Doctae sorores

Chez les Uccello, il y avait des traditions. Il y avait le brunch du dimanche, que Flora ne manquerait pour rien au monde. Avec Cassiopéa et Dario, ils se retrouvaient. Ils apportaient chacun quelque chose à manger, et profitaient de ce moment ensemble. En famille, enfin ce qu’il en restait. Flora avait eu un peu de mal au début, parce que les repas dominicaux avaient été entachés par le danger depuis ses fiançailles, mais… Réinstaurer ça ici, c’était le moyen d’essayer de retrouver une vie normale. De surmonter leur passé. Flora y avait repris goût. Et puis il y avait les mardis soirs.

Les mardis soirs, c’était le moment que Cassiopéa et Flora se réservaient toujours, c’était leur soirée à elles. Elles ne faisaient pas toujours quelque chose de spécial, mais ce qui comptait c’était de passer la soirée ensemble… Même si c’était pour s’endormir en dix minutes devant un film sur le canapé. Enfin, cette fois, ce n’était pas le plan retenu. Flora avait envie de discuter avec sa jumelle. Elle avait envie de profiter de sa présence.

Flora avait tout préparé. Elle était rentrée tard du travail, mais elle avait amené avec elle des pizzas qu’elle avait achetées sur la route. Depuis deux ans qu’elles étaient à Monterey, elles avaient eu le temps de faire le tour des pizzerias du coin afin d’élire la plus authentique et la meilleure. D’après Flora ça ne valait pas celles qu’elles avaient pu manger au pays, mais ce n’était pas mauvais pour autant. Elle avait fait le détour pour acheter précisément celles qui avaient été élues au terme de leurs dégustations.

Elle grimpa les escaliers de l’immeuble jusqu’au dernier étage, son sac sur son épaule, les deux pizzas sur sa main gauche, les clefs dans la main droite. Elle rentra rapidement, posa les cartons sur le comptoir de la cuisine, se débarrassa de son manteau et poussa un profond soupir. Ça faisait du bien, d’être enfin chez soi après une longue journée.

- Cass’ ? Appela-t-elle. Je suis rentrée. Devine ce que j’ai rapporté…

L’odeur ne tarderait pas à la trahir quand sa jumelle la rejoindrait, c’était évident, mais ça n’en restait pas moins une sympathique surprise. Enfin, Flora espérait que ça ferait plaisir à Cassiopéa. Elle travaillait si dur, elle méritait de prendre un peu de repos et de passer des soirées tranquilles. Flora était sa plus grande admiratrice. Elle ne perdait jamais une occasion de l’encourager, de la pousser à réaliser ses rêves, surtout après ce qu’elles avaient traversé ensemble. En Italie, bien sûr, mais aussi à leur arrivée à Monterey. Quand elles avaient dû accepter des petits boulots pour s’en sortir, quand elles avaient du se trouver rapidement un appartement, quand elles avaient passé leurs premières nuits dans la crainte d’avoir été suivies jusqu’aux Etats-Unis.

Elle apporta les pizzas sur la table, sortit des verres, amena à boire, et plaça même une bougie au milieu, qu’elle alluma avec une allumette. C’était leur soirée. Un des moments qu’elle attendait le plus dans leur semaine, une occasion de se raconter tout ce qui avait pu se passer ces derniers temps, même si elles n’avaient pas besoin de ça. Il y avait toujours eu un lien particulier entre elles, indéfectible. Elles avaient toujours tout su l’une de l’autre, les moindres secrets, les recoins de leurs âmes n’avaient rien d’inconnu. Les mardis soirs, c’était sacré. C’était le symbole de tout ça.

- Je t’ai pris la même que la dernière fois, j’espère que ça te plaira…

Flora était du genre attentive. Elle savait précisément ce que sa sœur aimait manger, regarder, écouter, porter. Elle notait chaque choix dans un coin de sa tête pour s’en souvenir plus tard et quand elle craignait de l’oublier elle notait le tout dans une longue liste dans ses notes de téléphone pour ne jamais être prise de court le jour où elle aurait l’occasion de lui faire plaisir.

