Je regarde ma montre pour -approximativement- la douzième fois. Célian n’est même pas en retard. Je suis en avance d’un bon quart d’heure. Cela fait déjà quinze minutes que j’use les semelles de mes chaussures sur ce parking, au bout de Dry Creek Road. Enchaîner les allées et venues canalise ma nervosité. J’ai le cœur qui palpite au rythme de mes doutes.

Si j’en avais trop fait ?
Si ça ne lui plaisait pas ?
Si j’allais, encore une fois, trop vite avec lui ?

L'apercevoir dans l’angle de mon champ de vision me pousse à m’arrêter. Un sourire enchanté fleurit sur mes lèvres. Bizarrement, je m’apaise en le regardant s’avancer vers moi. Est-ce que c’est permis d’être aussi canon ? Puis, c’est plus fort que moi, j’avance également à sa rencontre. - T’es sûr de ne pas compter Apollon parmi tes ancêtres ? Je souligne mon compliment d’un baiser prononcé, de ceux qui altèrent la course du temps. - T’es prêt ? Fais-je en haussant les sourcils tandis qu’une petite voix me rappelle qu’au fond, moi, je ne le suis pas du tout. Je la fais taire en l’ignorant. je suis prêt. Je crains juste d'essuyer un refus et de devoir retourner au pragmatisme mort et terne de la raison.

Je fais basculer mon sac de randonnée devant moi et en extirpe une carte papier, sur laquelle un itinéraire est tracé en rouge. J’ai volontairement choisi d’ignorer les routes au profit des sentiers escarpés qui montent à travers le bois. Il faut bien poser l’ambiance de cette chasse au trésor grandeur nature. - C’est la première étape. Je te laisse nous guider. En soi, l’exercice n’est pas très difficile, si ce n’est qu’à mi-chemin, nous devons quitter le sentier forestier pour nous diriger à la boussole, vers le nord-ouest, pendant un peu moins d’un kilomètre. Je le laisse prendre connaissance de l’itinéraire et en profite pour honorer sa gorge d’un mordillement. - Tu veux un conseil ? Sois attentif, et ouvre l'œil quand on arrivera au bout. J’esquisse un sourire mystérieux en m’écartant, particulièrement fier de mon petit manège. Au bout du chemin indiqué, pendu à un arbre, un ruban de soie rouge virevolte au vent. Il faudra grimper pour accéder à un creux dans le tronc, au sein duquel j’ai glissé un deuxième papier, contenant une succession de coordonnées menant tout droit à l’entrée de la maison.

Les trois points sont séparés par une dizaine de minutes de marche rapide. À chacun d’entre eux, un globe transparent est suspendu à une branche. À l’intérieur, de ces derniers, se trouve un quart du plan initial de la villa. De quoi titiller sa curiosité sans doute. - On y va ? L’impatience vibre tout autour de moi. Est-ce qu’on pourra raconter cette histoire à nos petits enfants ? Celle du jour où je l’ai emmené chez nous ?

@Célian Barrows

C’est qu’il se vante, sans vergogne. Cette assurance le rend d’autant plus désirable à mes yeux. J’ai l’impression que rien ne pourrait vraiment l’arrêter. - Tu n'auras aucun mal à t’en sortir alors. T'es en train de me dire que c'est trop facile ? Mon ton se situe entre la fierté et la provocation. L’énergie de Célian est contagieuse. Son contact me réchauffe, me brûle au point de me faire presque oublier la raison de notre présence ici. Étourdi, je le regarde s’engager sur notre itinéraire. Mon cœur, je crois, pourrait exploser tant il adopte un rythme démesuré. C’est maintenant. Le moment approche.

Je me maintiens à quelques pas derrière mon aventurier, espérant brusquement ne pas avoir laissé trop de traces quand j’ai emprunté le sentier en sens inverse, un peu plus tôt dans la journée. S’il y en a, il va les repérer, à coup sûr. Légèrement distrait par cette prise de conscience, je réponds brièvement. - Tu sauras le moment voulu. D’un pas déterminé, je la rattrape et pose mes mains sur ses hanches en me lovant dans son dos. Ce rapprochement physique constitue ma seule chance de ne pas saisir la perche qu’il m’a tendue. J’ai envie de tout lui dire. Je suis pressé d’assister au spectacle de sa réaction et de connaître sa réponse. - Tu as envie de le rencontrer ? Tu crois qu’il compte pour moi ? Pourquoi ? Doucement, je le pousse à poursuivre son ascension, non sans grignoter tendrement la peau de son cou. J’en profite pour me gorger de son odeur. Ces derniers temps, nous ne nous sommes pas assez vus à mon goût.

