|	not my fault; Qiang & Cheng Swee

— Journée sans but, journée sans saveur, ajoutons un peu de sel, un peu d’épices et touillons. Mélangeons ce mélange pour qu’il donne à la vie un goût de renouveau, un but à poursuivre.

Parfois, Cheng Swee se demande quel est son but à lui. Il a vécu avec des rêves, avec des aspirations. Des objectifs parfois irréalisables car l’on se croit trop fort, l’on tend la main, les doigts frôlent la perfection mais soudain elle s’échappe et vole plus loin avec un rictus, ce rictus, il fait froid dans le dos. Dans le lit, il est grand ce lit, il tourne dans tous les sens car il n’arrive pas à trouver le sommeil. Pourtant, c’est promis, s’il s’est couché, c’est parce qu’il ressentait une fatigue énorme. Cela arrive parfois, en plein milieu de la journée. Vers treize, vers seize heures. La tourmente le secoue cette fois. Pourquoi ? Une ville nouvelle, il ne s’y habitue pas totalement. Tout n’est pas si simple. Singapour a ses défauts mais aussi ses qualités. Il rêve de remettre pied à terre, s’envoler vers ces terres lointaines, sourire à ces personnes qui parfois le reconnaissaient dans la rue et secouaient la main avec enthousiasme. Des jeunes, surtout, l’icône d’une jeunesse qu’il ne pense pas représenter à la perfection. Cheng Swee avait de la chance, l’a-t-il abandonnée ?

Ça ne va pas, il quitte ses draps soyeux avec un grognement mécontent. L’extérieur l’appelle, il y a un vent frais qui entre par la fenêtre entrouverte et titille son front chaud. Les fenêtres, elles ne le sauveront pas. Il a choisi l’appartement avec le plus de lumière de l’immeuble, mais ça ne suffit pas. Il est à l’étroit, il étouffe même si la liberté est proche. Il se sent comme observé par les personnages dessinés sur les feuilles volantes qui flottent dans l’appartement. Il ne prend pas la peine de s’habiller correctement : une chemise blanche, un pantalon beige, bien sûr des chaussures qu’il enfile rapidement et le voilà parti. Long manteau, il tremble. La vie, il respire de toutes ses forces et l’air entre dans ses poumons, le vivifie. Le sourire lui revient, les couleurs reprennent leur place sur son visage. Cheng Swee attrape le bonheur au vol. Pourquoi est-ce que ça fait si mal de rester enfermé ?

Il n’a pas son portefeuille, pas de papiers d’identité mais il ne se fait jamais remarquer. La canne le porte quelques petites rues plus loin, l’énergie revient et fait vibrer son corps, dynamise la jambe blessée. L’homme se sent humain et il adresserait aisément la parole à la première passante croisée, un sourire énorme sur le visage.

Mais pas loin de là, une jeune femme perd son sac. Le voleur est habile, tout drapé dans son magnifique manteau beige, il arrache ce sac de luxe et s’enfuit avec peu d'assurance, la jambe qui traîne. Cheng Swee est témoin sans l’être : il n’a pas vu le vol, il a seulement vu l’homme disparaître dans un coin de rue, un sac à la main, un sac féminin qui lui fait froncer les sourcils. Il n’a rien compris, tout concentré qu’il était dans sa balade, dans sa reprise de pouvoir sur lui-même. Sans se presser, le Singapourien qui, promis, n’a rien vu, continue son chemin, un sourire sûrement niais sur le visage, heureux de s’être échappé de sa prison pleine de feuilles de papiers. Cheng Swee ressemble à un voleur, mais il n’a volé qu’un peu de temps seul, un peu de bonheur liquide.


@Qiang Lian

|	not my fault; Qiang & Cheng Swee

— Voila près d'une heure maintenant que Qiang patrouillait dans le quartier Est de Seattle mais tout était calme ce soir. Dire qu'il aurait pu passer la soirée avec sa fille plutôt que de tourner en rond inutilement. Il se demandait s'il devrait prendre une année sabbatique pour pour pouvoir passer plus de temps avec Zoé. Il voyait peu la petite à cause de son boulot, et il était obligé de déranger Linh pour la garder lorsqu'il était de nuit. Son amie disait que cela ne l'ennuyait pas, sa fille adoptive était une perle il fallait l'avouer. Mais Qiang n'avait jamais vraiment aimé s'imposer dans la vie de qui que ce soit. Simplement se débrouiller par lui-même mais lorsque Zoé était entré dans sa vie, il avait fallu s'adapter à un autre mode de fonctionnement. La radio du véhicule l'avait sorti de ses pensées, pour signaler le vol d'un sac à main. Pas vraiment de description du suspect mis à part qu'il boitait. Qiang se trouvait dans le coin et gara la voiture non loin de la scène de crime pour partir à la recherche du voleur. Il n'avait pas dû aller très loin s'il avait du mal à marcher. Il s'était peut-être caché quelque part. Ce n'était pas vraiment l'animation qu'il attendait, ce n'était qu'un fait divers parmi d'autres comme larcin. Mais ce n'était pas non plus légal de voler le sac d'une personne. Cela restait un crime alors il fallait retrouver le suspect et les biens de la victime.

Le jeune policier avait fini par repérer une silhouette à la démarche anormale mais elle était loin de tenter de s'enfuir. Il ne savait pas vraiment si c'était le suspect mais il était tard alors à moins d'avoir une bonne raison pour se trouver dehors actuellement.

- Police ! Arrêtez vous ! Les mains en l'air

Par réflexe, il avait dégainer son arme même s'il doutait avoir besoin de s'en servir. Surtout si l'homme était handicapé. Qiang avait rapidement comblé la distance entre eux, constatant qu'il avait une canne. Pas de sacs en mains en vue non plus mais il l'avait peut-être mis quelque part.

- Vos papiers

Heureusement qu'il était chinois, sinon son interlocuteur qui avait des traits aussi asiatique que les siens aurait pu crier au racisme.


@Cheng Swee Chan