Flora retourna vers l’entrée, attrapant cette fois son sac à main pour en sortir quelque chose. Un magazine et un stylo qu’elle posa à côté de sa pizza, sur la table. Le fameux magazine où le nom de Cass apparaissait, même si pour l’instant c’était encore en tout petit. Même si Cass en avait toujours les exemplaires, ça n’empêchait pas Flora de les acheter pour soutenir le travail de sa sœur… Et elle comptait bien lui demander un autographe pour lui montrer à quel point elle était admirative de son travail.

- Désolée, je suis sortie tard ce soir… Tu m’en veux pas trop ? Demanda-t-elle avant de s’asseoir à table, un air mal à l’aise sur son visage.

@Cassiopéa Uccello

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Les flammes jumelles sont en permanence connectées l'une à l'autre, peu importe l'espace et le temps. Elles sont un. ஐ ft. @Flora Uccello

{outfit} ஐ Tes premiers jours à Monterey te semblaient être comme un cauchemar. Tu arpentais ses rues sous forme de sentier tortueux dans une nouvelle vie complètement déformée. À mesure que tu avançais, le sol se dérobait sous tes pieds et tu peinais à trouver une forme de stabilité. Tu avais perdu la plupart de tes repères. Une partie de ta famille. Celui que tu croyais être l’homme de ta vie. Pendant des jours, ton lit te semblait être un cercueil. Il t’était aussi difficile de te lever que de sourire avec cette bouche qui ne paressait plus être la tienne. Ta tête était hantée par tes supplices alors que les corbeaux s’envolaient et que les ténèbres te comblaient. Tu avais terriblement besoin d’entendre que la vie valait la peine d’être vécue. Que glisser cette pente était normal, mais que l’important était de t’en relever. Par chance, dans ton malheur, tu n’avais pas tout perdu. La personne qui t’est la plus chère à ton cœur était toujours à tes côtés et le demeurera jusqu’à la fin. Sans ta jumelle, il y aurait bien longtemps que tu aurais arrêté de te battre. Tu te serais peut-être même rendue de ton plein grain au milieu pour y subir ton châtiment. Tu aurais regardé la mort en face sans même sourciller. À quoi bon vivre si plus rien ne te retient ? Néanmoins, la chance t’a encore souri, en dévoilant le réel statut de Dario. Un frère dont tu ne soupçonnais pas l’existence et qui s’est montré des plus précieux. Ce n’est que grâce à eux que tu as réussi à percevoir à nouveau les belles couleurs de la vie. Ils sont les dernières reliques de ta famille et par conséquent, ils sont des plus précieux pour toi.

Pour l’heure, l’appartement est étrangement calme. Dario est absent et ce n’est pas plus mal. Tu as le privilège de ne pas l’entendre te râler dessus quant au bordel que tu étales. De manière générale, le mardi est une soirée entièrement consacrée à ta jumelle et toi. Une soirée spéciale qui pourrait être facilement renommée Cassora. Néanmoins, il faudrait qu’elle soit là pour qu’elle commence et de toute évidence, l’heure tourne et l’absence de Flora persiste. Cela dit, tu ne le remarques pas vraiment. Tes lunettes fermement accrochées à ton nez, ton attention est portée sur tes cours et ton travail depuis ton retour chez toi. Installée sur le tapis du salon, de la musique en fond, tes affaires éparpillées sur la table basse, tu ne vois pas les heures défiler. Une mauvaise habitude que tu as prise et qui pousse ta jumelle à souvent passer derrière toi. Un acte qui a le don de t’agacer ne retrouvant jamais tes affaires, bien qu’il parte d’une bonne intention. C’est alors que tu entends enfin un trousseau de clés s’insérer dans la serrure de la porte d’entrée. À l’odeur, tu devines déjà qu’elle n’est pas venue les mains vides. Toutefois, avant de te lever pour l’accueillir, tu prends le temps de terminer la tâche que tu as commencée. Ce n’est plus qu’une question de minutes avant que tu ne termines d’écrire ton article. Juste deux ou trois petites phrases. De quoi lui laisser le temps de poser les pizzas sur le comptoir de la cuisine, se découvrir et lui permettre de respirer.

