A coeur ouvert, confidences entre mère et fils

@Malone Harlow-Barrows

28 novembre 2024, 6h35

Aujourd’hui, je fête mes quarante-neuf ans. Comme chaque année depuis quatorze ans, je me rends sur la tombe de Lincoln. En réalité, je viens ici souvent. À la date de son décès, à son anniversaire, au mien, à celui de notre mariage… J’en ressens le besoin. Encore plus aujourd’hui, après cette prise d’otage dans cet Apple Store. Une fois de plus, je suis convaincue qu’il veillait sur nous. Je le sens, comme une présence discrète, un souffle protecteur. Il veille sur les enfants et sur moi, comme il l’a toujours fait.

Debout devant sa tombe, mes yeux se posent sur l’inscription gravée sur la plaque commémorative. Puis, doucement, je dépose une lettre et un bouquet de camélias blancs et de renoncules devant la pierre tombale. Le même bouquet qu’il m’offrait, invariablement. Pour lui, ces fleurs avaient bien plus de sens que des roses rouges. Les renoncules, symboles de charme et de séduction, et les camélias blancs, incarnant la beauté parfaite. Finalement, je m’assieds par terre, glissant mes jambes sous moi et laissant mes doigts jouer avec l’herbe encore humide de la rosée du matin. La lettre, je l’écris chaque année. J’y raconte tout ce qui s’est passé durant l’année écoulée, comme pour le tenir informé, même si au fond, je suis convaincue qu’il sait déjà tout.

- Quatorzième anniversaire sans toi, Linc. Je me sens toujours nostalgique en cette période. Ce n’est pas à cause des années qui passent – tu sais bien que prendre une ride ne m’a jamais fait peur – mais parce que, depuis qu’on s’est rencontrés, tu as toujours fait de ce jour un moment inoubliable. Tu m’as même fait ta demande le jour de mon vingtième anniversaire. Tu avais mis la barre tellement haut pour les années suivantes… Et maintenant, c’est moi qui viens te porter des fleurs… Tu vois, je n’ai pas oublié le bouquet que tu choisissais pour moi.

Je marque une pause, me mordant légèrement la lèvre avant de poursuivre.

- Les enfants vont bien, tu sais. Ils avancent dans leur vie, et moi, comme on se l’était promis, j’essaie de ne pas trop m’en mêler. Je les laisse se tromper, se relever seuls si possible, sans être étouffante, en revanche ils savent que je suis là. Mais, sérieux Linc, ce jour-là, il aurait mieux fallu que je perde la voix ! Tu n’imagines pas à quel point c’est dur de ne pas surveiller leur moindre fait et geste pour les protéger et m’assurer que tout ira bien. Bon, je sais que ce que tu vas me dire qu’ils s’en sortent très bien… Et tu as raison. Christa est devenue chirurgienne et a travaillé pour Médecins sans frontières. Maïou a suivi tes traces et est devenue pompière. Sam remonte la pente, petit à petit… Kenny, par contre… c’est lui qui m’inquiète en ce moment. Je le vois si peu. Lola, elle, semble aller mieux depuis son hospitalisation, mais je garde un œil sur elle, juste au cas où. Christopher, lui, est encore secoué par ce qu’il s’est passé au centre commercial… Il a du mal à me quitter des yeux. Mais il est fort, je sais qu’il surmontera ça. Je fais de mon mieux pour le rassurer.

Je laisse échapper un soupir doux en pensant ensuite à Malone, un sourire teinté de tendresse aux lèvres.

- Et bien sûr, Malone… Bon sang, Linc… Il te ressemble tellement. Je te revois en lui, dans certaines de ses expressions, certains de ses gestes. Je sais que, de là où tu es, tu dois être fier de lui. Après ta mort, il m’en a fait voir de toutes les couleurs pendant son adolescence, mais aujourd’hui… Il est devenu un soutien précieux, un grand frère exceptionnel. Si jamais je venais à ne plus être là, je sais qu’il serait le pilier de cette famille. Et tu adorerais son mari. C’est un amour, et je suis si heureuse de savoir que Malone a quelqu’un sur qui compter. Tu vois, on a fait du bon boulot avec lui…

Je souris doucement, enroulant mes bras autour de mes genoux que je ramène contre ma poitrine. Mon menton repose sur mes bras, et je laisse le silence s’installer un instant.

- C’est fou de penser à cette maison autrefois pleine de vie, avec tous ces enfants… Et maintenant, ils volent tous de leurs propres ailes. C’est mieux ainsi, bien sûr. Le ranch est toujours plein de monde, mais… je me suis retirée temporairement du programme de famille d’accueil après ce qu’il s’est passé avec Sam et Lola. Nos filles avaient besoin de moi. Mais maintenant… je crois que je vais relancer la procédure. La maison est si calme, presque vide. Il ne reste que Christopher, et même Lola commence à parler de déménagement. Bon, j’avoue, j’ai un grand gamin qui a élu domicile chez nous et qui s’est imposé comme colocataire surprise : Killian. Sa présence me fait du bien. Je ne suis pas habituée à rentrer dans une maison silencieuse après le travail, ça me rendrait presque nerveuse. Tu crois que je suis normal ? D’autres parents seraient soulagés d’avoir enfin un chez-soi calme et tout le temps rangé… Ouais, je sais ce que tu vas me dire, que je ne suis pas toutes les mères.

Je lâche un petit rire en imaginant le ton de sa voix amusée et de son regard taquin se poser sur moi. Je sors de mes rêveries quand j’entends un bruit de pas derrière moi, me faisant sursauter. Je me retourne et, à ma grande surprise, je découvre Malone. Je ne m’attendais pas à le voir ici, surtout à une heure si matinale.

- Mon cœur ?! Qu’est-ce que tu fais là ? Si tôt surtout.