Son monde n’est fait que d’enfants, de maris incompétents et d’un rythme effréné. Des cris, des pleurs, des crises de jalousie ou de colère. Maya ressentait le besoin aujourd’hui de n’entendre que le silence. Elle entendait encore ses enfants se plaindre alors qu’elle quittait le domicile familial en criant « Je rentre dans quelques heures, débrouillez-vous un peu sans moi ! ». Elle avait besoin de souffler, de rester pendant un temps dans le silence, de prendre le temps de se ressourcer. C’est pourquoi, ce mercredi après midi, Maya avait décidé de prendre du temps pour elle. Le soleil s’était levé ce matin en lui promettant de rester toute la journée à l’attendre et il n’avait pas menti : alors qu’elle s’enfuyait en mettant le contact sur sa voiture, direction le parc, elle avait une chaleur douce qui dorait ses épaules dénudées et ses mollets découverts. Elle rabattit les pans de sa robe verte quand elle s’essaya et démarra la voiture familiale sans un bruit. Pendant un long moment, sur le trajet, elle ressentit ce remord d’une maman qui laisse seul ses enfants à leur sort mais ils étaient déjà en pleine adolescence, indépendant et parfaitement capables de se passer d’elle. Elle avait juste dû mal à se faire à l’idée. C’était une amie à elle qui lui avait suggéré d’aller prendre du temps pour elle. Maya n’avait pas oublié de fourrer un livre dans son sac à main et lorsqu’elle se gara sur le parking du parc, elle ne manqua pas de vérifier qu’il était toujours là.

Ses pas la guidèrent en douceur vers un banc solitaire sur lequel elle s’installa pendant une bonne heure avant de se décider à se dégourdir les jambes. Les rues de Monterey, peu importe ce que les gens en disaient, avait clairement son charme. Tandis que ses talons tintaient contre le trottoir, elle ralentit au coin d’une impasse et tourna la tête vers un bruit familier. Celui d’une bombe de peinture. Un sourire se glissa sur ses lèvres, observant l’œuvre de l’artiste et analysant par la même occasion sa façon de maintenir sa bombe. Curieuse et ne pouvant s’empêcher d’y apporter un commentaire, elle éleva sa voix sans s’annoncer. Ses talons avaient sûrement trahi sa présence, cependant. « Tu as une bonne technique mais tu devrais maintenir ta bombe un peu plus droite. On ne t’a jamais approché pour ton talent ? »

Des gens se plaignent encore et toujours. « Je vous avais demandé au sel... » «  Vous êtes à l'heure sur les séances ? » « Vous avez dit qu'il était bien ce film, vous avez menti » «  Vous vous êtes trompé dans le remboursement... » Des remarques qu'il devait affronter régulièrement. Plusieurs fois par jour, pas aussi insurmontable que les moments désagréable de certains clients. Les sauts d'humeur, aux certaines menaces, d'après certainement étudies... Les gens étaient de plus en plus stressées, ce qui révélait une perte de contrôle, accompagner de plus en plus de violence. En gros, ils étaient leurs sacs de frappes, et ils n'avaient pas grand-chose à dire. Ce côté obscur de son boulot, l'usait à mesure qu'il avançait dans la vie. User dans le sens, s'il pouvait répondre, certainement qu'ils auraient mis la clé sous la porte depuis... Ou viré. La joie du confetti de pop-corn, une explosion de barres chocolatées dans le mille, comme on trouve sous dans ces fêtes de quartiers ou à l'école, tu vises, tu finis dans l'eau. Sans l'eau... mais on trouve plutôt la porte. Son défouloir, c'était la danse, et le dessin, sans ça... Il serait peut-être dans les faits divers à l'heure qui est.

Aujourd'hui, faisait partie de ces jours, il avait juste besoin de se vider la tête. Un de ces jours, ou il avait fait traîner un boulot qu'il devait déjà faire déjà depuis des jours. Mais la page blanche ne se commandait pas, Hoshi travaillait mieux sous la pression mentale que s'il ne se passait absolument rien dans sa vie. D'étranges circonstances, n'est-ce pas ? Sa bombe laissait un voile de couleur derrière son attention aussi captivée que cet instant, qui lui était consacré. Cette marque indélébile qui laissait derrière lui. Qui allait faire parler de lui, ou du moins de son œuvre. Il ne cherchait pas les fleurs, mais seulement qu'on se pose quelques instants, qu'on se pose devant... Sa main gauche, fit une légère virgule mal assurée dans son plan, à une voix qui l'avait déconcentrée. Mince... Ce n'est pas comme s'il pouvait effacer cette petite erreur de la carte. « J'ai foiré... Vous m'avez surpris... » dit-il dans un soupir. Il avait qu'à faire attention au monde qui gravitait autour de lui. Il était au milieu de la rue, dans une ville... Jusqu'à maintenant il n'avait croisé personne enfin, il lui semble. « Non, il faut croire qu'on n'approche pas quelqu'un… Qui a encore beaucoup de lacunes ? Puisque vous avez déjà trouvé un de mes points faibles. » Si jusqu'à maintenant, il ne s'était pas retourné pour l'observer, il le fit à cet instant précis. À quoi il s'étendait ? À une jeune femme de son âge ? Habillé jean large et T-shirt ? Peut-être, il avait en face de lui, quelqu'un plutôt... Bien habillé pas le même monde quoi ? Une mère de famille des beaux quartiers, genre belle maison, avec barrière blanche. « Qui vous êtes ? Et puis qu'est-ce qu'elle en savait de comment je dois tenir ma bombe. Je pense que vous vous êtes trompé d'endroit ou de personne. Le foyer des jeunes enfants perdus, c'est plus loin... »

