Tu as gagné un séjour, trois jours au Parc national volcanique de Lassen. Sur le descriptif est annoncé un joli chalet en pleine nature, avec des plats traiteurs déjà installés dans le frigo, le nécessaire pour passer un bon séjour. Il y a aussi des vélos disponibles ou sinon des cartes avec les différents sentiers pour la randonnée. De quoi être largement occupé ?
Tu as proposé à ton père de venir avec toi. Tu aurais pu le proposer à ta mère, sauf qu'elle semble avoir beaucoup de travail en ce moment. Jeremy aussi et tu te dis que trois jours éloignés, cela te permettra aussi de remettre au clair ton esprit, loin des tracas que votre couple a subi ces dernières semaines. Ta cousine aurait pu être d'une bonne compagnie. Mais clairement, ton père sera d'une bonne compagnie, tu as aussi envie de rattraper le temps perdu avec lui, lorsqu'il était en prison. Et ce séjour lui fera peut-être aussi du bien. Il a eu l'autorisation pour partir avec toi.
[...] Quatre longues heures de route dans ta nouvelle voiture, tu as fait multiples pauses pour que ton père se défoule. Il a aussi beaucoup parlé, mais étant une pipelette cela ne t'a pas gêné. Vous en avez profité pour parler de tout et rien, notamment des souvenirs du passé. Tu as trouvé l'idée d'emmener un gros album photos de ta naissance à tes douze ans, de quoi parler du passé.
Vous arrivez à l'itinéraire indiqué, un joli chalet, assez grand juste à côté d'un lac. L'endroit est joli, isolé de tout et sûrement du réseau. Tu vas vivre coupé de la civilisation pendant trois jours et ce n'est peut-être pas plus mal.
Tu sors de la voiture, te dégourdissant les jambes. Tu suis les indications du mail, pour ouvrir une boîte avec un code où la clé du chalet est cachée. La boîte s'ouvre, tu attrapes la clé pour ouvrir la porte. Okay, c'est vraiment somptueux.
- Wooh, ils se sont pas foutus de moi dans ce concours !
Tu regardes ton père, tout enjouée et contente. Cela débute bien. Quand tu vas quelque part, tu es toujours effrayée de tomber sur des logements miteux. Cette fois-ci ce n'est pas le cas ! Tout semble être en harmonie pour oublier les derniers jours merdiques. D'ailleurs, tu as aussi une autre bonne nouvelle, tu as été acceptée pour jouer un rôle principal dans une série télévisée. Tu ne l'as pas encore dit à ton père, préférant attendre le bon moment ; par exemple autour d'une coupe de champagne. Parce qu'en ouvrant la porte, tu as remarqué la bouteille sur le comptoir. C'est pas magnifique tout ça ?

Ce séjour, je n’avais jamais songé le faire un jour. La plupart des gens vivent et travaillent dans le but de s’offrir des vacances. Me concernant, ça n’avait jamais été le cas. Je n’ai quitté Monterey que deux fois dans ma vie. La première fois, pour aller sur un terrain bien dangereux dans le trafic de drogue après avoir survécu à ce coup de couteau ; et j’avais rencontré Xiomara lors de ce “voyage”. La seconde fois ce fut pour être enfermé à Atwater… Alors, on peut dire que ça été une réussite et un échec à la fois. Balle au centre. J’ai été surpris de la proposition de ma fille, elle ne manquait pas d’individus avec lesquels partager ce genre de privilèges… Pas que je n’aime pas passer du temps avec elle, mais je suis quelqu’un de simple, le genre de personnes qui ne partent pas en voyage.

J’avais malgré tout fait un sac avec ce qui me paraît nécessaire, évidemment que j’ai oublié ma brosse à dents et les croquettes du chien ! On a fait assez de pauses en chemin pour que je résolve ce problème. J’ai longtemps parlé, de tout, mais surtout de n’importe quoi. Entre autre, de la composition de la viande des croquettes, me demandant s’ils utilisent les organes que l’on balance lors d’opération chirurgicale, déviant ensuite sur l'utilisation des milliards de prépuces comme ingrédient pour les crèmes anti âge. Une fois calmé sur ces sujets toujours dérangeant mais qui ne me gène pas du tout, là était tout l’problème… Hein ? On a parlé du passé et c’était assez agréable de voir qu’elle avait beaucoup de bons souvenirs malgré tout… Malgré moi.

J’regarde la boite à clé d’plus près, j’fais tourner les p’tis chiffres et ça capte beaucoup trop mon attention. La voix enjouée d’Azara m’fait tourner la tête vers celle-ci, déjà à l’intérieur du chalet. J’entre à mon tour, mes yeux verts observent l’endroit qui ressemble clairement à des photos de catalogue. Il y a même du champagne !

- T’avais dis que ça serait pas de luxe !

Que j’lâche dans un rire en venant fouiner dans le frigo absolument gigantesque, j’en reviens pas de tous les boutons là dedans et est-ce qu’on peut parler de la nourriture déjà là ? Ça sent déjà méga bon, même froid ! J’laisse la porte ouverte, parce que Goliath est venu râler parce qu’il voudrait bien monter sur le canapé. J’l’installe, c’te p’tite crotte.

J’pousse un cri d’surprise en ayant osé m’asseoir là dedans, c’était d’un confort que mon corps n’savait plus que ça pouvait exister !

- C’est à cause de ce genre de trucs que la moitié d’la moitié d’nos compatriotes obèses sont obèses ! Comment on sort de c’truc, hein ?

Par une force mentale surhumaine, on est beaucoup, beaucoup trop bien là dedans. J’me lève avant de m’faire engloutir par c’te sensation d’bien être avec laquelle j’suis pas capable de dealer et qui m’donne une démarche crispée pour aller ouvrir des volets... J’regarde par la fenêtre, c’est calme autour, aucun bruit d’la ville, seulement des animaux. Même les virées à côté de Monterey n’étaient pas aussi coupées du monde.

- Alors, c’est à ça qu’ça ressemble les vacances ?

J’lui adresse un p’tit sourire, elle est pas bête, elle sait très bien que j’n’ai sincèrement aucune idée de ce que l’on fait des vacances, j’me dis que j’ai pas été bon de ce côté là, heureusement, elle a des souvenirs de voyages avec sa mère après notre séparation, parce qu’avec moi dans leurs pattes… Au final, ça n’avait jamais été trop possible. Partir était pour moi impossible et aujourd’hui, je restais malgré tout à Monterey, pour demeurer près d’elle.

- Ça va être bien, merci ma puce.

La composition des croquettes du chien, finalement peut-être que ton père et toi vous allez devenir des pros de la lecture des étiquettes derrière les paquets. Tu trouves qu'il y a énormément de conservateurs. Pourquoi devoir en mettre autant et partout, tout le temps ? Ouai, tu as parlé de ça aussi avec ton père : des conservateurs alimentaires. Des souvenirs du passé aussi, un peu plus joyeux que le listing des colorants pour rendre les croquettes vertes ou jaunes.
Il est temps de découvrir le chalet, l'odeur du bois vient chatouiller tes narines, les décorations sont harmonieuses. Tu es entrée dans un rêve, l'espace de quelques-instants. Ce genre de sensations, s'extasier devant un chalet, tu n'es pas habituée. Tu as souvent laissé tes fesses qu'à Monterey, quelques voyages scolaires, quelques vacances avec ta mère. Alors, t'extasier devant un peu de luxe, ça n'a sans doute pas de prix. D'ailleurs les riches, ils s'extasient devant quoi ? Question intéressante !
- Tu vas voir ça va être génial !
Tu avances, regardant tout autour de toi. Tes lèvres qui s'étirent au maximum, ton visage qui s'illumine, tes yeux qui pétillent, dès que tu t'approches du frigo, d'un énorme vase, des deux chambres avec des lits immenses. Ton père est sur le canapé, qui semble hyper moelleux. Tu remarques même une télécommande, tu es certaine que ce canapé doit avoir la fonction "massante". Dingue ! Tu n'en as jamais essayé. Tu as un rire spontané quand ton père évoque vos compatriotes obèses. On pourrait relié ça aussi aux additifs, conservateurs et tout le tralala non ? Tu zieutes la bouteille de champagne, que tu n'oses pas toucher, parce qu'elle doit goûter un rein ? Ou un poumon ? L'étiquette brille, une jolie écriture et tu remarques que cela provient du domaine Patterson. Les guerrières de la vignasse en Californie. Tu en as sifflé une bouteille avec Jeremy pour fêter ton contrat dans une série télévisée et franchement, ce n'est pas mauvais, ça se boit tout seul.
Tu acquiesces. Te retrouver en pleine nature, entendre le chantonnement des oiseaux, être dépaysée, ça va te faire du bien et tu es persuadée qu'à ton père aussi.
- On va pouvoir se connecter à la nature, faire de supers randonnées, voir des animaux, manger autant qu'on le veut toute cette nourriture, faire un énorme feu dehors pour faire griller des chamallows.
Tu as déjà des idées dans la tête, tu attends surtout avec impatience les chamallows grillés. Tu adores ça ! Tu en réclamais très souvent quand tu étais petite. Forçant ton père à faire des feux dans le jardin à n'importe quelle heure de la journée !
Tu es heureuse de pouvoir créée de nouveaux souvenirs avec ton père, ici, au milieu de rien. Tu lui tends tes bras, pour aller se caler contre lui.
- Je suis heureuse d'être-là avec toi. D'ailleurs, j'ai un super truc à te dire !

