Juin 2024

Laissez-moi vous présenter Mason. Première, Mason, est vraiment canon, ce qui, dans la situation, s’avère très important parce que j’ai tout à fait l’intention d’en profiter allègrement avant qu’il ne quitte la Californie. Effectivement, Mason est un surfeur de passage, venu profiter des vagues pendant deux semaines. Il a d'autres cordes à son arc : il est drôle, curieux, légèrement naïf - ce qui ne gâche rien à son charme- et assez sensible au mien.

Après avoir passé la fin de l’après-midi ensemble, je lui ai proposé de poursuivre notre conversation autour d’un bon repas, quitte à la prolonger un peu la soirée. C’est aussi simplement que cela que nous nous retrouvons devant le Colibri Bleu, un établissement en plein centre ville, à la devanture aussi discrète que la cuisine est à tomber. J’essaie clairement de marquer des points. Je ne m’en cache même pas. Enfin, si j’en crois la main qu’il vient de poser dans le bas de mon dos pour m’inviter à avancer, je crois que je m’en sors plutôt bien. Je coule dans sa direction un regard complice. - Je passe en premier, alors ? Pendant une toute petite seconde, il n’est pas certain d’avoir bien interprété ce que j’ai dit. Je trouve ça… vraiment trop mignon.

Je maintiens la conversation en marchant à reculons jusqu’au comptoir. J’en suis à vendre le mérite d’une de leur cheffe quand je finis par me retourner pour saluer notre serveur.  - Ionas ?  Merde. Excusez-moi, je ravale ma surprise en plissant les yeux.  Je suis le seul à trouver la situation gênante ? Apparemment, oui, étant donné que Mason s’arme d’un immense sourire pour nous interroger : - Vous vous connaissez ? Son accent français s’entend très clairement. Son intervention me fournit l’impulsion nécessaire pour reprendre contenance. Mon cœur s’arrête toujours de battre quand je le croise. Environ cinq secondes, le temps que je rallume mon cerveau. - Ouai, depuis le lycée. On est amis. Sans même m’en rendre compte, je signe ce dernier mot. Dans un sourire, je m’adresse à Ionas. - Je ne savais pas que tu bossais ici. C’est pas cool les cachotteries, fais-je en claquant plusieurs fois ma langue sur mon palais. Ma désapprobation reste factice, bien entendu. Elle ne vise qu’à donner le change puisque je suis plutôt mal placé pour me plaindre, niveau secrets et surprise. L’alliance à mon annulaire en témoigne plutôt bien. La proximité physique entre mon date et moi, aussi.  Je n’ai plus que Ionas agisse en ami et me laisse le bénéfice du doute. - T’as une table de libre pour nous ? Mason repart bientôt, je voulais lui faire goûter la cuisine d'ici. Entre autres choses, mais ça, clairement, cela ne le regarde pas.

@Ionas Dimitriou    

- C’est ce que Dante m’a dit, oui, lui répond Mason en souriant largement. C’est moi ou la situation est un poil gênante ? Le naturel avec lequel Ionas a riposté à mon faux-reproche m’a pourtant permis de croire que tout était normal. Durant quelques secondes, je me suis vraiment imaginé que ma venue ici allait passer crème. Tout le monde a le droit de rêver, non ? Moi, je suis un grand rêveur. Après tout, c’est en visant la lune qu’on a le plus de chance de croiser quelques étoiles. Enfin, pour l’instant, je les suis en me demandant à quelle sauce je vais être dévoré. Je déteste l’idée de devoir m’expliquer sur mon comportement. Pourquoi faudrait-il toujours respecter les codes ? Est-ce que mon attitude change quoi que ce soit à l’homme que je suis ? Ou à ma relation avec Mina ? Mon alliance n’a pas quitté mon annulaire que je sache. Au fond, j’ai surtout peur que ce soit elle qu’on juge. Ou qu’on remette en doute notre relation. À l’idée de devoir rendre des comptes, j’adopte une stratégie systématique de détournement d’attention par l’humour et la dédramatisation. En plus, si ça se trouve, je m’inquiète pour rien. Deavon ne l’a pas mal pris, lui. Je jette une œillade en direction de Ionas. Lui, nous sort la panoplie parfaite du serveur accompli. Moi, je m’emploie à percer le mystère de ses pensées, histoire de déterminer son état d’esprit.

Moins, il me laisse d’indice, et plus, mon envie de savoir croît. Tout en m’installant, je coule un regard en sa direction. « Vous souhaitez boire quelque chose ? » Voilà ! Non vraiment, c’est trop bizarre. Et, dans le mauvais sens du terme ! Tout, de sa posture à l’intonation de sa voix, me fait tiquer ! Est-ce qu’en enfilant sa tenue, il s’est approprié une nouvelle personnalité pour aller avec ? Mason, lui, approuve avec entrain. Il fronce les sourcils en cherchant ses mots avant de demander à notre serveur de le conseiller sur la carte des vins. Vraiment trop mignon ! Est-ce que c’est cet effet que je fais quand je m’efforce de communiquer en allemand ? J’attends sagement mon tour en les regardant interagir, guettant le moindre signe d’inconfort, ou au contraire, d’approbation, de la part de mon ami. En fait, si au moins, il faisait l’effort de me charrier, je me sentirais beaucoup plus à mon aise.  - Et toi, tu veux du vin aussi ? Ma nature joueuse me pousse à opter pour la voie de l’aventure dès qu’une opportunité s’offre à moi. - Tu me conseilles quoi, toi, Ionas? Inconsciemment, je signe le mot “secret”, en lieu et place de son prénom. Peut-être que c’est aussi une manière de forcer le contact visuel, mais franchement ? J’ai besoin de savoir ! C’est toujours cool, entre lui et moi, non ? - Je te fais confiance, fais-je en soulignant mon propos d’un clin d'œil complice. Ou peut-être, que de façon très inconsciente et non assumée, je cherche à… À quoi ? Le rassurer ? En fait, j’en sais rien.

