It's been a long day without you, my friend There's someone I've been missing. I think that they could be the better half of me. Come home, come home. 'Cause I've been waiting for you. For so long, for so long @Heidi Gusmán-Gore    

Tes mains tremblent. Elles n’ont pas arrêté depuis l’appel d’Horacio. Tu agrippes le volant avec plus de force pour qu’elles arrêtent, mais rien n’y fait. Tu ne devrais même pas conduire dans cet état mais tu n’as d’autre idée en tête que celle de foncer directement au ranch... Tu as beau être capable de faire preuve du plus grand sang-froid possible dans le cadre de ton métier, de faire face aux situations les plus dingues et de réagir vite et bien, aujourd’hui, tu es incapable de garder ton calme. La nouvelle est tellement énorme, inattendue, bouleversante que ton cerveau n’arrive pas à la traiter, se contentant de te balancer invariablement les mêmes mots dans une litanie pleine de confusion. « Lucynda est vivante. Lucynda est vivante et elle est ici à Monterey. » Tu as beau te le répéter, le choc et la stupeur ne s’estompent pas. Tu ne parviens pas à croire que tu vas revoir ta meilleure amie dans quelques instants... Cinq ans. Cela faisait cinq ans que tu étais hantée par sa disparition. Que tu pensais à elle chaque jour, te demandant ce qui lui était arrivée, si elle était vivante ou pas, si elle souffrait, si elle t’appelait à l’aide, si elle avait peur, si elle t’en voulait de ne pas venir la chercher... Cinq ans qu’elle s’était volatilisée sans laisser aucune trace.  Et aujourd’hui, elle réapparaissait aussi brusquement qu’elle avait disparue, apportant encore plus de questions dans son sillage... Invariablement, tu te demandes à quoi vont ressembler vos retrouvailles, ce que vous alliez bien pouvoir dire ou faire. Tu inspires profondément, essayant de ne pas trop spéculer sur tout ça, malgré le chaos dans ta tête. De toute façon, même s’il n’avait pas voulu trop s’épancher au téléphone, Horacio t’avait averti que la situation était complexe et qu’il fallait que tu te prépares à trouver une Lucynda changée. Ce qui t’avait fait peur. Car il paraissait évident qu’une absence aussi longue ne pouvait que changer une personne. Or, s’il avait pris le temps de t’avertir spécifiquement, c’est que cela devait être encore plus marqué que ce que tu pouvais imaginer. Sûrement quelque chose lié à la raison pour laquelle elle était sortie brusquement de vos vies. Quelque chose que tu appréhendais forcément de découvrir...

Tu roules bien au-dessus des limitations de vitesse autorisées, ce qui fait que tu arrives en une poignée de minutes au ranch. Pour autant, le trajet t’a paru interminable... Tu te gares dans la cour, le cœur battant. C’est ridicule, tout est très calme autour de toi, contrastant violemment avec ton bouillonnement intérieur. Le monde aurait dû s’arrêter de tourner, tout comme toi tu ne tournais plus rond depuis l’appel... Tu sors de ta voiture, balayant le décor à la recherche d’une trace de vie. Que tu finis par trouver. Et elle n’est pas des moindres. Car c’est nulle autre que Luce qui est assise sur les marches menant à la terrasse, te regardant arriver. Une véritable apparition. Que tu contemples longuement, sentant quelque chose se bloquer dans ta gorge. A vrai dire, tes yeux la scrutent avidement, désireux de s’assurer de sa réalité, te confirmant enfin ce que tu n'avais osé croire jusqu'à maintenant. Un miracle, c’était bel et bien un miracle... Est-ce qu'Horacio lui avait-il dit de t’attendre sachant que tu allais débarquer comme une furie ? Cela n’avait aucune espèce d’importance. En quelques enjambées, tu franchis les quelques pas qui te séparent de ta meilleure amie, oubliant tout ce qui t'a agitée lors ton trajet pour arriver ici. Tout ce qui compte, c'est qu'elle est là, en chair en os, semblant en bonne santé. Tu lâches un petit rire entre la joie et le sanglot en arrivant à niveau. " Alors c'était bien vrai... Tu es de retour... Je n'en reviens pas..." Tu ne pleures pas souvent mais pourtant, tu sens tes yeux te piquer. Tu lèves les bras avec l'idée de la toucher, de la prendre dans tes bras mais tu es paralysée par l'émotion, par la peur que ce soit trop beau pour être vrai, par la peur de la brusquer alors que tu ne sais pas dans quel état d'esprit elle est. Les mots se bousculent dans ta tête et tout ce que tu arrives à faire, c'est en bégayer quelques uns. " Est-ce... Est-ce que tu vas bien ?" Tu dois en avoir le cœur net.