Tout était magnifique ici, ça ressemble aux films et aux magazines… Plutôt aux films, parce que je n’étais pas vraiment du genre à feuilleter les magazines, bien qu’il y avait assez d’images dedans pour se passer de lire quoique ce soit. J’avais déserté les cours d’écriture dès lors que j’n’avais plus eu l’obligation d’y aller. Je n’aimais pas le p’tit jeune qui animait le groupe, il nous prenait de haut, pas comme le gars qui venait en prison aider à écrire les lettres, lui était franchement sympathique pour un Anglais.

Je regardais dehors alors qu’elle énumérait toutes les choses qu’il nous serait permis de faire durant ces trois jours. J’avais fait ça au début en prison, des listes mentales de trucs que j’voudrais faire une fois sorti. J’avais vite abandonné ça, oubliant le goût de ces choses plutôt que de souffrir à les fantasmer. Malgré tout, j’avais accompli certaines de ses choses depuis, retrouver Azara était évidemment en tête de liste. Puis il y avait d’autres choses, même anodines, qui me paraissaient impossibles. Ce calme ici, m’foudroyait presque. J’m’en imprégne malgré moi et j’arrêtais de retourner le chalet pour regarder absolument chaque détail, j’acceptais doucement que l’temps puisse se ralentir pour une fois.

J’me tourne vers ma fille pour lui adresser un sourire, elle m'ouvre ses bras, alors j’en fais de même pour qu’elle vienne s'engouffrer contre moi. J’la serrais avec affection, j’crois qu’elle est la seule personne qui puisse me serrer aussi fort dans ses bras sans faire remonter de drôles de sensations désagréables. J’me sens juste bien, j’le dis peut-être pas assez, mais elle s’en charge pour nous. Elle est heureuse d’être là et moi aussi.

- Un super truc à m’dire ? Ok ! Est-ce que ça concerne… Ton nouveau p’tit chat ?

J’recule un peu pour capter au fond de ses yeux une réponse négative ou positive. A priori ça ne concernait pas vraiment ça.

- Oh, tu as trouvé ta robe de mariée ? Tu n’as pas oublié que c’est moi qui te l’offre j’espère et ok, ok c’est pas ça non plus. Est-ce que t’es bien trop devenu une adulte pour qu’on s’amuse à ce que j’devine ? Non, parce que moi j’suis pas sûr d’être assez un adulte pour m’en empêcher.

J’aurais bien tenté de demander si elle s’était réconciliée avec sa mère, mais selon moi, elle me l’aurait dit dans la voiture ! J’pense que c’est un sujet beaucoup trop sensible pour qu’elle puisse le garder pour elle après toutes ces heures de conduite.  

J’essaie d’me remémorer nos conversations, j’veux pas avoir l’air inattentif avec elle, même si c’est bien mon problème à moi, l’attention.

- Non… T’as eu l’premier rôle finalement ?

Eh merde, et si j’retournais l’couteau dans la plaie ? Si tel est l’cas, j’la serrerai plus fort encore dans mes bras. J’n’ai toujours pas eu l’occassion d’la voir sur scène, pourtant, ça c’était clairement sur le top d"ma liste, si elle existait.

Tu profites de l'instant; Te disant que ce séjour sera un bon moyen de te vider un peu la tête de tous les éléments négatifs qui se sont enchaînés, de te concentrer un peu sur toi, sur ton père. Parce que ce moment loin de Monterey, te retrouver juste avec lui, c'est aussi ta façon de tenter de rattraper un peu le temps perdu. Tu es consciente, tu ne le rattraperas jamais, tu as fini par l'accepter. Mais, dès que tu le peux, tu peux saisir les moments et en profiter.
Tu te cales dans les bras de ton père, le serrant assez fort pour rendre ce moment encore plus réel. Enjouée, tu en profites de lui dire que tu dois lui annoncer une super nouvelle. Tu lui laisses le temps de réfléchir, de tenter de deviner.
Tu lâches un sourire quand il te demande si cela a un lien avec le nouveau chat, tu bouges la tête pour lui dire que non. Tu le laisses continuer à creuser. Tu ries.
- Alors pour la robe mon cher papa, Grace est en train de me la dessiner, elle va me la faire sur-mesure, juste pour moi. C'est aussi une nouvelle importante, que ta cousine te réalise ta robe. Mais ce n'est pas ça et... T'inquiètes, il n'y a pas d'âge pour jouer aux devinettes.
Tu le regardes avec insistance, te demandant s'il va au moins s'approcher de la réponse. Tu as cette petite grimace qui se dessine sur le bout de tes lèvres quand il évoque le premier rôle avec la troupe de théâtre. Outch ! Ceux-là, tu ne préfères absolument pas y penser pour le moment.
- Tu chauffes un peu... Est-ce que tu vas encore faire durer le suspense ? Non, assez de le torturer ! Tu sais, je t'avais dit rapidement, qu'une connaissance avait envoyé mon profil au producteur d'une série télévisée, qui serait tournée à Monterey ?! A vrai dire, tu ne pensais vraiment pas qu'un producteur s'attarderait sur ton dossier. Après tout, tu es surtout douée pour jouer la comédie au théâtre ou pour quelques apparitions dans des spots TV, mais une série... Et bien... Allez les roulements de tambour.  J'ai été contactée et j'ai signé un contrat.J'ai eu l'un des rôles principaux dans la série. Ton sourire s'étire en grand, tu sautilles sur place toute heureuse. Tu espères que ton père sera fière de toi.

J’ai un p’tit regard impressionné lorsqu’elle m’annonce que sa cousine va dessiner sa robe, je me dis qu’elle en a aussi fait du chemin, la fille de mon demi frère dont je n’ai aucun signe de vie depuis des années, si ce n’est, à travers les récits de mes neveux. Imaginer ma fille revêtir une robe créée par sa cousine et coiffée par sa mère… Je sais qu’elle sera magnifique.

J’grimace en miroir lorsque j’évoque le premier rôle, mince, j’aurais mieux fait d‘me taire. Enfin, j’ai l’chic pour ça, elle a l’habitude après tout.

- C’est pas grave, t’auras l’prochain.

Elle a tout le temps du monde, pour devenir une star, non ? Néanmoins, elle me dit que je chauffe, je ne sais pas comment cette histoire de casting pour la série télévisée à pu me sortir de la tête ! Mes sourcils s’envolent lorsqu’elle en parle, j’m’attends évidemment à ce qu’elle soit prise, parce que je sais qu’elle est géniale, je sais qu’elle y met tout son cœur. Alors, quand elle m’annonce qu’elle a décroché un des rôles principaux, j’me met à la fixer en silence. J’ai l’coeur qui palpite, bordel, j’suis vieux mois vous savez ! J’crois que l’bonheur, c’est vraiment ça. J’crois qu’il n’y a jamais eut qu’Azara, pour m’faire éprouver ce genre d’émotion si puissante.

- Je…

Ça m’coupe le sifflet, une nouvelle pareille.
Ma fille, Mon Azara qui réalise ses rêves.

- J’vais voir ma p’tite fille à la télé ?

J’y ai toujours cru, mais pas aussi tôt. Et surtout, avec tous ces épisodes dépressifs et douloureux que j’ai traversé ces dernières années, j’ai pensé que je n’aurais pas l'occasion d’être encore en vie, de le voir de mes propres yeux.

- Putain d'merde.

J’sors de mon état de stupéfaction pour foncer sur elle, un peu trop brusquement pour la prendre dans mes bras, si j’passais au crible toutes mes émotions, j’serais capable de pleurer d’joie… Comme lorsque j’l’ai retrouvé lorsque je suis enfin sorti de prison. Ces larmes de joies étaient aussi triste quelques mois plus tôt, de réaliser à quel point elle m’en avait voulu, qu’elle aurait pu… Juste continuer sa vie sans moi, sans jamais prendre de mes nouvelles, sans jamais ouvrir toutes les lettres que je lui envoyais, qui étaient la seule chose qui m’raccrochait à la vie et qu’elle ne prenait pas la peine de lire. Ça fait parti du passé, mais ça fait toujours un peu mal, parmi toutes ces choses qui m’rappellent chaque jour à quel point j’ai merdé ma vie.