Après quelques minutes à jouer les ombres vivantes, la nature du chemin me pousse à devoir m’écarter. Retenir ce flux d’émotion constant qui me balaie, requiert des trésors de concentration. - J’ai travaillé seul sur ce projet, Célian. Je n’ai pas envie de laisser la main à qui que ce soit dessus. Tu es le seul à qui j’ai demandé de l’aide. Même si Billie a proposé de me filer un coup de main, à l’occasion. D’ailleurs… Ça te dit de se faire un restau avec elle ? Elle a vraiment envie de te rencontrer et… Je me tais un instant, avant de lui confier. - J’ai vraiment envie de te la présenter. J’ai l’air niais ? Oui, très certainement. J’assume ! J’écarte une branche de mon passage pour me frayer un chemin par-dessous. - Tu sais… Billie, c’est comme une autre sœur. Je la connais depuis que je suis gamin. Elle venait filer un coup de main au ranch et après, ça, on ne s’est plus vraiment quittés. Autrement dit, elle compte énormément pour moi. Sa force tranquille m’inspire souvent. Je ne compte plus le nombre de fois où elle a dû m’écouter raconter mes mauvais choix. - Je suis sûr que tu vas l’adorer. Elle, elle t’aime déjà, tu sais ? Elle sait à quel point il compte. D’une manière inégalée.

Quelques minutes plus tard, je reconnais la fin du sentier forestier. L’arbre au ruban n’est qu’à un mètre ou deux. Après ça, il lui faudra récupérer les dernières indications à suivre, en pleine forêt. - Et maintenant, c’est par où ? Pendant qu’il se décide, je glisse une main sous son tee-shirt, et part directement à la conquête de sa peau. - Je t’ai dit à quel point tu me manques ? Tu m’avais prévenu des risques, pourtant… Mais tu ne m’as jamais dit quel kiff, ce serait de te retrouver à chaque fois. Je chuchote les mots au creux de son oreille et niche mon nez dans son cou. J’inspire profondément. En réalité, j’essaie de graver chaque seconde de ce voyage dans ma mémoire. Je veux me souvenir de tout.

J’aime la facilité avec laquelle il accepte de rencontrer prochainement Billie. J’apprécie jusqu’à sa manière de me taquiner sur le sujet. - Tu peux essayer. J’insiste orgueilleusement sur ce dernier verbe, jugeant ses chances de réussite assez médiocres. Quoi qu’elle pourrait lui raconter deux ou trois choses à mon sujet, mais rien qui ne puisse réellement m’effrayer. Il en sait déjà tellement sur mon compte. - Je n'en ai pas eu besoin. Réponse trop énigmatique pour quelqu’un dont la curiosité n’a d’égal que l’imagination. - Elle sait de quelle manière tu comptes pour moi. Cela lui suffit. Elle a senti, compris, ou perçu, la différence entre lui et les autres. De facto, cela le place au rang des personnes importantes.

De fil en aiguille, nous nous enfonçons dans la forêt. Celle qui borde la ville, à l’ouest. Je me laisse aller à un élan de tendresse, comme pour rattraper ses journées loin de ses parages. Lové contre lui, je gagne en assurance. Tout va bien se passer, n’est-ce pas ? Alors qu’il essaie de me rappeler à l’ordre, je ne trouve rien d’autre à répondre que : - Parce que tu connais Indiana Jones, toi ? T’as vu les films ? Le dernier n’était vraiment pas génial. Tous les prétextes sont bons pour prolonger l’instant et essayer, en vain de regagner du terrain. Célian s’écarte déjà, poussé par sa soif de découverte. « C’est dingue comme tu me fais vibrer. » Pour le coup, je suis celui qui frémit des pieds à la tête. Les yeux clos, je savoure la sensation d’être traversé par des filaments électriques. Je le laisse retourner à ses recherches en le suivant des yeux. Rapidement, il met la main sur la suite de l’itinéraire. Dans un sourire moqueur, je fanfaronne : - Vraiment trop facile. J’aurais dû augmenter la difficulté. Je n’arrive même pas à feindre la déception. Quelques atouts se trouvent encore dans ma manche. Ils attendent patiemment de pouvoir sortir, chacun leur tour.

