Été 2022

- Tu m’écoutes ? Je cligne des yeux, surprise, et me redresse en lâchant la paille de mon cocktail. - Oui, oui, je t’écoute Eden. Et meeeeeeeeeeeerde ! Ça, ce n’est pas son prénom. Le type en face de moi s'appelle Jackson. Enfin, je crois. Il m'a tellement parlé de lui que j'ai fini par me mélanger les pinceaux. La bouche ouverte, je regarde mon date arquer un sourcil et m’expliquer pourquoi il préfère en rester là. Il s’en va, plaquant quelques billets sur la table pour payer nos consommations. Je n’essaie même pas de le retenir. Je me contente de le regarder avec mes deux grands yeux tristes et désolés.

Alors qu’en fait, je m’en fous ! Enfin, pas vraiment. Je m’en fous pas, mais c’est cet idiot aussi ! Il avait les mêmes yeux ! Ça m'a perturbée. Je finis mon verre, en espérant noyer mon désespoir dans l’alcool. C’est bête. Je le sais bien. Mon cœur est trop lourd à porter. Cet imbécile pompe des souvenirs à la pelle. J’ai beau essayer d’avancer, les derniers mots d’Eden flottent dans ma tête. Ils m’enveloppent. Je me réfugie contre eux, à la manière d’une gamine contre son doudou. Je n’ai plus que ça pour essayer d’avancer. Il a dit qu'il m'aimait. Putain de menteur.

Installée sur mon petit coin de banquette, je finis par relever le nez pour scruter les autres clients. Comment ils font pour rire ? Moi, j’ai perdu le mode d’emploi, ces derniers temps. J’en ai assez de me sentir triste tout le temps. J’en ai marre ! Alors, j’avoue, quand je repère un visage familier, je ne réfléchis pas vraiment. Il est là depuis quand ? Est-ce qu’il a vu comment je viens de me faire jeter ? Je m’avance jusqu’à sa table et m’assois face à Caïn.

Bras croisés sous la poitrine, je le regarde droit dans les yeux. - Salut. Ça ne te dirait pas d’aller voir ailleurs si j’y suis ?J’ai vraiment pas envie de voir ta sale tête, ce soir. Il n’est pas question que je sois sympa avec lui. Je ne l’aimais déjà pas quand il sortait avec Eden. J’avais toujours l’impression d’être de "trop". Ma détermination vacille. Ou alors, c’est moi ? Je suis un peu ivre. J’espère que ça ne se voit pas trop parce que mon projet, c’est d’avoir l’air contrariée et désagréable ! Aucune chance que je sois crédible en manquant de me casser la figure.

Je redresse le menton, persuadée que je vais l’inviter à emprunter la porte alors que ce sont d’autres mots qui sortent de ma bouche. - Dis, t’as des nouvelles, toi ? Mais merde, à la fin ! Je me giflerais bien, là tout de suite. Mon cœur se serre à m’en faire mal. Le poison de la jalousie me ronge. Et, s’il en avait… ?

[@Cain Wilder J'espère que ça te plaira ]

Qu'est-ce que je fais ? Pourquoi j'ai suivi mon manager dans cet endroit bruyant ? J'étais bien dans mon lit, dans le noir, seul avec moi-même. Puisque personne ne voulait de moi de toute façon. Tout le monde m'abandonnait tôt ou tard. Mes parents biologiques, et maintenant mon petit ami aussi. Pas de notes laissées sur la porte du frigo ou un sms, rien. Le néant total, semblable au vide que je ressentais depuis mon abandon. Envie de ne rien faire, mise à part rester allongé dans mon lit comme un misérable. J'avais perdu du poids aussi et les cernes sous mes yeux n'arrangeait rien à mon teint déjà pâle de base. Je ressemblais à un mort-vivant comme dirait mon manager. Ce dernier m'avait forcé à quitter ma prison, à prendre une douche et à m'emporter jusque dans ce bar. La lumière m'avait fait mal aux yeux et j'étais obligé de mettre mes lunettes de soleil comme si je venais de sortir d'une gueule de bois. Mais c'était peut-être cela la solution : boire jusqu'à en mourir. Ne plus souffrir inutilement, ne plus être. Au pire qui me regrettera hein ? A part deux, trois personnes pas plus. Mon manager trouvera bien un autre protégé sans souci et les autres pourront aussi s'avancer dans la vie sans moi. Je n'étais pas indispensable. J'étais laid et inutile, comme un vulgaire moustique. Celui qu'on écrasait avec la semelle de sa chaussure.

- Cain...

Je tournai la tête vaguement vers mon manager, l'inquiétude était hautement visible sur son visage mais je m'en fichais. Je me moquais de tout ces derniers temps de toute manière. Il poussa vers moi le bol qui était rempli de cacahuète. Je faisais une mine dégoûtée avant de détourner à nouveau la tête, ignorant le soupir de mon manager. Je préférais regarder les scènes qui se jouaient autour de moi. Le couple là-bas qui se murmurait des mots doux, la bande de potes à droite qui fêtaient quelque chose, et une jeune femme qui se faisait envoyer balader par son rencard. Sa tête me disait quelque chose mais j'étais trop fatigué pour réfléchir.

- Cain il faut que j'y aille...Essaye de t'amuser d'accord ?

Je lui faisais un vague signe de la main, avant de la laisser tomber pour attraper mon verre et finir ce qu'il y avait dedans. Plus grand chose malheureusement. Même l'alcool ne voulait pas de moi. Ou je soupçonnais mon manager d'en avoir bu. Crétin.

- Quoi ?

La jeune femme de tout à l'heure était venue s'asseoir à ma table. J'avais légèrement froncé les sourcils, pourquoi elle m'agressait comme ça ? Avant de me souvenir d'où je connaissais ce visage. Eden. Mon cœur se serrait douloureusement et je maudissais Riley d'avoir posé son postérieur ici.

- J'ai pas envie de voir ta sale tronche non plus la parasite

Rétorquais-je d'une voix morne. C'était ainsi que je l'avais toujours vu depuis notre rencontre. Toujours dans nos pattes - ou plutôt ceux de Eden. Pour ce dernier j'avais pris beaucoup sur moi pour ne pas lui envoyer un vase dans la tronche afin qu'elle nous laisse tranquille. C'était clair comme de l'eau de roche qu'elle ne m'aimait pas et qu'elle était folle amoureuse de son meilleur ami. Pas de bol, il m'avait choisi moi. Mais à la fin, pas de bol pour moi. J'aurai préféré qu'il prenne le parasite pour m'éviter de me sentir aussi mal.

- Bien sûr, il doit être sur les plages de Californie en ce moment en train de bronzer

Assurais-je avec un faux sourire pour l'embêter alors que je n’en savais fichtrement rien où se trouvait ce connard. Je retirai mes lunettes de soleil, fixant Riley de mon regard éteint avant de soupirer.

- J'en sais rien. Si t'en a pas, comment j'en aurais ?

Une parasite ? Pourquoi même ses insultes sont chiantes et hautaines ? Ce qu’il est froid ce mec, même quand il est question de s’envoyer des vacheries ! Il essaie de me faire sentir comme une merde, et spoiler : ça marche. J’ai passé la moitié de ma vie avec l’impression de l’être.  - Oui, bah de bol, j’étais là avant toi, donc c’est toi qui dégages. Quel argument pourri ! Je devrais avoir honte. Digne d’une cour de récréation. Mon 5 ans d'âge mental a encore frappé. Non mais sérieusement, j’aurais pas pu faire mieux ? Ma mine dédaigneuse n’y changera pas grand-chose, je suis ridicule. En plus, est-ce qu’on parle bien de la soirée ou du reste ? J’étais là AVANT. Je me mâchonne l’intérieur des joues, nerveuse et tendue.

Caïn reprend la parole et là, je crois que c’est moi qui pâlis. Il a des nouvelles ! La jalousie me saute à la gorge, histoire de bien bloquer le passage de l'air dans ma trachée. Une nausée me tord l’estomac. Dire que je ne peux même pas blâmer ma consommation d’alcool. Je ne suis même pas SI bourrée que ça. Putain ce que ça fait mal de l’entendre. Il m’aime, hein ? Sale connard de menteur d’Eden Beckett ! Brusquement, j’ai chaud. Et, en même temps, un frisson désagréable me remonte le long de la colonne. Je suis à deux doigts du malaise. Je suis ridicule, bordel. LAMENTABLE ! Faut que je me reprenne de toute urgence. Un océan me monte au bord des yeux. Stop ! Il n’est pas question que je me mette à chialer en plein milieu d’un bar blindé. Encore moins devant la starlette aux grands airs. Le problème, c’est qu’aucune fucking répartie ne me vient en tête.

Quand il baisse ses lunettes, son regard terne me fait mal. Je n’y distingue pas l’animosité que je pensais y trouver. Le vide de ses pupilles me renvoie la tristesse infinie de mes iris. Alors, c’est à ça que je ressemble ? À une de ces pauvres filles dont je me foutais au lycée ? Je mets quelques secondes à piger qu’il s’est payé ma tronche. J’ai sûrement l’air d’une idiote à essayer de différencier le vrai du faux. Alors qu’au fond, je le sais autant que lui. Il a raison. Mon cœur se ratatine dans ma cage thoracique. Il devient aussi minuscule qu’une cacahuète grillée. Eden s’en fout. De moi autant que de Caïn. Il n’est pas là. Pourtant, il est partout où je regarde. Je dors même avec son tee-shirt. - Bah visiblement, tu vois, je ne suis pas si importante que ça, moi non plus, fais-je dans un haussement d’épaule faussement nonchalant.

Sans vraiment réfléchir à ce que je fais, je m’assois devant le mannequin. J’apostrophe, sous ses yeux, un serveur qui passe avec un plateau chargé dans la main. - Tu peux nous resservir ? La même chose pour lui. Moi, j’avais pris un…. Je sais plus en fait. Ce que j’ingurgite n’a pas la moindre importance. J’espère juste arrêter d’avoir mal tout le temps. Est-ce trop demandé ? Je grimace en précisant : - Un rhum coca, ça ira très bien. Après une seconde de silence, j’ajoute : - Sur sa note, s’il vous plaît. Quoi ? Dans mes souvenirs, il n’était pas en manque de moyens financiers, ce mec. - Je suis un peu à sec, ces derniers temps. Nommez-moi reine de l’euphémisme. Apportez mon sceptre et ma couronne. Je suis plutôt complètement fauchée. Mais, ça, il n’y a pas de raison qu’il le sache. - Vous vous étiez pris la tête ? Pourquoi je pose cette question ? Non, bordel, pourquoi j’ai à tout prix besoin de savoir, quitte à remuer le couteau dans la plaie ? Je n’arrive pas à me faire à son absence. Je me contente de faire semblant, comme d’habitude. - Toi aussi, ton date t’a jeté ? Les yeux plissés, je me dandine sur ma chaise. Honnêtement, cette conversation n’a rien de normal. Mais, je sais pas. J’ai pas envie d’être toute seule. Même si on ne peut pas se blairer, tous les deux, je ne suis pas sûre que qui que ce soit d’autre puisse comprendre ce que je traverse. Disons que ça nous fait un point commun.


