Dernier coup d’archet, la fin du concert arrivait. Le rideau ne tarderait pas à se refermer. Les applaudissements laissaient peu à peu place au silence. L’obscurité puis la lumière bien plus vive m’indiquait la fin de la représentation. J’aimais la musique, mais je devais admettre que l’heure tardive éveillait en moi l’envie de rentrer. Retrouver Jey, lui raconter brièvement la soirée avant de pouvoir m’octroyer un peu de repas à ses côtés. Bien que pressée de rentrer, je prenais le temps de troquer mes vêtements de scène contre une tenue bien plus confortable. Une robe de soirée noire avait tendance à attirer l’œil et attirer l’attention, ce n’était pas vraiment mon truc. Si j’avais attendu le bus quelques minutes, l’air frais me faisait du bien, j’optais donc pour rentrer à pied. Après tout, le trajet n’était pas si long et je le faisais assez facilement, connaissant à présent par cœur le chemin qui menait à ce qui était encore tout fraîchement notre chez nous. Ravie de rentrer, j’insérais la clé dans la serrure pour déverrouiller la porte. Machinalement, je déposais l’étui de mon violon dans l’entrée, à la place que je lui avais attribuée. Si je m’attendais à retrouver Jey dans le salon, la lumière de la cuisine venait immédiatement remplacer l’obscurité habituelle de la pièce à cette heure tardive. « Salut ! », lançais-je avec enthousiasme un sourire radieux aux lèvres, je n’avais qu’une hâte, me blottir dans les bras de mon petit ami, ce qui avait tendance à instantanément m’aider à recharger les batteries. Pourtant, en me retournant, je ressentais une drôle de sensation. Comme une tension ambiance dont la jambe tremblante de Jey donnait le tempo. Mes sourcils se fronçaient légèrement en réaction à ce sentiment qui me prenait au dépourvu. Retirant ma veste pour libérer un peu mes épaules qui me semblaient tout à coup très chargées, je levais mon regard vers Jey. Guider par le grincement de la chaise sous le mouvement frénétique de sa jambe. « Est-ce que tout va bien ? », demandais-je en avançant d’un pas. Ma main venait se poser sur le haut de la table de la cuisine. Question rhétorique, je pouvais le sentir à des kilomètres : non, quelque chose n’allait pas. Ne sachant pas encore ce qu’il se passait, j’avançais à nouveau d’un pas, glissant ma main sur l’arête de la table à la recherche d’un contact. J’ignorais ce qui se passait, mais je détestais ce que je ressentais à cet instant. Cette intuition, cette tension dans l’atmosphère. « Jey ? », insistais-je avec beaucoup de douceur dans la voix face à ce silence pesant qui régnait dans la pièce. Qu’est-ce qui pouvait bien le mettre dans cet état ? Est-ce qu’il y avait un problème avec Ashe ? Ou bien était-ce son job ? J’étais à mille lieux de m’imaginer ce qu’il s’apprêtait à m’annoncer. Et, à cet instant, je n’avais qu’une envie, le prendre de mes bras pour lui montrer que j’étais là et que, quoi qu’il se passe, je serais là pour le soutenir. Pourtant, dans ma course le long de l’arête de la table, je ne trouvais aucune main. Aucun contact. Rien. Mon cœur se serrait légèrement dans ma poitrine et l’incompréhension faisait vagabonder mon regard ici et là comme si je cherchais quelque chose à quoi me raccrocher…

Comment l’annoncer ? C’était la question qui le taraudé toute la nuit. 2 jours plus tôt, Jey avait commit l’irréparable. Lui qui était droit, plutôt stricte même sur tout ce qui s’assimilait au respect. Cette même personne qui avait été trop loin avec une femme qui n’était pas sienne. Il se sentait mal. Il avait raison, il n’était rien d’autre qu’un sale type. Ironique de mépriser autant les personnes de ce genre pour le devenir par la suite. Il s’en voulait, tellement. Mais il ne pouvait pas mentir, il ne voulait pas. Il se devait d’assumer. Rien que l’idée lui donnait des frisons dans le dos. Mais il le devait, il lui devait au moins ça. Pourtant tout allait bien dans son couple. Albane était la copine parfaite, mignonne, attentionnée. C’était une crème. Pourtant le rouquin avait réussi un moyen de tout faire voler. L’habitude de tout foirer peut-être

