C’est un besoin viscéral qui a poussé Ionas et Irini loin de la maison familiale, ce soir. D’un simple regard, un simple coup d’œil et ils se sont compris. Même si la surprise que leur a fait leurs aînés est délicieuse et qu’ils profitent à fond de chaque instant, il reste un moment où ils ont besoin de se retrouver et de prendre un peu le large. Après avoir fêté comme il se doit ce passage d’une nouvelle année sur leurs traces, les jumeaux ont décidé de passer la soirée entre eux, rien que tous les deux. Depuis quelques semaines, depuis la frayeur gigantesque que la jeune femme s’est faite et qu’il a eu du mal à surmonter, les deux moitiés de ce tout qu’ils forment ont besoin de se retrouver et de passer du temps ensemble. Ionas est incroyablement collant avec Irini depuis des jours, cherchant son affection et sa présence à chaque instant. Il a besoin de la savoir près de lui à tout moment et ce voyage ne pouvait pas tomber mieux. Il a un œil sur elle et peut veiller tranquillement à ce qu’elle aille bien. Alors il est serein depuis le début de ce séjour, beaucoup plus que ces dernières semaines éprouvantes. Détendu et en parfaite compagnie, la plus belle de toutes, Ionas profite de cet instant avec sa jumelle, à bavarder de choses et d’autres, à évoquer des souvenirs, à se chamailler sur des détails, à se chercher sur des broutilles. Mais le moment est incroyablement parfait.

Pourtant, une voix interrompt leur discussion et Ionas relève les yeux vers un visage extrêmement familier. « Ben alors, ça n’accueille pas votre cousin préféré ! » Dareios est devant eux et s’incruste à leurs côtés sous l’air ébahi de Ionas qui pourrait en laisser tomber sa mâchoire au sol, s’il n’avait pas eu un minimum d’éducation. « Dar’ ! » Alors ça, c’est une surprise de taille ! Lui qui croyait que son cousin n’avait pas pu se libérer pour ce voyage. Le jeune Dimitriou se lève aussitôt pour venir chercher la chaleur d’une étreinte fraternelle. « Quelle surprise ! On peut dire que tu sais ménager tes effets ! » S’il y a bien une chose à laquelle il ne s’attendait pas, c’était bien à le retrouver là, ce soir. « Vous n’allez quand même pas croire que je vous aurez fait faux bond pour votre anniversaire quand même. » Un sourire immense borde les lèvres de Ionas qui rétorque, en se rasseyant. « Moi, j’avais déjà fait une croix sur toi tu vois, je t’avais rayé de l’arbre généalogique ! » Il plaisante, bien sûr. Le trio que ces trois là forment depuis des années est indestructible, rien ne saurait se mettre en travers de leur chemin. « Tu nous as retrouvé comment ? » Là encore, il plaisante. Dareios les connaît décidément un peu trop bien. Ionas tourne pourtant vers sa jumelle une mine qu’il veut inquiète. « On va devoir changer nos habitudes chère sœur, on est devenus trop prévisibles ! » Il est pourtant comblé par cette arrivée soudaine. « Ce voyage est définitivement parfait ! Sauf si tu nous sors que ton cadeau, c’est ta présence ici. » Il le taquine encore, de bonne guerre tandis qu’il récupère son verre pour tremper ses lèvres dedans, plus heureux que jamais.

A l’instant où Dareios les rejoint, il observe sa sœur faire son petit numéro avec un sourire fier au coin des lèvres. Il adore la voir comme ça, aussi piquante que ravie de voir leur cousin dans les parages. Mais chacune de ses attaques est un délice à savourer. A ses yeux, sa sœur a toujours et restera parfaite jusqu’à la fin de ses jours. Et n’y voyez aucun manque d’objectivité, Ionas n’a même pas la moindre question à se poser à ce sujet. Et qui viendrait le contredire pourrait s’exposer à une grave réaction de sa part. Il n’accepte pas la moindre critique au sujet de sa jumelle, surtout pas ces derniers temps. Depuis l’accident, il veille au grain et il s’assure qu’elle va bien à chaque seconde. Leur regard complice n’est que le suivant d’une longue série.  « Je crains que nous allions devoir nous renouveler. Quelle tragédie d’être aussi prévisible, mais tant que c’est Dary, je dirais que tout va bien. J’espère que tu n’as rien dit à personne sur où on se trouve. » Il aime la façon qu’elle a de le menacer tout en lui faisant un magnifique compliment. Parce que c’en est un. Peu peuvent se vanter de déranger les jumeaux dans une de leur retraite spirituelle et s’en sortir avec son lot d’exception. Dareios en est une depuis toujours, le seul à percer la bulle épaisse dont ils s’entourent parfois tous les deux. En réalité, il ne l’abîme jamais, il arrive à y pénétrer avec délicatesse. « On dirait que notre cher cousin a réussi son coup. » Ionas approuve, encore une fois, les propos de sa moitié. « Il arrive encore à nous surprendre, nous allons le garder avec nous encore un peu. » Un sourire étincelant lui écarte les lèvres tandis qu’il balance sa petite confidence en restant certain que leur cousin l’entende, bien évidemment.