À redonner une couleur familière à l’ambiance ! Quelque chose dans ce goût-là. Parce que franchement, l’avoir en serveur, c’est vraiment trop chelou. Encore plus que l’idée de me mettre à flirter sous son nez. Ceci dit, si c’est ça ou passer à côté de la bombe atomique assise en face de moi… Même Ionas, tout hétéro qu’il soit, peut bien comprendre ça ! Mason s’excuse en nous expliquant qu’il doit s’éclipser un instant. Je ne rate rien du spectacle de sa silhouette qui s’éloigne. À la seconde où la porte des toilettes se referme sur lui, je relève le regard vers Ionas. J’avais très sérieusement l’intention de mettre les choses au clair ! Au lieu de ça, j’essaie d’étouffer le début d’un fou rire salutaire. Voilà une manière saine d’évacuer la pression, ainsi qu’une solution pour garder ma gêne pour moi ! - Au cas où tu te demandes : si j’avais fait exprès, j’aurais invité Timaël et Deavon ! Pas de jugement, j’essaie de détendre l’ambiance ! Ne pas savoir ce qu’il en pense me dérange plus que je ne veux bien l’admettre. - Ça se passe bien pour toi, ici ?

- Ah oui, c’est sûr, dit sur ce ton, je crève de jalousie. Tu sais s’ils prévoient de recruter prochainement ? Un air rieur se faufile sur mes traits. Je n’ai pas pu m’empêcher de le taquiner. Le manque de passion dans sa façon de présenter son nouveau job était beaucoup trop criant. En l’absence de Mason, la conversation reprend un ton proche de la normalité. « Je voulais leur suggérer d’ouvrir une scène ouverte, ça n’a pas été très bien accueilli. »  - Ils ne savent pas ce qu’ils ratent, les imbéciles ! Tu veux que leur en parle ? Je viendrais chauffer la salle ! La complicité crépite entre nous. L’amitié reprend ses droits à la vitesse de l’éclair. Entre amis, d’aussi longue date, le jugement n’existe pas, non ? Peut-être que je m’inquiète pour rien. Peut-être que tout va bien, finalement ! Hein ? Je cherche un appui dans le regard de Ionas, désireux d’en être sûr.

C’est à croire qu’il m’a entendu puisqu’il me rassure, d’une main sur mon épaule, d’abord, puis de ses mots, par le suite. J'acquiesce bien avant d’assimiler la nature de son propos. - C’est pas mon genre, en plus. De me prendre la tête, je veux dire. Tout à fait vrai. Malgré tout, j’ai du mal à me sentir soulagé. Ma nature volage n’a jamais été un secret d’état. Sauf, depuis que je suis revenu d’Europe. J’avais tellement envie de protéger Mina… Le pouce de Ionas frôle ma peau. Non, attendez, il ne se contente pas de l’effleurer. Il y laisse une traînée brûlante et douloureuse ! Quoi que j’exagère, si ce contact était foncièrement désagréable, je ne serais pas en train de le regarder s’éloigner en trouvant cette marque d’affection trop brève. Je préfère, et de loin, accuser ma nature tactile. C’est plus facile de la rendre responsable de ce manque. Plus facile que d’admettre que parfois, j’ai encore le cœur qui s’emballe. Est-ce que ça va, vraiment ? J’essaie de m’en convaincre.

Sauf que peu de temps après, j’assiste à une toute autre scène. Instinctivement, je me lève pour aller voir ce qu’il en est. J’entends Maison essayer de rassurer Ionas en répétant que ce n’est pas grave. C’est même lui qui, au moment où je les rejoins, m’explique la situation avec un sourire transpirant la bienveillance. - Tout va bien. Je ne regardais pas où j’allais, Dante, m’assure-t-il, en français. - Je dois avoir un autre maillot ou quelque chose dans la voiture. Je vais aller vérifier, et je reviens, d’accord ? J’approuve d’un hochement de tête tandis qu’il s’écarte en me confiant une dernière recommandation. - Il a dit qu’il faut que tu mettes du sel sur ton tee-shirt. Je jette un coup d'œil dessus. Le blanc impeccable a pris la couleur rubis du vin. C’est une catastrophe. - Écoutes, je sais que tu as besoin de ce boulot. Si tu pouvais t’en passer, tu ne serais pas là. Tu me laisses te filer un coup de main ? Pour me faire pardonner ? De quoi ? Je n’ai rien fait du tout, moi. Allez, je tente une blague. - Je sais, il est super canon. C’est son super pouvoir ! tu vois ? Il déstabilise même les hétéros ! Personne n'est immunisé contre son charme. Et adorable, avec ça, pour couronner le tout ! Sur une des tables libres, je récupère une salière. Je l’agite devant les yeux de mon comparse de toujours. - Ils sont où les vestiaires ? On y va ? Je te file mon tee-shirt et je récupère le tien quand on aura fait disparaître la tâche. Je m’arme d’un grand sourire, destiné à alléger l’ambiance. - Le vin avait tourné au vinaigre ? C’est pour ça que tu l’as renversé sur lui ?

@Ionas Dimitriou