Tu ne te décides à bouger qu’en l’entendant t’appeler. Une chose que tu ne lui permettras pas deux fois. Tu laisses tout en plan et pointes le bout de ton nez dans l’entrée. « Mmh, c’est une façon de te faire pardonner de ton retard ? » En réalité, tu ne lui en tiens pas rigueur. Tu te fiches pas mal de l’heure à laquelle elle arrive tant qu’elle arrive. C’est le principal. Tu laisses attirer par l’odeur alléchante que dégagent les pizzas et te décide à soulever le haut de la pizza pour vérifier de quel choix parle ta jolie fleur. Non pas que tu doutes d'elle, mais tu n’es pas certaine de te souvenir de ce que tu avais pris la dernière fois. « Parfait. Comme toujours. » À la différence de Flora, tu as du mal à retenir les petits détails préférant te concentrer sur ce qui est essentiel à ta réussite et pour toi. Cela ne peut pas pour autant dire que tu ne retiens aucun détail sur elle. Au contraire. Ça serait bien mal te connaître. Tu finis par tourner les talons et entrer dans la cuisine. « C’est difficile pour moi de t’en vouloir. Le principal, c’est que tu finisses par arriver. » Tu sors rapidement deux bouteilles de vin déjà entamées du frigo, avant de verser un verre de blanc sec pour toi et un de moelleux pour Flora. À l’image de ce que vous êtes. Similaires, mais différentes. Peut-être plus différentes que similaires, mais ce n’est pas ce qui importe. Tu glisses le verre sous son nez avant de ranger les bouteilles, d’empoigner ton verre et de prendre les pizzas. « Qu’est-ce que tu as envie de faire ce soir ? » En ce qui te concerne, tu n’as aucune envie particulière. Tu comptes bien suivre l’envie de ta sœur. Tout te va. Tu poses les pizzas et ton verre sur un coin de la table basse avant de rassembler tes affaires et de les déposer par terre. Le rangement et toi, ça fait deux, mais tu fais de ton mieux. Tu rangeras tout ça dans ta chambre plus tard. Le temps ne presse pas. Une fois fait, tu te laisses tomber sur le canapé avant de reprendre ton verre en main et d’ouvrir les pizzas face à vous. « Journée chargée alors ? » C’est qu’avec tout ça, tu commences à avoir faim et tu ne voudrais pas manger froid. Une excuse plutôt bidon pour pouvoir commencer à manger rapidement.

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Il y avait des bonheurs simples qu’on ne pouvait apprécier qu’après avoir eu peur de les perdre. Flora sentait un drôle de soulagement, une reconnaissance profonde, à chaque fois qu’elle rentrait à l’appartement pour y retrouver sa jumelle, et Dario quand il était là. Parfois, quand elle tournait la clef dans la serrure, pendant ces quelques secondes si banales, Flora sentait son cœur battre à tout rompre. Parce qu’elle avait toujours peur de ce qu’elle pourrait trouver. Ce qui pourrait arriver. Elle n’arrivait pas à oublier ce qu’ils avaient vécu, elle n’arrivait pas à se dire que c’était terminé non plus. Est-ce qu’elle vivrait dans la peur toute sa vie ? Est-ce qu’un jour elle verrait autre chose que la mort une fois ses paupières closes ? Flora priait beaucoup pour obtenir cette paix, cet équilibre qu’elle ne trouverait pas avant d’avoir réussi à se pardonner. Ce n’était pas à l’ordre du jour.

Heureusement, il n’y avait rien à déclarer ce soir. Cass était là, et elle semblait heureuse du choix de pizza que Flora avait fait pour elle. Enfin, en réalité, heureuse du choix qu’elle avait fait elle-même la dernière fois et que sa jumelle n’avait fait que réitérer pour elle. Le sourire de Flora s’agrandit quand Cassiopéa lui répondit qu’elle ne lui en voulait pas de son retard. Elle, elle s’en voulait quand même. Elle savait que sa sœur était sincère, et qu’elle avait beaucoup de choses à faire de toute façon, mais ce n’était pas une raison pour ne pas être là au bon moment. A l’heure. La ponctualité était quelque chose d’important pour Flora – aussi bizarre que ça ait pu paraître en Italie, où le retard était un mode de vie plutôt répandu.

- Je n’aime pas te faire attendre.