Mais bien sûr, il n’entend pas se laisser marcher sur les pieds de jumeaux déchaînés. « Quoi ? Non mais Ionas à entendre tes mots ça me brise le cœur. Vos cadeaux sont dans mes affaires, je vous les donnerai plus tard. Quoi que… je ne sais plus si je l’ai pris en fait… » Ionas lui affiche une mine ravie. « Tu es un très mauvais acteur, quelqu’un a pensé à te le dire ? » De son air le plus innocent, il feint de le dire sur un ton sincère, quand il n’en est rien. Il l’interroge cependant du regard. « La prochaine tournée ? Tu voulais dire les prochaines, non ? C’est notre anniversaire tu as oublié ? » Il se pare de son regard le plus convainquant qu’il puisse avoir en stock pour faire de cette vérité une réalité inébranlable.

Une fois installé de nouveau avec son duo préféré, il écoute attentivement son cousin leur raconter les raisons de son retard et les circonstances de son arrivée. « Tu es déjà passé par la maison alors ? Tu as revu tout le monde ? » Il demande, même si lui est plutôt ravi que les parents ne soient pas de la partie, il est aussi heureux de partager ce moment avec sa famille. Malgré quelques tensions vives parfois, il ne peut s’empêcher de les aimer tous plus forts les uns que les autres. « Ton enquête, tu peux en parler ? » Sa petite curiosité le pousse à poser la question, même s’il n’est jamais sûr d’avoir les épaules pour encaisser les horreurs du monde extérieur, tant il s’enferme dans une bulle infernale, parfois.

A la question de Dareios, il tourne un regard vers Irini et lui adresse un petit sourire. Ce besoin de chercher son contact à chaque instant s’est accentué ces derniers jours. « La surprise était parfaite et je crois qu’on passe tous un super moment. On a fait des balades de dingue, on devrait l’emmener là où on était avant-hier ! » Enthousiaste et particulièrement heureux, il interroge sa soeur sur cette idée qui vient de lui traverser la tête.« Tu repars avec nous ? Ta voisine ne va pas trop te manquer ? » Ionas, innocemment, bat des cils comme le plus parfait des anges. Un petit sourire en coin et un regard vers Irini plus tard, il sait qu’il met les pieds dans le plat mais ça se voit clairement à l’air fier qu’il affiche en posant cette question sortie de nulle part.

« Ce séjour est exactement ce qu’il nous fallait. » Une émotion vive étreint la gorge de Ionas en sentant la main d’Irini se blottir dans la sienne. Bien sûr, personne n’ignore, dans la famille, à quel point ces dernières semaines ont été difficiles pour eux. Ebranlés par l’accident de la jeune femme, ils ont tous été aux petits soins pour elle mais Ionas a réellement pris un coup de massue sur la tête. Pour lui, Irini est indestructible, il est inconcevable que le monde continue de tourner si elle venait à disparaître de la surface de la terre alors forcément, pour lui, il ne peut rien lui arriver. Ce retour brutal à la réalité lui a été douloureux, pour ne pas dire impossible à surmonter. Il ne la lâche plus d’une semelle, il est incapable de la laisser pour l’instant. Mais elle exprime si bien ce besoin qu’ils ont ressenti qu’il ne peut qu’acquiescer à ses mots pour leur donner un peu plus de poids, de valeur. L’ambiance est légère, agréable, comme à chaque fois qu’ils se retrouvent. Irini semble partante pour emmener Dar’ pour une balade et ce dernier semble prêt à les suivre n’importe où, en voilà donc une brillante idée. « Très bien, ça sera plusieurs verres ! De toute façon, on sait tous qu'Irini finira par ramper tellement qu’elle ne tiendra pas l’alcool. Rappel-nous comment a terminé notre dernière soirée tous les 3 ? » Ionas plisse légèrement les yeux et tend son index vers son cousin, faussement accusateur et surtout, avec un air de réprimande qui lui va si mal. « Fais attention à comment tu parles de ma sœur. » Il prévient, piqué au vif quand il s’agit de sa jumelle, même s’il sait pertinemment que Dareios plaisante et qu’il le fait savoir très aisément, avec un petit sourire en coin. « Si on doit aller balader, personne ne rampe ce soir ! » Il prévient, les sourcils plissés. Il a assez donné de voir sa sœur à l’hôpital, il ne recommencera pas l’expérience tout de suite. Il serre sa main entre ses doigts quelques secondes avant de laisser son cousin lui parler de sa mission. Quelque chose lui dit que de toute manière, il n’a pas réellement envie d’en savoir plus, de faire face aux horreurs de ce monde. Il est peut-être idiot de se voiler ainsi la face, pourtant, il n’y peut rien, il a juste envie de profiter de cette soirée.

