J’ai fini ma soirée de la veille au 777, célèbre casino de Monterey. J’ai déserté ses tables quelques semaines auparavant, trop pris par une vie sans doute active à l’arrivée de la fin de l’année et par ses préparatifs des fêtes. Cette année, comme les précédentes, je les organisais chez moi pour accueillir toute ma progéniture et leurs proches. J’ai également consacré pas mal de temps aux soirées spéciales du Hayes et à leur organisation. Pour clôturer l’année par exemple, nous avons organisé une soirée sur le thème de noël où nous avons poussé la chansonnette sur la célèbre chanson de Mariah Carey par exemple. Ce n’était pas de tout repos, à présent, une nouvelle année commençait et chacun avait repris son chemin de son côté. Les journées sont plus calmes, bien que plus courtes et je réfléchissais déjà au planning des mois à venir pour ambiancer le Hayes’. Je n’ai pas pensé que les cartes me manqueraient, c’est pourquoi, j’ai retrouvé ma place habituelle auprès de ceux qui sont devenu mes amis pour jouer au poker. Une nouvelle fois, mon impassibilité réussit à masquer mon bluff, m’offrant ainsi plusieurs victoires consécutives. Une sensation et un plaisir qui m’ont bien manqué.
J’ai commencé la journée par mon footing habituel avant de retourner à la maison, prendre ma douche et me préparer à sortir. A la réception du message d’Emilie, je répondis dans les minutes qui suivirent, n’ayant rien de particulier à faire de mon après-midi. Je cochais mentalement ma liste de choses à faire; la livraison de boissons a été faite par Creed, le grand ménage par l’entreprise que je sollicite spécialement pour, le planning de la semaine est fait, je pouvais donc prendre un peu de temps pour moi. J’arrivais au café sur mon deux roues que je garais face à l’entrée. Le soleil brillait sur Monterey, mais une veste était nécessaire pour ne pas attraper froid. Je me demande bien pour quelle raison elle a besoin de me voir, mais je ne tarderais sûrement pas à le découvrir.
Emilie a pratiquement fait partie de la famille pendant des années avant que son histoire avec Raphael vole en éclats. Chacun ayant fait ses choix, le mien a été de maintenir le lien avec elle, de garder ce fin contact afin d’endosser le rôle de beau-père, voire de père envers elle, comme je l’ai toujours été. Je m’installais face à elle, me débarrassant d’abord de ma veste et de mon écharpe. « J’ai connu mieux, mais on fait aller. » lui répondis-je vaguement, mais pas la peine de s’attarder sur ça d’avantage. « Et toi ? » je lui retourne la question, ne me doutant pas de ce qu’elle s’apprêtait à dire. J’encaissais sa phrase sans broncher. C’est dans ces moments, lorsqu’on m’attend au tournent que mon passé de militaire me sert plus que jamais. J’affiche une mine impassible, comme si je ne comprenais pas de quoi elle parlait, je restais de marbre. Finalement, je souris en relevant les yeux vers elle. « Nous parlons de la même Maddy ? Ou toutes les Maddy sont des anges ? » demandais-je alors, comprenant où est-ce qu’elle voulait en venir.

J’entre dans le café, mon casque à la main et retrouve facilement Emilie, curieux d’entendre ce qu’elle a à me dire. Elle commence par prendre des nouvelles, question à laquelle je réponds assez vaguement. “On va dire ça. La situation est un peu complexe.” Je lui dis alors. Je pourrais lui expliquer, mais par quoi commencer ?! Je n’étais de base quelqu’un de très bavard, si j’ai bien du mal à exprimer mes pensées, évoquer mes sentiments n’est pas loin du tabou. Simple trait de caractère ou héritage d’un service trop long à l’armée, en tout cas, ce n’est pas chose aisée. C’est d’ailleurs ce qui m’a souvent été reproché, par mon ex-femme, par mes amis et par celles qui ont voulu devenir une relation importante un jour. Seuls mes enfants semblent être épargnés et c’est sans aucun doute ce qui compte le plus pour moi.