Tout cesse d’exister sous le feu de son approche. Mon corps suit naturellement ses impulsions. Mes mains s’accrochent. Au fond de mon ventre, d’immenses vagues soulèvent ma cage thoracique aux mots prononcés. Si je lui ai manqué, c’est bien parce que je compte, non ? Ma langue passe sur mes lèvres tandis que je hoche la tête pour répondre à sa question. Le tout serait probablement plus crédible si je faisais l’effort de bouger. Au lieu de ça, je reprends d’assaut sa bouche et le ramène tout contre moi. Jusqu’à en perdre, encore une fois, le souffle.

Le temps se distord. Je voudrais pouvoir le mettre sur pause, et ancrer dans ma mémoire chaque seconde. Un désir parfaitement contraire me pousse, par ailleurs, à vouloir accélérer le temps. Je voudrais qu’on reste ici tout en étant déjà là-bas, au moment où il mettra la main sur ce petit coffret de bois. Parce qu'il y arrivera, c'est certain. Je me racle la gorge, sans cesser de caresser le bas de son dos. - Je croyais que tu étais impatient de découvrir ce que j’ai fait de ma semaine ? Me décoller de cet arbre fait grimper ma tension. On s’approche. - Alors, t’as trouvé quoi là-haut ? Je l’interroge pour la forme autant que pour l’inviter à s’intéresser à sa trouvaille. Mon nez frotte contre le sien. Nos souffles se chatouillent. - Tu as encore des trésors à débusquer.

Sur la feuille de papier, une succession d'indications sont inscrites en nombre de pas et en direction. Par exemple : 15 pas au nord. Contourner la souche. 30 pas à l’est. Trois de ces mentions sont indiquées en vert foncé. Chacune d’entre elles nous permettra d'atteindre une des balises : ces sphères transparentes, suspendues à des branches, contenant chacune un quart du plan initial de la villa. Au terme de cette seconde quête, et si tout se passe bien, nous devrions arriver au portail (fermé) de la propriété.

@Célian Barrows

Je me laisse faire de bonne grâce, m’appuyant contre lui pour lui offrir ma peau. Apparemment, faire plus de quelques pas l’un sans l’autre constitue une gageure. Je me mords la lèvre, parfaitement conscient de jouer avec le feu. Il épouse les contours de mon désir, le contient en le laissant brûler. Ni tout à fait flamboyant, ni jamais véritablement éteint. L’image de cette boussole dans ma main me foudroie. Mon arrogance habituelle se fait la même sous le poids de cette analogie filée. Il n’a pas idée à quel point cela sonne juste. Innocemment, Célian atteint le centre de la cible. L’enjeu annoncé me laisse sans voix. Est-ce qu’il le voit ? Est-ce qu’il le remarque ? Ces frissons en cascade me réduisent au silence. Je cherche un appui dans son regard. L’instant s’étire en longueur, gonflé de sa propre importance. Je garde pour moi ce que je pense et tâche de riposter. Sourcils froncés, je fais mine d’envisager sérieusement la proposition. - Hum… Tu risques d’avoir besoin de ton sens de la vue. Je lutte contre mes propres envies. Je m’engage à tenir mon propre rôle pour laisser filtrer le moins d'informations possibles. - Si tu te trompes, je gagne 5 minutes durant lesquelles tu te tiens tranquilles. Un goût de déjà vu. J’esquisse un sourire ambivalent. - Pour chaque erreur, évidemment.

Mais il ne se trompera pas. Toute cette aventure a été conçue comme une mise en scène, destinée à l’amener à trouver un trésor bien spécifique. Passer les sept prochaines nuits dans le creux de ses bras sonne comme une récompense. Je n’en ai jamais assez. Nous progressons, étapes après étapes, sans cesser de se provoquer. De s’aborder. De se retenir. De s’aimer, tels des adolescents un peu trop fougueux.

