Il y avait beaucoup de choses qui manquaient à Alaska depuis son arrivée à Monterey. La neige, la chasse, la tranquillité, les montagnes. Mais elle avait découvert ici des choses formidables. Déjà, le café ne lui avait jamais été aussi accessible et elle était en bonne voie d’en devenir accro. C’était fou comme on en trouvait partout, et pour une somme modique ! Elle préférait même ça à l’alcool. Un bon café noir. Sans sucre. Sans rien. Mais ce n’était pas tout.

Alaska s’était prise d’intérêt pour ce qui semblait s’appelait de l’urbex. Elle n’avait jamais entendu parler de ça pendant ses années en Alaska, sans doute parce que les bâtiments n’étaient pas bien nombreux dans sa nature profonde et qu’ils ne tenaient pas debout assez longtemps sans réparation pour valoir une visite. Une cabane abandonnée et pas préparée risquait surtout de se faire détruire par un ours en quête de nourriture. Elle en savait quelque chose.

Mais ici, il y avait tout un tas de vieux bâtiments. Vide. Abandonnés. Intéressants. Alaska aimait jouer les détectives, elle aimait entraîner sa logique. Et elle avait toujours rêvé de mieux comprendre ses congénères. Alors visiter des endroits habités puis oubliés, utilisés puis oubliés, c’était une super piste, n’est-ce pas ? Et puis, elle adorait les endroits déserts. C’était parfait pour réfléchir. Et pour ne pas se sentir jugée.

Elle avait entendu parler d’un quartier qui se prêtait bien à ce genre de petites excursions, elle avait attendu la nuit, et elle s’y était rendue. Alaska n’était pas du genre à foncer tête baissée dans le danger, mais quand il n’y avait pas de danger elle n’était pas du genre à traîner. Évidemment, elle avait embarqué avec elle un sac bien rempli. Elle savait à quel point les bâtiments décrépits pouvaient se montrer instables. Ses années dans l’armée, tout comme ses années de vie sauvage, lui avaient mis pas mal de plomb dans la cervelle. Corde, lampe torche, nourriture, gourde d’eau. Tout était là. Sauf son couteau, qui était à sa ceinture. Alaska ne sortait jamais sans lui. Il faisait tellement partie d’elle qu’elle en se considérait même pas spécialement armée.

Le bâtiment était immense. Sans doute trop grand pour être une simple maison. Mais à vrai dire, une maison normale ressemblait déjà à un palace pour Alaska, qui n’avait toujours connu que la promiscuité. La petite cabane avec son grand-père et sa sœur. Les dortoirs de l’armée. L’appartement qu’elle venait de louer était sans doute le logement le plus grand qu’elle ait jamais occupé à elle toute seule et ça lui semblait déjà être un gâchis d’espace. Qu’est-ce que ces gens pouvaient faire de toutes ces pièces ? De tous ces étages ?

Alaska n’eut aucun mal à trouver une entrée, en escaladant la façade pour se faufiler dans une fenêtre visiblement laissée ouverte depuis plusieurs années. La pièce dans laquelle elle venait d’atterrir ressemblait à une chambre à coucher. Les draps étaient plein de poussières et de traces de saleté, sans doute à cause de la fameuse fenêtre ouverte. Il ne restait pas grand-chose ici, sans doute que les habitants étaient partis en prenant leur temps, en emmenant avec eux toutes leurs affaires sauf les gros meubles. Ce n’était pas aussi instructif qu’elle l’avait espéré. Elle rejoignit le couloir.

Il y avait des traces dans la poussière, par terre. Des traces fraîches. On ne pouvait pas cacher ce genre de choses à une chasseresse habituée à scruter les moindres détails. Ça ressemblait à une piste. Est-ce que la personne était encore là ? Peut-être. Est-ce qu’elle avait envie de lui tomber dessus ? Pas vraiment. Pas cette fois. Alaska aimait bien se préparer avant de rencontrer quelqu’un, se mettre en condition. Elle n’avait pas envisagé devoir parler à qui que ce soit ce soir, alors elle ferait peut-être mieux de laisser de l’avance à l’homme aux traces. Vu la forme des semelles, c’était un homme. Elle devinait même sa pointure.

Alaska visita plusieurs autres pièces, certaines qui lui évoquaient plus de choses que d’autres. L’imagination ce n’était pas trop son truc. Elle était plus familière avec les faits. C’était comme un jeu de déduction et d’enquête pour elle, et elle adorait ça.

Elle était en train de chercher à comprendre l’intérêt et l’utilisation d’une boîte à musique bizarre qui ressemblait à un petit carrousel quand elle entendit un énorme bruit venant d’en bas. Sa main se porta naturellement à son couteau, l’autre dirigeant la lampe torche vers la porte. Elle repensait aux traces. Est-ce que ce bruit voulait dire que quelqu’un avait un problème, ou que quelqu’un serait un problème ? La question était intéressante. Mais Alaska était curieuse.

A pas de loup, elle se dirigea vers le couloir à nouveau, puis vers les escaliers. Alaska savait être silencieuse, elle avait l’habitude qu’on ne l’entende même pas avec ses rangers. C’était important, quand on était chasseur. Quand on était sniper. Un craquement de bois attira son attention alors qu’elle atteignait le rez-de-chaussée.