“Heureusement, j’arrive encore à rester raisonnable, même si ce n’est pas toujours facile.” Me justifiais-je alors avec un sourire en coin lorsqu’elle évoque le poker. Je n’ai jamais caché mon amour pour le jeu, néanmoins et heureusement, je réussis à rester maître de moi. Je suis plutôt de ceux qui déplument que de ceux qui se font déplumer. Quand certains de mes amis, comme Ezra par exemple, commencent à cumuler les dettes, du mien, j’arrive à tirer la sonnette d’alarme et m’arrêter avant de perdre le contrôle. “Ravi de voir que je suis toujours une source d’inspiration.” La taquinais-je lorsqu’elle reprend mes mots pour répondre. Je la sens monter en tension, heureusement, nos boissons arrivent bien vite. Je prends quelques gorgées en l’écoutant en dire d’avantage pour comprendre ses pensées. Je hoche la tête, acquiesçant au fur et à mesure qu’elle débite ses paroles. “Oui, tu m’en as parlé, en effet. Tu m’as dit que vous vous en entendiez bien toutes les deux.” Je complétais ensuite. En réalité, elle m'a jamais donné son prénom... Ça me frappe de plein fouet. L’information monte au cerveau et fini par le percuter. Je n’étais ni idiot, ni suffisamment naïf pour ne pas comprendre de quoi elle voulait bien parler. Ca alors… Qui l’eut cru.

Je n’avais de mon côté rien à cacher, même si je n’étais pas en mesure de lui donner les explications qu’elle attendait sûrement. Ce n’était pas à moi de le faire, les conditions de ce lien que nous avions maintenu est de ne pas évoquer le passé et de ne pas poser de question. Mais nous y voilà. “Quelle était la probabilité que ce soit cette Maddy… ?” je demande alors, avec un regard qui en dit long. “La vie nous fait de drôles de plaisanteries parfois.” Je souffle avant de secouer la tête. “Elle a les yeux bleu de son père et de son grand-père.” Lui dis-je alors avec un sourire sincère, débordant de fierté. Que ce petit ange puisse tenir quelque chose de moi me ravit au plus haut point, elle adore passer du temps avec son papy, nous préparons d’ailleurs des cookies ensemble après chaque séance de violon.

“Wallace a eu un accident.” Je finis par lâcher. Je sais que l’information aura l’effet d’une bombe… Elle l’aurait de toute façon su tôt ou tard et puis, je n’avais rien à cacher. De ce que j’ai compris, elle a également gardé contact avec Wally, elle continue de le voir, alors… Autant qu’elle le sache maintenant, mon jeune fils a en plus que jamais besoin d’être entouré, j’aimerais donc que ses proches soient là pour lui. Je prends une inspiration avant de continuer, histoire de ne pas l'effrayer. “Un accident assez violent… Il s’est pris une voiture et il a passé des jours dans le coma.” soupirais-je en fermant les yeux, c'est un cauchemar pour moi de repenser à cette semaine qui vient de s'écouler, j'aurais espéré me réveiller et que ce soit seulement un cauchemar. “Heureusement, il s’est réveillé et ça va… mieux.” continuais-je pour la rassurer. Le plus dur est heureusement derrière nous.

Le sujet change, nous dévions vers une discussion plus douce. Je sens Emilie s'impatienter, ayant du mal à se contenir et je la comprend. Savoir que Raph est père n'est pas une nouvelle à laquelle elle s'attendait. Cependant, nous sommes d’accord sur une chose: Maddy est adorable, c'est un vrai petit ange. Elle en a tellement d'amour à donner et je fais en sorte qu’elle reçoive tout autant ! Chez les Hayes, chacun la gâte à sa façon en plus d'adorer passer du temps avec elle. “Je lui apprend à jouer du violon.” Lui dis-je avec mon sourire tout fier. Je suis ravi de pouvoir partager ces moments avec elle, ils me sont précieux. Souvent, nous en profitons pour faire des cookies pour le goûter et nous invitons ses tontons et tata. Ceux qui sont dispos passent et ceux qui ne le sont pas, on leur garde leur part de côté. Devenir parent est une chose et devenir grand-parent, c’est encore autre chose. Un pur bonheur, bien que ça mette un sacré coup de vieux.
“Personne ne l’approchera de mon vivant.” grimaçais-je, me rendant compte de la difficulté à laquelle je devrais faire face lorsque Maddy deviendra une jeune femme. Raph' sera aussi de cet avis, j'en suis certain.

