Les journées commençaient à être de plus en plus longue en ce début de mois d’Avril. Le soleil avait débuté sa course vers l’autre côté du globe pour laisser place à son opposée, la lune. Pendant ce croisement des deux astres, Lukas avait quitté son appartement pour voguer avec quelques amis dans les rues de la ville de Monterey. L’insouciance se lisait sur leur visage tandis qu’ils se mettaient à se taquiner, à courir dans les rues, à se provoquer comme des enfants. Le brun avait un large sourire sur le visage, à mi-chemin entre le charme et le taquin. Il rigolait, s’amusait, sans se soucier des conséquences de ses actes. C’est lui qui proposa de rentrer dans le parc et de pourchasser les oiseaux, de grimper aux arbres, de faire peur aux chats et d’embêter les passants promenant leurs chiens. Le groupe s’était éclaté dans l’espace vert, laissant Lukas face à lui-même.

Le jeune homme observa son environnement. Sous ses yeux, peu de distraction possible : la personne avec son chien avait changé de direction en le voyant arriver fou-fou, les oiseaux s’étaient cachés et les chats avaient déguerpi. Ne résidait, dans la pénombre du soir, qu’une jeune femme assise sur un banc, dos à lui. Elle semblait d’un calme olympien, plongée dans une activité que nul ne pouvait déterminer à cette distance. Une proie idéale pour ses taquineries. Soit il finirait par l’emmerder, soit elle serait séduite par cette approche. Le problème, quand on ne voit pas le visage d’une fille, c’est qu’on ne sait pas si elle nous plaira. Mais quelque chose disait à Lukas que pour se retrouver ici à faire une quelconque activité et d’être d’une sérénité aussi puissante, elle ne pouvait avoir qu’un doux visage.

Doucement mais sûrement, Lukas se mouvait dans l’herbe grasse du parc, s’approchant silencieusement. D’un seul coup, il s’apprêtait à poser ses mains sur ses épaules et à lui faire peur en criant. Mais en arrivant presque au-dessus de son épaule, il découvrit une livre entre ses mains. Elle semblait plongée profondément dans sa lecture et Lukas avait toujours mis un point d’honneur à ne pas déranger un lecteur, car il avait lui-même horreur de ça. La lecture était sa seule maturité, sa seule sagesse au milieu de toutes les conneries qu’il faisait. Il fit entendre son approche, marquant ses pas dans le sol, s’agitant pour faire bruisser ses vêtements contre lui. Finalement, au lieu de la taquiner, il se racla la gorge et annonça :

« Qu’êtes-vous en train de lire, jeune demoiselle ? »

La curiosité avait pris le dessus sur le jeu.

Elle avait captivé son cœur, depuis bien trop longtemps. Lukas ne s’accrochait à aucun corps, aucune âme. Et pourtant, il y en avait bien une qui avait réussi, par son contraste avec lui, à l’atteindre. Elle avait quelque chose de doux, mystique, imaginaire. Une créature à laquelle on pense échapper, qui nous happe et nous attrape sans même que l’on s’en rende compte. C’était l’impact de Rosie sur Lukas, petite âme innocente au milieu de ce monde brutal. En regardant par-dessus son épaule, il découvrait un livre d’Emily Dickinson qu’elle confirma par la parole, poétesse à succès, que Lukas n’avait jamais lu cependant. Il préférait se laisser captiver par des histoires trépidantes, entre thriller macabre et roman fantastique, plein d’action. Des auteurs comme Bernard Minier, Maxime Chattam, Stephen King ou encore Andrzej Sapkowski. Il ne parvenait pas à se faire endormir dans le lyrique, mais Rosie était une âme plus poétique que lui. Le regard de la demoiselle captiva l’enfant nocturne qui, fort de curiosité, fit le tour du banc pour s’installer à ses côtés. « Tu n’as pas envie d’un peu plus d’action ? » L’œil taquin, il la regardait, déjà prêt à l’embarquer à nouveau dans ses folies, dans lesquelles risques et dangers sont les seuls mots d’ordre. Cette âme innocente le rend pourtant calme, parfois. Sa présence est suffisante à certains moments pour contraindre les ardeurs du jeune homme plein de fougue. La jeunesse semble se substituer à la sagesse dès qu’elle pose son regard sur lui, prenant dix ans en un instant. « Il est temps de t’emmener dans le vrai monde, Rosie. L’angoisse et le macabre, je peux te les faire vivre au lieu d’être obligé de les lire. » Une lueur de défi se dessina dans ses yeux. Était-elle prête à affronter la réalité ?