Vêtue d’un trench et de lunettes de soleil, tu traverses Monterey à pieds, ne supportant plus trop la voiture depuis ton accident de début d’année. Ton camouflage fonctionne, personne ne t’arrête dans la rue pour un autographe ou une selfie. A moins que ce ne soit tout simplement parce que personne ne te reconnaît plus... En tout cas, tu arrives sans encombre à ta destination, le bar des Hayes. Tu restes un moment devant celui-ci, hésitant à entrer, toujours incertaine du bien-fondé de ta démarche... Ton séjour à Monterey est en train de prendre un caractère un peu moins temporaire que prévu, t’obligeant à te confronter à certains éléments de ton passé. Revoir Miles a été un gros choc faisant remonter tes remords à la surface. Tu avais très mal géré votre divorce, laissant de plus des dommages collatéraux dans le sillage de ce désastre. Aujourd’hui, tu avais envie de présenter des excuses, d’essayer de réparer un peu les dégâts même s’il était sans doute trop tard. Il y a une personne à qui tu as envie de parler en particulier. Sebastian, le père de Miles. Sebastian qui t’avait accueillie dans la famille à bras ouverts, te traitant comme sa fille, t’offrant une affection sincère, à la différence de ton propre père... Sebastian qui t’avait toujours fait te sentir à l’aise, qui avait toujours un mot gentil pour toi. Sebastian qui n’avait pas dû comprendre ta brutale défection, qui n’avait pas dû comprendre pourquoi tu avais brisé le cœur de son fils si froidement, qui n’avait pas dû comprendre pourquoi tu avais coupé les ponts si brutalement avec tout le monde. Sebastian qui devait tout simplement de détester. Mais tu lui devais au moins de faire le premier pas... Après une profonde inspiration, tu pousses donc la porte du bar, espérant le trouver à l’intérieur. Tu as choisi volontairement de venir au milieu l’après-midi, te disant qu’il ne devait pas y avoir trop de clients à cette heure-ci et qu’il pourrait sans doute t’accorder un peu de temps. A condition qu’il en ait envie, bien entendu... Et l’un de tes souhaits est au moins exaucé, car c’est bien lui qui se trouve derrière le comptoir. Quelques années ont passé mais tu le reconnais facilement, sentant une douce vague de nostalgie te saisir en le voyant. Tu l’avais longtemps associé à une sensation de sécurité, de bien-être. Aujourd’hui encore, c’était peut-être même ce que tu étais venue chercher, inconsciemment... Tu enlèves tes lunettes de soleil, allant t’installer sur un tabouret face au comptoir. « Bonjour Sebastian. Vous me reconnaissez ? » Demandes-tu quand il se retourne, sans doute intriguée d’avoir une cliente à cette heure-ci. Pas de détours, pas de faux-semblant, vous aviez déjà suffisamment à vous dire. « Est-ce que je pourrai avoir un whisky ? » Un Fraser jusqu’au bout des ongles même s’il y a une bonne chance pour qu’il te serve du mauvais whisky juste parce que tu le mérites. Ça serait de bonne guerre après tout...  Mais tu as besoin d’un peu de courage pour faire face à tes erreurs passées.