Elle posait enfin cette question que j'attendais, concernant Maddy et le fait de ne pas lui en avoir parlé. Ce n'était pas facile de garder le secret, mais je sais suffisamment faire la part des choses. “Ce n’était pas à moi de te le dire, tu sais bien.” Je lui répondis sincèrement en levant mes yeux sur elle. Nous avions conclu un accord, bien que je voulais de ses nouvelles et maintenir notre lien, je ne pouvais aller à l'encontre des désirs de mon fils. “Raph’ a fait ses choix. C’est sa décision à lui.” Lui dis-je ensuite, conscient qu'elle comprendra, même si la piule a été un peu difficile à avaler. “Disons que… tu ne me posais pas de questions, ça facilite les choses.” je dis avec un faible sourire. “Comment l’as-tu découvert?” je demande. Maddy lui aurait-elle dit ? Ou la rencontre avec Raph a enfin eu lieu ?

Je ne pensais pas forcément lâcher la bomber ainsi, mais Emilie fait pratiquement partie de la famille, malgré son ancienne relation avec Raph et la façon dont ça s’est terminée. Elle a gardé quelques liens avec certains d’entre nous, dont Wallace et moi-même et je sais qu’ils entretiennent une bonne relation, ils passent de bons moments tous les deux. Donc c’est légitime de lui en parler, histoire qu’elle soit au courant. Je soupire et ferme les yeux quelques instants, me massant les paupières. Se rappeler de ces journées difficiles n’apporte rien de bons, ce sont les plus dures que j’ai vécu. Pire que mes missions dans l’armée au bout du monde et pire que la découverte de la tromperie et la trahison de ma femme. Je soupirais, préférant chasser ces pensées négatives de mon esprit pour ne pas tomber dans une humeur morose et plomber l’ambiance. “Il essaye d’accepter la situation, ce n’est pas simple.” Lui dis-je ensuite pour expliquer pourquoi il ne lui a encore rien dit. Je ne sais pas si je vais tout lui dire ou pas, mais ce serait peut-être plus simple pour qu’elle mesure l’ampleur de la situation. “Je l’ai persuadé à venir passer quelques jours à la maison pour qu’il se sente mieux.” Hors de question qu’il reste seul de son côté. Puis à la casa Hayes, il y a toujours du mouvement, ses frères qui passent, Rosalie, Maddy que je garde de temps à entre… Il ne se sentira pas seul. “Il a été amputé du bras gauche. Ils lui ont installé un bras bionique.” Finis-je par dire en détournant les yeux. La situation est plus que délicate, moi-même j’ai du mal à l’encaisser… Je n’imagine même pas ce que doit ressentir mon jeune garçon. “Je te remercie.” J’acquiesce en direction d’Emilie, la regardant enfin lorsqu’elle propose son aide.

La discussion dévie vers un sujet plus gai, celui de la plus jeune de la famille, baby Hayes comme j’aime l’appeler parfois. “C’est un vrai rayon de soleil.” Je dis à Emilie avec un sourire, mais ça, elle le sait déjà car elle semble la connaître. Elle m’en a déjà parlé, sans que je fasse forcément le lien. En effet, ce n’était pas à moi de lui expliquer tout ça, ni de lui révéler le secret que mon fils a tenter de lui cacher. “La situation a été très compliquée au début, surtout pour Raphael. Il a encaissé, accepté, a fait de son mieux.” Dis-je pour justifier son comportement. Je comprenais tout à fait les choix de Raph car à son âge et face à une situation pareille, je ne suis pas sûr d’avoir fait mieux. “C’était inconcevable d’en parler tout de suite, puis le temps a passé, ce n’était jamais le moment et ça a fini par être trop tard.” Continuais-je pour lui expliquer ce que nous avions vécu. Maddy a apporté beaucoup d’amour à Raphael, c’est une des plus belles choses qui lui soient arrivées, si ce n’est la plus belle. A égalité avec la personne qui se trouve juste face à moi. Mais Raph est timide et pudique sur ses sentiments, il avait juste besoin de temps et la situation lui a échappé. “Comment le vis-tu ?” je demande en plantant mon regard dans le sien, curieux de savoir tout ce qui doit traverser son esprit.