Et elle démarre très fort puisqu’il lance le sujet qui fait immédiatement réagir. Sa jumelle, dans un premier temps, qui réagit avec un génie incontesté à la perche qu’il vient de lui lancer. Aux championnats du monde de relais, les jumeaux sont médaillés olympiques depuis des années, ils font ça mieux que personne et sur n’importe quel sujet. Ils se renvoient la balle avec une telle précision que personne ne saurait y résister, encore moins y survivre. Et à en croire la mine de leur cousin, ils touchent droit au but avec leur pauvre victime. « 8 minutes exactement. » Le sourire de Ionas s’agrandit. « On est pas à notre record ultime. » Il surenchérit avec aisance, cherchant l’appui dans les yeux de sa sœur. « C’est bon ? Vous avez fini ? Il ne se passe rien entre elle et moi… c’est juste une histoire de cul et c’est tout. Elle peut faire ce qu’elle veut et visiter la Californie avec qui elle veut je m’en fou… » Ionas plisse légèrement les yeux et, sous la table, vient tapoter la main de sa sœur avec son pouce pour attirer son attention. Il sait qu’elle comprendra immédiatement ce qu’il veut dire. « Après, ça ne change rien. Elle est très belle dans tous les sens du terme, mais on couche seulement ensemble pour passer le temps. » Il hoche légèrement la tête en observant son cousin et finalement, il se lance. « Tu t’améliores niveau acting mais ce n’est pas encore tout à fait convainquant. » Une manière de lui dire que son discours, il n’y croit pas une seule seconde. « Tu as un tic, tu le savais ? » Il lui adresse un sourire parce que sur ce coup-là, c’est du bluff mais il y croit tellement que pour lui, il est aisé de faire semblant. « Tu l’as depuis des années, on a oublié de te le dire ? Tu le fais à chaque fois que tu te voiles la face, c’est fascinant. » Il invente avec une telle aisance qu’il y croit lui-même. « Si tu nous dis la vérité, on te dit ce que c’est, parce que ce serait dommage qu’elle s’en rende compte quand tu lui dis qu’elle ne t’intéresse que pour le cul et que tu cherches juste à la sauter à l’occasion. » Dans la bouche de Ionas, c’est incroyablement rare d’entendre ces mots-là. Discret sur sa vie privée depuis toujours et particulièrement depuis deux ans, il n’a pas l’habitude d’un langage aussi châtier. Quand Dareios leur retourne la question, il hausse simplement les épaules.

Il laisse une minute au serveur pour déposer leurs verres devant eux et attrape le sien. « A nous ? A ce voyage, à notre santé, à notre anniversaire ! » Il trinque à nouveau avec eux avant de finalement répondre. « Mais c’est dans ta vie qu’il y a le plus d’action, mon cher cousin, pas vrai Antiope ? » Il sait que dans la vie de sa sœur aussi, c’est le calme plutôt plat en ce moment. Ils partagent au moins ça. « Mais je crois qu’à toi, on peut l’annoncer en avant-première. » Ils ont gardé ce projet pour eux jusqu’à maintenant mais avec Dareios, ils partagent énormément de choses, depuis toujours. Il se penche en avant, comme pour lui faire la confidence du siècle. Son côté théâtral le pousse même à lui faire signe d’approcher. « J’espère que tu es libre le premier week-end de juillet parce qu’on a besoin de tes gros bras musclés, on emménage ensemble ! » Il déclare, dans un sourire complice tandis qu’il se rend à peine compte qu’il n’a pas lâché la main de sa jumelle depuis qu’elle la lui a attrapée, il en est incapable.