« Là, tu m’intrigues vraiment. » Mon sourire prend de l’ampleur. Une certaine appréhension me vrille pourtant le ventre. Ma main capte la sienne, tandis que sa consœur se loge contre sa nuque. D’un baiser effleuré, je demande. - Tu me fais confiance ? Mon regard s’accroche au sien. S’y dessinent mes espoirs et ma nervosité. Ma bouche bifurque à son oreille. - Mais, si tu veux tout savoir, on est à Monterey, en Californie, aux USA. Pour éviter de subir son courroux, je l’embrasse. - Si tu veux disposer de ma présence pendant sept nuits consécutives, il faut continuer à avancer. Viens.

Je l’entraîne à ma suite. Je le pousse et finalement, sur les derniers mètres, je ne fais plus attention à qui mène notre randonnée. Une fois, à proximité d’un lourd portail bleu nuit, à la peinture écaillée, je reprends la parole. - J’ai changé le code d’accès pour accéder à la propriété. Tu crois que tu peux deviner ? Je marche à reculons, pressé et de plus en plus fébrile à mesure que nous approchons. - Tu veux un indice ? Ça nous concerne directement. Et pour cause, les 6 chiffres à entrer dans le digicode sont ceux de la date de notre rencontre. Classique certes, mais toujours romantique, non ? J’attends qu’il se frotte à cette nouvelle énigme, l’épaule appuyée contre le pilier, pour avouer. - J’ai acheté cet endroit. Une masse compacte me remonte brutalement dans la gorge. - Il faut vraiment que je te raconte ce que j’ai fait ces derniers jours. J’ai envie de le partager avec lui. Plus encore, j’ai envie qu’il soit partie prenante de cette aventure complètement folle. Sauf s'il décide de me planter là ou d'exiger des explications.

@Célian Barrows

- Cinq, fais-je en ricanant, totalement conscient de sa tentative de faire descendre les enchères. - Tu trouveras bien comment négocier une libération anticipée. Aucun doute là-dessus. Je dispose, de toute évidence, d’une maigre capacité à lui refuser quoi que ce soit. De plus, je suis particulièrement sensible à certains de ces arguments.

La bombe lâchée, ma jauge d’appréhension remonte drastiquement. Légèrement penaud, je hausse les épaules en guise de réponse. Est-ce une mauvaise chose ? Pourquoi ? J’ai beau tâcher de rationaliser en me disant qu’il ne sait pas tout, encore, sa réaction m’inquiète. - Non… Enfin, pas tout de suite mais… Un jour. Peut-être ?Je suis clair ? Hum… C’est bien ce que je me disais. L’ennui, c’est que je ne peux pas trop en dire si je veux éviter de gâcher toute la surprise. Surtout que visiblement, je suis parvenu à ménager mes effets. L’impatience de Célian me parvient par vague. Son intérêt me réchauffe, autant que son sourire.  « J’aurais dû faire ça en premier, finalement, là où tout a commencé. » J'acquiesce. Tant qu’il me regarde de cette façon, rien ne saurait mal se passer.

Mes doigts s’enroulent autour des siens pendant que nous remontons, ensemble, l'allée principale. - Ce serait laquelle, dis moi ? Quelle est ma couleur, d'après toi ? J’ignore si ma manœuvre est habile ou bien grossière. À chacune de ses questions, je tâche de dévier son attention du sujet principal. Entre les pavés de pierres blanches, des herbes folles dansent au gré du vent. La nature a commencé lentement à reprendre ses droits ici. - L’occasion s’est présentée en moi. La vente de la propriété était bloquée par des conflits d'héritage, depuis des années. Je l’ai su avant même qu’elle ne soit finalement mise en vente et… Je ne sais pas. Je me suis dit que c’était le bon moment ? Un signe du destin ? Une opportunité à saisir ? Je souligne ma question d’un haussement de sourcils, avide de connaître son avis. En réalité, il me semble que je cherche surtout son inébranlable soutien.