J’écoute la suite de son récit, donc elle a été invitée à manger avec eux. Je souris franchement, ne masquant même pas ma joie face à cette nouvelle. Ces deux-là avaient besoin d’un petit coup du destin pour avancer. “Donc vous vous êtes revus ? Il était temps.” Je commente en la regardant pour lire les expressions sur son visage. Pour son anniversaire en plus, à mon avis, c’est le plus beau qu’il a passé depuis longtemps. Car malgré ce qui laisse ou pas paraître, je suis persuadé de comprendre ce qu’il ressent au fond. “A peine. J’imagine.” Je dis en réprimant un sourire lorsqu’elle dit que ce n’était pas bizarre du tout. J’ai bien du mal à y croire. “N’ai pas peur de rêver plus grand !” dis-je alors avant de continuer avec un sourire. “ C’est ce que je dis tout le temps à mes enfants et ceci s’applique également à toi, Emilie.” Espérant qu’elle comprenne ce que je voulais lui faire comprendre.

JJe ne veux pas m’attarder plus sur le sujet de Wallace. C’est beaucoup trop dur, beaucoup trop douloureux. Pourtant, je suis fier de mon champion, de ce héro sans cape qui a lutté pour se maintenir en vie. Wallace est un battant, je n’en ai jamais douté. Mais comme d’habitude, c’est plus simple d’emprisonner tous ces sentiments au plus profond de moi et de garder ma facette impassible. C’est mieux ainsi, je préfère garder le contrôle de moi-même et de mes ressentis. Sa main sur la mienne me fait du bien et je le lui montre au travers du sourire que je lui offre. Evoquer Maddy et parler d’elle fait beaucoup de bien, cette petite a beaucoup d’amour à donner et me permet d’endosser un rôle que je désespérais de prendre un jour. "Tu sais qu’elle adore les Pokémon ? Je crois que son préféré est Bulbizare." Bien sûr, Raph est devenu père jeune, trop jeune, ça lui a tombé dessus sans qu’il ne s’y attende et au pire moment de sa vie. Mais ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort et il s’en est très bien sortit avec elle. Tous les mots du monde n’arriveraient pas à lui décrire à quel point je suis fier de lui.

Concernant Emilie, c’est une tout autre histoire cependant. Raph est complètement fermé sur le sujet, il ne l’évoque jamais et fait en sorte d’esquiver tous les sous-entendus que j’essaye de lui tendre sur la gent féminine de façon générale. Il a toujours été discret et pudique sur ses sentiments et c’est encore pire depuis cette histoire gâchée avec Emilie. De mon côté, il était bien sûr impossible d’imaginer qu’une autre femme puisse prendre le rôle de belle-fille et de femme auprès de Raph’. De toute façon, il ne nous a jamais plus présenté personne et je considère Emilie comme ma fille. Je prends une inspiration, secouant la tête. J’essaye de désamorcer le truc le plus délicatement possible, mais bien sûr, elle pense forcément que je lui cherche des excuses. Ce n’est pas le cas. Cette période a été un véritable enfer pour mon fils et aujourd’hui encore, il s’en veut d’avoir tout gâché. "Il avait confiance." Confirmais-je en continuant à être l’avocat du diable. "J’avoue qu’avec une autre réaction, votre histoire aurait pu prendre une autre tournure... Il n’a pas bien géré de ce côté-là." Je grimace alors. Il ne s’est d’ailleurs toujours pas pardonné son comportement, ce qui l’empêche d’aller de l’avant. Mais je préfère ne pas m’étaler, au risque qu’elle me prenne pour un mythomane.

