Ismaël fouille déjà l’endroit des yeux à peine sorti de sa voiture. Il s’occupe de la verrouiller rapidement et il se met à arpenter la rue à la recherche de son collègue. Son appel l’a étonné mais il s’est immédiatement mis en route, à la seconde où il l’a informé qu’un jeune manquait à l’appel au foyer, ce soir. Et pas n’importe lequel. Michael est l’un de ses protégés, il s’est occupé de lui à l’instant où il a franchi la porte du centre et il ne l’a plus quitté des yeux. Jusqu’à ce que cette foutue maladie ne l’oblige à s’éloigner plus souvent. Il n’a pas abandonné son travail, il fait beaucoup moins d’heures depuis quelques temps et ça le grignote doucement. Il a besoin de travailler pour vivre, il a besoin de faire son job pour continuer à exister. Sans ça, il n’aurait plus de raison de se lever le matin. Et c’est douloureux de s’apercevoir qu’il n’en est plus vraiment capable. L’énergie que ça lui demande au quotidien est en train de le grignoter doucement. Il a peur de manquer de force à chaque instant et devant des adolescents difficiles, il lui en faut davantage. Il a donc dû passer la main à ses collègues, leur faire confiance. Et ce n’est pas vraiment un problème, finalement. Il a confiance en Antonios et il a eu raison, parce que ce dernier l’a appelé malgré son absence. Il le retrouve rapidement parmi la foule grouillante de la rue où ils se sont donné rendez-vous. « Bonsoir Ismaël et merci d'être venu en dehors de tes heures de travail. J'espère que tu vas bien. » Il va rapidement passer l’état des lieux de sa santé, de toute façon, il ne saurait par où commencer. « Merci à toi de m’avoir appelé. » Il lui serre la main, le saluant chaleureusement d’un léger sourire, malgré la situation dans laquelle ils se trouvent à cet instant. Il lui signifie à quel point ça compte, pour lui, d’être toujours considéré comme l’un des leurs malgré ses absences répétées et parfois prolongées. Et surtout, à quel point il apprécie la confiance qu’on place en lui concernant ces jeunes qu’ils côtoient au quotidien. Le calme de son collègue est réconfortant. Il n’est pas inquiet, pas plus que ne l’est réellement Ismaël. Sur ce point, les deux hommes se ressemblent même si dans leur métier, le calme est une qualité à laquelle ils ne peuvent pas couper. Parce qu’ils en ont besoin pour faire face aux situations qu’ils affrontent au quotidien.

Ismaël est attentif à ce que lui raconte Antonios, cherchant des indices dans l’attitude de Michael. Immédiatement après son discours, il ajoute. « Il n’apprécierait pas qu’on lui envoie les flics aux trousses. » Il est perdu et rebelle, comme beaucoup de jeunes, la police ne leur fait pas peur, ils l’ont en horreur. Elle n’a pas été là pour les sauver quand ils en avaient besoin, préférant les verbaliser sévèrement. Alors forcément, il préfère qu’ils cherchent de leur côté. « Il y a un coin, à quelques rues d’ici, il m’en a parlé une fois. Je crois que c’est là qu’il trouve refuge mais ce n’est pas l’endroit le mieux fréquenté de la ville. » Dans les bas-fonds, les mauvais quartiers. Monterey est une petite ville tranquille, tant qu’on ne s’aventure pas trop dans les ombres qui s’y trouvent, même si elles ne sont pas nombreuses. « Viens, je devrais retrouver le lieu à partir de ce qu’il m’a indiqué. » Il l’encourage d’une main sur l’épaule à le suivre. De mémoire, ce n’est pas très loin de là où ils se trouvent. Tandis qu’ils marchent côté à côté, Ismaël ne peut s’empêcher de demander. « Il s’est passé quelque chose de particulier ces derniers jours ? Il a été la cible de quelqu’un ? Ou il a été au centre d’une altercation ? » Il cherche à savoir ce qui a pu motiver sa fugue si précipitée quand il semblait se calmer, ces derniers temps.