 « Y a quelqu’un ? »

Elle avait éteint sa lampe un instant, pour éviter de se faire repérer, mais aucune autre source de lumière n’apparaissait. Alaska continua à avancer lentement vers le craquement de bois et la voix qu’elle avait entendue, rallumant finalement la lumière.

Il valait peut-être mieux s’annoncer. Parfois, souvent, l’effet de surprise était capital. Mais ici, elle n’avait pas l’intention d’abattre qui que ce soit et les accidents étaient vite arrivés. Encore quelques pas et elle avisa un superbe trou dans le parquet de ce qui ressemblait à une salle à manger. Sérieusement, ces gens gaspillaient toute une pièce pour y mettre une table et simplement manger ? Quels gens étranges.

Alaska approcha, mais décida sagement de se tenir à distance du trou. Le parquet était fragile. Elle n’avait pas envie de passer au travers et elle devinait que c’était ce qui venait de se produire.

- Qui est là ? Finit-elle par dire, avec son ton égal habituel. Alaska n’était pas du genre à céder à la panique, et encore moins pour si peu. Elle éclairait le trou avec sa lampe, essayant d’apercevoir une silhouette au travers. Mais l’étage inférieur était bien bas, apparemment, et l’angle ne lui permettait pas de discerner grand-chose pour le moment.

Comment s’approcher ? Elle posa son sac par terre, avant de s’allonger sur le parquet. Pour répartir son poids et limiter les risques. C’était ce qu’il fallait faire après tout, quand on avançait sur de la glace trop fine et dangereuse et qu’on ne voulait pas finir dans un lac gelé. Le genre de choses qu’une fille comme trouvait tout à fait enfantin, alors qu’elle aurait été bien incapable de savoir marcher avec une paire de chaussures à talons.

La tête et la lampe d’Alaska finirent par atteindre le trou dans le parquet. Elle put voir la silhouette.

La personne qui se trouvait en bas avait l’air d’avoir envie d’être trouvée. L’homme parlait fort, il essayait d’attirer son attention. Alaska l’observait, pointant sa lumière sur lui comme on le ferait dans un jeu de bon flic ou mauvais flic au cinéma. Et en échange, il la regardait. Elle grimaça d’incompréhension quand il lui dit de faire attention pour ne pas se retrouver coincée avec lui. Évidemment qu’elle faisait attention. Elle faisait toujours attention. Lui, par contre… Ça se voyait qu’il s’était fait mal dans sa chute.

« Vous pouvez essayer de déplacer votre lumière ? J’ai une lampe quelque part et je voudrais voir s’il n’y aurait pas, à tous les hasards, une échelle. » 

Alaska obéit. Elle bougea lentement le faisceau de lumière autour de l’homme, essayant de lui montrer ce qu’il y avait autour de lui. Elle ne croyait pas une seule seconde qu’il trouverait une échelle mais connaître son environnement était la meilleure chose à faire. Un accident était vite arrivé, et ce n’était pas parce qu’il était déjà tombé au fond d’une cave qu’il ne pouvait rien se produire d’autre.

L’homme finit par retrouver sa lampe. Elle avait l’air d’éclairer un peu moins bien que celle d’Alaska – il fallait dire qu’elle portait une grande attention au choix de son matériel ainsi qu’à son entretien. Mais ça suffisait pour qu’il puisse éclairer autour de lui tout seul et ça, c’était une bonne nouvelle.

« Je crois… »

Pas si bonne que ça, apparemment. Alaska se demandait bien ce qu’il croyait mais il ne termina pas sa phrase, pire que ça, il avait une voix un peu… Bizarre. Elle n’aimait pas ça. Quand les gens avaient une voix bizarre, ils finissaient par dire des choses bizarres.

« Vous n’auriez pas une corde, dans votre besace, à tout hasard ? Parce qu’il n’y a pas d’échelle, et je suis presque sûr qu’on a dû enterrer des cadavres, là-dedans. »

Si, elle avait une corde. Alaska regarda autour d’elle. Elle ne voyait aucun endroit où accrocher sa corde, et même si elle le faisait… Le poids de ce type sur la corde contre les planches abîmées du trou ne ferait que défoncer le parquet davantage. Il risquerait de se faire mal, en tombant une seconde fois. Mais la fin de la phrase de l’accidenté attira son attention et elle baissa à nouveau la lampe sur le sol de la cave.

- Négatif, pas de cadavre, répondit-elle avec tout son sérieux.

Elle avait quelques problèmes avec l’humour et le second degré, et il lui avait paru tout à fait capital de rétablir la vérité. Enfin, peut-être qu’il y avait effectivement des cadavres enterrés là, tant qu’ils n’auraient pas troué le sol avec une pelleteuse ils n’en sauraient rien, mais Alaska trouvait ça assez peu probable. En tout cas, elle, elle n’aurait pas choisi cet endroit.

- J’ai une corde. Mais rien pour l’accrocher.

Elle pourrait l’accrocher aux pieds de la table mais elle semblait trop légère, elle risquerait de bouger. La poignée de porte ? Pas la peine d’y penser. La rampe de l’escalier ? Elle était déjà abîmée. Alaska était en pleine réflexion. Elle n’allait pas le laisser tomber, mais elle avait besoin de temps pour trouver quelque chose. C’était une personne logique, observatrice aussi.

- Une porte ? Demanda-t-elle finalement.

