Sentiment d’inconfort. Tu ressens une pression sur les épaules et un poids sur le cœur. Le stress t’envahit sans aucune raison. Tu n’es clairement pas à ton aise et tes pensées se tournent automatiquement vers ta moitié. Est-ce qu’il va bien ? Est-ce qu’il lui est arrivé quelque chose ? Un début de panique commence dès lors à t’envahir lorsque tu remarques que toutes tes tentatives de le joindre sont vaines. Tu connais sa messagerie par cœur et tu sais que quelque chose ne tourne pas rond. Jamais encore, il ne t'a laissée sans réponse. Jamais il n’a manqué un de tes appels. Tout du moins, pas autant. Quelque chose ne tourne pas rond et tu n’as aucun moyen d’en avoir le cœur net.

Bien qu’Hélios soit déjà enfoncé dans un profond sommeil, il t’est tout bonnement impossible de fermer l’œil. À la place, tu fais les cent pas dans ton penthouse, tu tournes en rond, attendant impatiemment un signe de vie de ton jumeau. Alors tant bien que mal, tu continues espérant finir par entendre sa voix ou avoir un simple sms de sa part. Même si un simple sms te mettrait hors de tes états et qu’il passerait un sale quart d’heure, tu en serais rassurée. C’est alors qu’un numéro inconnu tente de te joindre. Tu ne réfléchis pas bien longtemps avant de décrocher. Tu te dis qu’il s’agit forcément de lui au vu de l’heure ou du boulot. "Antiope ?" Au son de sa voix, tu comprends qu’il s’est passé quelque chose. Ton sang ne fait qu’un tour. Ton pressentiment était donc tout à fait correct et légitime. Tu ne t’es pas monté la tête seule et pour des broutilles. "Eros ! Qu’est-ce qu’il se passe ? T’es où ? Ça fait des heures que j’essaie de te joindre ?" Tu as encore mille et une question à lui poser, mais le sanglot de sa gorge te sert littéralement le cœur. Pour autant, tu sens le sol se dérober sous tes pieds à la simple prononciation du mot hôpital. Tu imagines déjà le pire et tu n’écoutes qu’à moitié ce que l’infirmière te dit. Tes pensées se sont arrêtées sur la voix de ton jumeau et sur le peu qu’il a pu t’en dire, tu en as déjà compris beaucoup. À vrai dire, tu ne laisses pas vraiment l’infirmière parler. Tu la coupes dans son élan en lui glissant un simple "J’arrive." Aussitôt, tu raccroches. Tu te fiches bien de savoir si les heures de visite sont passées ou pas. Tu frapperais le premier qui ose se mettre en travers de ta route.

Sans attendre, tu fais un sac de vêtements pour Hélios et y rassembles toutes ses affaires. Tu ne cherches ni à savoir, ni à comprendre. Néanmoins, tu prends quelques secondes pour le réveiller en douceur avant de l’informer qu’il va continuer et finir sa nuit chez son parrain. Tu lui promets que tu lui expliqueras tout en le récupérant demain, mais pour le moment, il doit simplement écouter ce que tu lui dis, et accepter tes règles. D’autant plus qu’il aura le privilège te pouvoir se faire bichonner par sa cousine Maddy et d'être emmené à l’école par son parrain qu’il idolâtre. Ce n’est pas par oublie que tu ne parles pas de Ionas. Tu connais trop ton fils pour savoir qu’à la simple prononciation de Ionas, il pourrait se mettre dans tous ses états et hurler vouloir t’accompagner. Alors tu préfères prendre des pincettes et prétexter une simple urgence. Bepo, son panda, fortement serré contre lui, tu le glisses dans son siège auto avant de prendre la route vers chez ton meilleur ami. Tu n’as pas pris le temps de le prévenir, mais tu sais déjà qu’il sera parfaitement apte à comprendre ta situation. Tout n’est qu’une histoire de minute avant que tu ne récupères les affaires d’Hélios, que tu ne prennes ton fils dans tes bras en prenant le soin de ne pas le réveiller cette fois-ci et de tambouriner à la porte de chez Raphaël. Il n’a eu qu’à simplement voir l’exprimer de ton visage pour comprendre que quelque chose se tramer. Dans un discours décousu, tu essaies de te faire comprendre, mais il finit par rapidement te stopper en prenant son filleul de tes bras et récupérant ses affaires. Un simple baiser déposé sur ton front et te voilà repartie dans les rues de Monterey après l’avoir simplement remercié d’un petit merci.

