OSÉ !
CE N’EST PAS LA RÉALITÉ, N’EST-CE PAS ?

Deux pences le sac ! à ce cri, au-dessus d'elle, tous les oiseaux remplissent le ciel
ft  @Jayson Salazar    

TW: étonnamment, un peu de langage cru, ça change, pour Andrea! Ainsi que mentions légères de femme battue.

C’est une situation hors du commun que je suis en train de vivre, du genre que j’ai décidé de fuir pour le restant de mes jours. Les hésitations, les discussions sans queue ni tête, les quiproquos. Mais il suffit de voir à quel point la prétendue normalité d’une relation avec un homme a presque pu me coûter la vie.

Qu’est ce qu’on en a à faire, au final, des préjugés, des quand dira-t-on…?

Tout ce que je retiens, c’est que j’ai tatoué un homme étonnant, que je n’aurais jamais rencontré dans d’autres circonstances. La vie apporte son lot de surprises, à moi de les accepter les bras ouverts et de les chérir. La nature humaine est incomprise et complexe, j’en suis la preuve vivante.
Et quelque part, l’homme abîmé par la vie et volabile l’est aussi, et bien comme il faut, dans le genre. Tout son monologue sur les jumeaux, enfin, l’expérience et le souvenir qu’il en a gardé… Bon, on ne peut pas dire que la première impression fut la bonne, hein. Incapable de me retenir, je lui apporte ma vision des choses, sans langue de bois:

Après… J’ai jamais dit que je n'étais pas une psychopathe, hein. Ou que mon jumeau ne l’était pas… Jeremy, c’est un sacré phénomène dans le genre, hein. Et moi… Non, finalement, j’peux pas aller au bout de cette blague, c’est trop dur de plaisanter sur un sujet que je ne connais que trop bien.

Et pourquoi la fichue image de Jacob, mon ex futur mari, me trotte inévitablement dans la tête? Sans doute parce que malgré ma farouche volonté à l’oublier, mes vaines capacités ont dépassé mes nuancées espérances.
Et puis, l’impensable se produit. Une sorte de poème qui s’échappe des lèvres de ce drôle de bougue, qui parle de je ne sais quelle barbarie. Qui a été, indéniablement, très inspiré sur le sujet.
Pouffant de rire après avoir été figée durant de longues minutes, conséquence d’un choc émotionnel bien évident, je me contente de poser doucement ma main sur son épaule et de rétorquer, d’un aplomb étrangement naturel:

T’en fais pas, j’en tiendrais pas rigueur, je crois cerner ton personnage, maintenant. T’es plutôt sans filtres, hein? Et merci pour le compliment, même si j’suis pas certaine d’être d’accord avec toi. La beauté, c’est subjectif, hein. Ce qui compte, c’est de plaire pour tout sauf le physique. Allez, allons manger, histoire de ne plus se lancer des dingueries en plein visage. Avoir la bouche pleine devrait nous éviter bien des situations gênantes… Ou pas?

Mon Dieu, mais je déteins sur lui, ma parole! Quand est-ce que je vais cesser de parler, surtout pour débiter des bêtises aussi impressionnantes que mon manque de délicatesse? Nous voilà (enfin) partis. J’inspire longuement, je tente de conserver une démarche assurée. Je n’ose même plus lui jeter un regard, me contentant de froncer des sourcils, ne sachant quoi répondre à sa dernière question. Mais mon visage agit à ma place, se contente de sourire, malicieusement.
Il me fait de l’effet, c’est indéniable. Amusant, léger, spontané. Voilà les trois adjectifs qui le qualifient le mieux, à mon sens. Et quel bien cela fait de rencontrer des personnes aussi impactantes, sans se poser davantage de questions. Ok, il est bizarre.
Et alors...?

Le trajet se fait dans un silence de plomb, grand bien nous fasse. Quand nous arrivons devant l’établissement, mon ventre se fait entendre, grognant, se manifestant comme affamé. Après une moue d’excuse, je me penche vers mon partenaire pour la soirée, osant enfin poser les fondations d’un échange classique, enfin, aussi normal que possible:

Bon… Y’a un peu d’attente. On pourrait en profiter pour se présenter, officiellement je veux dire. Andrea Hopkins, enchantée. Et… Laisse moi deviner! Kyle, non? Ou alors… Boris! J’sais pas, t’as une tête de Boris, ouais.

Andrea Hopkins… Suis ce conseil que ta conscience t’offre.
Tais toi. Et contente toi d’avancer dans la file d’attente de ce fameux restaurant.
Y’a pas que la cuisine qui sera épicée, ce soir, hein…