J’la serre fort contre moi, un léger mouvement de balancier tressautant, j’ai un peu envie d’courir partout comme un joueur de foot argentin qui vient de marquer un but, sport complètement débile, mais les mecs courent bien, on peut pas leur enlever ça…

- J’suis tellement fier de toi ! J’savais que tu y arriverais… Wow, tu sais que j’vais parler à tout l’monde de ma fille qui passe à la télé, hein ?

J’ris légèrement avant de la relâcher un peu, déposant un baiser appuyé sur son front avant de la libérer pour de bon.

- Mais ça va parler de quoi cette série et ton personnage c’est quoi ? Oh, tu sais sur quelle chaine ça va passer ? Ou ça sera peut être sur Netclique ou Lamazone ? J’ai pas ces trucs là, mais tu me les mettra sur ma télé… Je vais me trouver une télévision...

Ouais, faut faire les trucs dans l’ordre idéalement.

J’parle beaucoup trop, et j’suis occupé à sortir absolument tout ce qui s’trouve dans le frigo, j’sais pas pourquoi j’fais ça, j’ai subitement faim, vraiment, et j’suis incapable de me décider, il y a beaucoup trop de chose. J’me tourne ver ma fille en lui désignant un bon sang de gâteau au chocolat posé sur la table d’un air entendu.

- Trouvons des cuillères !

La pilule passe mieux pour ton échec dans la troupe de théâtre à la dernière audition. Enfin non, reprenons, ce n'est pas ton échec, c'est un échec provoquait par la directrice artistique. Tu as été parfaite, ton texte, ton jeu de rôle, tout était ok, c'est cette femme qui était tordue. M'enfin, oui la pilule passe mieux depuis que tu as obtenu un rôle dans une série télévisée. Tu annonces cette grande nouvelle à ton porte. Sa réaction est au-dessus de ce que tu avais pu imaginer. Tu acquiesces toute contente pour lui affirmer que tu vas passer à la télé. C'est nouveau ça aussi pour toi, cela te laisse une impression complètement étrange, de te dire que tes proches pourront te voir à la télévision et non dans un théâtre. Ils pourront visionner les épisodes autant de fois qu'ils le voudront, contrairement au théâtre, où vos pièces n'étaient pas immortalisées.
Il fonce sur toi, te bloquant contre lui, te serrant. Ton père a toujours cru en toi. tu sais qu'il continuera toujours de croire en toi. Tu es fière de réussir, qu'il soit pour le constater et tu vas pouvoir partager ces moments-là avec lui. C'est encore plus une fierté quand il te dit qu'il va certainement en parler tout autour de lui. Tu souffles un petit rire, en imaginant ton père raconter aux gens que tu vas devenir une vraie actrice. Cela te foutrait presque un peu plus de pression.
Tu lui souris quand il défait l'étreinte. Tu remarques qu'il est toujours sous le coup de l'émotion, il ne tient pas en place, encore plus que d'habitude. Tu hausses un sourcil quand il parle de "Lamazone". Bordel c'est quoi ça ?! Oh mais oui !
- Amazon Prime, papa ! Pas Lamazone. mais je dois dire que le nom pourrait être sympa aussi. Dis-tu en ricanant. Normalement, je vais être sur Netflix et je te prêterai mon compte, c'est promis !
Alors que tu parles, il commence à ouvrir le frigo, sortir des plats. Il s'agite dans tous les sens. Il demande des cuillères, alors tu commences à farfouiller dans les placards et tu reprends le fil de la discussion.
- Je n'ai pas encore tous les éléments, mais la série va s'inspirer des romans "Missing girl". Tu agites les cuillères, contente de les avoir trouvées. Tu les poses sur la table, tandis que tu attrapes la bouteille de champagne. En gros l'histoire c'est qu'une jeune femme passe du temps avec ses amies lors d'une soirée sur la plage. Elles tentent de communiquer avec des défunts avec une planche de ouija. La fille finit par disparaître durant la soirée. Depuis, les trois autres filles reçoivent d'étranges messages et des faits inhabituels se produisent chez elles. Tu essais de déboucher la bouteille, tout en continuant d'expliquer. Moi, je vais être Cristral, une jeune fille téméraire, râleuse, passionnée par les sciences occultes, qui a des parents loufoques. Et c'est cette Cristal, justement qui a lancé l'idée de "s'amuser" avec une planche ouija durant la soirée.

- Amazone prime ! Tu parles d’un nom !

Lamazone, c’était beaucoup plus sympa et le logo était tout trouvé ! Ma fille sera du Netflix, j’n’ai aucune idée de ce que ça représente vraiment, mais j’imagine que c’est tout aussi bien que de passer sur les chaînes TV ! J’m’ajoute mentalement que j’dois me charger de me procurer prochainement un téléviseur, j’sais pas encore comment j’vais me débrouiller… J’n’ai aucune idée de savoir combien ça coute dans un magasin, et si c’est aussi cher qu’un téléphone, j’vais inévitablement trouver une solution pas forcément honnête, mais une solution tout de même !

- Missing girl ?

J’connais pas, après, c’est pas comme si je lisais des bouquins moi !

J’lève le pouce avec un sourire lorsqu’elle me montre les cuillères. J’avais déjà eu pas mal faim en voyant tout ça, mais j’n’osais pas trop tant, ça me semblait… Luxueux ? Mais maintenant, j’ai juste besoin de m’occuper le bec. J’écoute les explications de cette histoire de filles perdues.

- Pourquoi faut toujours qu’les parents soient des loufoques, hein ?

Que j’la taquine avant d’attraper la bouteille de champagne qu’elle ne semble pas parvenir à ouvrir. J’peux pas dire que j’en ai ouvert beaucoup des bouteilles du genre, mais dans ma carrière j’en ai bu pas mal, de bouteilles en tout genre. J’lui fais signe de sortir des verres.

- Tu crois qu’ici, au milieu des bois, y’a des esprits ?

J’ai jamais joué à ça moi, faut dire que quand j’étais jeune, j’étais bien trop en galère pour avoir le temps de pencher sur la possible existence d’esprits.

- Un bûcheron vénère qui viendrait s’venger ! Oh il aura certainement un accent canadien stupide ! Du coup, il sera vénère mais en politesse tu vois ? Oh… Ces canadiens !

J’adore les clichés, vraiment. Tout le monde y passe avec moi, les anglais, les canadiens, les irlandais, les français et l’pire de tous : nous autres, les américains.

L’bouchon part d’un coup, faisant un rebond dans le plafond pour venir se splasher dans l’gateau. J’écarquille les yeux tout en versant les premières effusions de champagne dans l’une des coupes avant d’éclater d’rire.

- C’est exactement pour ça que j’suis pas sortable, hein ?

Que j’lui demande avec un p’tit sourire mi désolé et mi je m’en foutiste. J’me referais plus à mon âge, j’me dis. J’finis de servir les deux coupelles de champagne et repose la bouteille sur la table. Mes yeux verts s’posent fierement sur ce bout d’femme qu’est devenue Azara, retrouvant un peu d’mon calme par c’contact visuel rassurant.

- J’ai toujours su que tu y arriverai, tu sais ça… J’ai jamais douté d’toi.