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Le bar est généralement beaucoup plus calme en journée. Tant mieux ! Les soirées ne sont pas de tout repos et nous avons besoin d’être en pleine forme pour les animer. Nous avons la même routine depuis des années, la fin de la matinée est réservée pour les livraisons, le début d’après-midi pour le ménage ou la décoration s’il y en a une, pour préparer l’ouverture en fin d’après-midi. Souvent, nous levons le rideau et même si nous ne sommes pas tout à fait prêts, nous laissons la porte ouverte pendant la finalisation de nos tâches. Comme aujourd’hui. Derrière le comptoir, je rangeais quelques boissons avec une musique douce en fond, je ne prêtais que peu d’attention aux allées et venues, lorsqu’une voix, m’étant destinée, me fit sortir de mes pensées. Mes yeux se posèrent sur la personne qui s’installait et quelle surprise de découvrir de qui il s’agissait, une fois ses lunettes levées. Je restais quelques instants bouche bée, sans même cligner des yeux, sans bouger, surpris, étonné, presque choqué de la voir débarquer, comme si elle n’avait pas disparu depuis quelques années, comme si nous nous étions dit au revoir samedi soir après un dîner familiale auquel elle aurait été invité. Je me râclais la gorge, pas certain de quel comportement opter face à elle, mais décidais de me ressaisir rapidement. Hors de question de lui donner le moindre indice sur mon ressenti, concernant tout ce qui s'est passé. “Bien sûr, Elizabeth Covington, quel honneur !” répondis-je le plus naturellement du monde, face à sa question. Pensait-elle réellement que la vie était si simple ? Qu’on puisse délibérément disparaître du jour au lendemain sans ne plus jamais donner de nouvelles et réapparaître des années plus tard, comme si rien de tout cela n’était jamais arrivé ? Oh que non. “Je n’espérais pas avoir le privilège de vous rencontrer un jour.” Je continuais sur un ton neutre. Impassible, je décidais de ne rien laisser paraître, pas la moindre émotion. Pas une once de colère, ou de déception à son égard. Elle ne les méritait même pas, l’indifférence lui suffira donc. Je fis un pas en arrière, comme pour retourner à mes occupations, lorsque je remarquais enfin sa tenue, ou plutôt, sa tentative de camouflage. “Certains risquent de vous reconnaitre et de demander des autographes.” Lui fis-je remarquer, parce que même si le bar est encore assez vide, il ne tarderait pas à se remplir. Je soupirais à sa commande, ici, le code veut qu’on serve chaque client sans chichis, sauf si sa sécurité ou sa santé sont en dangers. Ce qui n’est pas son cas. Je me tournais pour saisir la bouteille de whisky et servit deux verres, un premier que je lui tendis et un second que je gardais pour moi, car j’en aurais aussi bien besoin. Je me fis la remarque qu’elle aimait bien le whisky dans mes souvenirs, et je me demande si ce n’est pas une des raisons pour laquelle je l’avais aussi bien apprécié. “Un whisky.” Je souffle, sans relever les yeux. En réalité, c’est plus fort que moi, je ne suis pas doué pour faire semblant. Autant être indifférent, ça, je me débrouille plutôt bien, mais faire semblant ne ressemble pas au défenseur de la vérité que je suis. Je bois une gorgée de ma boisson avant de reposer mon verre sur le comptoir. “Qu’est-ce que tu fabriques ici ?” je demande en croisant les bras sur mon torse. Laissons tomber les masques, et jouons cartes sur table.

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Tu t’étais repassée une centaine de fois la scène de tes retrouvailles avec Sebastian, imaginant une palette variée de ses réactions. Et pourtant, les premiers mots qu’il t’adresse, arrivent tout de même à te prendre au dépourvu. S’il a l’air brièvement surpris de te revoir, il se ressaisit vite. Utilisant le nom de ton personnage, il te répond avec un parfait mélange de sarcasme et de froideur, te faisant comprendre en quelques mots seulement qu’il ne compte pas te rendre la tâche facile. Les mots « honneur » et « privilège » sonnent à l’opposé ce qu’ils devraient être dans sa bouche alors que dans le même temps, il te traite comme si tu étais une parfaite étrangère. Mais finalement, c’était bien ce que tu étais devenu en coupant