Elle ne connaissait pas les lieux, mais il fallait bien que les anciens habitants accèdent à cette partie de leur logement. Comme elle ne bougeait pas, à part le visage et la lampe torche, pour éviter de passer à son tour au travers des lattes, elle ne pouvait pas voir tous les pans de murs de la cave. Mais s’il y avait une porte, il pourrait la défoncer. Ou la crocheter. Après tout, c’étaient des aptitudes standards. Dans son monde à elle.

Il fallait juste qu’il ne reprenne pas sa voix bizarre de personne qui allait dire des trucs bizarres. Elle avait lu quelque chose là-dessus dans un livre. Ah oui. De l’anxiété. Comme une de ses camarades de dortoir à l’armée. Enfin, avant qu’elle déserte. Mais le type de la cave, il pouvait pas déserter lui. C’était ça qui risquait de poser problème, Alaska le sentait bien. Elle avait toujours eu un très bon instinct.

Les nouvelles n’étaient pas bonnes. Une porte c’était génial, mais le fait qu’elle soit condamnée représentait un sacré défi. Alaska n’avait pas spécialement prévu d’essayer de casser un mur ce soir, encore moins dans une maison qui tombait déjà en ruines. Elle n’avait pas le matériel adéquat, et même si elle n’était pas du genre à s’arrêter à des problèmes de cette espèce – après tout, quand on vivait loin de tout on avait rarement le matériel parfait – ça pouvait compliquer la mission. Il semblait donc plus intéressant de trouver un moyen de faire sortir l’homme par là où il était entré : le parquet. Ça ne lui disait rien qui vaille.

L’homme commençait à s’agiter. Il s’acharnait contre un meuble visiblement trop lourd pour lui, jusqu’à faire tomber un carton. Alaska pointa sa lampe sur le contenu qui s’en déversait au sol. Des cassettes ? Elle en avait eu une, quand elle était petite. Elle s’en souvenait parce qu’elle l’avait emmenée dans ses affaires, quand elle était partie vivre avec son grand-père après la mort de ses parents. Mais son grand-père n’avait ni télévision, ni magnétoscope. Elle n’avait jamais pu revoir cette cassette. Pendant longtemps elle l’avait gardée dans ses maigres possessions, mais elle n’était pas certaine de savoir où son petit trophée se trouvait maintenant. Un vestige d’une vie si ancienne qu’elle ne s’en souvenait pas vraiment. Une vie de famille à Boston.

Devant le silence presque soudain de l’homme et son immobilisme soudain, Alaska pointa à nouveau sa lampe sur lui. Est-ce qu’il avait un problème ? Est-ce qu’il essayait d’entendre quelque chose ? Elle, elle n’entendait rien, et pourtant elle avait l’habitude d’écouter. Peut-être qu’il pourrait grimper sur l’armoire qu’il avait déplacée pour sortir ? Le meuble était lourd apparemment, il semblait solide… Peut-être que ça pourrait être un bon début, si toutefois les lames du plancher lui laissaient une chance.

 « Vous pensez que vous pourriez passer un coup de fil ? Je connais le numéro de quelqu’un par cœur et il pourrait ramener une échelle, ou n’importe quoi. »

Appeler quelqu’un ? Elle n’y avait pas pensé, mais c’était une bonne idée. C’était juste que pendant la majeure partie de sa vie, elle n’aurait eu personne à appeler parce que les gens étaient trop loin. A l’armée ça avait changé, parce qu’il y avait souvent la possibilité de faire appel à des renforts. Mais dans sa vie personnelle… Il n’y avait que son commando qui pourrait tenir ce rôle, et elle se voyait mal les appeler pour une stupide histoire de parquet troué. Elle plaça sa lampe torche dans sa main gauche et bougea lentement sa main droite pour atteindre sa poche.

Elle avait un téléphone. Un vieux machin avec un écran fissuré. Un téléphone portable ne lui avait jamais paru essentiel, mais ses amis lui avaient fait comprendre qu’ils avaient besoin de pouvoir la joindre. Elle dirigea la lampe torche vers l’homme tombé à l’étage inférieur, et lança son téléphone sur lui sans sommation. Elle, elle n’avait aucun contact enregistré. Elle connaissait tous les numéros importants par cœur. Il n’y avait aucune photo, le fond d’écran était celui de départ, et pas d’applications. Le niveau minimum de la technologie, parce que, comme souvent, Alaska préférait se contenter du nécessaire. Elle avait été élevée comme ça.

Quoi ? Il allait lui rendre, puisqu’ils allaient le faire sortir de là. Et elle n’avait aucune envie de devoir parler avec un inconnu – s’il décrochait, déjà. Parce qu’il était tard. Et en plus de ça, il faudrait qu’il les trouve. Et qu’il trouve une échelle, ou des trucs comme ça. Alaska préférait laisser l’homme se débrouiller avec cette partie du plan et se concentrer sur les autres options. Il y en avait forcément.

« Il va vraiment falloir que je sorte de là hyper vite. »

Pourquoi ? Se retrouver coincé ce n’était jamais drôle, mais le « hyper vite » et le « vraiment » interpelaient Alaska. Qu’est-ce qu’il y avait de si urgent ? Ce n’était pas comme si les habitants allaient revenir de toute façon. Il agitait sa lampe dans tous les sens maintenant, et elle doutait qu’il arrive vraiment à voir ce qui était devant lui avec cette vitesse. Elle fronça les sourcils.