Ton père ne semble pas convaincu par le nom de la Plateforme. Au moins, tu vas finir sur Netflix et ce nom-là semble lui convenir. Enfin, tu partageras certainement ton compte avec lui, cela lui évitera de galérer à chercher des codes. Mais il lui faudra une télévision. Ton esprit quitte la pièce cinq secondes, pour visualiser tes affaires. Oui, tu as sûrement ta petite télévision, que tu as stocké dans le garage de ta mère. Tu ne regardes jamais la télévision, enfin rarement. Alors quand, tu es partie de ton premier appartement, tu as stocké bons nombres de tes affaires chez ta mère. Et pour sûr, la télé doit être là-bas ! Tu reviens un peu à la réalité, entendant le nom de la série raisonner.
- Oui, je dois lire les livres, je ne les ai jamais lu. Cela risque de m'occuper pour les prochaines jours. Heureusement, que tu aimes lire. Et je crois avoir mon ancienne télé chez maman, tu lui demanderas. Je te la donne, je n'en ai absolument pas besoin.
Tu lui expliques quelques éléments de la série, même si toi-même tu voudrais déjà en avoir un peu plus. Pour commencer à imaginer ton personnage, tenter de te mettre dans sa peau, lui créer des mimiques qui lui seront propres. Et tu as aussi envie de façonner un personnage qui pourrait toucher en plein coeur des gens. Que ces gens puissent s'identifier. Comme toi, quand tu t'identifiais à certains héros d la littérature, ou parfois à certains vilains.
- Je pense qu'ils ont repéré que j'étais atypique. Dis-tu en riant. Ouai, atypique est le mot. Tu n'as jamais voulu être les autres, ressembler ou rentrer dans un moule pour plaire et convenir à la société. Alors, avoir le personne avec des parents loufoques, ça te correspond plutôt bien ?
Oh wooh wooh ! Non pas les esprits dans les bois ! Cela peut vite te foutre la frousse. Même si tu regardes des films d'horreur, que u lis des récits effrayants, tu sais que ça peut t'empêcher de dormir pendant plusieurs nuits.
- Non, non, non seulement de gentils écureuils adorables qui mangent des noisettes.
Ouai ou des écureuils possédaient qui voudront te ronger les pieds pendant ton sommeil. Flippant ! Tu ries tout en fronçant un sourcil en écoutant l'histoire de ton père. Tu visualises parfaitement le bûcheron, l'accent, la tenue, l'instant.
- Je crois que tu tiens un scénario d'enfer.
Le pire, cela pourrait fonctionner au cinéma. Les gens aiment les histoires qui sont vues et revues. Si le bûcheron est sexy, il y a moyen d'attirer des femmes hystériques prêtent à baver devant des muscles en mangeant du pop-corns.
Ton père ouvre la bouteille, le bouchon pète, part, finit dans le gâteau. Strike ?!
- En plein dedans ! Tu ne peux que rire, ce genre de bourde, tu es capable de les faire ou voir pire : avec toi le bouchon aurait pété une vitre ou serait atterri dans l'oeil de quelqu'un.
Tu attrapes le bouchon au milieu de gâteau explosé. Tu attrapes ta coupe de champagne. Tu souris, comblée par ce qu'il te dit.
- Merci papa ! Tu viens claquer ta coupe contre la sienne. Et j'ai toujours su qu'un jour je finirai par trinquer avec toi à quelque chose. Que tu ne passerais pas ton existence loin de moi. Tu finis par boire une gorgée de ton champagne. Et surtout que ce moment est mémorable. Pour la première fois de ma vie, je bois de l'alcool en compagnie de mon père. Dis-tu en ricanant.

tellement adorable    

Je sais qu’elle n’aura aucun mal à engloutir les pages des livres, même à le faire plusieurs fois ! Je l’ai vu se passionner pour des romans et les boucler en moins de temps qu’il me faudrait pour réussir à me concentrer à lire une page entière. La prison m’a montré que j’étais capable d’aimer lire moi aussi… J’ai aimé lire ses lettres à elle, parfois des vraies tartines… Je pouvais lire des dizaines de fois dans la même journée, juste pour essayer de me donner la force de tenir. Je me souviens que ma dernière année de prison, pauvre en lettres de sa part, m’avait poussé à relire ses anciens mots, à essayer d’une manière ou d’une autre, me convaincre que ma p’tite fille ne peut pas cesser de m’aimer comme ça, du jour au lendemain… J’aurai pu demander à Xio d’en parler à notre fille, mais je ne voulais pas que sa mère le sache, qu’elle se sente responsable… C’était de ma faute, à l’époque, Azara ne savait pas pourquoi j’avais fait ce sacrifice, celui d’ma liberté, elle ne savait pas quelle pression pesait sur mes épaules, que j’n’ai pas eu l’choix de plaider coupable, de renoncer à me défendre… J’n’ai pas sa passion de la lecture, mais j’ai compris ce que ça peut apporter comme réconfort, parfois.

- Il y a combien de livres ? Et ils sont gros ? Moi j’vais plutôt attendre de te voir à la télé pour connaitre toute l’histoire !

Même lorsqu’elle était enfant, j’peinais à lui lire ses contes préférés, Xio en avait souvent la mission parce que je butais sur les mots, j’en remplaçais par d’autres… Alors souvent ça partait dans tous les sens, on se basait sur les images pour s’inventer nos propres histoires. J’ignore si c’est me voir à ce point en difficulté qui lui a donné le goût de savoir lire, d’aimer ça même, mais j’étais toujours fier de la voir plonger dans un bouquin…

Fier qu’elle soit tellement meilleure que moi.

- Tu sais… Je pense si t’as des affaires inutiles ta mère devrait les vendre, je me débrouillerai, t’en fais pas pour moi.

J’veux pas lui dire que sa mère s’est mise dans la merde financièrement avec son dernier amant en date… J’crois que Xio et les hommes, c’est une véritable histoire de perdition et j’ai été l’premier à inauguré c’bordel sentimental qu’est sa vie. J’me sens responsable, malgré moi. Malgré ce qu’on en dit, j’l’ai abandonné, j’l’ai quitté… J’l’aimerai toujours, c’est indéniable, alors j’ferais ce que j’peux maintenant que j’suis à nouveau dehors pour l’aider à s’en sortir… Si elle veut de mon aide… J’pourais pas lui en vouloir de ne plus avoir confiance en moi.

- Ils ont repéré que tu avais beaucoup de talents.

Que j’lui dit, sûr de moi.

On rigole au sujet d’un possible esprit des bois qui aurait un accent canadien et nous assassine cordialement. J’dois dire que j’serais un scénariste complètement éclaté selon moi ! Les rires se poursuivent à l’ouverture de la bouteille de champagne. On trinque et j’demeure le père le plus comblé et fier de c’monde. Les mesquins pourraient dire qu’il n’y avait pas de quoi être si fier, qu’elle n’a pas inventé un traitement contre la faim dans le monde, mais vous savez quoi ? Y’a rien qui puisse être plus beau qu’une personne qui réalise ses rêves, quels qu’ils soient.

J’la regarde boire une gorgée d’champagne, figé par ses mots… Ça fait tellement de mal et du bien, j’sais pas c’que j’ressens… Puis j’me débloque en souriant à sa dernière phrase.

- Et c’est pas n’importe quel alcool ma chère, je crois bien que je n’ai pas bu de champagne depuis… Merde, depuis jamais.

Faut croire qu’on était au festival des premières fois.

- Même le jour de ta naissance, j’n’ai pu acheter qu’un mousseux. Les blouses blanches étaient pas ravie d’voir que j’avais donné de l’alcool à ta mère, j’savais pas que ça passait dans le lait ce truc, tu savais ça toi ? La drogue aussi il parait, enfin, ta mère a jamais eu c’problème.  Heureusement que c’est pas le père qui produit du lait hein… Erk. J’me ferai pas machouiller les tétons pendant des heures, même si j’t’aime follement ma p’tite abeille.

J’suis pas mal certain que ça doit faire un mal de chien à la longue.

- Oh… Merde, j’étais pas sensé faire un discours plutôt que d’parler de mes mamelons ?

J’pouffe de rire, j’suis pas doué en discours de toutes manières.

- J’te laisse l’honneur de gouter l’gateau en première, à la place !

Ça m’semble être un compromis honnête et juste !

- Qu'est-ce que tu as envie d'faire après pour digérer ?

Remuer surtout... Bouger quoi.

Tu dois penser à commander les romans, où tu trouveras le moyen quand tu vas rencontrer l'écrivaine de lui en chiper quelques-uns. Tu n'as pas encore reçu le salaire que tu auras. Tu sais que ta vie changera, que tu ne seras plus à un dollar près. Mais tu te connais, balancer l'argent par les fenêtres ce n'est pas toi. Alors, même si cela va être tentant les premières fois, tu ne videras pas ton compte bancaire. Enfin, tout ça pour dire que tu ne veux pas claquer plusieurs dollars pour acheter des romans.
- Cinq romans et tous ont bien plus de 200 pages. Normalement, l'écriture est fluide. Heureusement, si tu devais lire des pavés de mots sans âme, tu brûlerais les livres avant de les finir.
Tu vas tente d'être parfaite à la télé, même si c'est tout nouveau pour toi. Apparaître sur un écran au milieu du salon des gens ce n'est pas dans ton habitude. En parlant de télé, tu dois en avoir une qui traîne pour la donner à ton père. Tu te doutais bien qu'il allait dire non. Tu soupires.
- Je te la prête alors ! Tu as le regard insistant. Je veux pas vendre toutes mes anciennes affaires maintenant ! Parce qu'imaginons une seconde que Jeremy me quitte, je veux pas me retrouver sans rien.
Tu es prévoyante dans la vie, envisageant les scénarios catastrophes, la fin du monde, la fin de ton histoire d'amour, la fin de ta vie. Ouai, voir un peu de noirceur, imaginer le pire même quand tout est beau.
Léger haussement des épaules, oui c'est peut-être ça, ils ont repéré ton talent. Tu en as, tu as conscience de ça. Tu ne sais pas vraiment, si tu étais tout de suite prête à être filmée pour finir dans une série télévisée... Mais c'est les aléas de la vie, les retournements de situation qui t'apportent de la joie. Tu es heureuse de cette nouvelle. Tu as hâte de découvrir l'entièreté des plateaux du tournage, du script, des autres acteurs et actrices.
Il est temps de goûter au champagne. Tu n'as pas l'habitude d'en boire souvent. Les bulles restent en bouche. Tu as un peu de mal à croire que le champagne soit une première pour ton père. Mais finalement c'est probable ! Tu écoutes, riant, imaginant les soignants voir ton père apporter le mousseux à l'hôpital et ta mère en boire une coupette. Une anecdote que tu es contente de connaître.
- C'est super bon aussi le mousseux. Tu n'es pas douée avec le vin, si tous avaient la même couleur, tu serais capable de ne pas les différencier. Enfin, si tu reconnais quand il s'agit d'un vin de qualité, parce que tu en bois bien plus d'un verre. Mais souvent Jeremy a pris l'habitude de vite t'arrêter au bout de deux verres ; parce que tu ne tiens pas l'alcool, que tu te mets à raconter des histoires sans sens, que tu ries pour tout et rien, que tu pleures, que tu ries, que tu titubes.
- Tes discours sont les meilleurs ! Au moins ton père est authentique, il dit ce qui lui traverse l'esprit et tu as toujours adoré ça.
Il est temps de goûter le gâteau, tu attrapes une cuillère.
- Bonne idée ! Tu pioches une énorme cuillerée que tu mets entièrement dans ta bouche. L'espace d'un instant tu ressembles à un hamster.
Tu tentes de répondre à ton père qui te demande ce que tu veux faire, mais tu continues de mâcher. Tu bois une gorgée pour faire passer le morceau.
- J'ai vu qu'il y a des VTT, tu sais encore faire du vélo ?