@Antonios Dimitriou Jr     

Quand Ismaël a intégré l’équipe du foyer, il a trouvé chez ses collègues des personnalités bien différentes. Mais ils sont unis par le même désir et la même envie, aider les jeunes qu’ils recueillent, de n’importe quelle façon. Pour faire ce travail, il faut un recul évident, ne pas tout prendre personnellement, être investi sans s’impliquer réellement. Mais il faut aussi savoir se montrer empathique et concerné, tout en gardant des distances raisonnables. Le sang-froid et le calme sont des alliés indispensables pour faire face aux caractères difficiles des jeunes qu’ils côtoient, c’est une évidence. Mais il y en a certains, parmi eux qui, bien sûr, donnent plus qu’ils ne le devraient. Et il est certain que c’est le cas de Tony, et il est lui-même bien plus impliqué parfois qu’il ne l’est autorisé à l’être. Parce que ça le prend aux tripes, qu’aider est dans sa nature, qu’il a besoin de ça pour avancer, pour se construire. Il veut voir ses gosses réussir, se sortir de la spirale de ce qui les ronge, il le veut plus que tout au monde. Alors, comme ce soir, il n’hésite pas un instant à venir prêter main forte à un collègue, malgré l’arrêt maladie qu’on lui a encore délivré la semaine dernière. Ses absences se rapprochent et se rallongent, personne ne l’a vraiment ignoré, au foyer. Pourtant, il est toujours bien accueilli quand il revient, malgré la surcharge de travail qui accompagne forcément son absence. Mais aucun de ses collègues ne lui a donné l’impression d’être un boulet dont ils voudraient se débarrasser, bien au contraire, sa situation suscite une empathie qu’il a malgré tout du mal à gérer, parfois. Mais il fait de son mieux pour être présent, quand il le peut, quand sa santé le lui permet. Ce qui est plutôt délicat, depuis quelques temps.  « J'te suis, l'important c'est qu'on le retrouve et quoi qu'il en coûte. » Les mots d’Antonios traduisent son propre état d’esprit. Il n’y a pas à tergiverser, à réfléchir, ils le retrouveront, peu importe les moyens employés, les risques encourus. Ravi de voir qu’ils sont sur la même longueur d’ondes, Ismaël s’empresse de lui emboîter le pas pour prendre la direction qu’il croit reconnaître.

Ses questions visent à l’aiguiller pour lui permettre de savoir dans quel état d’esprit pourrait être le jeune homme. « Mmh, rien qui n'a retenu mon attention. Peut-être que tu en sais plus toi ? Est-ce qu'il t'as confié certaines choses ? Tu sais comme moi que les jeunes peuvent être particulièrement cruels entre eux. » Oui, malheureusement. Ils sont si souvent les témoins de scènes qui lui font mal au cœur, à chaque fois. Et malheureusement, Michael est un de ses jeunes qui a tendance à être pris pour cible, d’où sa question. Ismaël hoche légèrement la tête. « Il a été pris à parti il y a quelques mois par deux jeunes qui ne sont plus au foyer maintenant. Il avait pris la défense d’un autre jeune. » Il se souvient très bien de ce moment puisque c’est lui qui avait séparé la joyeuse troupe. « Il déteste l’injustice et le conflit, il a été témoin de bien des violences. » Les choses que les jeunes confient à leur éducateur restent généralement privées. Sauf si cela doit mettre en danger un autre pensionnaire ou l’équilibre entier du foyer. Mais là, c’est une question de force majeure, même s’il n’entre pas dans les détails.

« Maintenant que tu le dis, il y a quelques jours il est intervenu dans une bagarre entre deux filles. Je me souviens pas exactement de tout, pour tout avouer. » Ismaël réfléchit un instant en hochant doucement la tête. Si ça vient étayer son argument précédent, il émet une réserve. « Je ne sais pas si ça peut avoir un lien, ça ne me semble pas assez pour le faire fuguer comme ça. Une des filles aurait pu lui en vouloir d’être intervenu ? » Demande-t-il, au cas où. « Il peut s’être passé quelque chose au stade. Je crois que la dernière fois qu’il y est allé, il y avait des jeunes d’un quartier qui les avait empêchés de jouer. » Il remet en marche sa mémoire tout en marchant. Tandis qu’il tourne à l’angle d’une rue, il continue de marcher d’un pas sûr en observant les lieux autour de lui. « J’espère qu’il n’est pas venu régler ses comptes. » Il fronce légèrement les sourcils, parce qu’alors, ce serait chercher une aiguille dans une botte de foin. « Il ne répond pas à son téléphone ? » Il imagine bien que ça a déjà été tenté, mais il demande, au cas où. Ils fournissent un téléphone à tous les jeunes pour pouvoir les joindre n’importe quand, et qu’ils puissent eux aussi rester en contact avec eux.


@Antonios Dimitriou Jr