- Blessure grave ? Demanda-t-elle, son ton d’habitude parfaitement neutre laissant passer un peu plus d’intérêt cette fois.

Parce que ça, ce serait une raison valable de se dépêcher. Elle avait vu qu’il avait l’air blessé oui, mais ses connaissances en médecine ne pouvaient pas l’aider d’aussi loin. Ça pouvait expliquer pourquoi l’homme avait l’air aussi inquiet. Même Alaska commençait à reconnaître les symptômes de l’angoisse.

- Je vais chercher de l’aide alors.

Après tout, c’était ça le plan non ? Faire venir du monde. Si l’homme réussissait à faire venir quelqu’un, il faudrait bien le mener jusqu’ici. Et s’il n’avait personne au bout du fil, elle n’allait pas le laisser moisir ici. Alors Alaska commença à ramper à reculons pour s’éloigner du trou… Malgré les craquements inquiétants du bois.

L’homme avait dit qu’il n’était pas gravement blessé, ce qui laissait Alaska perplexe. Elle n’était pas certaine de le suivre alors, pourquoi était-il si pressé de sortir ? Ce n’était pas marrant d’accord, mais quand même, ils avaient bien le temps de trouver une solution. Elle avait même une gourde et un peu de trucs à manger dans son sac. Ils finiraient bien par se débrouiller. Elle, elle n’était pas inquiète. Mais elle n’aimait pas tellement cette sensation diffuse de ne pas tout comprendre, qu’elle ressentait généralement quand elle parlait avec quelqu’un – et encore plus un inconnu.

 Je suis juste mal à l’aise dans ce genre d’endroit.  Les espaces réduits, je veux dire. » 

Une légère grimace déforma les traits d’Alaska, laissant paraître son incompréhension. Enfin, s’il arrivait à voir son visage malgré la lampe braquée sur lui. Avoir un terrier ou un tunnel, c’était naturel pour plein d’espèces ! Alors en avoir peur, c’était un peu contre nature finalement. Alors elle se décida, annonçant qu’elle allait chercher de l’aide, parce qu’elle n’était pas bien sûre de savoir ce qu’elle pouvait faire toute seule ici si la situation était si pressée que ça. Gérer une plaie ouverte c’était dans ses cordes. Une crise de panique, beaucoup moins.

Elle commençait à reculer méthodiquement quand il lui cria d’attendre. Alaska s’immobilisa instantanément.

« Il n’y a pas de réseau là-dessous, ça ne me servira à rien. Je peux peut-être vous le renvoyer si vous arrivez à joindre la personne, je pourrais hurler à l’aide d’en bas ! »

Elle trouvait cette idée absolument stupide, surtout qu’elle n’avait aucune envie de joindre un inconnu et que si elle devait appeler quelqu’un ce serait surtout les pompiers. Alors elle se contenta de ne rien dire – comme souvent lorsqu’elle était perdue dans une discussion et ne souhaitait pas s’enfoncer – avant de reprendre lentement son chemin dans une cacophonie de craquements plus inquiétants les uns que les autres.

« Faites attention, j’ai l’impression que tout peut s’écrouler à tout moment. »

Il n’avait pas tort pour le coup. Alaska partageait cette analyse. Elle effectuait des mouvements lents, calibrés, s’appliquant à bien répartir son poids pour éviter de prendre trop de risques, mais elle sentait qu’à tout moment les choses pouvaient prendre une tournure nettement plus désagréable.  Un craquement plus effrayant que les autres se fit entendre tout à coup et le prisonnier des ténèbres réagit en s’approchant. C’était complètement stupide.

« Je vais essayer de déplacer l’armoire, ne prenez pas le risque de revenir ! »

Déplacer l’armoire n’était pas bête mais il était évident que l’objet était trop lourd pour lui. Alaska soupira.

- Poussez-vous, dit-elle sur un ton tranquille mais qui ne souffrait d’aucune contradiction. Elle est trop lourde pour vous. Et ça va craquer. Alors, je veux rien en dessous.

Tomber sur l’armoire serait nettement plus douloureux et dangereux que de se retrouver simplement au sol, même si c’était plus bas. Alaska bougea lentement un de ses pieds, reculant encore un peu vers son sac, mais elle savait désormais qu’elle n’arriverait pas à se relever sans encombres, ni ici ni plus loin. Il fallait prendre une décision rapidement. Elle passa lentement le bout de sa botte dans une bretelle de son sac, histoire d’être sûre de ne pas se retrouver sans son matériel, avant de se tourner lentement. Très lentement. En traînant le sac avec son pied. Si elle devait tomber dans ce foutu trou, elle préférait encore que ce ne soit pas la tête la première.

- J’arrive, déclara-t-elle en marmonnant, la bouche serrée autour du manche de sa lampe torche pour avoir les mains libres. Comme si elle avait le choix… Les craquements et la sensation que lui renvoyaient les planches lui hurlaient qu’elle n’avait aucune chance de s’en tirer sans passer par la case étage inférieur. Elle réussit à balancer son sac dans le vide avant que le plancher ne craque et qu’elle se retrouve à son tour attirée en bas, lampe torche entre les dents. Il valait mieux une chute à peu près contrôlée qu’un accident. Même si la différence ne sautait pas toujours aux yeux.