Cass était allée jusqu’au réfrigérateur pour chercher des bouteilles de vin qu’elles avaient déjà entamées, chacune ayant sa préférence. Si semblables et si différentes, comme toujours. C’était ce qui faisait la force de leur duo n’est-ce pas ? Cette façon qu’elles avaient de se compléter sans même y faire attention. Flora donnerait cher pour ressembler un peu plus à sa jumelle néanmoins. Ses goûts en matière de vin ou de café n’étaient pas ce qu’elle lui enviait le plus néanmoins. Elle lui enviait davantage son ambition, sa détermination, son audace, sa créativité. Tout ce qui était symbolisé par ce magazine qu’elle avait apporté avec elle, parce qu’elle était fière de sa sœur, fière comme un paon même.

Elle attrapa son verre alors qu’elles allaient s’installer au salon, se mordant la lèvre pour ne rien dire devant le sens très particulier du rangement de Cass’, qui avait apparemment trouvé tout à fait indiqué de tout mettre par terre pour faire de la place. Flora tint bon, résistant à l’envie pressante qu’elle avait de tout remettre à sa place. Ce n’était pas le moment, mais ça la démangeait quand même. Elle avait tendance à toujours passer derrière Cass pour remettre de l’ordre,

« Qu’est-ce que tu as envie de faire ce soir ? »

Flora tourna la tête vers Cass. Déjà, elle comptait bien manger cette pizza parce qu’elle mourait de faim et son ventre laissait échapper quelques gargouillements qui ne donnaient pas place au doute. Et ensuite ? Elle comptait tout autant profiter de cette soirée pour discuter avec sa sœur en vérité.

- J’ai bien l’intention de te réclamer un autographe, pour commencer, dit Flora en pointant d’un geste de menton le magazine. Ses yeux pétillaient de toute l’admiration qu’elle avait pour sa sœur. Elles ouvrirent toutes les deux les cartons de leurs pizzas respectives.

Cassiopéa demanda à Flora si sa journée avait été chargée, mais cette dernière ne répondit pas tout de suite. Les mains jointes, elle remuait les lèvres rapidement pour prononcer un bénédicité comme elle le faisait toujours, pour remercier Dieu pour ce repas mais surtout pour ce moment qu’elle allait partager avec sa jumelle. Ce moment contingent, ce moment qui aurait pu ne jamais voir le jour, surtout après ses fiançailles avec Alfonso… Flora ne perdait jamais une occasion d’exprimer sa gratitude d’avoir encore sa jumelle et Dario auprès d’elle après tout ça.

Après avoir terminé ses murmures, Flora attrapa ses couverts et entreprit d’entamer sa pizza, prenant tout de même le temps d’enfin répondre à sa sœur.

- Oui, ça n’a pas arrêté. Je suis contente que ce soit terminé, même si ça va reprendre demain…

Flora n’était pas fan de son travail. Elle avait fait ce qu’elle pouvait pour faire reconnaître son diplôme ici et continuer sur la voie qu’Aristeo avait tracée pour elle, parce que c’était ce qui lui avait semblé le mieux sur le moment… Elle aurait aimé avoir le courage de faire comme sa jumelle, de suivre sa passion. Mais elles n’étaient pas faites du même bois toutes les deux. Flora n’avait pas son caractère.

- Et toi, ta journée ? Tu travaillais avant que j’arrive ?

Elle tendit un peu le cou pour essayer d’apercevoir ce que Cass avait mis par terre, pour se faire une idée. Le milieu de la mode était tout à fait étranger à Flora. Elle aimait être soignée, elle choisissait ses tenues avec application, mais elle ne considérait pas avoir un œil particulièrement avisé en terme de design, de mode, ou de choses de ce genre. Elle faisait plutôt confiance à sa sœur pour ces choses là, et elle n’hésitait jamais à lui demander son avis quand elle pensait acheter des vêtements ou qu’elle cherchait comment s’habiller.

- Tu es sur quoi en ce moment ?