Cinq romans de deux cents pages, j’étais certain que ce ne serait qu’une formalité pour ma fille, pour moi, ce serait un défi insensé ! J’attendrais de voir la série, la télévision était bien plus mon truc que la lecture. Je sais qu’elle ne m’en tiendra pas rigueur.

- Ok, tu me la prête…

J’ai le sentiment que ce prêt va durer quelque temps. Je sais que c’est stupide, mais je n’ai pas une fille pour venir la taxer tous les trois quatre matin, j’veux pas être un fardeau financier pour elle, ni pour personne d’ailleurs. J’dois me débrouiller.

On trinque à sa réussite, elle, ma belle et douce fierté.

J’ris amusé alors qu’elle déclare que mes discours sont les meilleurs, vraiment pas, mais je n’avais aucune honte à me ridiculiser à essayer. Au moins pour son mariage, j’essayerais de m'appliquer ! J’essaie toujours un tas de choses dans la vie, c’est rarement un succès.

Mes yeux clairs l’observent gouter ce fameux gâteau avec une portion ma foi, putain de généreuse. J'attends patiemment son verdict avant de gouter moi aussi. Bon sang de délicieux, ouais, c’est carrément avec ce genre de choses que j’serais capable de peut-être un jour prendre de la charge pondérale. On y croit, hein ? Surtout que je suis déjà en train de lui demander de quelle manière nous allons pouvoir bruler ses calories avant que cette énergie ingurgitée ne me monte de trop à la tête !

- J’pense que j’saurais m’débrouiller là dessus oui !

Je n’en avais pas fait depuis une paye, mais il parait que ça ne s’oublie jamais.

- Ça t’arrive souvent, d’imaginer que Jeremy va te quitter ?

Que j’lui demande finalement, parce que ça me turlupine. J’sais bien que j’suis pas un modèle pour elle au sujet de mes amours, parce que j’ai quitté sa mère… Je me doute bien ce que ça a pu générer chez elle, cette peur de savoir que l’homme, même amoureux, peut un jour faire ses valises et quitter la maison. Ce n’était pas sans regret, mais j’ai dû le faire. J’me console en me disant que je lui ai expliqué la situation du mieux que je le pouvais… Ouais… C’fameux mieux qui n’est putain d’jamais assez…

- Tu sais… J’devrais sans doute me méfier davantage, mais sans être insouciante, je pense que t’as le droit à ton histoire avec Jeremy. S’il venait à te quitter ou toi de le quitter, tu sais que l’on sera là pour toi et que jamais tu ne seras seule, j’peux te le promettre. Ce sera une belle histoire, j’me fiche que tu sois trop jeune pour te marier, si c’est ce que tu veux, que c’est ce qui te rend heureuse… On saura jamais si c’était une erreur ou du génie, si tu l’fais pas de toute manière, hm ?

C’est moi, l’expert en échec après tout, non ?
J’lui adresse un p’tit sourire avant d’lui tapoter la joue.

- Fini ton gâteau, t’auras besoin d’forces pour essayer d’aller aussi vite que ton vieux père !

Après réflexion, j’espère surtout qu’elle ne va pas vomir à force de rire. Parce que ça allait être ça, une belle journée de rire... Oublier un peu l'temps et l'reste du monde, tout simplement.

Vendu, enfin prêté ! Ton père pourra profiter de ta télévision. Tu ne désires pas vendre tes affaires, pas maintenant, peut-être un jour. Tu n’es pas une sentimentale des objets, tu es juste prévoyante. Si la vie tourne mal, tu auras encore tes affaires. Alors, ta télé sera en sûreté chez ton père et il pourra en profiter. Tu goûtes le cadeau, qui est délicieux. Tu adores les gâteaux, même si tu as souvent une préférence pour les plats salés, tels que les croques-monsieurs ou les fameux hot-dogs XXL que tu fais avec ton père.
Pas le temps de poser bien longtemps avec ton père, qu’il envisage déjà de bouger. Ce n’est pas pour te déplaire, tu es énergique et tu ne restes jamais très longtemps assise.
Tu pioches de nouveau la cuillère dans le gâteau, prenant une bonne bouchée. Tes yeux s’écarquillent quand il te demande si tu penses souvent au fait que ton fiancé puisse te quitter. Tu avales ta bouchée, posant ta cuillère, avant de grimacer en pinçant tes lèvres. T’introspecter, comprendre tes peurs, c’est ce que tu fais quotidiennement, sans arrêt, cela tourne parfois en boucle dans ton cerveau, l’épuisant. Tu préfères écouter ton père, plutôt que de trouver une réponse toute faite pour éviter de l’inquiéter à ton sujet. Tes yeux se perdent sur les dernières bulles qui pétillent au fond de ta coupe de champagne. Tes lèvres restent pincées, tandis que tu mordilles ta lèvre inférieure. Ton père adoucit un peu cette écharde que tu as dans le coeur en posant sa main sur ta joue pour la tapoter et te dire de finir ton gâteau. Tu ries, ça te fait du bien. Tu coupes un autre petit morceau et tu te décides enfin à parler.
- Je pense que tu as raison, je dois vivre l’instant, profiter de ce que j’ai actuellement et vivre mon histoire avec Jeremy.
Tu le fais de toute ton âme de tenter de profiter de l’instant, mais tu as ce poison en toi, cette voix intérieure qui percute ton esprit pour t’effrayer, te disant qu’un jour les gens sont là et le lendemain ils t’abandonnent. Tu sais déjà que ton coeur se déchirait si Jeremy te laissait. Tu as tenté d’éviter de ressentir de tels sentiments, de les enfouir ; sauf que tu as fini par céder à cet amour passionnel. L’amour est effrayant, les souvenirs de ton passé ont laissé des traces qui ne veulent pas partir. Mais elles s’atténuent, sans aucun doute, sinon tu serais encore célibataire. Tu manges le dernier morceau de ta part, tu finis ta coupe de champagne et tu souris à ton père.
Tu as envie de profiter de cette belle après-midi, tu ne veux pas que les cauchemars du passé viennent ternir ce week-end. Tu te lèves, tapant dans tes deux mains.
- Allez, allons voir qui va pédaler le plus vite !

- Mais je suis là, si tu as besoin de parler. D’accord ?

Je ne veux pas qu’elle pense qu’elle n’a personne à qui se confier, bien sur, c’est toujours un risque pour Jeremy… Parce qu’un mot de trop et je pourrais être pris d’une furieuse envie de l’envoyer manger les pissenlits par la racine. Je suis impulsif, bien plus que ma fille, surtout quand ça la concerne. Elle le sait, même si je n’en ai pas trop fait démonstration, depuis ma sortie de taule. Il faut se méfier de l’eau qui dort… Toujours.

- Tu sais, quitter ta mère a été une chose… Très difficile. Mais je ne regrette rien de ce que nous avons vécu ensemble, nous deux, nous trois. Pas une seconde. Ça a fait d’moi un homme comblé, vraiment.