Son sac amortit un peu sa chute, même si sa cheville n’avait pas apprécié. Alaska grimaça un instant en poussant un léger gémissement de douleur lorsqu’elle se releva mais  ellese reprit bien vite, attrapant sa lampe torche pleine de salive à pleines mains sans se poser de questions. Il était temps qu’elle observe cet endroit de ses propres yeux, bien étrangère à la panique de son compagnon d’infortune. Elle, c’était une observatrice, une stratège, une fille qui n’avait même pas peur de tuer pour survivre. Qui l’avait déjà fait. La situation était loin de lui sembler désespérée.

- Oui.

Ce fut la seule réponse d’Alaska quand l’homme lui demanda si ça allait, parce qu’elle n’estimait pas nécessaire de se perdre dans les détails. Jamais. Sa cheville l’avait fait un peu souffrir à l’atterrissage mais il en faudrait bien plus pour la stopper, et elle avait le bon goût d’être sortie avec une bonne paire de rangers qui lui maintenait le tout comme il le fallait. Elle avait connu bien pire de toute façon, que ce soit en Alaska ou dans l’armée. 

L’homme la regardait. Il ne braquait pas la lampe droit dans ses yeux, mais il l’éclairait assez pour pouvoir la dévisager à son aise. Ça ne dérangeait pas spécialement Alaska, qui en profita pour plonger ses yeux dans les siens et le fixer sans discontinuer. Elle regardait toujours tout le monde comme ça, intensément, comme si elle allait lire le fond de votre âme. Elle ne s’en rendait même pas compte. C’était juste qu’un jour son grand-père lui avait dit que ne pas regarder les gens dans les yeux c’était vu comme malpoli, et puis elle avait lu la même chose dans son livre pour se faire des amis – et jamais personne ne lui avait mentionné qu’au contraire, les fixer comme elle le faisait sans même cligner des yeux avait quelque chose d’effrayant pour le commun des mortels.

- Oui, 2B.

Tous les emplois d’Alaska, et même la plupart de ses passe-temps, impliquaient une chose : observer. Et tirer les conclusions adéquates. Elle ne connaissait pas le nom de cet homme, elle n’avait jamais posé la question, elle ne lui avait jamais parlé avant cette nuit. Mais son visage, elle savait très exactement où elle l’avait vu. Ils habitaient dans le même immeuble. Lui, au 2B, elle au 1D. Elle l’avait aperçu plusieurs fois, dans les escaliers, et du coin de l’oeil alors qu’elle glissait sa clef dans sa serrure.

Elle récupéra son téléphone avec une certaine indifférence, le fourrant dans une poche de son pantalon cargo avec un hochement de tête. Ce n’était pas un objet très intéressant pour elle. Si ça avait été son couteau, par contre, elle sûrement eu plus de mal à le confier – et elle aurait fait bien plus attention à le récupérer.

- Il ne faut jamais laisser tomber quelqu’un.

Alaska avait vécu la majeure partie de sa vie entourée uniquement de sa sœur et de son grand-père, mais elle leur vouait une loyauté et un amour sans failles. Quand elle avait rejoint l’armée, elle y avait découvert la même fraternité. On n’abandonnait pas les siens, on se montrait fort pour eux. Cet homme n’était que son voisin, et elle n’avait eu aucun moyen de savoir quand elle avait décidé de suivre ses cris. Mais ça lui avait suffi, parce qu’Alaska avait beau paraître froide, ça ne voulait pas dire qu’elle ne ressentait rien. Elle n’était jamais indifférente à la détresse des autres. Elle se pencha en avant pour récupérer son sac et le remettre sur son épaule.

« Vous avez déjà fait de la gym ? Si vous vous mettez debout sur mes épaules, vous pourriez peut-être remonter. » 

De la gym ? Elle avait de la force, de l’équilibre et de la détermination, tout ce qu’elle avait acquis sur le terrain et pendant les heures passées à courir pour s’entraîner ou à dévorer des kilomètres de parcours du combattant. Elle n’était néanmoins pas certaine que se mettre debout sur les épaules de cet homme soit une bonne idée. Déjà parce qu’ils risqueraient de ne faire que casser un peu plus de plancher, mais surtout parce que ça voudrait dire l’abandonner en bas. Et ça, ce n’était pas son idée. Si quelqu’un devait se retrouver tout seul ici, elle préférerait encore que ce soit elle.

- Je vous laisse pas là.

Et puis, elle était assez proche pour regarder l’homme et voir qu’il était blessé. Il saignait du mollet, et il avait l’air d’avoir mal plus haut dans la jambe étant donné sa manière de se tenir. A moins que ce soit la hanche. Sa formation l’avait amenée à faire attention à ces choses là, à ces mouvements qui trahissaient l’état de quelqu’un.

Elle sortit de son sac une trousse de secours, encore quelque chose sans lequel elle ne sortait que rarement et encore moins quand elle se décidait à visiter des endroits délabrés.

- Pour votre jambe, dit-elle en la tendant à l’homme. Le temps qu’ils mettent au point leur stratégie, il avait bien le temps de s’asseoir deux minutes et de désinfecter son mollet, ça ne pouvait pas faire de mal.