Emilie n’en dit pas plus quant à son ressentit, mais elle n’a pas besoin de le faire. Tout se lit sur son visage. La colère, l’amertume, la douleur des séquelles de leur relation. Je prends une inspiration avant de continuer en mettant les choses à plat. “Il était temps de se revoir, tu ne crois pas ? De crever l’abcès et d’avoir une explication une bonne fois pour toute.” Lui dis-en plantant mon regard dans le sien. Je la sens sur la défensive, impulsive, retrouvant ce visage de glace qu’elle ne m’avait pas présenté depuis des années à présent. Elle souffre alors elle se protège. "Respire un bon coup et prend un peu de recul." A mon tour de poser ma main sur la sienne, pour lui montrer que je suis là et que je ne prend pas partit, j’essaye d’être le plus objectif possible. Je lève les yeux au ciel, sourire en coin. Elle aimerait bien que ce soit une comédie romantique, j’en suis sûr. "Si vous étiez dans une comédie romantique, il t’aurait embrassé pour te montrer à quel point tu lui a manqué et tu aurais accepté un date pour qu’il accepte de se faire pardonner." Ce serait la suite logique de cette histoire, sans le baiser prématuré bien sûr. Ils peuvent se faire un dîner aux chandelles digne d’un gala ou je n'en sais rien. Faut vraiment que Raphael prenne les choses en main pour mettre les chances de son côté et essayer de se faire pardonner. Ce petit manque beaucoup trop de confiance en lui, il ne tient pas ça de moi, ce n’est pas possible.

"Il y a énormément de non-dits entre vous." Repris-je en suite en prenant un air un peu plus sérieux. "Tu le vois bien, ni toi ni lui n’avez pu avancer depuis tout ce temps. Vous n’arrivez pas à tourner la page." Constatais-je ensuite. Je ne sais pas ce que Raphael lui a dit ou pas, en tout cas, je lui confirmais ainsi qu’il avait seulement Maddy dans sa vie. Et histoire de bien mettre les pieds dans le plat, je continue dans ma lancée en enfonçant bien le clou. "Tu es chamboulée Emilie, tu es en colère contre lui de t’avoir caché l’existence de Maddy et en colère contre toi-même de ne pas être resté indifférente quand tu l’as revu." C'est évident. C’est la seule façon de la secouer un peu et de lui décrire les sentiments qu’elle a bien du mal à comprendre. Je regarde Emilie sur un ton sévère, le même droit auquel Raph aura droit quand je l’aurais croisé. "Vous me fatiguez tous les deux." Là, c’est le militaire qui parle. Mon côté autoritaire ressort, sans que je ne le contrôle. Mais c’est qu’ils vont me rendre fou ces deux-là à ne pas voir l’évidence sous leurs yeux. Je ne dis pas que la situation est simple, elle est loin de l’être bien sûr ! Mais je reste persuadé qu’il existe un moyen de déficeler tous les nœuds qui se sont formés entre eux. Leur histoire ne mérite pas un tel gâchis. "Si vous ne trouvez pas un moyen de briser cette glace entre vous, je vous enferme quelque part et vous ne sortirez qu’après avoir réglé vos différents, compris ?" Dis-je en buvant enfin de ma boisson qui je l’espère, a un peu refroidit. Je suis sûr que je pourrais compter sur l'aide de Maddy en plus.

Je découvre qu’Emilie connait plutôt bien Maddy, c’est donc elle cette nouvelle amie avec qui elle s’entend si bien. “Je lui ai fait voir Charlie & la Chocolaterie, elle a adoré. Sa réplique préférée est lorsque Willy Wonka dit Laissons entrer le soleil, la terre vous dit... Hello !” Dis-je à Emilie avec un sourire. Je prends une inspiration à la suite de notre discussion, le sujet est dur, complexe et les points de vue divergent. C’est normal, cette situation a été difficile à gérer sur le moment et même, plusieurs années plus tard puisque les rancœurs sont toujours présentes d’un côté comme de l’autre. Je secoue la tête. Ces enfants ne prennent pas assez de recul sur leur situation et restent bloqués dans le passé. Ils ne voient pas la chose avec le bon point de vue. Oui, il aurait pu revenir vers elle beaucoup plus tôt, j’étais d’ailleurs convaincu qu’il le ferait. Mais finalement… Non et ils ont chacun essayé d’évoluer de leur côté sans réussite. Emilie me semble bien pessimiste, selon moi, c’est surtout de la colère qu’elle garde enfouie depuis des années et qu’elle n’a pas évacué. “Il n’est jamais trop tard pour avoir des explications et comprendre ce qui s’est passé.” Lui dis-je sur un ton réconfortant et en lui prenant la main. “Il y a des évènements qui nous touchent plus qu’on ne le croit. Nous pensons en avoir terminé, nous nous persuadons que ça nous ai à présent indifférent, mais dans notre subconscient, c’est toujours là, quelque part.” et je sais de quoi je parle. Il y a des souvenirs que j’aimerais pouvoir rayer et appuyer sur la touche effacer pour les faire disparaître. Mais ce n’est jamais aussi simple, même lorsque j’essaye de ne pas y penser, ils sont toujours là. Je tente une tentative d’humour pour alléger un peu l’atmosphère, qui semble plutôt bien fonctionner.