Tu arrives en trombe à l’hôpital. Tes pneus dérapent même sur le bitume du parking et tu accours vers l’intérieur des lieux. Tu te fais rapidement comprendre par la première personne que tu croises qu’il est non négociable de te faire faire demi-tour et qu’il a tout intérêt de t’indiquer où tu peux retrouver ton frère. Bien évidemment, le tact et la douceur manquent à l’appel. Tu ne t’exprimes que de façon stricte, directive et autoritaire. C’est à la limite si tu ne cours pas dans les couloirs de l’hôpital. Ce n’est qu’en voyant le numéro de la porte de Ionas glisser sous tes yeux que tu prends le temps de t’arrêter deux secondes pour souffler un bon coup. Tu frappes trois fois à la porte dans un rythme bien précis, une habitude que tu as toujours eue avec lui lorsque tu voulais entrer dans sa chambre et indiquer qu’il s’agissait bien de toi. Dès lors que tu en viens à bout, tu entres sans attendre qu’il ne te l’autorise. Tu n’as pas le temps pour ça. Tout ce que tu veux, c’est le retrouver et pourvoir le serrer contre toi. Hélas, tu es frappée de plein fouet par son état, principalement par ses blessures au visage. De façon totalement incontrôlée, les larmes te montent déjà aux yeux et ton cœur se brise un peu plus. Lentement, tu t’approches de lui et du mieux que tu le peux pour ne pas lui affliger plus de mal, tu le prends dans tes bras. « Je suis là maintenant. » Tu enfouis un peu ton visage dans son cou, tout en lui faisant comprendre que tu comptes bien te glisser avec lui dans son lit et tu ne nieras nulle part. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Du bout de ton doigt, tu essuies une larme menaçante, sachant que tu te devais de faire face pour lui et de ne pas lui ajouter une crainte supplémentaire. « Qui t’a fait ça ? » Tu te doutes qu’il ne se soit pas mis dans un état pareil seul et tu es déjà prête à sortir l’artillerie lourde pour le défendre.

La perception de vivre une vie sans Ionas est une véritable vision d’horreur pour toi. À ton sens, être arrivés dans ce monde ensemble veut aussi dire que vous le quitterez ensemble. Tu n’oses pas imaginer ce que tu serais sans lui, ni même ton état. Il est la représentation même d’un tout pour toi. À la fois, il se présente comme ton frère, ta force, ton roc, ton héros, ton protecteur, ton confident, ton meilleur ami, ton pilier le plus précieux, mais surtout le premier cadeau inestimable que la vie t’ait donné. Tu ignores ce que c’est de vivre sans lui à l’inverse du reste de ta fratrie. Qu’importe le moment et les circonstances, autant lui que toi, avez été là, jamais éloignés, à s’accompagner dans les bons et dans les mauvais moments. Il t’est difficile de passer une journée sans de ses nouvelles et sans t’émerveiller face à sa personne. Bien qu’il puisse se sous-estimer et avoir une vision faussée de lui, tu lui envies bons nombres de ses traits, comme sa gentillesse qui te dépasse, son courage qui ne lui fait pas défaut et son altruisme sans pareil. Alors, face à lui, tu sens, le temps de quelques secondes, le sol se dérober sous tes pieds. Comment peut-on lui faire ça ? Lui, l’incarnation même d’un ange.

Tu perçois la moindre de ses émotions, le moindre mal qui le gagne et tu le ressens avec intensité au plus profond de toi. Tout ton être en crise et ton cœur faille en l’entendant te demander pardon. Tu retiens tes larmes autant que tu le peux, tu fais de ton mieux pour garder la face en son nom. Tu estimes qu’il n’a pas à avoir à te gérer au vu de son état. C’est bien à ton tour de le porter, de l’épauler, en lui donnant le soutien et le réconfort dont il a besoin. Tu ne nieras pas que le baiser qu’il dépose sur ta joue t’aide à y arriver. Il a le don de t’apaiser en un simple contact et tu te laisses gentiment enfouir le visage dans son cou. Tu le sers contre toi avec délicatesse, peu désireuse d’être à l’origine de ses douleurs et trouves enfin le courage de lui répondre. « Non… Je t’interdis de t’excuser. Tu n’as rien à te reprocher. » Il est vrai que rien ne t’empêchera jamais de te faire un sang d’encre dès lors qu’il s’agit de ton jumeau. Votre lien étant plus fort que ta raison, tu n’as jamais cherché à faire front à ces émotions qui te frappent à son sujet. Tu te sais incapable de pouvoir y résister, bien moins de broder avec. Comment garder ta conscience en place alors même que ta raison se trouve être ta moitié ?