@Cain Wilder

J'avais haussé un sourcil face à sa réplique, avant de secouer doucement la tête. Je n'avais pas envie de me disputer là, tout de suite, ni jamais en fait. Simplement qu'on me fiche la paix mais Riley n'allait certainement pas exécuter ce souhait et me pourrir ma soirée. Pourquoi je restais là en fait ? Maintenant que mon manager était parti, je pouvais quitter cet endroit pour retourner me réfugier chez moi. Mais la flemme était trop grande, même pour simplement se lever.

- Si ça te fait plaisir de le croire

J'ignorais si elle parlait de maintenant ou de sa relation avec Eden. Evidemment, qu'elle était là avant moi, mais pas dans le choix de son meilleur ami. Ce n'était pas ma faute s’il ne l'avait jamais aimé comme elle l'aurait souhaité. De toute manière, peu importe la relation qu'on avait avec ce type, il nous avait tous les deux laissé derrière lui sans dire quoique ce soit. Riley pensait réellement que je savais où il se trouvait alors que j'avais balancé qu'il était sur une plage. Son visage était devenu tout blanc, inquiétant même. Dans d'autre circonstance je me serai foutu de sa gueule mais étrangement pas là car je comprenais ce qu'elle pouvait ressentir quelque part. Malgré nos différents, on était tous les deux dans le même panier. J'avais tout de même fini par lui avouer que je n'avais aucune idée où Eden était parti.

- Ca lui est déjà arrivé ?

De disparaître comme ça. Pouf. C'était peut-être une sorte de phase et il allait réapparaître comme par magie. Pour pouvoir lui donner un coup de poing. J'avais le cœur broyé par la tristesse mais aussi la colère. C'était épuisant d'avoir si mal et de ne rien pouvoir y faire. A part dormir, il n'y avait que là que je ne ressentais rien. Mais trop de somnifère c'était mauvais et je ne pouvais faire la belle au bois dormant. Cela m'étonnerait fortement qu'il vienne me réveiller, un dragon le ferait certainement plus rapidement que lui avec la tête de mon manager.

Riley avait interpellé un serveur pour commander à nouveau à boire, je ne savais même plus ce que j'avais bu. J'avais haussé les épaules lorsqu'elle avait décidé toute seule que je payais sa part. Ce n'était pas cela qui allait me ruiner et même si elle était mauvaise, cela me faisait de la compagnie.

- Pourquoi ça ne m'étonne pas ?

Nullement surpris d'apprendre qu'elle était pauvre, je l'avais toujours vu comme une profiteuse, tournant autour d'Eden comme une sangsue. Je détestais ce genre de personne depuis toujours. Surement parce qu’on ne m’avait jamais rien donné gratuitement et j'avais dû batailler dur pour arriver où j'étais aujourd'hui.

- Non. On ne se prenait jamais la tête. Tu peux annuler ce fantasme.

Son départ restait encore plus incompréhensible. J'avais tourné en boucle notre dernière conversation pour savoir si j'avais pu dire un truc qui l'aurait vexé ou quoi mais rien n'était apparu de ce genre-là.
Le serveur était réapparu, déposant nos verres sur la table, je ricanais à la question de Riley avant d'attraper mon mojito et de boire une gorgée.

- Est-ce que j'ai franchement l'air d'être là pour un date ?

Demandais-je en montrant ma gueule qui donnait tout sauf envie de me draguer. Je n'avais jamais eu de rendez-vous de toute façon, durant ma carrière en Corée du Sud c'était mort. La vie privée, les fans et les paparazzis ne connaissaient pas. Puis cela ne m'intéressait pas de toute façon. Avec Eden on s'était simplement rencontré dans un bar par hasard. Deux mes paumés qui s'étaient bien trouvés, mais pas autant que cela finalement.

- Qu'est ce que tu as fait pour faire fuir cet homme hum ?

Même si à mon avis, rien que son caractère serait une raison suffisante.

- Ça lui est déjà arrivé ? Je secoue la tête pour lui signifier que non. Ma perte momentanée de l’usage de la parole n’est jamais bon signe. Il me manque ce sale enfoiré ! Putain. Le vide qu’il a laissé derrière lui me paralyse totalement. - Sa sœur n’a pas l’air plus inquiète que ça. Au ton de ma voix, il est facile de comprendre ce que j’en pense. Josephine Beckett, reine des glaces par excellence, m’a poliment signifié de laisser tomber. Je m’installe, sans rebondir sur son pseudo non-étonnement. Paradoxalement, je n’ai pas l’habitude de raconter ma vie. Euh si, en fait. Je ne fais que ça. Tout le temps. Je partage mon quotidien, mes émotions, mes victoires et mes défaites. Je raconte littéralement tout à Eden. Enfin… Je racontais tout à Eden. Mais dès lors qu’il s’agit des choses importantes, je me fais silencieuse. Puis franchement, je me vois mal me confier à mon compagnon d'infortune. Je n'ai pas besoin de sa pitié. Son mépris me semble déjà amplement suffisant.

Puis, je devrais dire quoi ? "Caïn, j’ai une dette colossale parce que je me suis occupée de ma grand-mère en fin de vie, pas parce que je suis un parasite qui vivait aux crochets de la société" ? Pfff. Que sa majesté coréenne pense ce qu’elle veut. Je n’ai rien à lui prouver ! Presque naïvement, je l'interroge : - Pourquoi je fantasmerais sur vos disputes ? Good job, miss premier degré. Quand je vous dis qu’il va me falloir beaucoup, beaucoup plus d’alcool ! D’ailleurs, le serveur arrive et je ne me fais pas prier pour suivre le mouvement en avalant une rasade. Je ne peux nier m’être montrée jalouse de leur relation. - T’as vraiment l’art de faire en sorte que les autres se sentent comme de grosses merdes, tu sais ? Je ricane, non sans un certain détachement. Il ne m’apprécie pas. Je ne l’aime pas beaucoup non plus. Au moins, aucune de nous ne fait semblant. Cette absence d’hypocrisie a quelque chose de reposant. Je préfère ça à la fausse compassion de certains potes, qui, malgré leurs mots gentils, pensent tous que j’exagère un tantinet.

- Si je te raconte, tu vas te foutre de moi. C’est couru d’avance. Je le sais, il le sait, et je suis à peu près certaine que notre serveur en a, lui aussi conscience ! Est-ce que ça m’arrête ? Pas du tout. Je me dandine sur ma chaise, grimace, et finit par admettre piteusement… - Je l’ai appelé "Eden". Même moi, je me trouve ridicule. Je ne peux pas blâmer mon date d’avoir pris ça pour un red flag. - J’ai pas fait exprès ! C’est juste que…. Je papillonne des yeux avant de trouver le courage d’admettre à voix haute. - Il me manque ! Peut-être que ça, mon compagnon d’infortune peut le comprendre. Eden dispose de cette capacité à capter l’attention des autres. Il rend la vie plus belle, plus palpitante. Tout a l’air plus fabuleux à ses côtés. Je renifle un bon coup avant de reprendre une gorgée de rhum. - C’est la seule personne au monde qui ne m’ait jamais jugée. Et bah, voilà, génial ! Je suis à deux doigts de pleurer alors que je m’étais promis de ne plus le faire. Je me suis bien fait quelques potes, depuis mon arrivée ici, mais… C’est différent. Je n’ai personne. La solitude s’abat brusquement sur mes épaules. Je lui échappe de justesse en détournant la conversation sur Caïn. - Et toi, qu’est-ce que tu fiches ici ? T’es juste venu profiter des cocktails ? Une vérité contre une vérité ? Avec un peu de chance, cela pourrait marcher.

Mains sur la table, je me triture nerveusement la peau des doigts. - Comment tu fais, Caïn ? Pour que ça fasse moins mal ? Des fois, j’aimerais bien être aussi dure que toi. Quoi ? Je suis partante pour me faire greffer un rocher bien rigide et froid à la place du cœur ! Parce que, sérieusement, toute cette histoire me fait un mal de chien. Je relève le nez en le fixant. - Sauf que moi, j’aurais quand même toujours l’air plus sympa que toi. C'est un truc, au niveau du sourire. Une vacherie ? Il ne faudrait pas qu’on perde la main !

@Cain Wilder

Je ne savais pas vraiment comment interpréter le fait que sa sœur n'était pas inquiète pour Eden, qui s'était volatilisé. Ou bien cela voudrait dire que c'était courant chez son frère de disparaître. Cela n'empêchait pourtant pas mon cœur de se sentir mal en prenant cette hypothèse. Est-ce que je me serai senti moins con si sa sœur avait été aussi inquiète ? L'impression qu'on ne s'était pas fichu de ma gueule ? Probablement. Mais c'était trop dur de se faire que finalement cet homme m'avait abandonné comme tous les autres avant lui. Je me retrouvais du coup avec sa meilleure amie qui avait parasité notre relation. Je ne pouvais même pas l'accuser, elle semblait aussi désespérée que moi même si elle le montrait bien plus.

- Je vois...

Qu'est-ce que je pouvais bien rajouter de plus de toute façon. J'ignorais où se trouvait cet enfoiré et Riley aussi. Joséphine n'allait certainement pas nous le dire sinon, et bien la jeune femme en face de moi aurait eu l'information. Me l'aurait-elle donné pour autant ? Non. Elle n'avait jamais réussi à me voir autrement que comme un ennemi alors réciproquement je ne la portais pas dans mon cœur. C'était un peu immature comme relation qu'on avait. Je n'avais aucun grief envers elle, à part qu'elle s'était un peu trop incrusté dans notre couple. C'était pour cette raison que j'imaginais qu'elle devait jubiler lorsque Eden lui racontait surement nos petites disputes, croisant les doigts pour que la rupture soit proche.

- Parce que t'es amoureuse de lui

Rétorquais-je en haussant légèrement les épaules, ce qui était évident. Elle n'était pas vraiment discrète à s'accrocher à lui comme une huître un rocher, et à se montrer désagréable avec son petit ami. Il n'y avait que les jalouses pour faire ce genre de chose.

- Merci pour le compliment.

Je ne le faisais même pas exprès, du moins peut-être que si parfois. Surtout lorsqu'on me parlait mal. Riley était venu me voir en m'agressant, c'était donc normal de la recevoir avec la même animosité. Mais cela ne me faisait pas sentir mieux pour autant de m'en prendre à elle. Heureusement le serveur était arrivé avec les boissons commandées par la chieuse. Par curiosité, je demandais à cette dernière comment elle avait réussi à faire fuir son date. Il y avait effectivement une chance que je me moque d'elle mais je l'écoutais tout de même, affichant ensuite un sourire amusé. Mais pas moqueur. Il me manquait aussi après tout, je l'avais juste moins dramatiquement.