“Tu oserais donc refuser un rendez-vous avec lui ?” Même si elle masque ses sourires, j’arrive à le lire dans son regard, qu’elle est un peu plus décontractée. En tout cas, elle lâche du zeste, malgré qu’elle tente de se convaincre elle-même qu’elle refuserait s’il lui proposer quelque chose. “Très bien, je lui dirais de ne pas t’inviter alors.” Je lui jette un drôle de regard avec un sourire en coin, la taquinant, comme des enfants. J’ai voulu la titiller, la piquer un peu et bien sûr que ça marche puisque c’est plus fort qu’elle, elle me demande comment ai-je pu deviner qu’il n’avait pas tourné la page. “Mon instinct paternel ?” je dis vaguement sans préciser qu’il n’a pas daigné nous présenter une autre femme depuis leur rupture, qu’il ne s’est pas réconcilié avec l’amour et qu’il préfère les relations charnelles. “Tant que tu garderas cette colère en toi, vous n’arriverez à rien. Hurle-lui dessus, tape-le, mais évacue tout ça, ça te fera du bien.” Je dis sur un ton autoritaire pour qu’elle m’écoute enfin.

Préférant rester spectateur de cette histoire, bien sûr que je pourrais m’en mêler, leur rendant la tâche plus ou moins facile, je ne saurais le dire. “Tu n’as pas idée de ce dont je suis capable…”  soupirais-je sur un ton pas du tout réconfortant cette fois. “Et crois-moi, il vaut mieux pour vous que je ne m’en mêle pas.” Je les trouve assez grands pour se débrouiller, même s’ils continuent à fermer les yeux et qu’ils ont besoin d’un bon coup de boost. Raph’ va m’entendre, c’est certain. “Bien sûr que ça ne changera pas le passé, ce n’est pas le but. Changer le passé est impossible, malgré tous mes talents, celui-ci ne fait pas encore partit de mes dons.” Dis-avec un petit sourire en la regardant. Je prends une nouvelle gorgée de mon café, abasourdi de comprendre qu’ils ne sont pas capables de comprendre qu’ils sont faits l’un pour l’autre. Ils vont me rendre dingue ! “Le passé, vous devez l’accepter. Tant que ce n’est pas le cas, ni toi, ni lui, n’arriverez à avancer.”  Parce que de son côté non plus, j’ai compris qu’elle ne faisait plus confiance aux hommes. “Vous restez bloqués sur vos regrets et vos remords.” Oui, ça aurait pu se passer différemment, ou pas en réalité, nous ne le saurons jamais. Nous ne saurons jamais si une autre issue était possible, si tu aurais accepté la situation, si Raph’ aurait réagi différents… Il y a tellement de scénarii envisageables, mais la finalité restera toujours la même. Les choses se sont passées ainsi et le passé ne changera pas.  “Ce qui peut cependant être changé, c’est le présent et surtout l’avenir que vous pourriez écrire à deux ou chacun de votre côté, ça, c’est votre choix ; mais tant que vous n’avez pas passé le cap, ni toi ni lui n’arriverait à laisser quelqu’un entrer dans votre vie pour être heureux.” je dis en soupirais ensuite.