 

It's been a long day without you, my friend There's someone I've been missing. I think that they could be the better half of me. Come home, come home. 'Cause I've been waiting for you. For so long, for so long @Meera Pravesh   

Miroir, miroir…
Toi qui recèle tant d’histoire du passé, raconte moi quelque chose que je sais déjà mais que je ne me rappelle pas…

Assise devant mon bureau, je tente de me souvenir de chaque visage sur les photos qui enveloppent mon miroir rectangulaire. Horacio a essayé de me donner un maximum d’informations sur les personnes qui partageaient ma vie avant ma disparition mais je n’ai pas tout retenu. Non pas à cause de ma mémoire défaillante mais simplement parce qu’il y avait trop de choses à retenir, sans que cela me donne mal à la tête. Certains visages m’interpellent plus que d’autres mais je dois me laisser du temps pour me souvenir de tout le monde. Je suis frustrée, je peste malgré moi, contre cette foutue tête qui n’est même pas capable de m’aider. A quoi bon m’inonder de flash si ce n’est pas pour en comprendre le sens ? J’aimerais que tout s’arrange mais rien n’y fait. Je sens que je veux aller trop vite et ça ne fait qu’empirer. Plus j’essaie de savoir et moins j’y arrive.

Je détache une photo du miroir et m’allonge sur mon lit. Sans la quitter du regard, je me rappelle les mots d’Horacio, quelques jours plus tôt : il s’agit de Meera et Tommy, tes meilleurs amis de toujours. Mais je n’arrive pas à me rappeler d’eux. Pourquoi je n’y arrive pas? J’ai réussi avec Ace. J’ai pu me souvenir en le regardant, alors pourquoi ça ne fonctionne pas, avec ces deux personnes ? Deux personnes qui me sont tout aussi importantes que ma famille de sang parce qu’à priori, ils sont la famille que je me suis choisie. J’attrape ensuite une autre photo avant de plonger de nouveau sur mon lit. Sur celle-ci, Meera et Tommy sont beaucoup plus jeunes et je suis également sur la photo. Je ferme les yeux en inspirant profondément, avant de rouvrir les yeux et de me concentrer sur l’image. On sourit tous les trois. La jeune fille a ses bras sur mes épaules, ainsi que celles de Tommy. Mon index s’arrête sur le poignet de Meera et je remarque un bracelet que je connais si bien. Je touche ensuite celui que j’ai à mon poignet gauche. Un bracelet qui est fait main, à tous les coups, une perle avec la lettre « M » est inscrite sur le mien. En regardant de plus prêt sur la photo, c’est la lettre « L », je crois, sur celui de Meera. Longtemps, j’étais convaincue que ce bracelet était un signe pour Christa, que j’ai très vite appelé « Mi vida ». Ma vie, littéralement mais aujourd’hui, je comprends qu’il ne lui était pas destiné mais qu’il l’était pour une toute autre personne, si importante dans ma vie. Depuis toujours en fait.