- Tu m'étonnes qu'il se soit barré

Je soupirai, avalant une nouvelle gorgée de mon verre avant de rajouter.

- Il me manque aussi. Et il faisait aussi partie de ces gens qui ne me jugent pas.

Avouais-je avec un léger sourire. Le jugement, je connaissais bien. J'étais mannequin et des critiques j'en avais reçu des tas. Des paroles blessantes qui certainement aurait brisé plus d'une personne si je ne m'étais pas bâti une armure pour les affronter. Je devais remercier ma famille adoptive pour cela, de m'avoir donné une fondation solide en m'ayant traité comme un étranger durant toute mon enfance.

- Non. Mon manager m'a forcé à venir ici avec lui mais il a dû partir.

Puis j'avais eu trop la flemme de bouger pour rentrer chez moi. Je me sentais aussi mal que Hyun-Jin soit inquiet pour moi mais j'étais tombé dans la spirale infernale de la dépression. J'avais haussé un sourcil suite à sa question avant de pouffer légèrement de rire, cachant mon hilarité derrière ma main.

- Pardon, je ne voulais pas rigoler

Déclarais-je en essayant de reprendre mon sérieux. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle me demande ça alors que ça se voyait clairement que je n'étais pas bien non plus.

- Ce n'est qu'une façade Riley. Je suis loin d'être aussi dur que tu le penses. Lorsque j'ai réalisé qu'Eden était parti de son plein gré, je me suis senti mal, très mal. J'ai eu des mauvaises pensées et si je n'avais pas eu mes amis pour me ramasser à la petite cuillère...Peut-être que je ne serai pas en train de te parler actuellement...Même maintenant je ne suis pas encore remis...Ca fait des jours que je suis enfermé chez moi et que je ne mange rien...alors ouais, si c'est ça pour toi être dur, je préférerai que tu suives pas mon exemple et que tu continues à me balancer des piques.

Amoureuse ? Est-ce que je le suis encore ? Putain, ça fait bien chier, ça aussi. Aussi étrange que cela puisse paraître, cet échange de "politesse" avec Caïn n’est pas la pire des tortures de cette planète. Les quelques minutes passées avec mon date étaient même moins supportables que notre pseudo-conversation. Pourquoi ? Peut-être parce qu’arrêter de courir dans tous les sens, façon poulet sans tête, pendant plus de cinq minutes me fait du bien. Arrêter de mentir aussi. Cesser de faire semblant et de m’échiner à avancer quand tout ce que j’ai envie de faire, c’est de m’allonger par terre en pleurant de tout mon soûl. Je me sens bizarrement comprise.

- Il me manque aussi. Et il faisait aussi partie de ces gens qui ne me jugent pas. Je lui adresse un regard perplexe en m’interrogeant sur les raisons de notre mésentente. Est-ce que c’est ça qu’on a fait, lui et moi ? Se juger sans se connaître ? Tout en continuant de m’anesthésier à grand coup de gorgée de rhum, je maintiens, sans effort, notre conversation. - Pourquoi tu te marres comme une baleine ? Il est en train de se payer ma tronche. C’est plus qu’évident ! Pourtant, je ne sais pas pourquoi, je me mets à souffler par le nez puis à glousser. Dans une vaine tentative pour me cacher, je plaque ma paume sur ma propre bouche. C’est que… Nous ne sommes pas supposés nous marrer ensemble, et ça, même si j'ai l'habitude de me tourner en dérision 45  fois par jour. Je tâche de rétablir l’équilibre en lui demandant comment il fait pour être aussi froid quand moi, j’éprouve l’impression constante et pérenne d’être une brindille ballottée par des vents furieux.

En revanche, quand il reprend la parole, je n’éprouve plus la moindre envie de rire. Mon cœur se ratatine sur lui-même. Il tâche de se faire le plus petit possible, dans l’espoir d’éviter les coups de compassion. Trop tard ! Mes yeux clairs n’ont pas lâché ceux de Caïn. Ils s'érigent en parfait miroir d’une tristesse partagée. Merde ! Je renifle une fois encore, me mâchouille l’intérieur des joues, ouvre la bouche - change d’avis - inspire une nouvelle fois et finis par me lancer. C’est qu’il m’a désarçonné avec son honnêteté, là ! Il aurait pu prévenir ou se coller un fichu avertissement sur le front, je ne sais pas.  - Je peux critiquer ton sens de la répartie si tu veux ! Ah. Parmi toutes les choses stupides qui me sont venu à l’esprit, j’ai visiblement sélectionné la plus WTF. - Ou tes pompes. Sérieusement, tu vas me faire avaler que ça, c’est à la mode ? Fais-je en pointant du doigt ses chaussures. En réalité, je n’y connais strictement rien. Entre lui et moi, celle vestimentairement à la ramasse, c’est plutôt ma pomme. Bon sang, je ne sais même pas ce que j’essaie de faire. Le consoler ? Même le ton de ma voix n’arrive pas à choisir entre grinçant et complice. Tout et son contraire, quoi.

D’une traite, je finis mon verre. La seconde d’après, je lève la main pour signifier au serveur de m’envoyer le suivant. - Tu sais ce qu'il m'a dit ? Il m’a dit d’être heureuse. Sans vraiment l’assumer, j’avoue à Caïn avoir eu le droit à un simili au revoir. Je passe sous silence l'épisode du smack. Franchement pas pertinente comme information. - Ce putain d’abruti de connard m’a dit d’être heureuse. Les larmes jaillissent, sans avoir été invité. Je les essuie rageusement, roulant des yeux vers le plafond à grand renfort de grimaces. - C’est que… Tu vois ? Je… Je n’ai personne d’autre. Impossible de le dire. Malgré les amitiés naissantes, les complicités inattendues et un nouveau boulot en perspective, rien ne peut le remplacer. Eden est ma famille. Même si , apparemment, la réciproque n'est pas valable, je crois que je n'ai pas envie de passer à autre chose. Je suis minable ? Pathétique ? Minable ET pathétique ? Si je l’oublie et que j’avance, je serais vraiment seule. Là, au moins, je vis avec son souvenir permanent. - Alors, je fais des trucs. Genre…. Tout le temps ? J’essaie d’avancer parce que j’ai un peu trop peu qu’au moment où j'arrête, le vide intersidéral de ma vie m’avale toute entière. Bordel, ce que cette conversation est déprimante ! Je plaque un sourire sur mes lèvres. Si grand qu’il me mange la moitié du visage. Si faux qu’il ne trompera personne.  - T’as mangé quelque chose, finalement ? Parce que si tu fais un malaise, je suis pas sûre d’être capable de te retenir et de t’empêcher d’écraser ta face contre le sol ! Je m’en voudrais, tu vois ? Ta tête, c'est un peu ton outil de travail, non ? Du regard, je cherche la silhouette de notre serveur. - Il est pas question qu’on se laisse abattre, ok ? On va passer…. Une bonne soirée ! Tu sais jouer aux fléchettes ? Est-ce qu’il y a seulement un jeu de fléchettes dans le coin ? - Attends, t'es capable de t'amuser au moins ? Alors, oui, c'est encore une pique ! Sauf qu'elle a vachement l'air d'une taquinerie.

@Cain Wilder

J'étais étonné qu'elle ne soit pas exclamée, excité tout en niant qu'elle n'était pas amoureuse d'Eden. Comme quoi, elle n’était pas si aveugle que cela sur son cas. On était dans le même bateau même si je ne pouvais pas vraiment dire si j'éprouvais de l'amour envers ce crétin. Un attachement certains toutefois, sinon je ne me serai pas retrouvé dans un état pareil à cause d'une personne. C'était quand même un comble de se sentir comme six pieds sous terre jusque parce qu'un connard s'était barré mais s'en foutre royalement lorsqu'on pouvait nous balancer les pires critiques. Peut-être parce que cela se passait ailleurs, au niveau du cœur. Un objet que je donnais rarement voir l'ouvrait à peu de gens pour finalement me le faire arracher comme si tout ce que nous étions n'avait été qu'une tromperie.
Riley et moi n'étions pas si différent, mais l'un comme l'autre on ne pouvait pas supporter que quelqu'un vienne sur notre territoire. La jeune femme n'était pas seulement la meilleure amie d'Eden mais aussi une sangsue. Un package qu'on était obligé de prendre et je l'avais appris tardivement. J'avais pris sur moi-même pour ne pas la jeter plusieurs fois par la fenêtre, uniquement pour faire plaisir à Eden. Et comment j'étais remercié pour mes efforts ? Il disparaissait, ni vu ni connu. C'était la première fois que moi et Riley on se retrouvait dans un tel face à face, et où je me dévoilais à elle. Pas de piques de ma part, ma dépression me bouffait toute ma motivation de faire quoique ce soit. Je n'avais cependant pas l'air si horrible vu la question qu'elle m'avait posé, qui avait eu le mérite de me faire rire.

- Parce que c'était drôle

Et naïf. Mais Riley avait aussi ce côté-là. Elle avait beau dégommé tout sur son passage, sa mentalité était semblable à celle d'une adolescente. Comme si elle était restée coincé à cette période. J'étais bien heureux que Hyun-Jin n'ait pas croisé sa route, parce que je n'osai même pas imaginer ce que cela donnerait comme situation. Elle était clairement le genre de personne qu'il ne pouvait pas supporter, le comportement typiquement américain qu'il ne cessait de descendre depuis qu'il était venu s'installer ici. En vérité, j'avais aussi du mal avec le caractère exubérant de la jeune femme. Et elle ne m'appréciait pas non plus, uniquement parce que j'étais sorti avec Eden. Je ne lui avais jamais rien fait pour qu'elle m'en veuille. Être honnête autour de cette table allait peut-être la faire me voir sous un autre œil. Je n'espérais pas non plus qu'on devienne amis mais au moins, et bien je lui montrais que je n'étais pas fait d'un cœur de pierre.

- Qu'est-ce qu'elles ont mes chaussures ?

Je regardais mes baskets qui étaient toutes simples mais je devinais que Riley n'avait en fait rien à répliquer après mon monologue. A force, j'avais finis par comprendre son fonctionnement. Je la regardais avaler cul sec ce qui restait dans son verre avant d'en redemander un autre. De mon côté, j'avais cessé de boire, me contentant simplement de regarder le liquide dans mon verre.

- Sérieusement...?

Dire à quelqu'un d'aussi proche une telle chose, c'était comme si il comptait se jeter d'un avion mais sans parachute. Je savais qu'avant moi, Eden était sorti avec un mec qui s'était suicidé. Il se sentait responsable de cela et j'avais eu beau lui répéter maintes et maintes fois qu'il n'était en rien coupable du choix de son ex petit ami, il n'avait jamais voulu m'écouter. J'espérais toutefois qu’il n’avait pas eu la pulsion de le rejoindre.