@Cassiopéa Uccello

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{outfit} ஐ Il n’a toujours été question que d’elle et toi. Particulièrement durant ton enfance, mais toujours autant valable à l’heure actuelle. Un seul fait diffère. Non pas en mal. Comment cela pourrait être possible ? Le fait que Dario s’est greffé à cette règle n’en est que plus bénéfique. Tu as eu une enfance pour le moins heureuse. À cette époque, tu avais l’impression d’être une reine qui dominait le monde aux côtés de Flora. Tu n’avais pas encore conscience de combien ce monde était trop grand pour toi, davantage pour la jeune fille innocence que tu étais. Hélas, en grandissant et en devenant adulte, cette impression a totalement disparu. Passée de prédatrice à proie a totalement changé ta vie et ta perception. Cela dit, tu t’efforces de paraître l’inverse. Tu refuses l’idée qu’une quelconque personne, hors de ton cercle, perçoit ta fragilité ou tes faiblesses. Néanmoins, parmi tous ces changements, une chose n’a jamais bougé. Ce lien particulier que tu as avec ta jumelle. En grandissant, vous avez embrassé des voies différentes. Vous vous êtes forgé votre propre identité tout en évoluant sur le même chemin. Tu pourrais te demander comment c’est possible, mais tu connais déjà la réponse. Vos corps étaient éloignés, mais vos cœurs, vos âmes, eux ne se sont jamais quittés. Qu’importe ce qu’il pouvait bien se passer, vous êtes là, à veiller, l’une sur l’autre. Lorsqu’une parcourt des tranchées et se retrouve sous les tirs, l’autre agit comme un bouclier. Vous êtes chacune la protectrice de l’autre. Situation délicate et particulièrement inexplicable qui peut parfois mener à une boucle sans fin. Mais n’est-ce pas plus fort que toi ? Si l’une est mise à genoux, l’autre se présente sous les traits d’une sauveuse. Difficile d’aller à l’encontre de ce que ton âme te dicte de faire. Difficile de faire quoi que ce soit avec des cœurs siamois. Difficile d’y voir clair. À chaque coup que Flora reçoit, il ricoche et te percute avec deux fois plus d’intensité.

Tu as toujours parfaitement eu conscience que rien ne sera jamais facile pour vous. Votre milieu ayant déterminé avec soin vos vies, tu peines, encore aujourd’hui, à te défaire de ce semblant d’emprise et à trouver ton équilibre. Pourtant, en ce qui concerne Flora, tu gardes espoir. Tu es celle qui croit le plus en elle. Tu oses même aller jusqu’à dire que personne ne croit en elle, comme toi, tu crois en elle. Peu importe ses décisions et ses choix, tu continueras de croire en elle jusqu’à son dernier souffle. C’est une confiance aveugle que tu lui portes, et même si la vie fait que tu ne devrais pas, tu seras celle qui restera à ses côtés. Si elle doit un jour couler, ça sera à tes côtés, bien que tu ne laisseras jamais rien le permettre. Jamais, ô grand jamais, tu ne lui permettras de connaître la solitude et l’abandon. Et même si tu penses avoir déjà échoué à cette tâche, toujours, tu lui permettras de se reposer sur toi.

En l’attendant entrée dans l’appartement, tu laisses rapidement tes affaires en plan. L’heure ayant déjà tourné, tu es d’avis à ne perdre aucune autre minute de votre précieux moment. Néanmoins, tu n’as pas besoin d’entendre ta sœur te le dire pour le savoir. Tu as beau lui affirmer que tu ne tiens pas compte de son retard, tu perçois sans mal sa culpabilité. Pendant de longues années, cette part de ta jumelle t’a souvent irrité. Flora aime se dissimuler aux yeux des autres. Elle veut se faire petite et transparente afin de ne pas attirer les regards sur elle. Tout le contraire de toi. Pour autant, tu as fini par accepter cette part d’elle. Du moins, seulement cette partie. Il faut dire qu’elle t’agace toujours autant lorsque tu la vois se fondre en excuse sous tes yeux, davantage avec toi. Tu estimes qu’il s’agit d’un acte hautement inutile, et même si tu t’efforces d'essayer de comprendre, tu n’y arrives pas. À quoi bon s’excuser lorsqu’il n’y a rien à se faire pardonner ? À quoi bon s’écraser ? Toutefois, tu sais que Flora, ne serait pas ta Flora, sans cet aspect d’elle et ses quelques défauts. Tu fais donc le choix de rester silencieuse préférant lui tendre son verre de vin fraîchement servi.