Placardé sur la porte d’entrée, trône fièrement la dernière le dernier quart du plan initial. Je le décroche moi-même avant de me tourner vers Célian. Une vague d’émotion me soulève l’abdomen. Ce que je ressens est puissant. Implacable.D’un ton prétendument mystérieux, j’annonce :  - C’est là que la vraie partie commence : quelque part dans cette villa, j’ai caché un trésor. Je me penche vers lui, si proche que nos nez se frôlent. - Tu crois que tu vas réussir à le trouver ? Je le taquine, sans pouvoir retenir un sourire. Putain, qu’est-ce que je l’aime, ce mec ! - Sans vouloir te mettre la pression, tu y trouveras certaines des réponses à tes questions. De la poche de mon jogging, j’extirpe un trousseau de clé que je lui tends. - Évidemment si tu te trompes de clé, je gagne encore 5 minutes. N’a-t-il pas dit que ma chasse au trésor était trop facile ?

Il n’empêche que le stress me grignote allègrement. J’arrive encore à en cacher une partie. Je sais ce qu’il trouvera une fois la porte ouverte. Le gros du ménage avait été fait en prévision de la vente. Quelques meubles, datant de l’ancien propriétaire, et que sa famille n’a pas souhaité récupérer, sont encore là, notamment dans le bureau du premier étage et le salon. Sur les murs des pièces principales, j’ai placardé 4 à 5 affiches représentant différents aménagements possibles. Tous réalisés depuis mon logiciel de bureau. Pour moi, chacune de ces ambiances représente un avenir possible. Chaque pièce recèle, à elle seule, une croisée des chemins. J’en frissonne par anticipation.

S’il parvient à lire correctement le plan, il notera sans mal la petite croix, tracée à main levée, indiquant le bureau du premier, avec terrasse privative. C’est dans cette pièce que j’ai laissé le coffret. Bon sang, j’ai hâte. J’ai besoin de savoir. Mes lèvres se perdent dans le cou de Célian. - Je t’accompagne ou tu préfères que je t’attende à côté de la piscine ? J'en profiterais pour ouvrir le vin, le pique-nique avec vue sur l'océan ayant déjà été dressé au préalable.

@Célian Barrows

« Lance un chrono. » J’acquiesce, les yeux rivés dans les siens. Ma langue capte les dernières traces de ce baiser sur mes lèvres. Je garde ses doigts jusqu’à la dernière seconde, jusqu’à ce que la porte se referme. J’en ai oublié de faire monter les enchères. Peut-être parce que ce qui se joue, dans l’immédiat, me semble beaucoup trop important. J’appréhende, je stresse. Tout mon organisme est saturé d'incertitudes et pourtant… J’ai étrangement confiance. Quelle que soit sa décision, notre histoire ne s’arrêtera pas aujourd’hui. De mon point de vue, elle ne s’arrêtera pas tout court.

Je contourne la villa en tentant de calmer la cavalcade de mon cœur. Ce serait beaucoup plus facile si j’avais de quoi m’occuper. Là, en l'occurrence, ouvrir la bouteille de vin californien ne me prend pas vraiment longtemps. Je laisse deux verres, remplis, sur la table en bois. J’ajuste les détails, remets la nappe correctement, vérifie la disposition des plats. Cinq minutes à peine, selon ma montre. C’est officiel, je vais devenir dingue ! Je finis par m'asseoir au bord de la piscine - vidée depuis longtemps, mais nettoyée depuis peu - les jambes dans le vide. Je fais face à la forêt en contrebas, et plus loin encore, l’océan se distingue. Plongé dans la contemplation de ce paysage, je rêve d’un avenir à deux, ici. Puis à trois, pourquoi pas ? Plus tard, bien sûr, mais… Dans ma tête, je formule des phrases par centaines, incapable de trouver la juste façon de dire les choses, celle qui rendra cet instant mémorable.

Enfin, ses pas se font entendre, et je me tourne vers lui. La curiosité me dévore. - J’ai hâte de les découvrir. Tu as déjà tout visité ? Même le garage et le grenier ? Je n’en serais pas même étonné. En revanche, au risque de le décevoir, j’ai oublié le chrono. Je jette rapidement un coup d'œil à ma montre pour pouvoir annoncer : -17 minutes et 43 secondes. Honorable. La vision du coffret m’électrise la nuque. Dans un hochement de tête, je confirme. - Il est tout à toi. Je l’invite à s’installer face à moi. Chaque battement de mon cœur cogne férocement. Il résonne si fort que je me demande sincèrement si Célian peut les entendre de là où il est. Je suis nerveux, gonflé d’une tension merveilleuse. Il y a quelque chose de grisant à se tenir là, à la lisière d’un avenir commun. Nous sommes en train d’écrire notre propre histoire. - Ouvre-le, lui dis-je pour toute réponse, une certaine émotion accrochée à la voix. D’un mouvement du menton, je l'encourage à découvrir le trésor caché.