- Qu'est-ce qu'être heureux de toute manière...

Songeais-je à voix haute. L'étais-je ? Pas vraiment. Je ne l'avais jamais été depuis ma venue dans ce monde ni encore maintenant, ni même lorsque j'avais commencé à avoir les projecteurs sur moi. Ou peut-être que c'était quelque chose que je n'arrivais pas à reconnaître tellement cela me paraissait improbable que je puisse être heureux dans ma vie. Je me sentais mal pour Riley, qui avait connu Eden bien plus longtemps que moi. La voir pleurer n'était pas agréable mais je choisissais de ne rien dire au sujet de ses larmes qu'elle essayait de cacher.

- Je te voyais mal te morfondre sur ton canapé en fait contrairement à moi. C'est ta façon de gérer les choses et elle est beaucoup plus productive que la mienne.

Au grand damne de mon manager d'ailleurs. Il essayait de me faire bosser mais j'étais aussi motivé qu'un escargot pour faire une course. J'aurai aimé vivre ma dépression autrement mais à chaque fois, la sensation que mon corps était tout vide venait m'attraper.

- Non j'ai rien avalé. T'inquiètes pas, je suis pas au bord du malaise, et tu n'auras  pas le plaisir de filmer ma chute ! je garderai mon outil de travail intacte

Rétorquais-je avec un mince sourire.

- Bien sûr que je sais m'amuser ! On n’a simplement pas la même manière de le faire ! Je vais te mettre la misère aux fléchettes

Il me semblait qu'il y avait ça dans un coin du bar. N'importe quel bar américain digne de ce nom devait en avoir un. Je me levais donc, réalisant alors que mes jambes était tout cotonneux et je dû me tenir à la table en plaquant mes mains dessus pour ne pas tomber. Boire de l'alcool le ventre vide ce n'était pas une activité recommandée.

- Sérieusement...? J'acquiesce vivement du menton, à moitié désabusée. - Ouaip. C’est complètement un crétin. Je l’affirme haut et fort. Qu’il soit stupide, ne m’empêche ni de tenir à lui, ni de souffrir de son absence. Quant à la question sur le bonheur, je n’ai pas l’impression qu’il attende réellement de réponse sur la question. C’est fou ce qu’il a l’air triste, en fait. C’est vraiment nouveau cette immense tristesse qui le nimbe ou j’ai juste rien vu, aveuglée par ma jalousie ? Un reniflement plus tard, je proteste. - T’as tort, j’imite superbement la baleine échouée sur le canapé. J’en rajoute un peu niveau prétention, histoire d’être faussement crédible. Dédramatiser pour rendre les épreuves supportables, je fais ça depuis des lustres. Comment continuer d’avancer en gardant la pêche sinon ? - Productive, ça veut pas dire sain, tu sais ? Fais-je, soumise à un très temporaire éclair de lucidité. Ceci dit, on est comme est, non ? Je vois mal comment je pourrais modifier ce trait de caractère inhérent à ma personnalité. C’est que je ne sais pas faire autrement. Une énergie folle me pousse sans arrêt à avancer, envers et contre tout, que je sois prête ou non. Avec l’âge, peut-être que je finirais par me calmer.

Je plisse les yeux en l’écoutant me répondre. - Leurs assiettes de tapas ne sont pas folles, mais quand même. Tu devrais avaler un truc… Parce que sinon, je vais te fumer beaucoup trop facilement ! J’agite les sourcils de haut en bas, de façon à la défier. Je me lève d’un bond, en même temps que lui, regonflée à bloc par la perspective d’aller m’occuper les mains. Le bar tourne quelques secondes autour de moi, et ça me fait rire. En revanche, je ne suis pas encore assez bourrée pour rater le manque d’équilibre de Caïn. - Hey ! Ça va ? Instinctivement, je me suis rapprochée. Je le soutiens par le coude, tout prête à essayer de le retenir s’il se casse la gueule. Oui, enfin, vu la stabilité de ma propre personne, s'il perd l'équilibre, on va se retrouver tous les deux le cul au par terre ! - Attends, j’ai pas pris mon téléphone pour immortaliser cet instant, préviens-moi la prochaine fois ! Je lâche un rire un peu trop bruyant. Essayer de tourner l’univers en dérision, c’est ma manière, toute personnelle certes, d’être prévenante. Peut-être qu’il va me repousser ou m’envoyer chier, ce serait bien le genre… Quant à moi, j’ai beau être un insupportable zébulon, j’ai le cœur sur la main. C’est pas mon style de laisser qui que ce soit dans la merde. - Rassieds- toi, je vais chercher un truc ! Tu bouges pas, ok ? Sinon je vais devoir te poursuivre et te hanter et on sait tous les deux que t’es pas du genre à supporter de m’avoir dans les pattes aloooooooooooors… Bref, il a compris l’idée.

Je marche à reculons, traçant entre mes yeux et sa personne, une direction invisible pour lui signifier que je le garde à l'œil. En moins de cinq minutes, je suis de retour avec un plateau de crackers salés avec différentes sauces. - Sache que j’ai dû me battre pour t’obtenir ça. Soit disant, ils arrêtent de servir à manger à partir de je sais plus quelle heure. Je trouve ça complètement ridicule. Surtout, parce que ça ne va pas dans mon sens ! Donc, c’est forcément chiant. Je me réinstalle sans marquer la moindre hésitation. - Je vais gagner à la loyale, sinon c’est pas du jeu. L’entrain avec lequel je plonge mon premier cracker dans la sauce guacamole disparaît dès que ma langue en saisit la saveur. Franchement ? Je grimace en fronçant le nez. Vite ! Mon verre ! Une gorgée de rhum pour effacer ce goût pas génial. - T’es au courant que manger, c’est genre un besoin vital ? Ça te dit qu’on fasse un deal ? Oh bordel, quand mes phrases commencent de cette façon, c’est rarement bon signe. - Toi, tu vas te reprendre en main, et moi ? je dois arrêter de chouiner ! Le premier qui brise cet accord se verra attribuer un gage avec obligation de la réaliser. Et, j’te previens, j’suis imbattable question ridicule. J’ai peur de rien. Oh, putain j’adore cette chanson. Deux secondes d’attention consécutives la meuf. En attendant, je me dandine sur ma chaise au rythme de Calm Down de Rema, essayant, probablement très inconsciemment, de remonter le moral de la starlette coréenne.

Parce qu'on va s'en sortir, hein ? D'une manière ou d'une autre.

@Cain Wilder

Je ne pouvais qu'être d'accord avec Riley - ce qui rendait ce tête-à-tête improvisé encore plus bizarre - au sujet d'Eden. Il était véritablement un crétin fini et quelque part il valait mieux qu'il ait fait ce coup-là maintenant que plus tard, au cas où je me serai encore plus attaché que maintenant. Dire qu'il avait réussi à passer par-dessus mes barrières, pour au final me donner un coup de poing dans le ventre. C'était épuisant de s'ouvrir aux autres, il valait mieux rester seul. Au moins on ne risquait pas de souffrir à cause de quelqu'un. Je me retrouvais dans un état pitoyable, bien loin de celui de Riley justement qui gardait sa bonne humeur - même si elle était juste folle à mes yeux. Je savais toutefois qu'il était aisé de porter un masque mais la jeune femme n'avait pas opté pour se laisser dépérir contrairement à moi. 
 
- J'en doute pas une seconde que tu sais rivaliser avec un cachalot
 
Rétorquais-je avec un sourire légèrement perceptible. Qu'elle le croit ou non, aller à un rendez-vous alors que l'homme qu'on aimait s'était barré, je trouvais ça plus productif que de rester dans son lit toute la journée. Un endroit que mon manager m’avait forcé à quitter pour ensuite me lâcher. Je n'avais donc rien avaler de bien consistant depuis quelques temps, heures, je ne savais même plus. Boire le ventre vide était déconseillé, surtout dans mon état. Aussitôt debout, aussitôt nauséeux. Les fléchettes allaient devoir attendre un peu. Malgré son animosité envers moi, Riley s'était levé pour m'aider mais elle n’était pas très sobre non plus. 
 
- Euh...ouais on va dire ça
 
Je ne voulais pas qu'elle ait pitié de moi. Je lui donnais un léger coup de coude lorsqu'elle avait évoqué le fait de n'avoir pas pris son téléphone pour me filmer. Si jamais elle publiait ça sur internet, mon manager allait l'étriper et moi avec.
 
- J'ai compris, j'ai compris...Je ne bouge pas
 
Je reprenais donc place sur mon siège, regardant Riley filer vers le bar. En quelques minutes, elle revenait toute fière avec des gâteaux apéritifs. Ca ne valait pas un bon kimchi mais bon...
 
- Merci d'avoir combattu le barman pour moi
 
Déclarais-je avec un sourire taquin mais des remerciements toutefois sincères. Elle faisait la fille qui n’en avait rien à foutre de moi mais visiblement, ce n'était pas le cas. Ou bien c'était simplement aujourd'hui, notre coeur brisé mutuellement par la même personne nous liant. 
 
- Je sais...Mais quand je fais une dépression je ne peux rien avaler
 
Sous-entendu que ce n'était pas la première fois que je me retrouvais dans cet état. Ma vie était ponctuée de petite déprime de temps en temps que je réussissais à vaincre mais lorsqu'elle était plus intense, c'était plus difficile. 
 
- Je suppose que je n'ai pas le choix de toute façon...?
 
Soupirais-je alors que je me forçais à manger quelques crackers. Faisant passer les miettes à l'aide de mon verre d'eau, que j'avais demandé durant l'absence de Riley. Je ne tenais pas à perdre, la jeune femme était capable de me faire faire quelque chose de moche et je n'en avais pas envie. J'étais capable de me ressaisir, oublier Eden et passer à autre chose. Je la regardais bouger sur sa chaise au rythme de la musique. Je ne dansais pas souvent, je n'allai pas à des soirées où les convives le faisaient en règles générales. C'était souvent papotage et beuverie. Passant ma main dans mes cheveux, je me levais doucement, titubant un peu sur mes jambes molles, avant de tendre ma main vers Riley.
 
- Miss Holmes, voulez-vous m'accorder cette danse ?
 
Je n'en revenais pas de ce que je venais de proposer, elle allait surement me rire au nez mais ce n'était pas elle qui m’avait demandé si je savais m'amuser ?