Tu emboîtes rapidement le pas vers le salon où tu ranges tes affaires à ta manière, soit par terre. Tu as toute la soirée pour les ranger et tu ne comptes clairement pas le faire maintenant. Tu ne vois pas l’intérêt de les ranger, alors même que tu sais déjà que tu replongeras ton nez dedans une fois glissée sous tes draps. Ça serait une perte de temps pour toi. Tu poses les boîtes de pizza devant vous tout en levant légèrement les yeux au ciel. Tu estimes ne pas être à un assez haut niveau pour te permettre de faire des autographes. Tu n’es pas friande de cette idée, mais tu es toujours autant profondément touchée par l’admiration et la croyance que ta jumelle place en toi. Voir ses yeux pétiller en te regardant fait largement partie des raisons pour lesquelles tu t’acharnes autant au travail. Tu veux réussir. Pour elle. Pour tes pères. Pour Eros. Pour toutes les personnes que tu as perdues et que tu as retrouvées, mais aussi pour toi. Tu veux faire honneur à toutes ces personnes et prouver à quel point ces sacrifices ne resteront pas vain. Surtout ceux de Dario. « Tu sais très bien ce que j’en pense, Flora. » Des mots que tu emploies trop souvent. Ce n’est qu’une veille habitude où tu râles quelques secondes avant de finalement lui faire sa petite dédicace. Comment la lui refuser ?

Dans l’espoir de changer de sujet, tu poursuis en lui demandant des informations sur sa journée, mais tu te fais prendre de court par les bénédicités que Flora entame. Tu avais presque oublié ce point. Certes, depuis ton arrivée à Monterey, tu as renoué avec la foi, mais on ne peut pas dire que tu es une très grande croyante, une bonne pratiquante et que tu suis les règles à la lettre. Tout ce que tu entends, c’est l’appel de ton estomac et tu sens le pétillement de tes papilles devant ce verre de vin. Néanmoins, tu respectes ce moment et attends sagement que ta jumelle termine. Dès lors que tu remarques ses yeux s’ouvrir et ses mains se délier, tu t’empares de ton verre et savoures ta première gorgée avant d’empoigner une part de ta pizza. Tu es peut-être superficielle, mais tu n’es en rien précieuse. Surtout avec la nourriture. Manger avec les mains ne te dérange pas et souvent, tu manges comme un vrai cochon lorsque les circonstances te le permettent. Il y a aucune raison de paraître avec ta jumelle, alors tu laisses le champ libre à ce côté-là de toi. « Je continue de me demander pourquoi tu ne changes pas de voie. Nouvelle vie, nouveau départ, tu as le droit de changer de métier. » Après tout, ce n’est que par la volonté de votre père que Flora se retrouve lancée dans la comptabilité. Au fond, tu aurais aimé qu’elle agisse comme toi. Qu’elle se crée une nouvelle vie et qu’elle s’ouvre d’autres portes. Qu’elle prenne cette deuxième chance comme un renouveau et qu’elle se permette de trouver son essence. Peut-être est-ce justement ce qu’elle fait avec sa troupe ?

La bouche encore pleine, tu tournes le visage vers elle en l’attendant te questionner sur ta journée, ton travail et ton dossier du moment. Tu lui indiques de te laisser quelques minutes afin de finir ta bouchée avant de te lancer. Tu te permets même de reprendre une gorgée de ton vin avant. « Comme d’habitude, je charbonne. Boulot, étude, boulot, étude, mais oui, avant que tu arrives, je venais de terminer un devoir à rendre et j’étais passée sur les derniers détails de mon dossier pour le taff. » Ayant directement un lien entre ces derniers détails et sa question concernant le sujet du moment, tu t’abaisses vers tes affaires et fouilles afin d’en sortir ton portfolio. Arrivant sur le mois d’avril, le temps est au printemps. Pour ça, il faut mettre en avant les nouvelles tendances pour ce printemps 2024. Cependant, tu as beau aimé la mode et adorer travailler dans ce milieu, tu n’adhères pas à toutes les nouvelles tendances et tu as parfois du mal à les comprendre. « Tendance printemps-été 2024. » Tu lui tends fièrement tes heures de travail tout en sachant que certaines choses allaient lui échapper. « Bon, je sais, ce n'est pas trop ton délire, mais les points forts à mon sens, le purple rain, mise en avant du violet. Le transparent essentiel, ça, j’adore. Est-ce vraiment étonnant venant de moi ? Évidemment que non. Et l’utilitywear, le mélange chic et pratique m’a hautement convaincu. Bon après, il y a aussi l’effet pois style année 50, je n'adhère pas en temps normal, mais la robe de chez Dolce & Gabbana a un je ne sais quoi, tu serais magnifique dedans. » Aspirée par ton travail, tu en oublies de te lancer dans plus de détails afin de donner toutes les clés à Flora comprendre tous ces points que tu viens d'aborder. « D’ailleurs, il faudrait qu’on se fasse une journée shopping toutes les deux. J’ai déjà plein d’idées et surtout, je sais déjà dans quel genre de vêtements, tu seras irrésistible. » Voilà dans quoi tu te lances à la place d’explications sur les tendances à venir. Tu passes d'un sujet à un autre sans même t'en rendre compte.