Tu te laisses aller à une multitude de questions. Tu as besoin de savoir et de comprendre la raison de son état. D’avoir de quoi calmer ton inquiétude, si ce n’est pas l’inverse et l’aggraver. Tu imagines aisément la difficulté qu’il doit rencontrer. Tu te sentirais tout autant honteuse si tu étais à sa place, et ce, bien que ça soit à tort. Alors, tu lui laisses le temps. S’il faut que tu patientes de longues minutes, de longues heures ou même des jours, tu le feras, car tu le sais que tôt ou tard, il t’en parlera. Les secrets n’ayant pas leur place entre vous, tu n’as aucun mal à te montrer patiente avec lui. Tout ce que tu t’autorises à faire, c’est de lui apporter une seconde couche d’affection. Ses sanglots et ses tremblements incitent tes mains à déposer quelques caresses sur son visage dans l’espoir de l’apaiser et de le réconforter. Tu aimerais lui donner le courage et la force nécessaire d’aller au-delà de ses barrières et de sa douleur, qu’elles soient physiques ou morales. C’est alors que vient le moment où tu commences à comprendre les regrettables circonstances. Dans un premier temps, tu devines qu’il s’est fait passé à tabac, mais c'est une vraie douche froide que tu te prends en découvrant l’auteur de ses blessures. Ionas n’a pas besoin de mettre en avant son nom pour comprendre qu’il parle de Tomas.

Tu as profondément du mal à accepter les faits. Des larmes s’échappent et roulent sur tes joues, alors que tu t’efforces à comprendre comment il est possible de faire ça à une personne qu’on dit aimer. C’est tout bonnement impossible, et pourtant, la seule chose que tu ressens ait l’envie de demander pardon à ton frère. « Je suis tellement désolée, Eros... » Tu t’excuses sans même expliquer tes raisons. Tu ressens une telle vague de culpabilité que ta gorge se compresse sur elle-même et t’empêches d’aller plus loin. Il les comprendra sûrement, ces fameuses raisons et ces mots que tu peines à dire. Tu te sens submergée sous le poids de ta responsabilité. Tu estimes être tout autant responsable et coupable de l’état de Ionas. Comment as-tu pu le laisser aux mains d’un homme si peu à la hauteur de ton jumeau ? Tu te dis que tu aurais dû le voir venir, que tu aurais dû anticiper et que tu aurais dû agir après les confessions de ton frère quant au chaos qui s’installait peu à peu dans leur relation. Tu as l’impression d’avoir précipité ce drame. Tu n'ignores pas que la colère de Tomas doit quelque peu être liée à cette relation fusionnelle que tu entretiens avec ton jumeau. Autant pour lui que pour toi, elle demande beaucoup de place et de temps, mais est-ce réellement trop ? Êtes-vous réellement dans un extrême ?

Tu te perds rapidement dans tes amas de pensée. Intérieurement, tu fais ta longue liste des raisons pour lesquelles tu te sens responsable, mais la main de Ionas attrapant la tienne, t’en sort en un éclair. Ton regard trouve refuge dans le sien et face à sa question, tes traits se veulent plus aimants. « Je faisais plus les cent pas qu’autre chose. Je sentais que quelque chose ne tournait pas rond et je commençais à m’inquiéter que tu ne répondes pas à mes appels. » Tu lui souris tendrement alors que ta main sert un peu plus la sienne dans la tienne et que ton pouce caresse tendrement le dos de sa main. « Il est chez son parrain. Raph n’a pas posé de questions, il a vu ma panique et a pris Hélios pour me laisser partir. » Tu ne te sentiras jamais assez chanceuse d’avoir un ami aussi formidable que Raph auprès de toi. Il en est même inspirant pour toi avec sa façon de constamment avoir la main sur le cœur. « Tu n’as pas besoin de me le demander tu sais, ça me paraît évident. Toi, moi et après nos frères et notre sœur. Ils n'ont pas besoin de savoir. » Délicatement, tu déposes un baiser sur son front avant de reprendre et de chuchoter à ton tour. « Ça ne sera qu’un secret de plus qui s’ajoute à notre longue liste. » Tu laisses échapper un doux rire avant d’essayer de lui transmettre un sourire et de limiter sa triste mine. « Tu voudras venir à la maison le temps que tu te remettes sur pieds ? Tu as plutôt intérêt à dire oui en fait. » Tu es prête à faire des pieds et des mains pour ça. Dans un premier temps pour l’avoir près de toi. Dans un second pour t’assurer qu’il se rétablisse. Dans un troisième pour le tenir à distance de Tomas et dans un quatrième temps pour éviter que votre sœur ne le voit dans cet état. « Qu’on dit les médecins à propos de tes blessures et du temps que tu devras passer ici ? » Si ça ne tenait qu’à toi, tu lui demanderais la liste de ses traitements, leur fréquence et la quantité, les démarches qu’il doit suivre pour un rétablissement parfait, comme des séances de kiné, le nombre de ses visites chez le médecin s’il doit y retourner, et ainsi de suite. Hélas, tu te connais trop. Sachant que tu peux te lancer, à tout moment, dans une avalanche de questions, et qu’il n’en a clairement pas besoin, tu préfères te limiter à une seule d’entre elles.