- Je sais...Mais quand je fais une dépression je ne peux rien avaler. Il a parlé au présent. Moi, ce que j’en comprends, c’est que c’est un problème qui lui est familier et que ce n’est pas la première fois qu’il se retrouve dans cet état. La dépression serait donc un genre de boulet, qu’il se traîne depuis des lustres, et qui de temps en temps s’enroule autour de ses chevilles en l’empêchant de continuer à avancer. Je ne juge pas. On a tous nos casseroles à traîner. Dans l’immédiat, ma priorité reste de le pousser à avaler quelque chose. Ma compassion ne m’empêche pas de ricaner quand il cède à l’obligation de se nourrir. J’aime pas trop prendre les autres en pitié. J’ai détesté qu’on le fasse avec moi. Cette attitude avait plutôt tendance à me mettre dans une rage noire. Qu’il ne compte pas sur moi pour le chouchouter comme une petite chose fragile. - On a toujours le choix, Caïn. Toujours. Mais bon, dans ce cas-là, y’a clairement une bonne et une mauvaise décision. Je plisse les yeux et fronce les nez, dans l’espoir de me donner l’air menaçante.

Sauf qu’évidemment, je glousse comme une dinde. Ma crédibilité tombe en chute libre ! Est-ce que je m’en fous ? Totalement. J’ai un petit peu trop d’alcool dans le sang pour me montrer rationnelle. J’en suis à me dandiner sur ma chaise avec entrain lorsque nous passons d’un seul coup dans la quatrième dimension.

Je m’immobilise en fixant la main du mannequin. - Attends… Tas dit quoi ? L’information remonte lentement - très lentement ! - jusqu’à mon cerveau éméché. - MAIS GRAVE ! Mollo sur l’enthousiasme, Riley ! Il risquerait de nous faire une syncope ou de retirer son offre. Je me fends d’un immense sourire en récupérant sa main au vol. - Évite de te casser la figure ! Je ne suis pas sûre d’avoir d’assez gros bras pour éviter qu’on te marche dessus ! Au passage, je chipe un dernier cracker que je lui tends. Danser, ça demande des forces ! Il ne faut jamais se laisser prendre au dépourvu.

Direction la piste de danse ! Dans la vie, il y a deux domaines au sein desquels je n’ai pas à rougir : la cuisine et la danse. Je me canalise facilement pour enchaîner les pas de danse avec fluidité. Je prends un vrai plaisir à partager mes trucs à mon partenaire et à me calquer sur ses pas. Mesure après mesure, je lui décoche des sourires de plus en plus vrai. J’ai le cœur qui palpite. La tête me tourne. Mais, j’effleure de mes doigts un nuage de bonheur. C’est suffisant, non ? J’ai de la chance, quelque part. Dans cet espace de naufrage inattendu, je ne suis finalement pas si seule que ça. C’est ce que je me dis, en tournant sur moi-même, la main accrochée à celle de Caïn. Je le lâche seulement pour venir lui demander. - Ça va, tu gères ou tu demandes déjà grâce ? Pour que j’arrête de le taquiner, je crois qu’il faudrait carrément me couper la langue.

Puis, ce serait bizarre, non ? Qu’on se mette à s’entendre alors qu’on a passé ces derniers mois à se pourrir mutuellement par Eden interposé ? Dans tous les cas, je me montre naturellement attentive à son état physique. J’ai vraiment pas envie qu’il nous fasse un malaise au milieu de la foule et… - BORDEL ! Sous l’effet de la surprise, je crie, alors qu’un mec faisant le double de ma taille et de mon poids vient juste de nous bousculer. Le regard vitreux, probablement aussi alcoolisé que moi, il essaie maladroitement de s’excuser en posant ses deux grosses mains sur les épaules de Caïn. Qu'on soit d'accord, j'aurais aucun scrupule à rentrer dans le lard de monsieur muscles !

@Cain Wilder

Je ne voyais pas l'intérêt de cacher le fait que j'étais actuellement en pleine déprime, que c'était même des périodes récurrentes chez moi même si avec le temps elles finissaient par se déclencher uniquement à cause d'un évènement. Le départ d'Eden par exemple, qu'on pouvait facilement qualifier d'un abandon. Un sujet qui était sensible, on ne pouvait pas vraiment dire que j'avais accepté d'avoir été adopté par une famille. Si cette dernière m'avait montré plus de considération peut-être que je l'aurai mieux vécu. En attendant, j'avais toujours la crainte qu'on me laisse tomber et c'était déjà arrivé, que cela soit professionnellement ou dans ma vie privée. Eden était un vrai maître en la matière. Sa disparition ne m'avait pas laissé de marbre et je n'étais pas le seul dans ce cas-là. Riley le vivait surement encore plus mal, c'était son meilleur ami et elle le connaissait depuis bien plus longtemps que moi. Incroyable qu'il ne l'ait même pas prévenu. Cela dit, grâce à lui, on se retrouvait à se supporter dans un bar et pour la première fois je découvrais une nouvelle facette chez la demoiselle. Même si elle me taquinait toujours, elle prenait soin de moi. A sa manière. Me menacer implicitement par exemple si je ne mangeais pas. Mais elle perdait rapidement toute crédibilité en se mettant à glousser comme un dindon.

- Tu étais presque convaincante

Lançais-je avec un sourire amusé. Une musique qui semblait plaire à Riley avait ensuite débuté et je me souvenais qu'elle avait insinué que je ne savais pas m'amuser. Afin de lui montrer le contraire et encourager par le taux d'alcool dans mon sang, j'avais tendu ma main pour l'inviter.

- T'es sourde en plus ?

J'avais haussé un sourcil, sachant qu'elle avait bien entendu mais une invitation de ma part c'était inattendue. Je me surprenais d'ailleurs moi-même dans cette histoire. Son enthousiasme m’avait arraché un léger rire que je dissimulais derrière mon autre main.

- Hé ! Je tiens très bien sur mes jambes !

Mieux que tout à l'heure en tous les cas où je n'avais pas été capable de me lever. Suivant Riley sur la piste improvisée, je pouvais voir que cette dernière adorait danser en tous les cas et qu'elle était douée. Je n'avais jamais vu ce côté-là d'elle et parfois il suffisait d'une catastrophe mutuelle pour s'apercevoir qu’on n’était pas si différent. Bien sûr Riley restait un extra-terrestre à mes yeux mais bien plus supportable aujourd'hui. Je tentais de la suivre dans ses mouvements, faisant abstraction d'Eden et de tout le reste. Seulement la musique et Riley.

- Je gères totalement !

Criais-je par-dessus la musique. Hors de question de déclarer forfait et je m'amusais bien en plus. Bien loin des soirées VIP ennuyantes, où il y avait bien plus de personnes bourrées que sobre. Riley l'était, mais pas assez pour continuer de me taquiner. Un homme venait alors nous bousculer, me faisant jurer en coréen pour la forme. Bien moins bruyamment que Riley. Alors que j'allai lui demander si ça allait, le coupable venait de poser ses grosses paluches sur mes épaules. Me figeant sur place. Je sentais mes poils sur ma peau se hérisser et surement que je devais être aussi blanc qu'un cachet d'aspirine.

- Hééé ça va mec ?

Ses mains se faisaient encore plus pressantes sur mes épaules. Je me mettais à trembler, essayant de me dérober à sa prise. Je voulais crier mais aucun son ne sortait de ma bouche.

Mon enthousiasme se traduit par un rire, volatile et léger. Je me sens drôlement bien ! Danser sur de la bonne musique me met toujours le cœur en liesse. Cela me permet d'évacuer, à peu près sainement, mon trop-plein d'énergie au quotidien. La présence de Caïn constitue un « plus » non négligeable. Je ne sais pas pourquoi, mais le voir se lâcher un peu, provoque chez moi une immense vague de sympathie !Je l'encourage sans hésiter. - Tu gères carrément même ! J'approuve en frappant dans les mains jusqu'à ce qu'on se fasse bousculer.

Si je beugle, convaincue d'être dans mon bon droit, l'affaire ne m'atteint pas plus que ça. En général, je passe rapidement à autre chose, à condition que le type n'insiste pas. Ce qu'il fait, évidemment, mais pas auprès de moi. L'expression sur le visage de Caïn me met en alerte. Je n'ai pas besoin de comprendre les raisons de son malaise pour avoir instinctivement envie de lui filer un coup de main. - Hey ! Monsieur grosses paluches tourne brièvement vers moi son haleine à l'odeur très prononcée de vodka. - Lâche-le. - Ton pote a pas l'air super en forme, me dit-il, sa diction mise à mal par une bouche pâteuse, et l'air de m'annoncer la nouvelle du siècle. À aucun moment, il ne se dit que je l'ai remarqué et que c'est même pour cette raison que j'interviens ?  
Armé de toute ma hargne, je décroche l'une de ses mains. Grâce à l'effet de surprise, je capte toute l'attention du géant. En revanche, respectant le principe bizarre des vases communicants, il serre un peu plus sa prise sur l'autre épaule du mannequin. Moi, je profite de l'espace aménagé entre eux pour m'y faufiler. Je me positionne dos à Caïn, face à Godzilla. - Putain, mais mec, tu vas le lâcher ou quoi ? Je pousse de toutes mes forces sur le torse du géant. Mon mètre 65 et ma cinquantaine de kilos ne m'arrête pas. Je n'ai peur de rien ! Encore moi après quelques verres. Là, je suis très persuadée d'être capable de l'étaler, hein ? - Oh ça va ! Il râle avec une mollesse folle avant de me... Tapoter le sommet de crâne ??? Est-ce une blague ? Je bug tandis qu'il se marre. Bouche bée, je le regarde retourner vaquer à ses occupations.

Je secoue la tête pour me sortir de cette scène hallucinante. Demi-tour sur moi-même, j'attrape la main de mon acolyte de ce soir. Je la presse doucement, sans forcer, et en lui laissant tout le loisir de se dégager s'il a besoin. - Tu te sens bien ? Je roule des yeux, agacée par ma propre capacité à parler plus vite que la musique. - Question con. Bouge pas, on va se sortir d'ici. J'ai un plan. J'ai toujours un plan. En revanche, ils sont très rarement conventionnels. Ils ont, de plus, la fâcheuse tendance à égratigner la dignité de ceux qui y participent. - ATTENTION ! LAISSEZ PASSER ! ALERTE AU VOMI ! JE RÉPÈTE : ALERTE AU VOMI ! Aux mines dégoûtées des danseurs autour de nous, je comprends que j'ai été entendu. Le mot devrait rapidement être donné aux autres. Se forme autour de nous un petit cercle de vide. Ce n'est pas grand chose, mais au moins, on peut avancer. - Tu veux sortir dehors ? Impossible de s'y tromper. Si c'est son choix, je l'accompagnerai sans me poser la moindre question. C'est que.... Je crois que je m'inquiète. Notre tristesse respective semble avoir tissé un pont entre nous. Peut-être qu'en arrêtant de nos concentrer sur nos différences, on a une chance de réussir à s'entendre.