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« Tu sais très bien ce que j’en pense, Flora. »

Mais Flora souriait, et elle n’avait pas l’intention de revenir sur sa demande. Elle n’était pas du genre à s’opposer frontalement à qui que ce soit, même à sœur, surtout à sa sœur, mais elle avait en elle cette forme de résistance plus douce, de détermination louvée sous la surface. La force tranquille peut-être, bien loin du tempérament de feu de Cassiopéa et pourtant si semblable en un sens, parce qu’elles convergeaient vers le même but. A leur manière. Malgré sa protestation coutumière, Cass signa le magazine. Elle le faisait à chaque fois. Et Flora n’avait pas l’intention de laisser tomber cette petite tradition, preuve de son soutien indéfectible envers sa jumelle. Preuve de l’amour, de l’affection, de l’admiration, de la confiance qu’elle lui portait.

Il n’y eut plus que le bénédicité avant de pouvoir entamer le repas, pour le plus grand bonheur de Flora qui se sentait mourir de faim.

« Je continue de me demander pourquoi tu ne changes pas de voie. Nouvelle vie, nouveau départ, tu as le droit de changer de métier. »

C’était comme si Cassiopéa lisait ses pensées, à moins qu’elle ne profite simplement d’indices plus visibles, plus évidents. Etait-ce si clair qu’elle ne vibrait quand elle parlait de sa profession ? Sans doute. Elle n’avait pas de secret pour sa jumelle, et ce n’était pas qu’une question de mot. Elles avaient toujours su voir quand quelque chose n’allait pas, quand il se passait quoi que ce soit. Un événement, une parole, un geste, dès que quelque chose les tracassait l’autre l’apercevait aussitôt. C’était peut-être ce que les gens confondaient communément avec la fameuse télépathie dont ils croyaient les jumeaux dotés. Ce sens de l’observation, cette proximité des cœurs.

Flora ne savait pas quoi répondre. Elle avait simplement passé tant d’années dans cette voie qu’elle avait choisi de la suivre encore un peu, sans doute par facilité autant que par peur de l’inconnu. Flora elle aimait l’art, la musique et la littérature : des domaines qui n’étaient pas réputés pour offrir la sécurité de l’emploi. Des domaines dans lesquels il fallait un travail acharné, certes, mais aussi du talent, une opportunité, le kairos en somme. Et en-dehors de sa persévérance, elle n’avait pas l’impression d’avoir quoi que ce soit qui lui permette de provoquer sa chance. Qu’est-ce qu’elle ferait, si elle changeait de métier ? Elle n’avait jamais contemplé cette idée, parce qu’elle avait accepté au départ qu’elle n’aurait jamais le choix. Alors la question de Cassiopéa lui donnait le vertige.

- Qu’est-ce que je ferais, d’après toi ?

Elle la regardait du coin de l’oeil. Ce n’était pas des mots destinés à se faire plaindre, c’était une vraie question. Quand Cass la regardait, qu’est-ce qu’elle voyait ? Une violoniste ? Une écrivaine ? Une actrice ? Autre chose ? Est-ce qu’en croisant son regard elle y voyait l’empathie d’une infirmière ? Est-ce qu’en goûtant ses plats, elle la voyait ouvrir son propre restaurant ? Les possibilités étaient infinies et c’était effrayant. C’était sans doute ce qui paralysait Flora, ce qui la laissait coincée là, dans ce métier qu’elle n’aimait pas tant mais dans lequel elle s’était elle-même embourbée. Pour lequel elle avait fait des efforts. Et ce métier qui, au fond, ne cessait de lui rappeler ses terribles erreurs, et son défunt fiancé rencontré sur les bancs de l’université.