Alors qu’elle s’approchait doucement, élevant la voix gracieusement, la quarantenaire ne s’attendait pas à ce que le jeune homme soit surpris par son arrivée et qu’il loupe son tracé. Elle l’entendit soupirer et s’en voulut aussitôt : si elle se mettait à sa place, si c’était une véritable passion de dessiner pour lui, cela devait être un calvaire. Maya savait qu’on ne pouvait pas gommer un tracé comme celui-ci : c’était indélébile, une frustration qui ne partirait jamais. Il fallait soit continuer, soit cacher, camoufler ou laisser ainsi. Un jour peut-être, cette trace ferait le succès de l’une de ses oeuvres, et donnerait un cachet en plus à cette oeuvre : il aurait une histoire profonde. Mais Maya n’en était pas jusque là. Elle en était resté à son erreur. « Oh, je vous demande pardon, je ne pensais pas vous surprendre. Je pensais qu’on m’avait entendu arriver. » Les talons, elle les avait elle-même entendu claquer sur le trottoir en s’approchant. Mais, quand on est inspiré et concentré dans un zèle de créativité, est-ce qu’on ne rentre pas dans une bulle qui nous coupe du monde, nous empêchant d’entendre ce qu’il se passe autour de nous ? Maya aurait pu être un ravisseur, un voleur et le jeune artiste ne s’en serait même pas rendu compte, trop plongé dans son oeuvre. Pendant un instant, elle voulut le materner comme elle le faisait avec ses enfants mais elle se ravisa. Elle devait se résoudre à ne pas être la maman de tous les enfants de ce monde. « Vous avez beaucoup de talent, je vous le garantis. Il vous faudrait davantage de visibilité. Si vous arrivez à me convaincre, je pourrais peut-être parler de vous à certains de mes contacts. » Maya se rendit compte qu’elle paraissait hautaine en parlant de cette façon et manqua presque de s’excuser. Il faut croire qu’en évoluant dans un beau monde, elle avait prit aussi les codes. Alors qu’elle était née au plus bas. « Je m’appelle Maya, enchantée. J’étais customisatrice de voiture quand j’étais plus jeune. J’avais une passion là-dedans et j’utilisais effectivement une bombe. Tu peux la tenir comme tu veux, mais sache que ce conseil pourrait t’aider à moins trembler dans tes tracés. Je ne pense pas m’être trompé en croisant l’œuvre d’un artiste. La vraie question, c’est : est-ce que tu as envie de me montrer l’étendue de tes talents ? » Maya ne s’imaginait pas que le jeune homme puisse avoir une galerie. En revanche, elle s’imaginait bien que le jeune homme se mette à lui faire une petite visite de la ville pour lui présenter les quelques murs qu’il aurait pu faire. Avec un peu de chance, elle pourrait propulser ce jeune talent ?

Hoshi où est ton éducation ? Le brun manquait cruellement de politesse. Il faut dire qu'il n'avait pas non plus, l'habitude qu'on l'aborde dans son travail. Les plus curieux se postaient quelques minutes derrière lui, les voix qui se chuchotaient derrière son dos, parfois discret ou tout le contraire, éclat de rire à peine dissimulé. Le brun avait appris à faire abstraction. Quand d'autres passaient simplement leur chemin, pensant que c'était l'un de ces jeunes délinquants qui dégradaient encore l'espace commun, payer de leurs poches. Donc oui, cette femme l'avait surpris. Personne encore ne l'avait abordé. « Je ne fais plus attention à mon environnement quand je dessine. La plupart du temps, ça m'apporte des problèmes ou les gens pensent toujours qu'ils ont le droit d'émettre des jugements » Avant d'avoir fini sa phrase Hoshi a tout de suite su, que ça aurait pu être mal interprété. Et qu'elle le prenne pour elle. Le plus souvent, ces pensées dépassaient ses lèvres sans même réfléchir avant. Un instinct de protection peut-être... Ils ne venaient pas du même monde, il n'avait pas besoin d'observer bien longtemps son interlocutrice. Pour se rendre compte que déjà lui venait de la classe en dessous. Pourquoi elle s'intéressait autant à lui, ou plutôt à ces œuvres. La convaincre de quoi ? Ça en était presque vexant. Jusqu'à maintenant, il n'a jamais eu besoin de prouver quoi que ce soit. «  Ça va aller merci ! Si je dois vous prouver quelque chose, il y a forcément un moment ou vous allez me demander quelque chose en échange. Donnant donnant non ?  » Le relationnel marchait bien comme ça non ? En-tout-cas, c'est ce que Hoshi a connu toute sa vie. Un toit contre un peu de son temps pour travailler sous les endroits de sa famille d'accueil. Aujourd’hui, il voulait simplement sa liberté. « Pourquoi vous feriez ça ? Je veux dire m'aider... » Et puis, il n'avait pas envie de se donner de faux espoir, si les choses n'arriveront jamais. «  Moi, c'est Hoshi... Enchanté. » Il n'était pas sûr que ça soit une bonne idée de se présenter, ma fois dans ce qu'elle disait y avait du sens. « Qu'est-ce qui vous a fait arrêter, si c'était votre passion...? » Il avait du mal à imaginer qu'on puisse arrêter sans raison. Hoshi se pencha vers son sac, pour récupérer une bombe à la main qui lança vers Maya. « Le mieux… c'est qu'on montre déjà nos talents. Vous me montrez et après... Je vous montre. Comment vous allez effacer ce trait... Et j'espère que ça ne vous dérange pas de vous salir ? » Dit-il dans un sourire, sans la moindre hostilité pour une fois. Il avait abaissé un peu les barrières sans toutefois ne pas perdre à l'esprit qu'il ne la connaissait absolument pas. Mais elle l'avait intrigué, éveiller sa curiosité.