@Cain Wilder

Ma plus grande hantise était de me retrouver coincé dans ma phobie dans un lieu public. Difficile de dire si c’étaient ces mains sales posées sur moi ou l'odeur de l'alcool qui me paralysait. Alors que je m'amusais il y avait deux minutes, le monde semblait s'être mis sur pause et avoir basculé dans l'enfer. Je n'aimais pas qu'on me touche parce que j'avais le melon mais à cause de traumatisme de mes débuts en tant que mannequin. D'ordinaire, j'arrivais à prendre sur moi, à sourire comme si tout allait bien mais peut-être qu'actuellement l'alcool et mon état émotionnel ne me permettait pas d'avoir la force de combattre mon propre corps. Je pourrais facilement repousser l'homme ivre et m'enfuir en courant mais j'étais statufié. Ironiquement, c'était Riley qui avait sorti les griffes pour que l'homme me lâche. Elle avait essayé au début d'enlever ses mains de mes épaules mais l'une d'entre elle s'était raffermit me rendant encore plus blême. Il ne semblait manifestement pas comprendre que le problème c'était lui.

- Lâche-moi...

J'avais réussi à dire quelque chose avec la musique et ma voix était sorti tellement basse que cet abruti n'avait pas dû m'entendre. Une longue chevelure était apparue devant moi, me bloquant la vue et la voix forte de Riley s'était fait entendre, repoussant l'homme qui n'avait pas eu d'autre choix que d'enfin me lâcher. Une vague de soulagement avait traversé mon corps et j'étais à deux doigt de m'écrouler sur le sol mais réussissait à rester debout.

- Pas vraiment non...

Je répondais tout de même à sa question. Je n'avais qu'une envie s'était de m'enfermer quelque part, seul et d'oublier ce qui venait de se passer. Ou de prendre un bain et frotter jusqu'à ce que je me sente mieux.

- Un plan...?

Je n'avais pas eu le temps d'avoir de plus ample information que Riley s'était mise à crier comme un putois. J'avais écarquillé les yeux en entendant ses paroles. La honte. Je n'avais pas envie de vomir en plus. Je me sentais nauséeux, un peu, mais rien qu'un bon bol d'air frais ne pouvait pas régler.

- Oui sortons d'ici

Je ne sais pas si elle me suit, mais moi je me dirige vers la sortie, ignorant les regards posés sur moi même s’ils me rendent mal à l'aise à cause de mon état. Comme pour me protéger, je serrai mes bras contre moi, tête basse et franchissais la porte rapidement. Le soleil venait m'éblouir et je remettais mes lunettes de soleil sur mon nez avant de tituber jusqu'à un banc pour m'écrouler dessus.

- Ca va aller Cain...Ça va aller...

Je tentais de me rassurer moi-même. Il n'y avait plus personne, plus de musique, seulement le bruit de fond de la rue.

Décidément, quelle soirée ! Je me retrouve à jouer les gardes du corps de notre starlette internationale, écartant bien les bras pour lui ouvrir une voie royale vers la sortie. Pour un peu, je pourrais distribuer des balayettes ou des coups de boule. Franchement, j’ai peur de rien ! L’alcool me donne des ailes, attisant mon naturel totalement inconscient. Avant de partir, je récupère une bière, laissée seule sur une table. Je n’ai pas le TEMPS de demander l’autorisation pour la chiper, je dois suivre Caïn dehors et vérifier qu’il ne fait pas n’importe quoi.

Du genre se jeter sur un banc en se parlant à lui-même. Mon cœur se serre un peu trop fort. Je sens les larmes me monter aux yeux, sans bien pouvoir expliquer pourquoi j’éprouve soudainement une telle empathie à l’égard de ce mec. Dans une tentative, un soupçon désespérée, je roule des yeux vers le ciel. - Tout ça pour ne pas te prendre une branlée aux fléchettes. T’es vraiment pas croyable ! Mon pseudo-sermon se solde par un rire léger, auquel même moi, je ne crois pas. Enfin si ! Disons simplement que je fais partie de ces êtres capables de rire aux éclats en pleurant de tristesse.

D’une bière, j'avale le contenu de ma pinte. La seconde d’après je suis accroupie à côté de la tête de mon acolyte de désespoir. Un peu de courage ! Après tout, ne dit-on pas qu’à cœur brisé, rien d’impossible ? Non ? Je viens de modifier la maxime pour qu’elle aille dans mon sens ? Très bien. Je préfère largement ma version de toute façon.

Pendant quelques secondes, je le fixe de mes grands yeux délavés, sans prononcer le moindre mot. Je ne peux pas lui dire que je comprends ce qu’il traverse parce que je ne sais rien des raisons pour lesquelles il se sent aussi mal. J’ai bien l’impression qu’Eden n’est pas le seul responsable de son mal-être. Je n’ai pas envie de lui mentir. En revanche, je peux lui proposer ma compassion. J’accepte ses réactions, sans remettre en question leur légitimité. S’il est allongé sur ce banc à la con, au beau milieu de la rue, c’est qu’il a mal. Sa souffrance n’a pas à être sujet de discussion. Je finis par tendre la main vers ses cheveux. J'ai la présence d'esprit d'arrêter mon geste avant de le toucher. Au lieu de ça, je lui tends mes deux mains. - Allez viens, je te ramène chez toi. À pieds, évidemment. Marche me fera dessouler. Puis vu ce qu'il pèse, je suis sûre que je peux le porter sur le dos. Ça se tente.

Avec un naturel confondant, je lui propose mon aide pour se relever, au risque de me retrouver le cul par terre. - T’es pas obligé de me raconter si tu n'as pas envie, fais-je en haussant les épaules. - Dis-toi juste que je suis la dernière personne sur cette planète à pouvoir te juger. Il suffit de me regarder pour le comprendre. Décalée. Weird. Pas vraiment dans les normes de l'époque. J’espère juste que si, à mon tour, je me mets à chialer, il fera comme s’il ne le remarquait pas. - Il est où ton royaume princesse ? Je l’interroge en gloussant comme une idiote totalement ivre. - Tu sais que j’aurais totalement pu lui péter le nez à ce mec ? Et t’as vu ce qu’il a fait ? Il m’a tapoté la tête comme si j’étais un animal de compagnie ! Je me sens …. Pas du tout respectée ! Mon ton s’inscrit dans une volonté de dédramatiser. J’essaie de tuer toute forme de malaise dans l'œuf, me ridiculisant au passage. Sauf que moi, ce n’est pas grave. J’ai l’habitude d’endosser ce rôle. À condition que ça puisse aider Caïn à se sentir un peu mieux et à accepter ma présence.

Quitte à se sentir seul au monde, autant le faire à deux ?

@Cain Wilder

Riley pouvait bien penser ce qu'elle voulait, c'était bien le dernier de mes soucis actuellement. Je n'avais pas la foi de rétorquer quoique ce soit. Je me sentais tellement pitoyable sur ce banc, que j'avais envie de devenir invisible et qu'on m'oublie. Pour un temps, simplement être avec moi-même et surpasser le mal être que j'étais en train de vivre. La présence de la grosse main se faisait encore sentir sur mon épaule alors que son propriétaire n'était pas dans les environs. J'essayais de me calmer, de raisonner logiquement. Tout allait bien. Ce n'était rien. Cette boule dans ma gorge ne voulait toutefois pas disparaître. J'apercevais du mouvement du coin de l'œil. Surpris que Riley soit toujours là. Je me serai attendu à ce qu'elle se soit barré en me laissant sur ce banc. Je l'avais manifestement mal jugé. Dans un soupir, j'attrapais l'une de ses mains tendues pour me relever. La tête basculant un peu sur le côté avant de la secouer pour me réveiller. Non, je n'avais pas vraiment envie d'en parler, encore moins à elle. Pourquoi je lui confierai ce genre de choses ? Quand bien même elle affirmait ne pas être en mesure de me juger, tout le monde le faisait. Même si peu de personnes étaient en réalité au courant de la raison de la réaction que je venais d'avoir. Elle devait certainement se demander d'ailleurs ce qui m'avais pris dans ce bar. Être paralysé simplement parce qu'un mec m'avait touché l'épaule. Rien que d'y repenser j'en avais des frissons d'angoisses.

- Tu dois surement le savoir mais le monde dans lequel je suis n'est pas remplis que de strass et de paillettes...

Commençais-je en imaginant que Riley n'était pas si naïve au point de croire que le showbizz c'était le royaume des bisounours avec des licornes. Plus personne ne le croyait d'ailleurs avec tous les scandales qui éclataient. Ce que moi j'ignorais en acceptant d'être mannequin, bien loin de me douter que j'avais signé pour l'enfer.

- Il y a plus de dix ans, j'ai commencé ma carrière en tant que mannequin. Je pensais que c'était cool, que je pourrais m'en sortir comme ça...Mais j'étais loin de me douter qu'il y avait des pervers...

Ma voix s'était faite de plus en plus basse, un peu honteux surement de ce côté-là de ma vie. Une porte qui s'était ouverte en pensant que cela serait le commencement d'une vie bien meilleure que celle d'avant.

- Le plus injuste c'est...surtout quand on m'a répondu que je devais exagérer, que c'était mon imagination...Alors je me suis tue...J'ai laissé faire jusqu'à ce que j’aie assez de notoriété pour pouvoir être exigeant. Et tu sais le plus drôle ? L'un de mes anciens managers s'est fait virer après avoir frappé un photographe qui avait voulu m'embrasser...

Je ne riais pas vraiment en disant cela. Je me sentais coupable d'ailleurs qu'il ait perdu son travail à cause de moi. Assez bête pour croire que c'était ma faute à l'époque alors que c'était celle de ce photographe et du directeur de l'agence. De l'argent distribué, pas de scandale. Et moi...et bien assez con pour rester après m'avoir promis que ça ne se reproduira plus. Ce qui avait été le cas. Le mot d'ordre avait été donné mais il était trop tard pour mon haptophobie.

- Dans le quartier Ouest, près de la plage...

Elle comptait y aller à pied ? Ma motivation était proche de zéro.

- J'imagine que tu ne dois pas faire peur lorsque tu es en colère

Rétorquais-je en haussant les épaules. Même si ce type était simplement trop bourré et il valait mieux un tapotement sur la tête qu'un coup de poing.

Oui ! Caïn est debout ! Je considère que c’est une victoire en soi, moi ! Je grimace à la mention du strass et des paillettes parce qu’en réalité, je n’ai jamais imaginé quelque chose de pareil. Enfin, si peut-être quand j’étais encore une petite fille. Puis, il y a Eden. Je sais à quel point le star système lui a fait du mal, à lui aussi. En revanche, je suis à des années-lumière de la réalité, concernant le mannequin. Un frisson désagréable me glace la colonne au mot “pervers”.

