Le chef c’était Horus. Et Horus était un bon chef. Alaska lui était reconnaissante de l’opportunité qu’il lui avait offerte en l’intégrant à son équipe, tout comme elle lui était reconnaissante d’avoir augmenté le nombre de missions auxquelles elle pouvait prendre part. C’était fatiguant, évidemment, mais elle avait toujours vécu au rythme de choses qui ne dépendaient pas d’elle et qu’il fallait devancer. Devancer la nuit, devancer l’hiver, devancer le printemps quand la fonte des neiges deviendrait un problème. Devancer l’ennemi. Alaska ne s’arrêtait jamais, ce n’était pas dans sa nature. Le temps était précieux et il fallait l’utiliser à bon escient. Le temps c’était de l’argent aussi. Et l’argent était le sésame pour prendre soin de sa famille.

Horacio passa la prendre en voiture, les conduisant jusqu’au point de rencontre. Un pique-nique organisé par la ville, apparemment. Alaska n’était pas très familière du concept. Manger dehors était parfois nécessaire oui, mais pourquoi en faire un événement ? Elle n’était pas sûre de comprendre l’intérêt de ne sortir rien que pour ça, mais pour une fois que les habitants de Monterey semblaient mettre le nez dehors elle ne pouvait que les encourager. Elle, habituée du grand air, de la chasse, des randonnées, des marches à n’en plus finir pour trouver l’endroit ou pour trouver la bête, elle trouvait que tout le monde ici semblait particulièrement fainéant. Ils avaient un côté ingrat, à ne pas apprécier ce qu’ils avaient sous les yeux, à rechigner à l’effort.

S’il n’y avait pas eu cette mission, elle n’aurait probablement pas mis les pieds ici. Elle n’aimait pas assez les gens pour ça, même s’ils l’intriguaient, même si elle aspirait à se fondre parmi eux autrement que grâce au silence et aux tenues de camouflage. Heureusement, ce genre de rendez-vous ne nécessitait pas d’elle qu’elle sourie, ni même qu’elle porte une robe ou qu’elle s’étende en longs discours. Elle en serait bien incapable, malgré ses récents progrès en terme de relations humaines.

Cette fois-ci, Horus ne la fit pas réciter le brief. Il ne posa pas de questions. Avait-il compris que ça ne servait à rien avec elle, qu’elle l’écoutait religieusement à chaque fois qu’il lui expliquait quelque chose ? Peut-être. Ou peut-être avait-il simplement décidé que pour cette fois ça n’en valait pas la peine. Quoiqu’il en soit, Alaska était partagée entre une perplexité désagréable – elle n’aimait pas qu’on change ses habitudes – et le bonheur de pouvoir garder quelques mots de plus au fond de sa gorge. Dire qu’elle n’était pas bavarde serait un terrible euphémisme.

Ils approchèrent rapidement du parc, leurs sens en alerte, comme toujours. Alaska observait les alentours, elle gravait tous les visages au fond de sa mémoire, elle scrutait les gestes, les gens, les portes de sortie. Réflexe. Elle qui avait toujours été une très grande observatrice, son séjour à l’armée, son travail de videuse et sa place dans ce commando ne faisaient qu’exacerber cette vieille habitude. Ses yeux trouvèrent rapidement la personne qu’ils devaient rejoindre et elle l’indiqua à Horus d’un simple signe de tête. Elle utilisait plus volontiers les gestes que les mots, et celui-là était on ne peut plus clair. Précis. Comme toujours.

La femme n’était pas loin, ils la rejoignirent rapidement. Elle faisait semblant de lire, ses yeux trahissaient son impatience et peut-être même son angoisse, à se relever si souvent pour guetter. Elle n’avait pas l’air d’une grande habituée de la fuite, ni de la surveillance. C’était sûrement pour ça qu’elle avait besoin de leur aide, de toute façon. Si elle avait été taillée du même bois qu’eux, elle aurait sûrement pu disparaître sans avoir besoin d’aide, de protection. Elle n’aurait peut-être même pas couru le risque qu’on place un contrat sur sa tête, au fond. Alaska n’était pas sûre d’avoir bien intégré toute l’histoire mais elle avait tout à fait compris une chose : cette femme était peut-être leur cible. Peut-être. Tout ce qu’ils pourraient apprendre sur elle pouvait les aider, que ce soit à la protéger ou à la descendre.

« Gaius Hache. »

Alaska sentit le regard d’Horacio se poser sur elle, et elle ramena ses yeux vers lui une fraction de seconde, avant de les replonger dans ceux de la femme, puis de les laisser filer. Elle ne perdrait pas une miette de ce moment, elle ne cesserait pas d’avoir tout ce parc à l’oeil. Qui sait ce qui pourrait se passer ? Qui sait qui se cacherait dans un buisson ? Il était peu probable que quelqu’un tente quelque chose avec tant de monde, que ce soit contre eux ou contre elle. Mais quelqu’un pouvait tout à fait vouloir observer tout ou partie de leur fine équipe et Alaska ne se ferait pas prendre au dépourvu. Jamais.

« Eagle. Une de mes partenaires. Elle m’accompagnera aujourd'hui. »

Elle hocha la tête vers la dame. Bien droite, debout, les bras croisés, Alaska était assez imposante. Son visage fermé qui ne savait pas sourire et ses yeux clairs qui transperçaient votre âme n’aidaient pas à la rendre plus aimable. Elle avait essayé, pourtant. On ne devinait pas à son air indifférent les heures passées devant le miroir pour essayer d’apprendre à sourire. Mais le seul sourire qu’elle parvenait à faire naître était bien trop carnassier pour remplir la fonction sociale à laquelle il était destiné. Pas naturel. Alors Alaska ne souriait pas. Et au fond, elle se demandait si ce n’était pas pour ça qu’Horacio l’avait emmenée aujourd’hui.

Le chef c’était Horus. Alors c’était Horus qui parlait. Elle n’ajouta rien, pas un mot, rien que son silence personnel. L’entrevue avec cette femme devait décider de son sort, n’est-ce pas ? Alors autant la laisser parler.