Alors Flora préféra détourner la conversation. Sa sœur ne serait pas étonnée de toute façon, elle savait bien depuis toutes ces années qu’elle n’aimait pas tant parler d’elle et que si elle pouvait l’éviter elle le faisait. Ce n’était pas qu’elle ne voulait pas partager les détails de sa vie : rien n’était secret pour Cassiopéa, et encore moins après ce qu’elles avaient traversé. C’était plutôt qu’être le centre de l’attention la mettait mal à l’aise.

« Comme d’habitude, je charbonne. Boulot, étude, boulot, étude, mais oui, avant que tu arrives, je venais de terminer un devoir à rendre et j’étais passée sur les derniers détails de mon dossier pour le taff. »

La passion de Caph se sentait. Elle se voyait dans ses heures acharnées, dans toute cette énergie qu’elle mettait dans son travail, dans ses études, dans tout ce qu’elle entreprenait. A peine eut-elle fini de parler qu’elle se penchait pour attraper ce qui l’avait occupée ces dernières heures, pour le plus grand bonheur de Flora qui avait toujours apprécié pouvoir contempler son travail.

Elle ne comprit pas grand-chose de son exposé, et elle savait que Cassiopéa en avait pleinement conscience. Flora aimait être bien habillée, elle aimait la mode dans une certaine mesure, mais avec un œil de néophyte que ne partageait plus sa jumelle depuis longtemps. Flora ne mettait pas de mots sur les tendances ou sur les styles, à part lorsqu’elle devait essayer de transmettre sa vision à sa sœur quand elles faisaient du shopping – ce qui les menait souvent à quelques quiproquo parfois comiques. Cassiopéa avait un vocabulaire précis, chirurgical, quand il s’agissait de son objet d’étude. Et Flora, qui aimait d’habitude utiliser l’entièreté du lexique elle aussi, se retrouvait démunie devant les nuances de couleur qu’elle apercevait à peine et les mots qu’elle découvrait en entendant sa sœur les prononcer.

« D’ailleurs, il faudrait qu’on se fasse une journée shopping toutes les deux. J’ai déjà plein d’idées et surtout, je sais déjà dans quel genre de vêtements, tu seras irrésistible. »

Flora rit doucement. L’enthousiasme de sa jumelle était communicatif, comme souvent, et la menait à passer du coq à l’âne comme si de rien n’était. Mais une journée shopping, c’était toujours oui. Elle ferait n’importe quoi avec elle, de toute façon, parce que ce serait toujours une manière de passer du temps avec elle et que rien ne lui faisait plus plaisir que ça. C’était bien pour ça qu’elles avaient leurs mardis soirs. C’était pour ça aussi qu’il y avait les brunch dominicaux avec Dario. Parce que passer du temps ensemble c’était tout ce qui leur restait, tout ce qui les animait encore.

- Tu sais bien que j’adore jouer les mannequins pour toi. On fait ça quand tu veux.

Elle pourrait passer des heures et des heures à essayer toutes les combinaisons de vêtements que Cassiopéa pouvait imaginer, et elle le faisait de toute façon avant chaque événement un peu important qui nécessitait qu’elle s’habille d’une certaine manière. Flora avait une idée de son style, mais Cassiopéa était la meilleure pour y insérer les dernières tendances, pour la pousser à l’audace quand il le fallait. Flora adorait partager ça avec elle. Elle ne changerait ça pour rien au monde.

- Qu’est-ce que tu as prévu cette semaine ? Demanda donc Flora, à la fois parce qu’elle cherchait à savoir quand elles pourraient programmer leur shopping, mais aussi dans une tentative d’en apprendre davantage sur les loisirs et le calendrier de sa jumelle. Elle attrapa une nouvelle part de pizza après avoir bu un peu de son verre de vin, son sourire toujours accroché à ses lèvres. Trop heureuse de passer un moment en tête à tête avec Caph. Consciente du privilège que cela représentait pour elles. Tu veux regarder un film après manger ?

@Cassiopéa Uccello