En attendant, Alaska entreprit de vider méticuleusement le contenu de son sac. Il fallait évaluer leurs options, et peut-être qu’avoir le matériel disponible sous leurs yeux serait une source d’inspiration. Ça marchait souvent. Il y avait une gourde avec de l’eau et une pomme, ce qui ne les aiderait pas à sortir mais pouvait se montrer utile, sait-on jamais. Il y avait la corde dont elle avait parlé. La trousse de secours qu’elle avait tendue son camarade d’infortune. Un briquet, un deuxième couteau qui venait compléter son arsenal avec celui qu’elle portait à la ceinture, des piles de rechange pour sa lampe torche… Pas d’échelle en kit, malheureusement.

Alaska reprit son observation des alentours, avisant un vieux tuyaux en métal. Elle attrapa un caillou qui traînait par terre, et commença à frapper sur le tuyau pour émettre un « SOS » en morse, au cas où. Elle le fit plusieurs fois, en continuant à réfléchir alors que le bruit – utile mais désagréable – résonnait dans leur étrange cave.

- A deux, on peut peut-être bouger l’armoire.

Elle laissa tomber ses SOS pour marcher le long des murs de leur étroite prison, cherchant la moindre trace d’une issue. Un mécanisme qui ouvrirait quelque chose, une grille par laquelle ils pourraient passer, n’importe quoi. Si cette pièce existait, ça voulait dire qu’il y avait un accès. Sinon, à quoi bon ? Il y avait une armoire, des cassettes… On les aurait pas emmurées ici sans aucun moyen de revenir, n’est-ce pas ?

- Ça va toujours ? Finit-elle par demander, gardant à l’esprit ce qu’il avait dit sur les espaces réduits. S’ils voulaient sortir de là, il valait mieux garder leur sang froid.

« Un S.O.S ? Vous croyez qu’on est en danger ? »

Alaska le regarda. En danger ? Non, il n’y avait à vrai dire pas grand-chose de dangereux ni même d’urgent à leur situation il fallait l’avouer, mais un peu d’aide ne serait pas de refus. Et même si elle était tout à fait capable de le dire en morse, elle reconnaissait tout de même que bien peu de gens auraient la connaissance et la volonté nécessaire pour la déchiffrer – si tant est que quelqu’un l’entende. « SOS », c’était beaucoup plus simple. Elle ne prit pas la peine de répondre à M. 2B, qui s’appellerait comme ça pour elle jusqu’à ce qu’il daigne se présenter, trop occupée à regarder les alentours. Et puis c’était un grand garçon, il allait bien comprendre tout seul non ?

. « Vous avez fait l’armée ? Ou les commandos ? »

Elle tourna à nouveau la tête vers lui. Ce n’était pas bien difficile à deviner, quand on voyait sa dégaine, sa manie de se promener avec son gros sac à dos, ses plaques d’identification encore atour de son cou, ses grosses rangers, son couteau dont elle ne se séparait jamais. A la lumière du jour, il n’aurait certainement même pas posé la question tellement c’était évident. Difficile de croire qu’elle avait raccroché, qu’elle était retournée à la vie civile. Aucun de ses camarades n’avait compris, plusieurs n’y avaient pas cru jusqu’à son dernier jour d’engagement, certains lui envoyaient encore des messages pour demander quand est-ce qu’elle allait revenir. Elle avait bien trop sa place dans l’armée. Elle le pensait aussi, d’ailleurs. L’endroit où elle rêvait d’être, c’était la cabane de chasseur où elle avait passé toute sa vie. Et s’il fallait être ailleurs, ce serait dans l’armée. A nouveau. Elle ne changerait pas une seule semaine de sa vie, hormis celle où ils avaient appris la maladie de Mary, celle où leur petit monde si équilibré avait basculé brutalement.

- J’étais sniper.

Et elle avait adoré ça. Et elle avait été douée pour ça. Elle l’était encore. Dans un cadre bien moins officiel, bien moins légal. Les risques étaient différents désormais. Mais elle ne regrettait pas. Tout ce qui permettrait de payer les soins de Mary valait la peine d’être fait parce qu’il n’y avait rien de plus fort que la famille. Elle garda ses yeux rivés sur M. 2B un moment, sur sa façon de bander sa jambe, comme pour s’assurer qu’il n’était pas en train de faire ça n’importe comment, ou qu’il n’avait pas besoin d’aide. L’occasion de se poser pour réfléchir, pour analyser. Analyser la manière dont ils pourraient fuir, et l’état de l’homme qu’elle avait avec elle. Sa blessure n’avait pas l’air trop grave vue de loin, mais ce n’était pas exactement ce qui inquiétait Alaska.

« Je ne suis pas encore au bord de la crise de panique, c’est plutôt encourageant, non ? »

Effectivement c’était un bon début, et elle hocha la tête en guise d’assentiment comme elle le faisait souvent. Tant qu’il se maintenait à ce stade tout irait bien. Mais elle n’était pas certaine d’être la mieux placée pour gérer la situation s’il commençait à vriller d’une manière ou d’une autre. Elle savait maîtriser quelqu’un, mais le rassurer ? C’était une science occulte à ses yeux. Elle n’avait aucun talent pour ça. Pas le plus petit. C’était le genre d’amie qui trouvait des solutions aux problèmes sans être capable de simplement compatir et écouter quelqu’un se plaindre. Trop terre à terre, trop pragmatique. Peut-être que son meilleur atout c’était son calme, peut-être que son sang-froid avait quelque chose de communicatif ? Elle espérait au moins que ce ne serait pas au contraire agaçant.