J’ai du mal à croire que je pourrais connaître ça à nouveau, pas après la prison, pas après… Tant de déception. J’me contente du peu que j’ai, j’le savoure même, mais ça n’est pas pareil. Ce ne le sera jamais, je le sais, mais j’ai vécu pleinement ma vie, avant la prison. C’était dur parfois, très dur, mais j’profitais sincèrement de la vie. La vie n’était pas fini, mais c’bonheur, je crois que si. Ma fille est grande désormais, elle va mener sa vie et l’époque où nous passions vraiment beaucoup de temps ensemble est révolu. C’est la vie… On a beau s’y préparer… C’est quand même étrange de se dire que les ¾ du temps à passer ensemble au cours de notre vie est déjà derrière nous. J’ai juste besoin le reste du temps, de savoir qu’elle est heureuse.

- Moi c’est sur, et t’as les jambes beaucoup plus petites j’te rappelle !

Un grand bonhomme de ma taille est avantagé dans bien des discipline sportive face au petit gabarit de ma fille. Je dirais… Tous les sports à part peut-être l’équitation, chose que je n’ai jamais faite de ma vie ! Sur un velo, la taille ça apporte juste plus de poids, j’imagine, en tout cas, ça fait rouler plus vite l’engin c’est certain ! J’en sais rien fait, j’suis pas un scientifique.

J’lui souris pour la taquiner, qu’elle soit petite, j’ai toujours trouvé ça charmant. J’me souviens comme je devais m’casser l’dos pour lui tenir la main, mais j’l’ai toujours fait volontiers.

On sort donc du chalet, Goliath épuisé par ses heures de voiture ronflait déjà. Quel chien sportif, tout à fait mon image ! J’lui montre l’un des vélos auquel j’règle la selle plus bas afn qu’elle puisse toucher l’sol avec ses p’tits pieds à l’arrêt.

- Essaie ça, j’pense que ça ira comme ça.

J'm'approche du second velo, balance le casque par terre, hein quoi ? La sécurité ? Boarf. J’enfourche le truc et j’me me traine avec lui devant la descente, un peu d’élan et hop. Bon autant vous dire que la descente, elle s’fait clairement n’importe comment. La bécane manque de faire du hors piste une paire de fois et bon sang j’me souvenais pas que ça faisait mal au cul à c’point ! J’opte pour définitivement pas l’poser, j’manque un peu de rembourrage graisseux à cet endroit, enfin, clairement à chaque endroit d’mon corps.

- Tu vois bien que j’me débrouille parfaitement !



Après cette déclaration particulièrement vaniteuse...


1 à 2 : A peine les mots prononcés qu'il se vautre lamentablement dans le chemin, pile devant Azara qui lui passe dessus et fait un vol plané dans l'herbe.

3 à 4 : Après quelques minutes, il fait un sublime hors piste et prend son envol directement dans un buisson dans lequel il s'encastre de manière à ne pas parvenir à en sortir seul.

5 à 6 : Ne serait-ce pas le nouveau dieu du VTT ? Une ballade parfaite et des acrobaties maitrisées ! Pas mal le vieux, hein ?

Tu acquiesces en souriant. Tu sais que ton père sera là si tu en as besoin. Nuit et jour, peu importe le moment, si tu sonnes à sa porte, si tu l’appelles, il te priorisera, comme il l’a toujours fait et le fera. Dt toi-même s’il avait besoin tu le ferais. La famille, c’est sacré ! Tu le regardes pendant qu’il évoque la rupture avec ta mère. Un moment qui n’a finalement pas été simple pour aucun de vous. Tu as eu du mal à l’accepter au début, ta mère sans ton père et ton père sans ta mère, c’était impensable. Ils étaient un duo magique, mais malgré la séparation, ils sont restés un duo de parents d’enfer. Tu ne diras jamais le contraire, mais tu es fière de les avoir comme parents, malgré les défauts, les failles. Ils ont toujours réussi à te faire sentir exceptionnelle, à te pousser à aller au-delà de tes rêves, d’en avoir d’autres.
- Je suis heureuse qu’on soit encore unis, malgré tout !
Il est temps d’aller pédaler dans la nature. Tu te lèves, suivant ton père qui te nargue parce que tu as de petites jambes.
- Heureusement que je ne suis pas aussi grande que toi, j’aurai vraiment été limitée pour trouver un homme. Dis-tu en rigolant. Il est certain que tu tiens de ta mère pour ta taille. Et parce qu’en plus tu es compliquée dans la vie, tu t’es toujours penchée sur des petits-amis ou conquêtes qui étaient plus grands que toi. Si tu avais été aussi grande que ton père, tu aurais moins trouvé chaussure à ton pied.
M’enfin il règle le vélo pour qu’il soit à ta taille. Tu montes dessus, tout est correct.
-C’est tout bon ! Dis-tu en levant le pouce, toute contente.
Tu râles parce qu’il ne prend pas le casque, vu les chemins que vous allez emprunter il aurait été mieux de le porter. Tu mets le tien, parce que tu te connais, tu n’es jamais à l’abri d’une chute. Tu n’es clairement pas la fille la plus habile au monde.
Une et deux et trois, tu commences à pédaler. Mine de rien, ça faisait un moment que tu n’avais pas enfourché un vélo, bien trop habituée à ton skateboard. Rapide, facile à transporter et à ranger, c’est vraiment l’un de tes outils favoris pour te déplacer. Et même si tu as une voiture, tu as toujours un skate dans le coffre. Tu suis ton père, riant parce que le voir sur un vélo est digne d’une série comique. Tu aurais presque aimé filmer ce moment pour montrer cette scène à ta mère.
Finalement, tu es moqueuse, parce qu’il se débrouille pas si mal… BOOM ! Non, il se débrouille mal. Ton cerveau n’a pas eu le temps de réagir, ton père au sol après une chute mémorable et toi qui n’a pas tourné ton guidon pour dévier la trajectoire, Ta roue avant à frapper dans l’une des roues du vélo de ton père, tu as tenté de freiner, mais mauvaise idée, cela t’a projeté un peu plus loin dans l’herbe. Égratignures sur les genoux, les paumes des mains et une belle trace verte d’herbe sur le visage.
- JE SUIS EN VIE ! Dis-tu en rigolant.
Tu ries, mais demain tu riras sans doute moins quand tu auras des douleurs dans tout le corps à cause de ta chute. Tu t'assois, regardant l’état de tes genoux. Ton jogging ne te servira plus, troué des deux côtés. Tu passes légèrement ta main sur les plaies, tu grimaces, parce que ça pique.
- Outch !

La star du VTT hein ? Bordel, dire que quand j’avais dix ans j’faisais continuellement le con sur des vélos plus ou moins à moi… Sans jamais tomber ! Ah, bah admirez bien l’vieillard qui vient de se vautrer lamentablement ! Ça aurait pu être drôle ouais, si j’n’avais pas senti l’impact de la roue d’Azara dans la mienne et que j’ai littéralement vu mon p’tit ange voler. Ok, c’est un adulte, je sais qu’elle doit prendre son envol ! MAIS PAS COMME ÇA NOM D’UN CHIEN !

- Azara !

J’me débarrasse de ce vélo qui m’sert de couverture, pour m’précipiter vers ma fille, même si j’la sais solide, elle avait fait un sacré vol plané ! J’n’avais pas prévu de la ramener en purée à la fin de ce weekend. J’me préoccupe pas de mes propres égratignures, j’men rends pas même compte. La douleur, j’y fais plus vraiment attention avec le temps, surtout aussi infime.

Je ris en arrivant à sa hauteur, parce qu’elle va bien malgré tout. J’m’agenouille face à elle, c’est dans ce genre de moment que, malgré le sol meuble et confortable fait d’herbe, mon corps me rappelle que je suis usé. Trop usé pour mon âge sans doute… Je ne vivrais pas centenaire, c’est certain. Mais pour tout dire, je me suis toujours figuré que je ne vivrais pas vieux, alors cette usure, c’est sans doute uniquement le signe que j’ai vécu bien assez malgré tout.

- C’était une sacré acrobatie… Hm, j’espère que tu n’as pas besoin de faire voir tes jolis genoux à l’écran avant une bonne semaine.

Que j’lui dis avec un p’tit sourire, y’a rien de grave.

- C’est superficiel, tu peux te lever si tu n’as pas trop mal.

J’me relève en premier, puis je lui tends la main pour qu’elle se relève. Petite, lorsqu’elle tombait, je lui disais bien souvent de se lever sans dénier sa douleur pour autant. Je réalise que parfois je n’ai peut-être pas toujours été un père aussi tendre que j’me l’imagine. J’me dis qu’il y a une frontière entre la violence et un peu de fermeté, elle a toujours su qu’il ne fallait pas m'énerver et pourtant… Jamais je n’aurai levé la main sur elle et je me maudirais le jour où je ferai une chose pareille ! Je n’y crois d’ailleurs pas une seule seconde, personne qui me connaît ne m’en croit capable et ils ont raison.

- Je me suis peut-être un peu trop avancé quand j’ai utilisé l’mot “parfaitement” mais j’étais pas si mal parti… Pendant deux secondes. Si on continue, tu ferais mieux d’passer devant cette fois ! Même si j'risque de bien vite te dépasser !  