les ponts avec son fils et lui sans un mot d’explication... A ce titre, tu as mérité cet accueil, à condition qu’on puisse utiliser ce mot pour qualifier son attitude. Pas besoin de demander de la glace dans ton whisky, la température vient clairement de chuter de plusieurs degrés. Surtout que ton ex beau-père ne s’arrête pas en si bon chemin, ironisant à propos de ta notoriété et d’éventuels autographes qu’on pourrait te réclamer. Tu pousses un petit soupir. « Quelque chose me dit que vous n’allez pas faire parti de ceux-là. » Tu parles d’une voix neutre, essayant de ne pas te laisser affecter par les vibrations négatives que tu sens flamboyer autour de vous. Tu secoues la tête avec douceur, bien consciente que tu es totalement à l’origine de cette situation inconfortable. L’adage qui disait que l’indifférence était pire que la colère était parfaitement fondé... « Elizabeth Covington serait peut-être quoi dire, elle. » Dis-tu, enviant soudain l’assurance et l’impertinence de la demoiselle... Cependant, tout n’est pas perdu. Car il ne refuse pas de te servir. Mieux encore, il ne disparaît pas tout de suite après avoir poussé ta commande vers toi sur le comptoir. Il se sert en fait aussi un verre et tu es tout à coup saisie d’une pointe de nostalgie. Car quand tu étais encore la bienvenue chez les Hayes, c’était devenu votre petit rituel, partager un verre de pur malt tous les deux, savourant le calme et ce moment de complicité, une fois que la fratrie très étendue s’était dispersée. « Merci. » Dis-tu en attrapant le verre entre tes doigts. Tu regardes le liquide ambré danser devant tes yeux, sentant les puissants arômes de la tourbe avant même de porter le verre à tes lèvres. Donc lui aussi se souvenait... Il laisse d’ailleurs soudainement tomber les masques, te posant la seule question qui s’impose : qu’est-ce que tu faisais ici ? Tu bois une première gorgée de ta commande, histoire de te donner du courage et de trouver les bons mots. « J’espérais qu’on pourrait parler. » Tu te sens intimidée, d’où le vouvoiement initial. Il t’avait toujours inspiré beaucoup de respect. Mais puisqu’il t’accorde un peu d’attention, tu te dois te lancer et ne pas tergiverser. « Je sais que ça peut paraître incongru voir inutile après toutes ces années mais récemment, j’ai pas mal réfléchi à mes erreurs passées. Et je suis bien consciente que je ne pourrai pas toutes les réparer mais je me dois d’essayer. Ou au moins de présenter mes excuses à ceux que j’ai blessé. Vous en faites parti, je crois. » Tu prends une profonde inspiration, bien consciente que tu parlais à un mur d’hostilité mais tu prononces les mots que tu es venue délivrer. « Je suis désolée, Sebastian. Vraiment. »

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Quelle surprise de voir Maureen ici, dans mon bar, Maureen de retour donc. Je ne sais pas si c’est la première fois qu’elle remet les pieds à Monterey ou si elle a déjà fait des allers-retours, en tout cas, loin de moi l’idée de croiser sa route de nouveau un jour. Pas vu la manière dont elle est partie, dont elle nous a quitté pour être précis. Elle a juste claqué la porte sans jamais se retourner, sans vouloir se retourner derrière. Même après les jours qui ont suivi, les semaines qui ont suivi, aucun signe de vie, elle nous avait fui comme la peste. Le sujet est rapidement devenu tabou avec Miles, mais ce n’est pas suffisant pour que je ne creuse pas de mon côté. Pendant longtemps, de longs mois, j’ai essayé de comprendre, retournant encore et encore la situation, émettant des hypothèses aussi improbables les unes que les autres. Mais sans le moindre signe de sa part, il m’était difficile de savoir quelle direction prendre. Je suis tombé sur sa série complètement par hasard il y a quelques mois et j’ai été curieux de voir ce qu’elle était devenue, ravi au fond, qu’elle ait pu poursuivre son rêve et le réaliser. Dommage qu’il n’y avait pas de place pour nous, pour Miles surtout dans cette équation. « Non, effectivement. » soupirais-je ensuite. Non, clairement, elle ne pourra pas me compter parmi ses fans. « Pour le peu que j’en ai vu, elle avait l’air d’avoir du cran. » complétais-je, en fixant la jeune femme face à moi qui elle, n’a pas dû de