Les larmes roulent sur mes joues, que je m’empresse d’effacer avant de me redresser et de tripoter le bracelet avec insistance. Horacio m’a dit qu’elle viendrait aujourd’hui et je m’en veux de ne pas réussir à débloquer mes souvenirs avant son arrivée. Il n’a pas de nouvelle de Tommy, qui doit être à l’extérieur de Monterey. Il est musicien, de ce que j’ai retenu l’autre jour. Mais une chose à la fois, n’est-ce pas ? J’attrape ensuite mes médicaments, sur ma table de chevet, et avale un cachet, avec une gorgée d’eau. Une habitude qui me suit depuis maintenant cinq ans, une anomalie au cœur dont j’ai hérité suite aux millions de volt qui m’ont transpercé le corps en moins d’une demi seconde. J’y ai laissé beaucoup de mes capacités mais je retiens que je suis encore en vie.

En vie.

Gardant cette photo de gamins entre les mains, je retrouve l’extérieur du ranch et m’installe sur les marches en pierre. Meera ne devrait plus tarder, à présent. Je ne sais pas comment gérer l’émotion qui me gagne. Des brides de notre enfance s’insinuent doucement et je me souviens d’où cette photo a été prise : Pacific Grove, fête des lanternes, à la fin de l’été 2007, j’avais treize ans. Je souris, laisse un hoquet de surprise s’échapper de ma gorge parce que j’arrive à me souvenir de ça et c’est assez précis pour m’émouvoir. Nous étions si insouciants sur cette photo, sans se douter un seul instant que la vie allait nous en faire baver de dingue, en grandissant. A cet instant, je suis attirée par un bruit de voiture qui se gare dans l’allée de notre garage. Je relève la tête et comprends tout de suite de qui il s’agit. Mon cœur tambourine comme un dingue dans ma poitrine, je peux entendre ses irrégularités. Je souffle, me mets debout et en frottant mes mains sur mon pantalon. Elle est là et je ne sais pas du tout comment me comporter face à elle. Face à celle dont mes souvenirs s’entremêlent. Je sais qui elle est et ce qu’elle représente et je peux immédiatement ressentir l’amour que je lui porte. Elle est ma meilleure amie, une partie de mon âme. Rien de moins. Je n’ose pas avancer dans sa direction, je me contente de l'observer m'approcher, me parler et sa voix résonne dans ma tête comme une caresse de velours. Je crois que je n’ai plus besoin d’avoir peur mais je suis incapable de lui répondre avec honnêteté. Je ne sais pas si je vais bien, je n’en suis même pas certaine, en vrai. Je me contente de lever les épaules et de me mordiller la lèvre inférieure. Après quoi, je lui tends alors la photo que j’ai dans les mains et murmure :

Tommy avait fait cramer sa lanterne ce soir-là. On avait plus d’argent pour en acheter une autre alors on a mendié pendant quinze minute jusqu’à ce que madame Cooper du bureau de détective Adelson ait pitié de nous et on s’est retrouvé avec cinq lanternes au lieu de trois…

Je ne contrôle pas mes souvenirs, je prends que ce que ma tête veut bien me donner et j’essaie de m’y retrouver chronologiquement. Pas toujours facile mais c’est toujours mieux que rien. Je justifie à Meera :

C’est pas grand chose mais c’est tout ce que j’ai…

Horacio a pris le soin de lui expliquer mes lacunes que j’espère sincèrement temporaire mais j’ai confiance. Oui, depuis mon retour je vois déjà une différence. J’avais sans doute besoin de retrouver mes repères pour guérir.

Même si ce n’est toujours qu’un début…

 

It's been a long day without you, my friend There's someone I've been missing. I think that they could be the better half of me. Come home, come home. 'Cause I've been waiting for you. For so long, for so long @Heidi Gusmán-Gore   