J’me tourne vers nos montures au sol, au moins ils ne sont pas cassés ! C’est presque insultant, que le chalet soit encore visible sur le chemin ! Je pars redresser nos vélos sur leurs deux roues avant de darder Azara de mes yeux clairs.

- C’était une bonne idée de venir ici, tous les deux. Tu sais… Quand les enfants quittent la maison, il parait que la majeure partie du temps passé ensemble est derrière nous, qu’il ne reste finalement… Que bien peu d’temps à être ensemble. C’temps, il m’a déjà été pris il y a cinq ans, j’sais que j’le retrouverai jamais… Mais c’est bon d’savoir que tout c’temps n’est pas écoulé.

Quand je dis que je comprends les angoisses de sa mère, ce ne sont pas des paroles en l’air, si ce n’est que je l’exprime bien peu.

CHUTE ! Tu tombes, le vélo en vrac, toi au sol. Tu es entière, quelques égratignures qui piquent et te font grimacer; Mais rien de grave, aucune fracture en vue ! Tu rassures aussitôt ton père, pour lui signifier que tu es en un seul morceau. Tu accompagnes ta phrase d’un rire, tandis que ton père se précipite vers toi. Cela te remémore un bon vieux souvenir, quand tu avais dû retirer les petites roues à ton vélo et que tu as foncé droit dans la poubelle du voisin. Tu avais fini avec une sacré bosse sur la tête.
Tu continues de rire, regardant si ton père n’a rien non plus. Visiblement une égratignure au coude. Outch !
- Si mes genoux sont visibles à la caméra, je deviendrai certainement l’égérie d’une marque de pansement. Tu ries, t’imaginant déjà avoir ta tête sur les boîtes de pansement. Plutôt le bon plan si tu as des pansements offerts à vie, toi qui est très maladroite et qui chute souvent.
Tu attrapes la main de ton père pour te relever. Tu sembles entière, même debout. Tu désinfecteras les égratignures plus tard. Rien de très urgent ! L’habitude des glissades qui ont mal tourné en skateboard, l’habitude de d’être toujours relevé comme une grande guerrière plus petite.
- On va dire que ce n’est pas le meilleur démarrage ! Tu ries, parce que tu vas ajouter cette scène dans les moments mémorables avec ton père.
Allez, tu as de l'espoir, vous allez vous débrouiller comme deux chefs pour la suite du trajet. Enfin, tu l'espéres ! Tu prends ton VTT que ton père vient de remettre debout. Ils n’ont rien eu ! Heureusement !
Tu souris aux mots que ton père prononce, une partie de toi est attendrie. Tu as presque l’impression d’entendre ta mère parler au sujet du temps qui passe.
- Tu me donnerais presque un coup de vieux à dire ça. Mais rassure-toi je n’ai que 21 ans, j’ai encore beaucoup de temps et toi aussi. Tu te dis que tu vas encore pouvoir profiter durant de belles années avec tes parents. On ne retrouvera jamais les cinq dernières années, mais on a encore de belles années pour en profiter !
Parce que même sur ton train de vie change, tu sais que tu trouveras toujours du temps à consacrer à tes parents. Tu as besoin d'eux et d'ailleurs tu ne prétendras jamais le contraire. Tu enfourches ton vélo, prête à redémarrer.

J’ris amusé à l’idée de voir ma fille dans une pub de pansements, même si je suis persuadé qu’elle fera ça très bien. J’imagine que toutes ces personnes qui font des spots publicitaires sont assez bien rémunérer, après tout… C’est la télé, non ? J’en sais rien, j’imagine trop d’truc ! Quoi qu’il en soit, cet épisode de départ foireux à bord de nos VTT était clos.

J’lui adresse un sourire rassurant, un sourire d’façade, j’veux pas qu’elle pense que j’suis vieux et faible, pourtant, j’dois l’admettre, j’ai beaucoup moins d’forces qu’avant. Que ce soit physiquement ou mentalement. J’suis pas encore un vieux croulant, mais je n’ai pas espoir de vivre bien vieux justement. Cette réalité, je vois bien que ma fille ne l’accepte pas comme moi, je crois même qu’elle ne l’envisage pas. Malgré tout, nous allons pas nous épancher sur le sujet, ce n’était pas le but de ce weekend père-fille.

On grimpe sur nos vélos, j’laisse Zaza passer devant, histoire que je ne lui serve pas à nouveau d’obstacle. Heureusement, ce fut la seule chute de la journée. J’ai un bon équilibre, mais une capacité de concentration assez merdique. J’me suis égaré un moment, sur un chemin qui m’semblait intéressant, jusqu’à entendre la voix d’Azara qui m’appelle à travers les arbres. Ce fut assez agréable, quand on ne se casse pas la gueule dans tous les virages. Il faisait bon, malgré mon bracelet électronique, j’me sentais un peu plus libre aujourd’hui. Libre d’aller où j’veux, ou presque. J’avais beaucoup de chance d’être là, j’le savais farouchement.

On retourne au chalet presque juste à temps, l’ciel s’décline en plein d’couleur qui m’fascinent plus que de raison. L’ciel, j’pouvais l’voir depuis la prison, mais il m’semblait pas aussi lumineux.

L’chien aboie furieusement sans nous voir alors qu’on approche de la porte.

- J’crois qu’il est énervé qu’on soit parti sans lui !

J’ouvre la porte et la p’tite bête chique mes lacets en signe de protestation. Je l’attrape dans mes mains, il est tellement minuscule et si caractériel… C’est pas croyable.

- T’as pas bientôt fini d'gueuler ? Sinon j’t’abandonne dans les bois.

Pas crédible pour un sou, j’me suis attaché à ce p’tit con…

- Ça va t’es pas trop fatiguée ? J’vais t’avouer que j’ai mal au cul, j’avais oublié que c’était l’prix à payer pour faire du vélo ! riais-je en essayant de m’asseoir sur le canapé. C’est bien pour ça que je préfère amplement la course à pied !

Il est temps de pédaler à nouveau, tu t’élances sur ton vélo, passant devant pour éviter une nouvelle catastrophe; Tes genoux ont déjà morflés une première fois, tu vas les laisser au repos et éviter de les égratigner encore plus. Tu avances un peu plus rapidement, suivant le sentier principal. Tu te concentres sur les bruits autour de toi, dont celui des oiseaux. Bruit qui te semble apaisant, l’un des murmures de cette immense forêt qui te rend joyeuse. Tu te sens bien. Tu te sens pleinement vivante et cette plénitude te donne une bonne énergie. Tu as pile poils perçu au bon moment que ton père s’était trompé de chemin. Evitons de devoir appeler des secouristes en forêt pour retrouver ton père.
De nouveau sur le bon sentier, vous finissez par faire une boucle pour retourner au chalet. Le soleil est en train de se coucher, quelques nuages tapissent l’horizon. Cette vue est magnifique. D’ailleurs tu ne peux pas t’empêcher de la capturer avec ton téléphone. Une belle photo que tu seras heureuse de montrer à Jeremy et d’imprimer pour mettre à ton album photo.
Tu ranges ton vélo avec celui de ton père sous l’abri. Les aboiements du chien transpercent vos tympans, il jappe comme un dingue alors que la porte n’est pas encore ouverte.
- Ton chien, sans le voir, on pourrait penser qu’il est enragé ! Dis-tu en rigolant, ce qui n’est tellement pas crédible, ce chien est une minuscule crevette.
Tu tends les clés à ton père pour qu’il ouvre la porte. Tu ries en l’entendant parler au chien. Tu abandonnes tes baskets dans l’entrée et ta veste. Tu es exténuée par cette longue balade à vélo.
Je suis morte ! J’ai très mal aussi, je suis définitivement bien mieux sur un skate ! Tu refermes la porte. Avant d’aller t’affaler à côté de ton père dans le canapé.
Tu aperçois sur la table basse la pochette El Dorado, un film Western. Tu attrapes ce que tu viens de dénicher : une cassette collector d'un film. Tu la regardes dans tous les sens.
- Dire que j’étais même pas née ! Et toi non plus ! Dis-tu en lui tendant ta trouvaille !

Mon chien enragé ?

- Ou alors, aussi idiot qu’son maitre.

Que j’ajoute avec humour, bien qu’il y avait, selon moi, un sérieux fond de vérité dans cette affirmation. Du genre à agir avant de réfléchir, à avoir ridiculement beaucoup trop d’énergie. On s’installe tous les trois, avec Goliath, dans le canapé. Je n’étais pas aussi fatigué qu’Azara, mais ce moment de quiétude n’était pas déplaisant.

J’tend la main pour saisir la VHS qu’elle me tend avec un p’tit sourire amusé.
Une relique. J’me demande pourquoi ils ont laissé trainer ça là.

- Heureux de ne pas être un dinosaure à c’point.