J’ai le cœur littéralement au bord des lèvres. À l’intérieur, se trouvent un second jeu de clés complet, ainsi qu’un acte de copropriété, sur lequel son prénom et son nom sont déjà inscrits, juste à côté des miens. Ma main se faufile dans la sienne. Mes doigts s’entremêlent aux siens tandis que j’essaie de capter son attention. - Célian.. J’ai répété ce discours une bonne centaine de fois, mais, finalement, je n’ai pas réussi à en faire quelque chose de parfait. Peut-être que tu vas trouver ça complètement fou, et peut-être même que ça l’est, mais… Je n’ai pas besoin d’attendre des mois ou des années pour être sûr de ce que je ressens. Le temps ne fera que confirmer ce que je sais déjà alors pourquoi attendre ? Je suis fou amoureux de toi. Je sais que si tu marches à mes côtés, je pourrais tout entreprendre. Quand ils m’ont parlé de la vente, et que j’ai vu les photos. Je me suis dit….

Et si, c’était chez nous ? Si on rénovait cet endroit, tous les deux, pour y vivre ? On pourrait en faire quelque chose qui nous ressemble. Un refuge. Une oasis d’amour et de tendresse. - Y créer l’avenir dont on a rêvé. Ensemble. Le bureau est pour toi. Pour qu’il puisse y écrire, avec vue sur l'océan. La boule dans ma gorge se densifie. Je presse un peu plus fort sur ses doigts. - Il y a un sous-sol pour installer une salle de muscu. J’ai envie que tu fasses partie de ce projet. Que tu te l'appropries de la manière que tu veux. Qu’on vive ça ensemble. Je ne te propose pas sept nuits, Célian. Je te propose une vie entière. Elle pourrait commencer ici…. Je laisse planer un silence. J’ai la gorge sèche d’avoir tant parlé. - Qu’est-ce que tu en penses ? Mes autres versions de ce discours étaient probablement mieux construites, plus émouvantes. Celle-ci n’est que plus sincère. Je lâche un rire nerveux en levant les yeux au ciel. J'évacue un peu des frissons que me traversent. - Finalement peut-être que j'aurais dû m'en tenir à la version 14 de ce discours, elle était beaucoup plus convaincante. Tu n'en serais pas revenu. L'humour pour alléger l'ambiance ? Pas sûr que cela fonctionne. Dis-moi oui. - C'est un bel endroit pour élever des enfants. En plus, l'école du quartier a très bonne réputation. J'ai vérifié.

@Célian Barrows

« Tu as acheté une maison. » J'acquiesce du menton. Enfin, je le sais déjà, ça. Cela ne me dit pas ce qu’il en pense, lui. « Tu nous as acheté une maison. » - Oui. Je l’affirme, les yeux plongés dans les siens. J’ai saisi l’occasion. Peut-être aurais je dû faire les choses différemment et l’associer dès les prémisses de ma réflexion. Ceci dit, je n'ai pas réellement pris le temps de réfléchir, de peser le pour et le contre, et ce genre de trucs. Mon désir de rendre les moments clés de notre histoire inoubliable, a probablement court-circuité les règles les plus élémentaires de la vie de couple. Pourtant, malgré l’autorité dont Célian fait preuve, je n’arrive pas à envisager cette impulsion comme une erreur. Ma confiance en lui demeure intacte. Inébranlable. À son tour, il m’entraîne et me guide au cours d’une visite toute personnelle de la villa.