Assis dans la salle, sur une chaise au hasard, seule une petite lumière venait le sortir des ténèbres. Il était silencieux, regardant le sol, imaginant les mots qui allait lui venir. Lorsque la porte s’ouvrait, son cœur s’arrêtait. C’était l’heure. Comment allait-elle réagir ? Qu’allait-elle penser de lui ? Tout. Et elle aurait bien raison. Il l’entendait s’approcher, sa présence venait faire revivre la maison. Mais cette soirée, aucun rire, aucun sourire ne sortait de l’homme. Albane commençait à s’inquiéter, et Jey ne voulait pas attendre. Cette envie de tout sortir, comme un feu qui le brûlait de l’intérieur. Ce n’était plus qu’une question de temps. Regard dans le vide, il se raclait la gorge, avant de commencer. « J’ai… J’ai fait une énorme connerie. » Il ne comptait pas mentir, ni changer la vérité. Il n’avait pas besoin d’entrer dans les détails, mais il n’allait pas essayer de minimiser les choses, ou de se faire passer pour une victime. Il devait assumer. Il savait qu’il perdrait Albane. Jey n’en disait pas plus pour le moment. Accusant le coup d’avoir dit à l’oral ce qu’il pensait depuis quelques jours. « Je sais pas ce qui m’a pris, je suis désolé. » Il avait les larmes aux yeux, la voix qui commençait à trembler. Parce que même s’il avait fauté, il l’aimait toujours. Ça lui brisait le cœur ce qu’il était en train de faire. Autant lui dire une chose aussi terrible que d’avoir à lui faire subir tout ça.

Si je m'attendais à ce que la tension déjà présente dans l’atmosphère se concrétise lorsqu’il prendrait enfin la parole, j’avais, je l’admets oser espérer qu’il me saluerait avant toute chose. À la place, je n’entendais qu’un raclement de gorge avant qu’il ne me réponde. Le ton qu’il employait était aussi froid que dramatique, comme s’il errait entre deux eaux. J’avais l’impression d’étouffer. Alors je retirais finalement ma veste après sa première déclaration, comme pour me débarrasser de cette sensation désagréable de manque d’air. Une énorme connerie, disait-il. Un tas de choses me venait à l’esprit, mais aucune d’entre elles n’étaient à la hauteur. “Hé …”, lançais-je avec beaucoup de douceur dans la voix. Une simple onomatopée, que j’aurais voulu poursuivre par une phrase plus construite, plus rassurante encore qu’une simple intonation dans la voix. Mais avant que je n’ai le temps de prononcer un mot de plus, le rouquin reprenait, ajoutant qu’il ne savait pas ce qui lui avait pris. Si je ne voulais pas le brusquer, je pouvais néanmoins sentir mon cœur frapper à grand coup contre ma poitrine. Est-ce qu’il avait quitté son emploi, renversé quelqu’un, insulté son patron ? Diverses idées qui me traversaient l’esprit et qui, au vu de son caractère pouvaient sembler insurmontables, mais qui, en réalité, ne l'étaient pas tant que ça. Mais j’étais à cet instant bien loin de la réalité. Bon dieu, de quoi il s’excusait au juste ? Avançant d’un pas, je saisissais la chaise sur laquelle je venais de déposer ma veste. La tirant légèrement, je m’installais dessus, à proximité de Jey. “Écoute, quoi qu’il t’arrive, on va traverser ça ensemble ok ?”, tentais-je avec un sourire triste dans la voix. J’essayais de lui montrer que j’étais là et que je n’avais aucune intention de le laisser tomber. Après tout, c’était ça aussi être un couple, c’était faire face ensemble non ? Bien que rêveuse et peut-être un peu idéaliste, la naïveté ne faisait normalement pas partie de la liste de mes traits de caractère. Et pourtant, j’allais apprendre à mes dépens, que si : j’étais naïve. Sentant bien que le rouquin n’avait aucune envie de contact, je joignais mes mains dans un geste d'auto contact que je voulais rassurant. Parce que, si lui n’en ressentait pas le besoin, il n’en était pas de même pour moi. Pinçant mes lèvres l’une contre l’autre face au lourd silence qui s’installait. “Tu veux boire quelque chose ? Ça t’aidera peut-être à te calmer.”, commençais-je non sans une certaine inquiétude dans la voix. “Demande-moi ce que tu veux, je te le prépare.”, ajoutais-je comme si me montrer dévoué pouvait soulager un peu cette voix remplie de larmes naissantes qui me brisait le cœur. “En suite, on en discutera. Je suis certaine qu’on va trouver une solution Jey.”, affirmais-je avec conviction sans même savoir de quoi il en retournait. Parce que oui, si je n’avais encore aucune idée de ce que mon petit ami avait sur le cœur, j’étais déjà prête à tout faire pour l’aider à surmonter ça. À tâtons, je venais déposer ma main sur sa cuisse, ne sachant pas vraiment saisir à cet instant où pouvait se trouver ses mains. “Dit moi de quoi t’as besoin Jey.”, soufflais-je presque suppliante. Je voulais sincèrement l’aider, l’épauler, mais tant qu’il ne me disait rien, je me sentais simplement démunie face à cette situation et à cette voix étouffée par une gorge nouée que j’avais appris à reconnaître avec le temps.