cran et a eu un comportement des plus lâches. Dois-je mettre les pieds dans le plat dès maintenant ? Tout de suite ? Ou devrions-nous continuer à nous voiler la face pendant toute la durée de la discussion, tout en sachant comment elle finirait. « Miles dit que ce n’est pas de mon âge ce genre de série. » Plus fort que moi, mon franc parlé reprend le dessus, je reste néanmoins imperturbable, complètement impassible, je ne veux en aucun cas lui donner le moindre indice sur ce que je ressentais et encore moins sur la surprise en la voyant. « Parler ? De quoi donc ? » L’air totalement innocent, je bois une gorgée de mon whisky et grimace en l’écoutant poursuivre. Je l’observe longuement, je ne m’attendait clairement pas à la voir, si je l’avais croisé complètement par hasard dans la rue, je ne l’aurais sans doute pas reconnu, ou n’aurais-même pas imaginé que ça puisse être bien elle. « Des excuses ? Ca alors… » Je pris une inspiration, et bu une nouvelle fois un peu d’alcool fort pour me calmer. Est-ce que ces excuses ont lieu d’être ? Après tout ce temps ? Je ne suis pas sûr que ça changerait grand-chose aujourd’hui, beaucoup trop de temps s’est écoulé et si au début j’attendais impatiemment des regrets de sa part, une marche arrière, tout ça n’a plus beaucoup de sens aujourd’hui. « Pourquoi ? » Pourquoi des excuses ? Pourquoi maintenant ? Ma question est à double sens, car bien sûr, j’aimerais savoir pourquoi elle s’excuse, j’aimerais connaître ses raison. Mais… Le temps est passé, chacun a fait sa vie, continué sa route. Les excuses ne changeront malheureusement plus grand-chose, mais la curiosité prend le dessus car  j’aimerais comprendre, même après tout ce temps, juste comprendre. Je soupire, ce n’est pas à moi qu’elle les doit ces excuses et pourtant, c’est face à moi qu’elle se retrouve aujourd’hui comme quoi, nous ne sommes jamais au bout de nos surprises dans la vie. Presque naturellement, mes pensées vont vers mon fils aîné, me demandant bien comment il réagirait face a tout cela, la revoir, avoir des explications… serait-il prêt à lui pardonner ? Je ne sais pas, à vrai dire, je n’en ai pas la moindre idée. Je relevais en tout cas mes yeux vers elle, prêt à entendre la suite.

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Sebastian te confirme qu'il n'est pas au nombre de tes fans et tu te dis qu'il doit vraiment être en colère et blessé pour te le dire ainsi de but en blanc. Ce n'était pas du tout dans sa nature. Tu pousses un petit soupir. Tu t'étais doutée que la partie allait être difficile, mais tu réalises à ce moment précis à quel point. Surtout que la pique suivante arrive juste après. Il t'envoie en effet dans les dents que Elizabeth Covington, a du cran, contrairement à toi. C'est douloureux, parce qu'il tape dans le mille en disant cela. Toujours aussi fin psychologue, il semble avoir deviné que ta défection auprès de sa famille a été motivée par la plus grandes des lâchetés... Tu baisses la tête. Il n'y a rien à faire d'autre, surtout que tu as de plus en plus de mal à soutenir son regard. Il a toujours su lire en toi comme dans un livre ouvert. Quand il était dans ton camp, tu avais trouvé ça rassurant d'avoir quelqu'un qui te comprenait aussi bien, maintenant, ça tournait plus à ton désavantage. " Je dois être au moins bonne actrice pour arriver à jouer un personnage à l'opposé de mon caractère." Tu ne nies pas pour la lâcheté. A quoi bon ? Il avait raison de te confronter... Sebastian prononce ensuite le nom de son fils. Tu ne sais pas s'il le fait exprès pour te mettre encore plus mal à l'aise, où s'il se parle à lui-même. Il est vrai que cette réplique, cette petite information anodine mais amusante, dénote clairement avec les échanges tendus que vous avez eus jusqu'à maintenant. Dans le doute, tu réponds quand même, sentant une vague de tendresse pour ton ex-mari te submerger. Tu as un sourire vaguement nostalgique. " Ça ressemble effectivement à quelque chose qu'il pourrait dire. Même si personnellement, je l'ai toujours trouvé plus old school que vous. " Tu ressens une pointe de tristesse en imaginant le père et le fils se taquiner. Fut un temps, tu pouvais être témoin de ces scènes, voir même te jeter dans la mêlée...