Luce se lève à ton approche et vous vous retrouvez face à face, au pied de la terrasse balayée par les vents. L’instant est à la fois solennel et indécis, un rien pouvant briser l’équilibre fragile de vos retrouvailles. La vision des traits si familiers de son visage apaisent ton cœur. Bien sûr, elle a changé en cinq années. Il y a une maturité nouvelle dans son regard, sans doute forgée par des expériences dont tu ignores encore tout. Mais c’est bien ta Lucynda qui te regarde et certaines choses sont demeurées intactes car elle se mord la lèvre en le faisant, signe qu’elle est aussi perturbée et hésitante que toi. Elle te tend alors quelque chose et pour la première fois depuis que tu es arrivée ici, tu remarques le rectangle de papier qu’elle tient dans la main. Une photo. Tu t’empares de cette dernière et tu la reconnais tout de suite. Tu as la même, aimantée sur ton frigo. Ta photo préférée de votre petit trio de choc, prise lors d’une nuit mémorable. Tu t’apprêtes d’ailleurs à le lui expliquer mais tu comprends vite que c’est inutile. Car c’est elle qui te raconte son souvenir de la fête des lanternes et tu sens presque ta mâchoire se décrocher tant tu es surprise. Horacio t’avait pourtant dit qu’elle n’avait plus beaucoup de souvenirs de vous tous… Tu ne pensais pas qu’elle aurait encore celui-ci… A vrai dire, tu t’étais imaginée tout un tas d’affreuses scènes où elle ne te reconnaîtrait pas du tout, où vous seriez deux étrangères sans rien à vous dire, où tu serais obligée de lui rappeler jusqu’à ton prénom… Tu as un petit sourire émerveillé. “ Tu te rappelles de ça ? C’est génial… Je croyais avoir compris que tu étais presque entièrement… amnésique.” Tu butes sur le dernier mot, ne sachant plus si le terme est vraiment adéquat, te rappelant seulement maintenant que les pertes de mémoire pouvaient prendre plusieurs formes.

Malheureusement, Luce ne semble pas aussi enthousiaste que toi, et tu devines sa frustration lorsqu’elle t’avoue qu’elle n’a que cela pour le moment, ayant presque l’air de s’excuser. Tu secoues la tête, c’était déjà plus que tout ce que tu avais pu espérer. Tu essayes de la réconforter même si tu peux imaginer à quel point cela doit être déroutant d’être privée de ses souvenirs. “ C’est un début. Un très bon début… Rien que le fait que tu sois là, avec moi, c’est déjà beaucoup. Si tu savais  à quel point tu m’as manquée… ” Tu lui adresses un petit sourire empreint d’émotion et de tendresse. Tu ne veux pas qu’elle se mette la pression. “ Les souvenirs vont sûrement revenir… Laisse-toi le temps. Et au cas où, je t’aiderais.” Tu avais été complètement impuissante à la retrouver physiquement mais ça, tu avais la possibilité d’essayer de le faire. De la ramener corps et âme parmi les siens. Tu te rapproches d’elle et remets la photo sous vos yeux, lui apprenant de nouveaux détails sur cette soirée. Elle avait bien fait d’emmener cette photo avec elle, car cela vous permettait de renouer le dialogue en douceur, de manière plus naturelle. “ Regarde, le bas de mon jean est roussi. C’est parce que j’ai sauté sur la lanterne pour éteindre le feu. On a taquiné Tommy sur ses tendances pyromanes pendant des jours après ça… Et aussi sur le faible que Madame Cooper avait pour lui car c’est clairement parce qu’il lui a fait les yeux doux qu’on a finalement pu lancer autant de lanternes ce soir-là.” Tu avais toujours adoré cette fête mais bien évidemment, tu n’y étais plus retournée depuis sa disparition… Tu lui tends la photo pour lui rendre et quand elle relève la main pour l’attraper, tu remarques un nouveau détail qui t’avait échappé jusqu’à là. A son poignet, le bracelet d’amitié que tu avais tissé pour elle, tu le caresses doucement. “ Tu le portes toujours…” Dis-tu, bouleversée par cette découverte. “ Alors au moins, j’étais un peu avec toi pendant tout ce temps…”  Avec un sourire, tu soulèves tes clés de voiture pour lui montrer le tien. La ficelle a cassé depuis longtemps et tu ne peux pas le porter pas autour de ton poignet à cause de ton boulot mais il est quand même toujours avec toi. “ Comme tu étais avec moi… Je n'ai jamais cessé d'espéré que ce jour arriverait... ”