Un vent de révolte gronde dans mon ventre en apprenant que son entourage a minimisé son expérience. Pourquoi fait-il toujours remettre en cause la parole des victimes ? Pourquoi, dès que les faits s’avèrent profondément dérangeants, les gens préfèrent étouffer les affaires et nier la réalité. Je déteste ça. J’ai une sainte horreur de l’injustice ! Tout sourire déserte temporairement mon visage. Les sourcils froncés, je réfléchis au moins trois secondes… Je relève les yeux vers l’homme qui m’accompagne. - Moi, je te crois. Je ne demande ni explication ni grande révélation. J’arrive sans doute bien trop tard pour avoir le moindre impact mais, je ne sais pas. Sur le moment, ça m’a paru important qu’il le sache. D’une certaine manière, il vient de me confier l’une de ses plus grandes blessures. Assez grande pour avoir forgé une partie de sa personnalité : son exigence. - Ils n'avaient pas le droit de te faire ça. J’imagine qu’il le sait… J’espère qu’il le sait.  - Puis le virer alors qu’il t’avait défendu… C’est dégueulasse.

Une drôle d’impression flotte entre nous deux.

Je la chasse à grand renfort d’auto-dérision, fidèle à moi-même. Même si je ne veux pas manquer de respect à ses confidences, je ne veux pas non plus qu’il se sente “mal”. Alors, évidemment… Je fais le clown. - Je peux être SUPER effrayante ! rétorqué-je en marchant à reculons devant lui. - Attends, Wilder, mate-moi ces biceps ! Fais-je en bandant les muscles de mes bras, façon culturiste. Mon rire se perd dans l’obscurité. Il monte jusqu’aux étoiles. - Sache que je lui aurais quand même péter le nez ! J’ai…. Ma voix traîne en longueur. Tout cet alcool ingurgité est encore en train de me monter au cerveau. - Je ne sais pas comment l’expliquer, c’est juste que… Je déteste l’injustice et les gros cons qui ne font pas attention aux autres. Ou à la planète !  L’ivresse me donne le courage de verbaliser les choses. - T’avais pas l’air bien, il était pas question de te laisser tomber. Je suis pas une lâcheuse ! J’aurais pu lui grimper sur le dos et écraser les yeux, et…. J’en sais rien, fais un truc ! Sûrement un truc très idiot et inattendu. - Ce soir, considère-moi comme ton garde du corps !

Je ricane en sortant mon téléphone de ma poche. - T’aimes quoi comme musique ? Impossible pour moi d’envisager de marcher sans un minimum d’accompagnement sonore. Aux premières notes, je me mets à danser en avançant. Je virevolte autour de Caïn en nous faisant avancer. J’ai l’habitude de sillonner la ville. À pied, en vélo, en roller, qu’importe ! - Tu sais ce que me disait ma grande mère ? Je laisse planer un tout petit silence. - Quand on avance pas, on recule ! Tu devrais laisser personne te faire reculer non plus….

@Cain Wilder

Je ne savais pas pourquoi je m'étais confié sur une période de ma vie à cette fille. Comme quoi, je n'étais vraiment pas dans mon élément pour le montrer aussi ouvert avec elle alors que c'était bien la dernière personne à qui je parlerai de ce genre de chose. Mais entre la disparition d'Eden et ce qui s'était produit dans le bar, j'avais vraiment touché le fond finalement. Au moins Riley m'avait aidé à sortir de ce bourbier même si je ne me sentais pas au meilleur de ma forme, j'avais le sentiment d'être moins oppressé. Il y avait moins de monde autour de moi et la musique ne me tapait plus dans les oreilles. Cependant, un souvenir ne pouvait pas s'évaporer aussi facilement, peu importe s'il datait d'hier ou de quelques années. Même si ce n'était plus d'actualité, que le mal avait été fait. Les paroles de Riley m'avais fait afficher un sourire reconnaissant. Je pensais que plus ne pas me croire, c'était surtout qu'à l'époque ils se mettaient des œillères pour éviter les complications. Mais maintenant, c'était plus difficile de faire ce genre de choses avec les réseaux sociaux et les nombreux hashtags qui surgissaient.

- J'étais furieux aussi et j'ai voulu rompre mon contrat mais il m'a dit de ne pas le faire. Que ca serait difficile pour moi de retrouver une agence alors que lui pouvait facilement le faire.

Je ne savais pas ce qu'il était devenu par la suite d'ailleurs. On avait gardé contact quelques temps mais ensuite tout s'était accéléré pour moi et je n'avais plus vraiment eu de temps à consacrer à ma vie privée. J'espérais qu'où qu'il soit cela se passait bien pour lui. Cette situation m’avait poussé à me forger un caractère plus dur et par la suite, je n'avais pas hésité à m'imposer afin que mon ancien manager ne soit pas partie pour rien. Ses remplaçants ne tenaient pas longtemps face à moi jusqu'à ce que Hyun-Jin arrive. Et voilà sept ans maintenant qu'il me supportait. L'inverse était aussi valable cela dit.

Riley avait ensuite abordé avec auto-dérision ce qui s'était passé avec le mec bourré dans le bar. Imaginant sans mal la jeune femme essayer de mettre à terre l'homme qui devait certainement faire le double de son poids. Ou peut-être que la peur et l'alcool avaient un peu déformer la réalité physique de ce type.

- Tu es super effrayante déjà...Mais pas physiquement

Rétorquais-je avec un léger sourire taquin. Dans un autre temps je la trouverai soulante mais son caractère me faisait du bien actuellement. Je comprenais pourquoi Eden l'appréciait, elle avait le don de trouver des idées pour chasser la mauvaise humeur. Malgré qu’elle ne soit pas dans un bon mood elle aussi.

- Je pense pas qu'il ait fait exprès, il avait l'air surtout bourré et...je crois qu'il a d'ailleurs remarqué que je me sentais pas bien

Un souvenir flou de ce moment-là était apparu dans mon esprit, qui s'était égaré ailleurs à cause de mon malaise.

- Hum...Tu aurais été plus efficace que les gardes du corps que j'avais en Corée du Sud c'est certains ! Tu aurais fait fuir la foule en un rien de temps

Ce n'était pas de la moquerie. Souvent les gardes du corps se contentaient uniquement de faire bouclier alors que je voyais très bien Riley agiter les bras dans tous les sens et insulter tout le monde.

- Merci pour ton aide en tous les cas...

C'était sans nulle doute une soirée à marquer avec croix bien rouge. Ce n'était pas tous les jours qu'on arrivait à s'entendre ainsi.

- Je n'ai pas vraiment de genre particulier, c'est surtout selon mon humeur alors en ce moment...Je suis en mode ballade hyper triste

Il y avait évidemment différente ballade, elle pouvait être pop ou rock. C'était surtout les paroles et la mélodie qui m'accompagnait dans ma dépression. Riley avait ensuite mis une musique, dansant autour de moi. Pas de doute, elle était vraiment dingue.

- Des fois c'est fatiguant de lutter pour avancer tu sais

Comme maintenant, quand la personne qui comptait pour soi disparaissait sans aucun mot. Ça ne datait pas d'hier et pourtant je ne pouvais pas empêcher mon cœur de saigner comme un idiot.

Je m’arrête finalement pour le regarder, plus touchée que je ne saurais le dire par ce qu’il vient de me dire. Index, dressé en l’air, je fais semblant de lui révéler la clé du mystère. - Le secret, c’est de ne pas s’arrêter. Jamais. Je lui livre ma recette en souriant même si je suis parfaitement consciente que ce n’est pas sain. Ne lui ai je pas déjà dit tout à l’heure ? Si je cesse d’avancer, j’ai bien trop peur que mes propres émotions m’avalent toute entière. J’ai dans la tête, cette image traumatisante d’une épaisse fumée noire se refermant autour de moi, ne laissant que l’oubli. Le noir complet. Un cauchemar. Tout en marchant sur le rythme de High Hopes de Kodaline, je poursuis :

- Je sais pas si je peux vraiment comprendre parce que moi… C’est l’immobilité qui me fait flipper, j’aurais l’impression d’être en train de mourir doucement ou que quelque chose finisse par me bloquer les jambes et me forcer à rester tranquille. Il faudrait qu’on vérifie de toute urgence l’alignement des planètes, car, de mémoire d’homme, me voir parler aussi librement n’arrive que tous les 156 mois, environ. Je déteste m’étaler. J’ai toujours l’impression de me plaindre et d’être renvoyée à l’année de mes douze ans. D’ailleurs, je m’empresse de retrouver le terrain familier de l’auto-dérision. - Ceci dit, je ne manquerais sûrement pas à grand monde, admets-je dans un piaffement hilare. Ma solitude m’éclate en plein visage mais je lui ris au nez. Je préfère secouer la tête pour la chasser de mes pensées. Je multiplie les connaissances et les potes de soirée, mais au fond, combien j’ai de vrais amis ? Pas beaucoup. Par contre, chacun d'entre eux me paraît exceptionnel et unique.

Au bout de quelques mètres, je m’arrête une seconde. Dans mon esprit embrumé par l’alcool, je distingue un lien à faire entre le fait qu’il s’alimente mal, sa dépression et son air tout triste quand il n’est pas en colère. Je sais que je suis à deux doigts de comprendre quelque chose d’essentiel sur Caïn, et pourtant, ça continue de m’échapper. Je crois que je finis par m’embrouiller en lui parlant :  - Quand mes parents sont morts, tout le monde me traitait comme une petite chose fragile. On m’a balancé chez ma grand-mère, dans cette toute petite ville baptisée le trou-du-cul du monde. J’avais beau ne connaître personne, ils me regardaient tous. Ils surveillaient le moindre de mes faits et gestes, comme s’ils s’attendaient à ce que je craque. Aujourd’hui, je sais bien qu’ils s’inquiétaient juste par compassion, bienveillance, ou un truc dans le genre, mais moi, je supportais plus leur pitié. J’étais en colère. C’est là que j’ai rencontré Eden ! À une époque où son petit nombril comptait plus que le reste du monde. - Il m’a jamais traité comme une victime ni une ratée, ni une pestiférée. Je crois qu’il s’est juste foutu de moi et qu’on s’est mis à rire…. La nostalgie s’invite sous mes paupières. Sans lui, et sans ma grand-mère, j’aurais fini par exploser. Dévorée par les flammes de ma propre colère. Brrrr. Pas très engageant comme façon de finir son existence. - Rire, ça sauve des vies. Y’a pas des trucs qui te font rire ? Je n’ai pas seulement l’air concerné. Ce soir, j’ai vraiment envie de soutenir notre dramaqueen coréenne, même si je sais bien qu’il y a de grandes chances pour que demain, chacun reprenne son chemin en s’ignorant copieusement. Si j'arrive à lui arracher, ne serait-ce qu'un sourire, toute cette soirée trouvera un sens particulier.