Il ne savait pas comment l’annoncer. Il sentait l’angoisse monter en lui, Jey sentait qu’il devait lui dire. Ce n’était plus possible autrement, elle ne méritait pas ça, certainement pas elle, Albane. Cette magnifique femme qui avait toujours été là pour lui, dans les pires moments comme dans les meilleurs. Elle était toujours à ses côtés et lui avait réussi à la remercier en lui plantant ce couteau dans le dos. Aussi ingrat qu’il était. Aussi peu reconnaissant. Il s’en voulait de l’avoir fait. Il aurait voulu que tout cela se passe autrement. Qu’il réussisse à trouver le courage pour faire les choses de la bonne des manières avant de d’ensuite faire ce qu’il voulait. Mais il avait fauté, il avait échoué et il ne pouvait s’en prendre qu’à lui même. Et maintenant, l’heure était venu d’accepter son sort. De comprendre la gravité de ses actions et de s’excuser. Sachant pertinemment qu’il ne mérite pas que ses paroles soient écoutées. Et encore moins acceptées.

Albane faisait du Albane tout craché. Elle était douce, elle pensait à Jey en premier, malgré ce qu’il avait fait. Elle ne le savait pas encore, mais elle se souciait encore de lui. Beaucoup trop mignonne, beaucoup trop pure pour ce monde. “Non Albane… Justement, je ne mérite pas tout ça… J’ai…” Il cherchait les mots, qui se perdaient, qui avaient tant de mal à monter, parcourir sa gorge pour venir sauter et exploser à son visage, comme une insulte en son nom. Parce que c’était le cas, c’était aussi simple que cela. Il avait insulté Albane, l’avait sali. Il baissait la tête, avant de reprendre à son tour. “Ce que j’ai besoin? D’arrêter d’être une merde, et de t’avouer l’impardonnable que j’ai commis Albane…” Il cherchait au sol le peu de courage qu’il avait, ce qu’il pouvait ramasser de l’estime qu’il avait détruit, de la confiance qu’il avait brisée, de tout ce passé qui venait s’effacer suite à cette bêtise. “Albane… J’ai… J’ai glissé, je ne sais pas ce qui m’a pris pendant cette soirée… Mais j’ai…” Elle avait très bien compris de quoi il parlait, de quel sujet l’homme évoquait. Il n’était pas encore bien clair dans ses paroles, mais malgré tout, il savait qu’elle avait compris. Il le savait au fond de lui. Sanglot qui commençait, il sentait son coeur s’arracher. Mais il l’avait mérité, il l’avait piétiné, c’était à son tour de sentir la douleur. “Je ne mériterais jamais ton pardon, mais je te le jure, je suis désolé, c’est… C’est minable, je suis minable. Désolé Albane…” Il n’arrivait plus à s’arrêter. Jey n’était pas comme ça pourtant, il n’était pas ce mec qui trompait, qui jouait les playboy, pourtant. C’était arrivé et il faisait face aux conséquences. C’était dur, mais il prenait la décision de l’annoncer, de lui dire dans les yeux sa boulette. C’était le premier pas vers quelque chose de meilleur, quelque chose de plus sain, si cela est possible.