 « On peut essayer mais je reste assez convaincu qu’il doit y avoir une issue quelque part. »

Ah, ça, elle en était convaincue aussi. Sinon, cette pièce n’aurait aucun sens. Ça n’aurait aucun sens qu’elle ne soit pas vide, qu’on y garde quelque chose auquel on ne pouvait pas accéder. A moins d’y enterrer véritablement des cadavres bien sûr, mais Alaska préféra garder cette pensée pour elle-même. Comme beaucoup d’autres, d’ailleurs.

- Je suis d’accord.

Mais où ? Elle n’avait rien vu pour le moment. Elle avait fait le tour des murs à la recherche d’interstices autant que de prises d’escalade, à la recherche d’un objet ou d’un plan, et pour le moment elle n’avait rien vu. Ce n’était pas de nature à lui faire peur, mais Alaska était comme tout le monde : elle n’appréciait pas la frustration. Heureusement que leurs lampes fonctionnaient bien, qu’ils n’étaient pas en danger imminent, qu’elle avait à boire et sa pomme dans son sac au cas où. Être toujours prêt, encore quelque chose que sa vie presque sauvage lui avait apprise.

Elle suivit la consigne de son voisin sans poser de questions, vidant méthodiquement la vieille armoire pour l’alléger. Alaska n’avait pas de problème avec l’autorité. Elle était capable d’obéir à un ordre stupide, si la personne qui le lui donnait lui inspirait confiance. Parce qu’elle savait qu’elle n’avait pas la science infuse, parce que les autres avaient des points de vue parfois plus valables que les siens. Elle ne faisait entendre sa voix que lorsqu’on touchait à ses domaines de prédilections, que lorsqu’une limite était franchie, que lorsqu’elle était certaine d’avoir le grade le plus haut ou la meilleure expérience. Alaska avait beaucoup de défaut, mais l’égo n’en faisait pas partie. Il n’y avait pas de place pour l’égo quand on voulait survivre à tout prix. 

Elle se mit en place d’un côté du meuble, tâtant l’armoire avec soin pour définir quelle serait la meilleur prise. C’était lourd, vraiment très lourd. Elle grogna en tentant de la déplacer, mettant toute sa force dans le mouvement à l’unisson avec M. 2B. Ils soulevèrent difficilement l’armoire, le bas traînant contre le sol inégal sur quelques centimètres tout au plus. C’était louche. Ce meuble ne devrait pas être aussi lourd. Alaska relâcha sa prise et recula un peu, récupérant la lampe qu’elle avait dû poser par terre pour être opérationnelle.

Elle avait senti quelque chose. Quelque chose de froid. Un courant d’air. Elle lança un regard à son camarade d’infortune comme pour voir s’il l’avait senti lui aussi. Est-ce qu’il y avait une ouverture qui donnait vers l’extérieur, derrière cette armoire ? Elle n’arrivait pas à le voir, mais elle le sentait clairement. A moins que ça donne sur un couloir, ou quelque chose comme ça, mais il y avait forcément plus loin quelque chose qui donnait sur l’extérieur. Sinon il n’y aurait pas ce petit vent.

La sortie semblait si proche et si lointaine à la fois.

- On va la démonter.

C’était le seul plan qui lui venait. Il fallait alléger encore cette armoire s’ils voulaient avoir une chance de la déplacer. La faire tomber serait encore plus difficile que la bouger, à moins de risquer de se démettre une épaule pour la faire basculer. Même en frappant avec précision, en haut du meuble, ils n’auraient sûrement pas la force ou l’élan nécessaire. Peut-être qu’en enroulant la corde autour et en tirant ça aurait fonctionné, mais la corde risquait de glisser contre le bois et de ne pas rester assez haute pour que ce soit utile. Le meuble étant vide… Il ne restait plus beaucoup d’options.

Alaska sortit son couteau, celui qu’elle gardait toujours à sa ceinture, son couteau militaire, son couteau de chasse. Elle ne se promenait pas avec une caisse à outils, elle n’avait pas de tournevis. Elle aurait peut-être pu en trouver un vieux, un peu rouillé, si elle s’était donné la peine de chercher dans la cave. Tant pis. A la place elle riva sa lampe sur l’armoire pour l’observer sous toutes les coutures, pour déterminer quelles vis et quels morceaux de bois il fallait retirer pour enlever les étagères, puis pour pour tout démonter. L’ennui avec ces meubles là, et ce qui les rendait également très prisés et appréciés, c’était qu’ils étaient solides. Avec les années, il était même évident que certaines pièces avaient presque fusionné entre elles. Ça ne les arrêterait pas, Alaska en était persuadée.

Elle pointa du doigt, en silence, les endroits stratégiques à son voisin avant de placer sa lampe torche dans sa bouche et de commencer à jouer du couteau pour dévisser ce qu’il y avait à dévisser, en se disant tout à fait logiquement que M. 2B allait faire pareil. Elle n’envisageait pas une seule seconde qu’il ait pu sortir sans couteau, ce serait beaucoup trop bizarre. Après tout, c’était la première règle que son grand-père lui avait apprise, quand elle était encore enfant. Un principe d’éducation. Et les principes, c’était universel non ?