- Attends, c’est pas du tout de ça qu’on parlait, non ? Nouvelle volte face, je danse à moitié en reculant pour passer derrière Caïn. Mon énergie s’inscrit à contre-courant de la musique dans nos oreilles. - Tu veux que je te pousse pour aller plus vite ? Je hausse les sourcils plusieurs fois, me fichant bien d’avoir l’air timbré. Sans un vent de folie, la vie serait trop à chier. Je m’ennuierais, sans conteste. Je fais mine de plaquer mes mains sur ses omoplates sans jamais le toucher. - Attends, viens, j’ai une meilleure idée ! Je peux aussi te porter sur mon dos ! Je suis plus musclée que j'en ai l'air, fais-moi confiance !Mon rire zèbre la nuit. - Ou alors je nous trouve un vélo et tu te cales le cul sur le guidon. Je suis une experte !  T’auras aucun effort à fournir, juste à te laisser promener. Qu'il choisisse l'idée qui lui plaît le plus, je m'engage à aller au bout de sa réalisation.

@Cain Wilder

Je n'étais pas surpris parce que venait de me dire Riley concernant sa peur d'être immobile. Elle n'avait jamais cessé de gesticuler dans tous les sens depuis que je la connaissais. La qualifiant même comme étant une personne hyperactive en plus d'être chiante. Cette crainte expliquait toutefois son comportement agité. Bien loin du mien qui était calme et posé. Je me rendais compte qu'Eden était aussi similaire à la jeune femme même si il était un peu moins...fou. Ce n'était donc pas étonnant qu'ils se soient trouvés tous les deux, au moins pour une relation amicale fusionnelle. Même si c'était bien plus que cela du côté de Riley. Je m'étais toujours demandé si mon ex disparu avait tilté ou non sur les sentiments de sa meilleure amie. Etant donné que ce n’étaient pas mes oignons, je n'avais jamais mis les pieds là-dedans.

- Ce n'est pas la quantité qui compte mais la qualité. Tu peux te dire que tu as des tas d'amis mais finalement il n'y aura que trois personnes qui se pointeraient à ton enterrement. Et c'est trois personnes, ce sont celles à qui tu manqueras...Qui viendras si je disparais moi aussi ? Mon manager ? Et encore ce n’est même pas sûr. Il sera surement ravi d'avoir enfin la paix...Et Eden s'étant barré sans prévenir, je doute qu'il tenait à moi du coup.

C'était en faisant ce genre d'énumération que je me rendais compte qu'au final il n’y avait presque personne pour me pleurer. Cassiopéa évidemment, c'était ma meilleure amie ainsi que Paul. Au moins je n'allai pas coûter cher.

Riley s'était soudainement arrêté et j'avais fait de même. Me demandant ce qu'elle avait, et m'attendant à la voir déclarer qu'elle avait envie de vomir par exemple. Après tout ce qu'elle avait bu. Je n'étais pas non plus dans un état sobre et mes jambes ressemblaient à du coton. J'étais donc loin de prévoir que la miss allait me raconter sa vie privée. Une vie à laquelle je ne m'étais jamais intéressé vu que j'avais toujours trouvé Riley insignifiante. Comme un moustique qu'on rêvait d'écraser.

- J'ignorais que...tu avais perdu tes parents

Je ne savais pas pourquoi, je me sentais mal tout d'un coup. Je n'avais jamais connu mes parents biologiques alors on ne pouvait pas vraiment dire que j'étais orphelins. Même si la famille qui m'avait adopté était très loin d'avoir été présente pour moi. Et je ne les avais d'ailleurs jamais qualifié émotionnellement comme telle.

- Je vois ce que tu veux dire...Mais tu n'étais pas seule. Tu avais ta grand-mère et même si la présence des autres autour de toi t'avais paru suffocante. Ce n'était seulement que pour veiller sur toi...

J'aurai aimé pouvoir en dire de même pour moi. Mais avant de partir pour Séoul, je n'avais jamais eu des personnes comme ça. J'avais dû faire avec et m'occuper de moi. Même mes camarades à l'école avaient été dur avec moi parce que j'étais un enfant adopté mais aussi à cause de mes origines. J'avais abandonné l'école pour la faire tout seul. Mes parents adoptifs avaient accepté toutefois de me payer un tuteur. Surement le seul quand j'y pensais à m'avoir encouragé durant toutes ces années. Une larme avait coulé sur ma joue que je m'étais empressé d'essuyer.

- Je ne sais pas vraiment là comme ça...Une bonne comédie peut-être

Je n'étais aussi déluré que Riley qui devait rire à ses propres bêtises ou à celle des autres.

- Je risque de tomber si tu me pousses, je tiens à peine sur mes jambes

Soufflais-je avec un demi-sourire. La route jusqu'à ma maison allait être longue. Il était toutefois hors de question de monter sur son dos. Je n'étais pas lourd mais on n'était pas devenu aussi intime que cela. Sa deuxième idée me semblait plus appréciable et cela faisait bien longtemps que je n'étais pas monté sur un vélo. Le nombre de chutes que j'avais faites lorsque j'étais enfant étaient assez impressionnantes.

- Un vélo me semble plus sûr...Quoique...je ne sais pas vraiment si tu es en état de pédaler

Déclarais-je en lui faisant une pichenette sur le front. Si à cause d'elle je finissais avec un membre cassé en prime de ma dépression, ça n'allait pas arranger mon état.

- Moi, je viendrais ! L’ivresse me donne des ailes. J’affirme avant même d’avoir réfléchi à ce que je suis en train de raconter, uniquement guidée par mon bon cœur et ma compassion. Je refuse que Caïn soit seul le jour de son enterrement ? Je ne peux pas dire qu’il me manquerait, mais… Non, ce serait vraiment trop injuste qu’il meurt, et en plus que personne ne pleure sa disparition. Je me surprends à espérer qu’il se trompe, que les lunettes de sa déprime lui font voir les choses plus tristement qu’elles ne le sont en réalité. Contre toute attente, je me confie sur l’une des périodes les plus difficiles de ma vie. Par pudeur ou par gêne, je ne sais pas trop, je grimace en haussant les épaules. - C’était il y a longtemps et je n’en parle jamais, t’inquiète !  Je me recentre sur notre conversation. Mon esprit bondit d’idée en idée. Même moi, j’ai du mal à suivre le fil des connexions qu’il fait. - Je suis sûre que je peux te trouver ça ! C’est même en passe de devenir mon nouvel objectif pour la soirée. - Tu crois qu’il y a encore des cinémas d'ouvert ? Dommage que le streaming est tué les vidéoclubs Je fronce le nez en regardant les étoiles, cherchant la réponse au milieu de la voûte céleste. Vu comment ça brille là-haut, il doit être au moins… 1h du matin ? C’est raté pour le cinoche-pop-corn bien calé dans un siège rouge.

J’enchaîne sans complexe, poussée par ma volonté d’avancer, encore et toujours, quoi qu’il en coûte. Sa boutade me tire un rire. - Ah non ! Tu te casses pas la gueule ! Je serais une infirmière horrible. Tu te retrouverais avec ce truc orange sur le nez, au lieu d’en avoir sur ton égratignure ! L’idée me fait marrer. Surtout qu'en réalité, je me débrouille pas si mal question bobologie. Il faut au moins ça vu le nombre de risque pris quotidiennement par ma petite personne survoltée. Caïn finit par opter pour l’une de mes solutions. Je marche à reculons pour le défier de regard. - Alors là, mon petit chat, tu sais pas à QUI tu t’adresses. Je pourrais pédaler les yeux fermés ! Bouge pas ! Je sors mon téléphone de ma poche et entame une observation minutieuse de notre environnement. Je trouve suffisamment de points de repère pour savoir dans quelle rue exactement, nous nous trouvons. Une fois que c’est fait, je tire le jeune homme par le coude. - Viens ! Suis moi ! J’ai un rire au fond de la gorge. Je cours presque en m’enfonçant dans une des petites rues adjacentes. - J’ai une pote qui habite dans le coin. Je lui ramènerais la bête demain matin avec de quoi lui faire le petit dej, elle pourra pas m’en vouloir ! Près du garage à vélo, je m’accroupis pour déverrouiller l’antivol. - Elle m’a donné son code, il y a quelques semaines, quand je devais faire réparer mon vélo. Elle s’en sert surtout le week-end. Hum… Pourquoi je lui raconte ça moi ? À mon avis il s’en fout.

J’extirpe la bête de son enclos de métal et le positionne sur la route. Béquille enclenchée, je présente à mon compagnon de route, notre véhicule. - Taxi Riley, à votre service ! Je me fends d’une révérence lourdement exagérée. Quand je me relève, un immense sourire me barre le visage. - Grimpe princesse, je te ramène dans ton château. Si tu te sens pas de faire le guide, je te laisse la selle, je pédalerais debout. En plus, c'est une selle tout confort, le truc qui te masse limite les fesses au passage. C’est beaucoup plus crevant et il sera sûrement obligé de s’accrocher à moi, mais en soi, ça ne me dérange pas du tout. J’peux encaisser. Je me sens invincible.

Une fois partis, je me montre étonnamment prudente. Enfin prudente selon moi. Et puis franchement ? On ne croise que quelques voitures ! J’aime bien traverser la ville dans ces circonstances. L’air nocturne me remet le cerveau à l'endroit. Mon taux d’alcoolémie redescend, mais moi, je ne suis pas certaine que ce soit une bonne chose. Je ne veux pas penser, putain. Je ne veux pas ressentir cette douleur, à chaque pulsation cardiaque. J’ai une plaie béante, pile au milieu du cœur. Sans que je ne m'en rende compte, les larmes commencent à couler le long de mes joues. J’ai beau essayer de les exorciser en riant, ça n’y fait rien. Je dois avoir l’air con, sur ce vélo, à conduire Caïn, alors que je pleure et que je ris en même temps. Je ressens tout. Trop fort. Tout le temps, c’est peut-être mon plus gros défaut.

Je finis par m’arrêter devant chez sa majesté Coréenne. La béquille installée, je descends souplement, dans un saut qui n’est pas sans rappeler celui des petits rats de l’opéra. Les deux pieds bien au sol, je renifle un bon coup. - Vous voilà arrivé à destination, Monsieur Wilder ! Même moi, ma voix me paraît trop enjouée. Je secoue la tête de droite à gauche, peu disposée à me préoccuper de ce que je ressens. - Attends, je te fais ta prescription : petite soupe, épicée de préférence et tu te lances une comédie avant d’aller dormir, d’accord ? Je crois qu’ils passent des stand-up en continu sur une des chaînes du câble aussi. Bref, tu promets ? Je lui tends très sérieusement mon auriculaire en signe d'engagement. - Sache que je vois tout, j'entends tout et je sais tout, donc.... Si tu trahis ta parole, je viendrais moi-même te faire à manger ! Au fond de mon regard, c'est un tout autre type de promesse qui luit. On va s'en sortir, hein ? Même si on ne sait pas trop comment s'y prendre pour le moment, nous allons y arriver.

Moi, je te laisserais pas tomber.

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