Incapable de capter les expressions de son visage, son silence m’était insupportable. Alors je tentais de le briser, ce silence tellement pesant qu’il me paraissait écrasant. Fidèle à moi-même, j’essayais d’être douce, réconfortante et présente. Puis, lorsqu’il s’exprimait enfin, je regrettais soudainement le silence. Ma main reculait lorsqu’il prononçait le mot “non”. Je me sentais rejetée et je peinais à comprendre ce qui se passait. Comme perdue au milieu de cette situation inhabituelle, c'était à mon tour d’être silencieuse, cherchant désespérément à comprendre ce qui se passait. Mon visage s’inclinait légèrement sur le côté, et mes sourcils se fronçaient à ses mots. Plus il parlait et plus je me sentais perdue. “Mais ce n’est pas ce que tu ..”, commençais-je avant qu’il ne me coupe la parole en prononçant mon nom. Je ne comprendrais que dans la suite de sa phrase qu’il ne voulait certainement pas me laisser terminer. Il ne voulait pas de ma compassion ni de ma main tendue. Puis, tout s'éclaircissait soudainement, Jey n’était pas clair, certainement ronger par les souvenirs de cette soirée qu’il évoquait. Ma mâchoire se décrochait légèrement, bouche bée par ce que j’apprenais petit à petit. Un sourire nerveux venait étirer mes lèvres tandis que mes épaules s'affaissaient sous le poids de ses confidences. “Jey qu’est-ce que tu racontes ?”, soufflais-je la gorge nouée. À cet instant, je crois que je n’avais aucune envie de comprendre. À quelques jours prêts, on venait de terminer de vider mes cartons, on écrivait à peine les premières lignes de notre histoire commune. J’essayais d’être compatissante, de comprendre, j’essayais de toutes mes forces de me réveiller de ce qui s’apparentait de plus en plus à un cauchemar. Puis, il prenait la décision pour moi, affirmant qu’il ne méritait pas mon pardon avant de s’excuser malgré tout. La gorge nouée, je sentais mes yeux se remplir de larme et mon cœur se serrer dans ma poitrine, prêt à se briser en un million de morceaux. En maigre signe de défense, mes bras venaient se croiser sous ma poitrine, comme pour panser la plaie béante du couteau que j’avais l’impression qu’on venait de me planter dans l’estomac. Déglutissant tout en laissant mes larmes couler le long de mes joues dans un silence tout aussi pesant que le sien, mon regard vagabondait ici et là traduisant à quel point je ne comprenais pas la situation. Puis, finalement, une seule question me brûlait les lèvres. Pinçant mes lèvres l’une contre l’autre, en inspirant pour trouver un peu de courage, je me lançais finalement. “Mais enfin Jey pourquoi ?”, demandais-je la voix tremblante. Tiraillée entre ma douceur naturelle qui me poussait à ne pas perdre mes moyens et la colère qui, de pair avec la tristesse, me donnait envie de hurler. Essuyant mes joues avec le dos de ma main, je réitérais face à son silence. “Bon sang Jey pourquoi ? Qu’est-ce que je t’ai fait ? Je croyais qu’on s’aimait !”, lançais-je avec véhémence. J’étais incapable de comprendre et, en même temps, j’avais besoin de réponse. Ma main venait se glisser le long de mon front, tandis que mes larmes continuaient de perler le long de mes joues. Ma dernière remarque trahissait ma pureté et ma naïveté. Je ne pouvais pas le nier, j’aimais Jey, je l’aimais à cet instant comme je l’avais aimé le premier jour. Et finalement, c’était peut-être ça le problème, cette constance qui, les plus beaux romans nous l'ont appris, ne devrait pas être de la partie. Les sentiments, ne devraient-ils pas s’accroître un peu plus chaque jour ? Peut-être, ou peut-être que c’était propre à chacun après tout, les émotions sont un sujet si vaste. Mais à ce moment précis, je n’avais aucune envie de réfléchir à tout ça. Je voulais seulement une explication, je méritais au moins ça non ?