En tout cas, tu finis par y arriver. Tu arrives à présenter des excuses, ce pour quoi tu es venue initialement. Cette fois, tu ne te débines pas, malgré l'expression peu engageante de son visage et ses petites grimaces. Sans surprise, il n'est pas très réceptif, usant à nouveau de sarcasme, buvant nerveusement son whisky. Tu fais de même, deux antagonistes, noyant leurs émotions dans l'alcool. Si un jour, tu dois jouer une scène de tension dans un saloon, tu sauras où puiser l'inspiration... En tout cas, il n'accepte pas lesdites excuses, pas plus qu'il ne les rejette. C'est plutôt un seul mot qui sort de sa bouche. Pourquoi ? Une question qui semble légitime, il ne doit rien comprendre à ta démarche. Toi-même, tu n'es pas certaine de bien savoir l'expliquer. Pour autant, tu lui dois au moins une réponse. " Peut-être parce que j'ai enfin trouvé le courage de faire ce qu'il fallait." Commences-tu par dire, faisant écho à ce qu'il t'a dit tout à l'heure, lui démontrant qu'il avait vu juste. " A l'époque, j'ai eu tellement honte de ce que j'avais fait à Miles, que je n'ai pas réussi à lui parler en face. Ni à lui, ni à vous. Vous aviez raison, j'ai été lâche. Aucun de vous deux ne méritait un tel traitement de ma part alors que vous aviez été si bons avec moi. " Tu donnes un semblant d'explication, même si tu n'es pas certaine que ça l'intéresse après tout ce temps. Il faut que tu lui racontes ce qu'il s'est passé récemment pour qu'il comprenne mieux. " Sebastian... J'ai vu Miles l'autre jour. J'ignorais qu'il avait raccroché de l'armée et qu'il était revenu travailler à Monterey. Je... Ça a été dur... Pour nous deux, je crois. Alors je me dis que s'il y a la moindre petite chance pour que je puisse réparer ma bêtise, je me dois au moins d'essayer. Même si de l'eau a coulé sous les ponts depuis."

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Le retour de Maureen en ville et surtout, ici même dans mon bar est aussi inattendu que difficile. J’avais fini par accepter qu’elle ne reviendrait, que cette vie qu’elle avait choisi lui convenait et qu’elle n’avait plus besoin de regarder en arrière, plus besoin de se souvenir qu’elle a eu un jour cette vie-là. Je ne pensais pas être du genre rancunier, c’est un trait de caractère découvert à la suite de mon divorce, où j’ai découvert que le pardon n’est pas chose facile et qu’il m’était impossible d’aller au-delà de certaines situation. Elle, bonne actrice ? De ce que j’en ai vu à l’écran, elle avait effectivement beaucoup de talents. « Je me le suis souvent répété. » Répondis-je sur un ton grave. Parce que plus d’une fois, j’ai émis la possibilité qu’elle avait fait semblant, que depuis le début, sa relation avec Miles, avec moi ou la famille en générale n’a jamais compté. Comme si nous n’étions que des pions dont elle s’est servie. Je peine à croire que ces hypothèses soient vraies. Je pense l’avoir suffisamment connu et côtoyé pour espérer qu’elle fut sincère. Mais finalement, après la façon brutale dont elle est partie, je n’étais plus sûr de rien. Pas même de la connaître.