Devant l’affiche du salon, j’expire brutalement l’air contenu dans mes poumons. Un sourire frémit au coin de mes lèvres tandis qu’un frisson s’invite sur ma nuque. Sans être un “oui”, l’idée de poursuivre notre histoire entre ces murs me charme définitivement. Je tire sur sa main afin de lui voler un baiser. Son message, dans la cuisine, me fait ricaner. J’évacue, dans un rire bref, un peu de ma nervosité. - Je pourrais me mettre à me plaindre, juste pour le plaisir que tu me fasses taire. J'adore ta façon de m'embrasser. La chaleur naissante, au fond de mes reins, se décuple à la lecture des quelques mots laissés dans le bureau. Je jette à l’aventurier un regard brûlant. Chaque mot, inscrit dans la chambre, alimente ce brasier. L’explosion survient sur la dernière phrase. Fauché en plein vol, mon cœur éclate en milliers de particules. Je saisis pleinement l’importance de cette confession, autant que le caractère exceptionnel de cette intimité.

Tous les chemins que l’amour peut prendre… J’ai cru savoir aimer. J’ai pensé connaître la définition de prendre soin. Je me trompais. Est-ce un oui ? Ou seulement l’assurance que lui et moi, ça ne s’arrêtera pas ? De ma position, je passe une main dans mon dos. Mes doigts se faufilent sur la couture inférieure de son tee-shirt. J’y enroule le tissu et tire pour garder son propriétaire plus proche encore. Dis-moi oui… - J’ajouterais des parois pour en faire cinq de plus si tu veux. On a suffisamment de terrain pour que je construise un studio supplémentaire. Tout ce qu’il voudra ! Cet homme s’est érigé au rang de priorité dans mon existence. Avec une attention démesurée, je l’écoute et je suis ses mouvements. Je fixe la pointe de ce stylo, aussi intensément que si ma vie en dépendait. - Ils pourraient être jaloux, méfie-toi. Sa signature scelle la mise en commun de nos avenirs. Nous les lions l’un à l’autre.

Putain. Il a signé ! Ma respiration s’approfondit à mesure que je prends conscience de la situation. De ma main libre, je caresse des doigts la trace laissée sur le papier. Aussi dingue l’un que l’autre, finalement. Les dents plantées dans la lèvre inférieure, j’effectue une volte-face en attirant Célian contre moi. La fougue de mon baiser matérialise le séisme de mes émotions. Le temps d’une inspiration, je relève vers lui un regard émerveillé. Nous voilà chez nous ? - Bienvenue à la maison. Pourquoi j’ai l’impression d’être l’homme le plus chanceux du monde ? Je suis, en tout cas, à peu près certain, d’être le plus amoureux. Je m’avance contre Célian pour l’embrasser encore. - Tu crois qu’on devrait réaliser tes prédictions ? On commence par cette chambre ? Les vieilleries des anciens proprios peuvent attendre. Je n'ai pas encore vidé l'ensemble de leurs possessions.

Il y a quelque chose de follement naturel dans ma manière de commencer à le déshabiller. La sensualité s’invite dans nos échanges, m’électrisant entièrement. Nous nous aimons passionnément, fiévreusement, profondément. Et, longtemps.

Très longtemps.
Aussi, longtemps, qu’il m’a longuement manqué.

Le corps saturé de bien-être, la peau encore chaude de nos ébats, je saupoudre la gorge de Célian de baisers appuyés, lovés contre lui. - Est-ce que… Mes lèvres remontent lentement jusqu’à son oreille. - Tu n'as pas vraiment envisagé que je puisse vivre ici sans toi, si ? Aussi fou que cela puisse paraître, j’éprouve l’impression tenace d’être sur la même longueur d’onde. Les effets sont incroyables. Finalement, je ressens le besoin de me confier davantage. - J’avais envie que tout soit parfait, tu sais ? Je voulais que ce moment soit magique à raconter à nos petits-enfants. Puis… J’avais tellement hâte de t’emmener ici, si tu savais.J'ai cru que j'allais vendre la mèche à chaque fois que je te regardais dans les yeux. Un immense sourire s’invite sur mes traits. Aussi impatient qu’un gamin, j’étais pressé de partager avec lui ma découverte. - Il y aurait quoi, C., dans la maison de tes rêves ? Qu'il me raconte. Histoire que je puisse la lui bâtir.

Le pique-nique et les verres de vin nous attendent toujours sagement, près de la piscine. Temporairement abandonnés au profit d’une rêverie à deux.


@Célian Barrows