Les dés:

 « Au fait, moi, c’est Célian. »

Alaska était en train de s’affairer à déloger les vis et les morceaux de bois qui tenaient le meuble en un seul morceau. Elle ne tourna même pas la tête vers son camarade d’infortune, maintenant tout sa concentration sur sa tâche parce que c’était le plus important – et parce qu’elle n’y connaissait pas grand-chose en politesse. Pas assez pour que ça l’intéresse en ce moment, en tout cas. Heureusement, les principes de son livre de développement personnel avaient fini par infuser quelques idées au fond de son crâne et elle répondit tout de même.

- Alaska.

Il y avait généralement deux réactions possibles quand elle annonçait son nom : soit on trouvait qu’il lui allait manifestement très bien, soit on considérait qu’il lui allait tellement bien que ce devait être un pseudonyme. Seulement voilà, il n’en était rien, elle ne l’avait pas choisi, c’était un héritage de son père. Sûrement la seule chose qu’elle gardait en mémoire à son sujet, en-dehors de l’accident de voiture qui l’avait vu disparaître. Elle aimait bien son nom, Alaska.

 « Si on doit être enterrés vivants ici, autant que tu saches avec qui tu as eu cet honneur ! »

Cette fois-ci elle suspendit son geste et tourna la tête vers Célian en fronçant les sourcils. Enterrés vivants ? Ça n’arriverait pas. Et ce n’était pas qu’une question de croire en leurs talents ou quoi que ce soit de ce genre là, non. C’était surtout que personne n’allait venir les enterrer vivants. Le pire qui pouvait leur arriver ici était bien de mourir coincés, au fond, mais il y avait fort à parier qu’on ne les retrouverait pas avant longtemps, voire jamais. Et puis… Mourir au combat était un honneur. Mourir ici, à cause de leurs décisions stupides ? Non, absolument pas. Quel homme étrange, ce Célian.

- On sera pas enterrés vivants. On a plus de chances de mourir et de pas être enterrés. Et c’est pas un honneur.

Alaska reprit ce qu’elle était en train de faire sans rien ajouter, sans penser une seule seconde qu’elle aurait peut-être dû garder ce genre de clarifications pour elle, surtout en sachant que Célian était d’un naturel anxieux – ou du moins dans cette configuration. Leurs efforts conjoints leur permirent rapidement d’ôter tout ce qui pouvait l’être de la structure du meuble, sans se faire assommer par un morceau branlant. Toutes les étagères avaient pu être retirées, le meuble était nettement moins lourd désormais, et ils avaient de bonnes chances d’en venir à bout cette fois. Enfin une bonne nouvelle. Alaska hocha la tête à la proposition de son acolyte.

Ils n’eurent pas de mal cette fois à bouger l’armoire, et découvrirent rapidement une porte derrière. Il y avait du jour en bas, au niveau du seuil, ce qui expliquait le courant d’air froid qu’ils avaient pu sentir à leur première tentative. Alaska ne sourit pas – elle ne souriait jamais – mais elle hocha la tête d’un air satisfait une fois qu’ils eurent totalement libéré l’accès à la porte.

« Cette maison devient de plus en plus intéressante. »

Qu’est-ce que ça voulait dire ? Qu’il voulait sortir de là ou qu’il voulait continuer de tout explorer malgré ce qui venait de lui arriver ? Alaska n’en savait rien. Mais elle savait qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de passer cette porte pour se tirer de là, qu’ils en profitent pour admirer le paysage ou non.

« Je couvre vos arrières ou vous couvrez les miennes ? »

Elle trouvait la question un peu stupide, en tout cas formulée de cette manière. Personne ne les attendait de l’autre côté, ça semblait certain. Il n’y avait probablement pas d’étage inférieur à celui-là donc pas de risque qu’ils traversent à nouveau le plancher. Alors quoi ? Des rats peut-être. Le plafond qui pourrait s’effondrer par endroit ? Ce n’était pas à exclure. Alaska récupéra elle aussi son sac, dont elle vérifia méticuleusement le contenu, parce qu’il était important de toujours savoir exactement de quelles ressources on pouvait disposer. Elle fit ensuite signe à Célian d’ouvrir la porte, d’un simple geste de menton en direction de celle-ci, et…

Et la porte ne s’ouvrit pas. Alaska regarda Célian essayer de l’ouvrir plusieurs fois, appuyant sur la poignée avec de plus en plus d’impatience, essayant d’y mettre un peu de force. Elle finit par s’approcher de la porte à son tour, sans rien dire, prenant la place de son camarade sans rien lui demander. Elle regarda dans quel sens s’ouvrait la porte. Intérieur. Bon point pour eux. Elle regarda dans la serrure, mais la clef ne semblait pas s’y trouver, même de l’autre côté.

- Poussez-vous, intima-t-elle en fouillant dans son sac pour trouver le matériel qui lui permettrait d’essayer de crocheter la serrure. La porte était assez lourde pour qu’elle ait envie de tenter ce genre d’approche avant d’envisager de l’enfoncer, parce que si elle avait le malheur de la coincer davantage avec un coup de pied mal placé, ce serait plus difficile de revenir en arrière pour tenter la manière douce. Elle sortit à nouveau son couteau, mais aussi un couteau-suisse. Moins aiguisé, mais plus petit, plus pratique. Si ça marche pas, on l’enfoncera.