« Tu commences à marquer un point, jeune fille. » soupirais-je lorsqu’elle fit la remarque sur le côté old school de Miles. Elle n’a pas tort, mais cet enfant est beaucoup trop difficile à dérider puisqu’il n’écoute pas ! Il est fermé dans sa bulle constituée uniquement de son travail ! Ses explications s’en suivent ensuite, ne me convainquant que trop peu avec ses mots. Je peux comprendre que trouver le courage prend du temps, mais tout ce temps ? Je soupire, j’ai bien du mal à comprendre où est-ce qu’elle voulait en venir. Le mot pourquoi finit par m’échapper, parce que j’ai besoin de savoir. Quelque chose n’allait plus ? Ou a-t-elle seulement rêvé de plus grand ? Puis par-dessus tout, pourquoi cette lâcheté ? « Que s’était-il passé ? » je demandais presque instantanément, tiltant sur le mot honte. Nous n’avons plus jamais abordé ce sujet avec Miles et je crois que ne pas avoir la raison de son départ est pire que tout. Pourtant, je me doutais que mon fils, lui, avait eu des explications de son côté. Mais si nous n’avons jamais abordé le sujet, peut-être est-ce parce qu’il préférait garder les détails pour lui ? « Non, je ne veux pas savoir. » Continuais-je avec un signe de la main. Je soupirais de nouveau, la vie n’est pas simple et nous nous efforçons à la rendre encore plus compliqué. Elle a été lâche, oh ça oui. Tellement de temps a passé, je ne suis pas sûr que les choses puissent être réparés. Je n’ai d’ailleurs pas la moindre imagination quant à ses réelles intentions, mais en tout cas, vouloir se racheter paraît être un bon point. « Vous étiez peut-être trop jeunes et pas suffisamment mature pour comprendre ce que le mariage implique. » Un mariage, le symbole d’un amour éternel. En avaient-ils seulement conscience ? De sa signification ? Des efforts qu’il demandait ? Des sacrifices qu’il pouvait engendrer ? Pourtant, ils s’aimaient. Et j’ai peiné à croire que parfois, l’amour ne suffit pas. Je bus une nouvelle fois une gorgée de mon whisky et grimaçais lorsqu’elle dit s’être confrontée à mon fils. Il ne m’en a pas encore parlé, mais il doit être dans un état lamentable. « Je pense que vous avez tous les deux besoin d’une bonne discussion, aussi douloureuse soit-elle. C’est la meilleure façon d’avancer et de tourner la page sur ce passé qui semble encore vous tourmenter. » Lui dis-je sur un ton moins dur que celui que j’ai employé jusqu’à présent.

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« Je me le suis souvent répété. » Réplique Sebastian quand tu émets un petit commentaire désabusé sur tes talents d’actrice. Et encore une fois, tu es prête à jurer qu’il ne s’agit pas d’un compliment... Non, il fait sonner cela comme si tu avais trompé tout le monde depuis le début, comme si tu avais sciemment agi comme une manipulatrice depuis le début. Pour autant, tu ne cherches pas à démentir. A quoi bon ? Il était peu probable qu’il te croit... A la place, tu bois une nouvelle gorgée de whisky, accueillant avec soulagement la morsure de l’alcool. A vrai dire, le niveau de ton verre baisse un peu trop vite, tandis que tu te raccroches à son contenu pour lutter contre la froideur de ton interlocuteur. Oh bien sûr, tu ne t’étais pas attendue à un accueil chaleureux mais tu ne t’attendais pas à ce que la confrontation te fasse aussi mal après toutes ces années. Car dans les yeux de cet homme que tu avais aimé comme un père, tu pouvais lire tout ce que tu avais cherché à éviter : méfiance, déception, colère. Tu n’es plus rien pour lui et c’est bien normal quand on sait la blessure impardonnable que tu as infligé à son vrai fils. Cependant, tu peux mettre cela à son crédit, il ne te chasse pas de son bar, t’écoutant jusqu’au bout. Il t’appelle même « jeune fille » à un moment donné, te renvoyant immédiatement 13 ans en arrière. Un élan de nostalgie te noue la gorge mais tu reviens bien vite à la réalité quand tu réalises que tu en as trop dit. Prise dans ta volonté de t’excuser, tu as laissé échapper quelque chose sur la cause de ton divorce avec Miles et cela n’a pas échappé à un homme aussi fin que Sebastian. Il relève, te demandant ce donc ce qu’il s’est réellement passé. Tu te mords la lèvre, partagée. Si tu veux aller au bout de ta démarche en étant sincère, tu dois lui dire toute la vérité, même si elle est moche. Cependant, tu as la sensation que si tu évoques ce point en particulier maintenant, la conversation risque de prendre fin très vite sans que tu puisses évoquer le reste. Surtout qu’une confession pourrait douloureusement faire écho à son propre divorce...