Je prends une inspiration. Raphael a été son premier amour oui et si ce n’est plus pareil aujourd’hui, c’est parce qu’ils ne font rien pour arranger la situation. Ca pourrait même être mieux que ce que ça l’était, mais non, ils jouent les têtues, je ne sais pas si c’est une question d’égo, de fierté ou s’ils sont juste idiots, en tout cas, ils me fatiguent sérieusement. Je continue d’écouter la jeune blonde face à moi, surpris par ses propos. Je fronce les sourcils à un moment, prêt à l’interrompre sans qu’elle ne m’en laisse l’occasion. Tant pis. Je la laisse alors finir avant de reprendre la parole. “Je crois qu’il y a un petit malentendu entre nous, Emilie.” Lui dis-je d’une voix très calme. Parce que je ne suis pas sûr d’avoir suivi ce qu’elle me dit. Certes, je suis connu pour être persévérant et ne pas lâcher facilement l’affaire, deux qualités que j’aurais bien voulu inculquer à mes enfants. Mais lorsque je vois comment Raph’ ou encore Miles se comportent, ça m’exaspère, ils ne peuvent pas tenir de moi, ce n’est pas possible. Oui, j’ai une idée en tête. Une idée que j’ai plantée, arrosé et qui commencent à fleurir. Mais lorsqu’elle évoque le fait que je m’en mêle déjà, je comprends qu’elle ne sait pas de quoi elle parle et qu’elle n’a encore rien vu. “Je te rappelle que jusqu’à présent, je n’ai jamais ne serait-ce une seule fois évoquer votre histoire, ni même son prénom. Nous en parlons aujourd’hui, parce que tu as voulu aborder le sujet.” Je lui explique en insistant et en appuyant bien sur le tu. De mon moi-même, je ne suis jamais venu à elle pour aborder ce sujet, car je le savais sujet à dispute et surtout, car je ne voulais pas la froisser avec des mots qu’elle n’était pas prête à entendre. Mais parfois, il le faut. Il faut les secouer un peu ces enfants, les chambouler dans leurs idées pour qu’ils comprennent un peu mieux ce qui se passe et qu’ils prennent le recul nécessaire face à la situation. Chose qu’ils n’ont jamais fait jusqu’à présent.

Je bois quelques gorgées de mon café plus tiède à présent, ça permet de me réveiller un peu. La discussion est intense et Emilie a peur de perdre le contrôle alors elle se braque, elle est sur la défensive. Je n’ose imaginer à quel point c’est difficile pour elle de se le revoir après toutes ces années, mais il est primordial de passer par ces étapes pour pouvoir avancer. Je repose mon café sur la table et prend une inspiration, avant de chercher le regard d’Emilie pour y planter le mien. “Si j’avais vraiment voulu m’en mêler… Primo, tu n’aurais pas attendu 9 ans pour connaître l’existence de Maddy, secundo, ton chemin aurait déjà croisé celui de Raph depuis des années et enfin tertio, si je m’en étais vraiment mêlé, vous vous seriez déjà réconciliés.” Lui dis-je avec un sourire en coin fier. J’étais presque déçu qu’elle croit que je m’en étais déjà mêlé. La situation se serait améliorée et mes tentatives n’auraient pas été voués à l’échec. Oh ça non. C’est sûrement de ma faute, je prends trop de pincettes, je prends en compte leurs ressentis, leurs susceptibilités… Mais à quoi bon ? Ça ne les secoue pas suffisamment. Je souffle ensuite, le militaire en moi n’attends qu’une chose, refaire surface. “Je te donne ces conseils parce que je te considère comme une de mes enfants. Mais vous avez raison, continuez à faire l’autruche et à saboter votre vie, après tout, ce n’est pas comme si le temps passe et que nous n’avons qu’une, de vie.” Je dis sur un ton calme, froid, alors que je bouillonnais intérieurement. Je me contentais d’hausser les épaules, le plus naturellement du monde, comme si la situation ne m’atteignait pas plus que ça. Nous pourrons en rediscuter lorsque l’un comme l’autre se voileront moins la face, pour le moment, trop d’énergie est gaspillée pour deux têtes de mules. Heureusement que l’armée m’a appris à être calme, l’âge aussi y contribue sans doute, car il y a quelques années en arrières, je leur aurais gueulé dessus. “Je te laisse, on m’attend au bar pour préparer la soirée.” Je dis en me levant, glissant la main dans ma poche, j’en sortis mon porte-monnaie pour déposer ensuite sur la table un billet couvrant sa boisson, la mienne et un peu de pourboire. Je récupérais mon casque de moto, lui jetais un dernier regard en hochant la tête avec un sourire et me voilà prêt à partir.