Une pause. C'était ce dont il avait besoin après ces journées enfermé dans cette maison à ranger, à dépoussiérer. Il comprenait maintenant pourquoi il avait toujours eu horreur d'accumuler des choses dans ses appartements. On les qualifiait parfois "d'aseptisés", de "sans vie". Sans doute parce que rien ne traînait, qu'il n'y avait pas d'objet sentimental, ni même de photos qui trônaient sur les meubles. Il se contentait du minimum. Quand il regardait cette maison jonchée d'objets en tout genre, d'accumulation d'années, il ne regrettait pas de vivre dans des appartements où il n'y avait presque rien. Pas d'attache. Comme lorsqu'il était parti d'ici et qu'il avait fermé la porte de sa chambre en y laissant toutes ses affaires. Rien qui le retiendrait, qui lui ferait regretter de quitter cette maison. Il avait fermé cette porte en y laissant son enfance, son adolescence, ses souvenirs bons ou mauvais. Depuis qu'il était revenu, il n'avait d'ailleurs pas rouvert cette porte. Cette chambre était comme la boîte de Pandore qu'il avait peur d'ouvrir. Alors, il dormait sur le vieux canapé en cuir usé qui avait mal vieilli lui aussi. En même temps, quel âge avait-il ce canapé ? Tobby l'avait toujours connu dans ce salon, d'aussi loin qu'il s'en souvienne. Alors, il devait bien avoir au moins trente ans, sinon plus.

Depuis qu'il était revenu, Tobby n'avait pas travaillé. Il avait mis fin à son dernier contrat, ayant l'intuition que son séjour à Monterey serait bien plus qu'une simple affaire de quelques jours comme il l'espérait pourtant. Mais, le contact avec les animaux lui manquait. Ne penser qu'à eux, qu'à leur bien-être. Alors, Tobby se retrouva à marcher vers le zoo, situé à l'est de la ville. Un endroit qu'il avait toujours beaucoup aimé et qui avait fait partie de ses refuges lorsqu'il était plus jeune. Quand le zoo avait ouvert, il n'avait que sept ans, et c'était sans doute l'une des dernières choses qu'il avait pu faire avec sa mère avant qu'elle ne quitte la ville sans mot dire. Ainsi, les années étaient passées, mais le zoo était toujours là. Plus grand, plus impressionnant sans doute qu'à l'époque, bien que ses yeux d'adulte retrouvaient ce même émerveillement qui l'avait habité voilà bien des années. L'entrée passée, ses pas le guidèrent à travers les allées. Un havre de paix, voilà ce que c'était, dans le tourment de ces derniers jours, depuis qu'il avait appris le décès de son père. Cela lui changeait les idées.

Finalement, il doutait qu'avoir mis fin à son contrat était une bonne décision. Que comptait-il faire après avoir débarrassé la maison ? Resterait-il ? Partirait-il ? Sans doute, comme il l'avait fait presque vingt ans auparavant, et alors il reprendrait sa vie d'avant : pas d'attache, voguer de réserves en réserves en fonction des besoins. Il se posta devant l'enclos des paresseux, les observant quelques minutes. Eux prenaient le temps de vivre. C'était dans leur nature. Leurs gestes étaient lents, et ils avaient sans doute l'art de s'économiser. Tobby, lui, en était incapable. Toujours en mouvement. S'il se posait, alors il cogitait, et il n'aimait pas ça. Alors, il reprit sa marche et tomba sur l'enclos des kangourous. Il se souvenait de son dernier séjour en Australie, voilà quatre ans, quand il avait fait partie de ceux qui étaient allés bénévolement à la rencontre des secours lors des incendies qui avaient fait des ravages. Kolas, kangourous, et autres espèces durement touchées par ces incendies. Il n'en était pas à son premier séjour en Australie. D'ailleurs, il se souvint y avoir été précédemment avec un ami d'enfance qui d'ailleurs travaillait ici, lui semblait-il, aux dernières nouvelles. Il haussa un sourcil. N'était-ce pas lui d'ailleurs là-bas ?

Le vétérinaire fut partagé entre l'envie de faire demi-tour et continuer à faire profil bas en ville, et l'envie de retrouver ce vieil ami. Il arrêta de se torturer l'esprit et se mit en marche pour venir à sa rencontre. " Hé ! Jerem !"