Heureusement, ton ancien beau-père tranche à ta place. Il se reprend vite, te disant qu’en fin de compte, il ne veut pas savoir. Tu pousses un petit soupir, toujours aussi nerveuse. « Je ne veux plus mentir mais il faut que j’en discute avec Miles d’abord. Même à lui, je n’ai rien dit à l’époque. » Tu te dis que Sebastian ne le sait pas forcément, sachant à quel point ton ex-mari peut être discret et pudique. Tu imagines aisément qu’il a pu se renfermer lorsque tu lui a brisé le cœur, ne parlant pas à son père. Une honte car ce dernier est toujours aussi clairvoyant et sage. Il te fait en effet remarquer que vous étiez peut-être trop jeunes et pas assez matures pour comprendre ce qu’impliquait un mariage à l’époque. Tu opines, ne pouvant que le rejoindre sur ce point. « Plusieurs personnes, y compris ma mère, me l’ont dit à l’époque. Je n’ai pas voulu les écouter. Je me pensais plus maligne que les autres. Maintenant que je suis adulte, je réalise à quel point je me trompais. Je pensais que l’amour suffisait à vaincre tous les obstacles. » Cette erreur-là, elle était facile à reconnaître. Plus que les autres. « C’est vrai qu’en se mariant trop vite, on a saboté notre histoire. Enfin, je dis « nous » mais c’est moi. C’est entièrement de ma faute. Je ne me suis pas montrée à la hauteur de Miles. Lui, il a été sincère et entier jusqu’au bout. La vérité, c’est que je ne le méritais sûrement pas... Souvent, je me demande ce qui se serait passé si je n’étais pas partie à New York. » Tu croises et décroises tes doigts, frottant machinalement l’endroit où tu avais porté ton alliance. Lorsqu’il reprend la parole, tu as l’impression que Sebastian se radoucit un peu. Sans doute parce que ce n’était absolument pas naturel pour lui de porter ce masque d’austère sévérité. D’ailleurs, sa nature bienveillante ne tarde pas trop à reprendre le pas car il ne tarde pas à te donner ce qui ressemble à un conseil. Tu opines à nouveau. « Je pense que vous avez raison. C’est juste que je ne sais pas trop comment m’y prendre. Notre première rencontre a été... mouvementée. J’ai peur de l’importuner s’il ne veut vraiment pas me voir. Je sais que c’est assez cavalier de ma part de débarquer comme ça alors qu’il a sans doute tourné la page. » Une vraie égoïste comme pourraient l’attester une multitude de personnes de ton entourage... Un vrai contraste avec l’homme qui se tient face à toi, lui qui a consacré sa vie aux autres, à son pays, à sa famille. Et tu réalises ce qu’il pourrait penser de ta remarque alors tu te corriges vite. « Enfin, ne pensez pas que je vous demande de vous en mêler ou quoi que ce soit. Je voulais simplement vous voir et vous demander pardon. Et, je suis déjà reconnaissante que vous m’ayez écoutée. C’était important pour moi de vous dire que j’étais désolée. » Tu pourrais t’arrêter là mais maintenant que tu es lancée, tu continues, puisant dans l’infini respect que tu as toujours éprouvé pour lui. Respect qui ne faisait que grandir aujourd’hui, quand tu le voyais aussi protecteur envers son fils mais sans cruauté à ton égard. « Vous savez, vous étiez important pour moi à l’époque. Vraiment. Peut-être plus que mon propre père. C’est pour ça que je ne voulais pas vous décevoir non plus. En perdant Miles, je vous perdais aussi... »

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