Yaël bougonne en entendant les coups à sa porte. Il a pourtant prévenu qu’il ne sortait pas, ce soir. Il vient à peine d’arriver, il n’a aucune intention de ressortir de cette chambre. Ce n’est pas la bonne humeur et la joie de vivre qui l’étouffent, ces derniers temps, de toute manière. Alors, une seconde, il envisage de ne pas répondre, de prétendre être déjà endormi. Problème : il y a toujours un risque et une chance que ce soit important. Quand il ouvre la porte, il met un long, très long moment à se rendre compte de ce qui se passe réellement. Croiser le regard d’Ilyas ne rend pas la situation plus tangible et réelle. Au contraire. Il cligne des yeux pour être sûr de ne pas rêver. Pour un peu, il demanderait à être pincé pour s’en assurer. Il regarde le carton à pizza, il entend ce qu’il lui dit et pourtant, il n’y a rien à faire, il est complètement bloqué. Bien sûr, la situation le ramène si loin en arrière, dans ce qui lui semble être une autre vie. Le contraste entre ce qu’il a ressenti il y a plus d’un an et aujourd’hui n’est pas si différent. Il est sous le choc et il est évident qu’il ne s’y attendait pas. Ilyas recommence à parler et ne lui laisse pas le temps de réagir, de répondre. « - J’ai été un sale con. » Les mots lui font froncer les sourcils. Il l’écoute, il n’arrive pas à faire autrement. Et il a l’impression d’avoir basculé dans une autre dimension. Un rencard ? La taquinerie d’Ilyas sonne à ses oreilles comme une musique enchantée. C’est doux, léger. Comme si plus rien ne les séparait, à part leur incroyable insouciance, celle qu’ils ont perdu, à un prix bien trop élevé.

Yaël fait un pas en arrière pour laisser Ilyas poser son sac dans l’entrée et il est encore plus perdu. « Sienna est avec toi ? » Il demande, confus. Etrangement, il se trouve stupide que ce soit la première chose qui lui traverse l’esprit. Il a beau regarder derrière Ilyas, pas l’ombre de sa sœur, derrière lui. Pourtant, ce qui l’étonne encore plus, c’est que le journaliste ait prévu cette escapade sans elle. Quand leurs regards se croisent, quelque chose passe à travers son regard. C’est intense, presque violent. Les souvenirs que cela appelle en lui sont trop délicieux pour être ignorés. « Attends… » Il demande, stoppant le temps et la course des aiguilles à cette simple demande, à laquelle il sait qu’Ilyas répondra. Doucement, sereinement, un fin sourire vient lui soulever le coin des lèvres. Le brin de légèreté qui l’accompagne soulève de sa poitrine le poids immense qui y régnait depuis des semaines. « Tu ne préfères pas passer par la fenêtre ? » Il suggère, un sourcil arqué, comme un rappel malin de cette escapade d’une nuit, durant laquelle Yaël en a tout oublié. Que ce soit cette soirée qu’Ilyas ait décidé de reconstituer est plus significatif que ce qu’il pourrait imaginer. Le taquiner, le provoquer, revient alors à retrouver de ce qui les unissait encore à cette époque.

Il ne prend même pas la peine d’y réfléchir, il se retourne d’un volte-face rapide et il s’empare de la veste qu’il a jeté sur son lit, une ou deux minutes plus tôt. Quand il se retourne pour lui faire face, la confiance suinte par tous les pores de sa peau. « Je te suis. » Est-ce qu’il peut les entendre, les battements frénétiques de son cœur contre sa cage thoracique. Quand il le suit dans le couloir, il referme la porte et se retrouve à le frôler. Avant qu’ils ne bougent, qu’ils ne s’échappent de son quotidien, Yaël vient, doucement, se rapprocher. Tendrement, il glisse sa main contre sa nuque et vient effleurer ses lèvres des siennes. A la dernière seconde, il s’esquive et recule, le regard malicieux. « On verra ça à la fin de ce rencard. Tu as réservé une table ? » Il se dérobe volontairement, provocateur. Ils est conscient qu’ils ont des choses à se dire, probablement un paquet mais il ne peut pas ignorer le pas immense qu’Ilyas vient de faire vers lui. « J’ai aussi été con, j’avais aucune envie de partir. » Mais il ne l’aurait pas laissé le retenir. Il s’en est empêché.