Ricanais-je, posant mes yeux clairs dans les grands yeux sombres de mon unique enfant, celle pour qui je serais capable de tous les sacrifices. Celle pour qui j’me traine encore sur cette terre, seulement pour passer encore un peu d’temps à ses côtés.

- J’sais que j’aurai du t’poser la question avant, même si j’sais que ta mère l’a fait sans doute un millier d’fois. Mais, est-ce que t’es heureuse avec lui, Jeremy ? Est-ce que… T’as l’moindre doute à son sujet ? Sur c’qu’il est, c’qu’il fait… C’que tu ressentira pour lui dans dix ans… T’sais, nous les hommes… On est capable d’avoir des secrets inimaginables, de s’enfoncer dans les mauvaises décisions parce qu’on s’dit… J’veux dire… Les hommes aussi, parfois se sentent insecure. Est-ce qu’il s’est déjà montré, vulnérable, face à toi ?

C’est le plus grand signe de confiance qu’un homme puisse faire, un signe que je n’avais finalement que bien peu révélé à ceux que j’aime le plus. Lorsqu’elle m’avait retrouvé en pleine crise d’angoisse dans la caravane, ça été l’un des moments les plus douloureux d’ma vie. J’peux vous assurer que j’compte pas m’endormir profondément pendant ce weekend, j’compte pas la laisser voir que mes cauchemars sont toujours aussi tenaces.

- J’aurai dû avoir cette conversation avec toi quand t’avais seize ou dix-sept ans, hein ? Promis, j’te parlerais pas de contraception ou ce genre de chose.

J’ris faiblement, pour ôter un peu de cette lourdeur.

Vous êtes revenus au point de départ, déposant les vélos à l’abri. Le chien de ton père semble bien excité et mécontent de votre escapade dans la nature sans lui. Tu as besoin d’une pause, bien méritée, tu t'assois sur le canapé, avant de ramener tes jambes en tailleur et de découvrir une VHS. Un vieux trésor ! Tu en as quelques-uns dans tes affaires, parce qu’il s’agit de pièces collectors, de l’histoire du cinéma, des avancées avec la technologie ; tu trouves tout ça passionnant. Finalement, même ton père n’était pas né quand ce film a été produit. Tu ries à sa réponse.
Tu arques une de tes sourcils bruns, penchant ta tête pour regarder ton père. Tu as ce léger pincement de léger, signifiant que tu es déjà en train de réfléchir à ce qu’il te dit. Même si la réponse te brûle déjà les lèvres, prête à ouvrir la bouche pour lui répondre, mais tu le laisses aller au bout de ses paroles.  On dirait bien que ton père est en train d’enfiler sa casquette de protecteur et d’être certain que tu n’es pas en train de foirer sur le plan sentimental ou tout simplement de foirer ta vie ? Tu as ce rire quand il te promet qu’il ne parlera pas de contraception.
- Je suis heureuse, oui. Evidemment, comme tous les couples, il y a eu des moments compliqués. Quand je pensais que notre histoire était terminée, que j’avais l’impression que toute ma vie s’effondrait, Jeremy était là. Toujours prêt à remuer ciel et terre pour me montrer à quel point il m’aime. Et je me rends compte que je l’ai souvent fait ramer à cause de mon caractère de cochon. Tu lâches un petit rire, te remémorant toutes les fois où il a trouvé le moyen de te ramener à la raison. Lui et moi on continue de se découvrir tous les jours. Je ne peux plus imaginer ma vie sans lui. Alors, imaginer ma vie sans lui dans dix ans, c’est douloureux et inimaginable. Toi sans Jeremy, c’est comme arracher une partie de ton coeur, une partie de ton énergie pour affronter la vie. Jeremy a été ta plus belle rencontre l’année passée. Tu remercies la vie de l’avoir posé au bon moment sur ta route. Et tu aurais voulu avoir cette discussion à mes seize ans, j’aurai ri, je t’aurais dit de ne jamais espérer me voir en couple et que les hommes sont tous des idiots, sauf toi ! Parce que toi, tu es mon super papa !

Je sais qu’Azara et moi avons besoin d’apprendre à nous connaître à nouveau. Elle avait grandi, la prison m’avait transformé. Nous n’étions plus les mêmes qu’avant, mais je l’aimais toujours autant, je l’aimais plus que tout au monde. C’était le seul amour pour lequel, je n’avais pas peur de m’y bruler les ailes, parce que je me les arracherais moi-même s’il le fallait, sans hésiter, pour elle. C’est un amour qui m’a sauvé, je ne doute pas qu’elle le sache, je n’ai pas besoin de lui dire. Parler d’amour avec Azara n’a jamais été compliqué, j’ai toujours su lui dire que je l’aimais, parce que je ne voulais pas qu’elle soit comme moi, qu’elle ait toutes les peines du monde à le dire à son tour. J’ai probablement échoué malgré tout, mais j’ai essayé… J’ai vraiment essayé d’être un bon père, de me laisser guider par cette force pour être son refuge aussi longtemps que je vivrais. On peut me blâmer de bien des choses, mais pas de ne pas avoir essayé.

Je ris amusé à sa dernière phrase.
Pas certain d’être si super que ça.

- Je ne veux pas que tu aies une vie… Comme ta mère l’a eue. Je ne veux pas que tu sois avec un vaurien. Je sais que ta mère te dira qu’elle ne regrette rien, mais il n’y a pas eu que du bonheur avec un homme comme moi, je ne veux pas que tu vive avec quelqu’un qui même s’il t’aime pourrait te mettre en grand danger, que tu vive avec la peur de le voir finir en prison ou de trouver son corps criblé de balles…

Une chance sur deux pour que je sois celui fusillé par la police.
Juste une chance sur deux.

Je sais que ce que j’énumère, n’a pas valu beaucoup mieux en tant que conjoint qu’en tant que père. Je sais qu’elles ont souffert. Qu’on a été heureux aussi, 34% du temps. Faudrait être insensé pour se contenter de ça, même par amour.

- Il ne me ressemble pas ton Jeremy.

Ou alors, il le cache vachement bien. Il n’a pas l’air aussi perturbé, il a l’air intelligent lui et équilibré, il n’a pas l’air d’un dingue, d’un fumeur de crack tatoué de la tête aux pieds. C’est déjà pas mal de bons points à mes yeux. Mais j’me rends compte qu’à trop prier que ma fille ne soit pas comme moi un jour, j’me suis pas rendu compte qu’elle pourrait accepter les mêmes sacrifices que sa mère a faits pour moi…

- À trop me pardonner mes erreurs, j’t’ai peut-être rendue trop tolérante à la délinquance et aux mauvais choix ? Promets moi qu’il y a des limites que tu n’acceptera jamais, parce que moi j’te promets que jamais j’en aurais pour toi.

Quitte à mourir en étant haï de ma propre fille.

Avoir de nouveau ton père dans ta vie, c’est un beau cadeau de la vie ; tu avais perdu l’espoir. Ou tu t’étais persuadée qu’à sa sortie, il partirait, sans se retourner. Parce que tu fais souvent ça, envisager le pire, pour que la déception soit moins amère. Alors, le voir, ici, à Monterey et tenter de mettre de bonnes choses en place dans sa vie ; c’est du bonheur pour toi. Ta relation est fusionnelle avec ta mère, même si ces derniers temps, elle a été très occupée avec son travail, ses déceptions amoureuses et tu dois dire que tu as voulu attraper le temps perdu avec ton père. Avec ton père, ça a toujours été facile de parler, tu n’as jamais craint ses réactions, contrairement à ta mère qui peut très vite monter dans les tours.
Alors, cette discussion concernant Jeremy, que tu nommes comme le grand amour de ta vie, tu ne crains l’avoir avec ton père. Et il a raison, quand il te dit que tu ne dois pas vivre dans la peur de voir ton fiancé finir en prison ou mourir. Ces derniers temps, tu dois l’avouer, cela n’a pas été simple, les combats de rue, les suites de tout ça, ça a mis un peu la pagaille dans ton esprit. Jeremy doit régler des histoires. Tout n’est que temporaire, parce qu’habituellement la vie qu’il s’est construite, est calme.
- Tu sais papa, tu es unique et Jeremy l’ait aussi. C’est pour ça que je suis tombée amoureuse de Jeremy, parce qu’il n’est pas comme les autres. Je sais qu’il me protégera toujours, qu’il ne me fera jamais de mal.
C’est assez inexplicable cette sensation. Et elle se renforce au fur-et-à-mesure que les mois passent. Votre relation est forte.
Tu as ce sourire en coin qui se dessine quand ton père te demande s’il ne t’a pas rendu trop tolérante.
- Tu peux te rassurer, je ne suis en général pas vraiment tolérante, assez rancunière. D’ailleurs avec mon caractère de cochon, j’envoie très vite les gens balader. Tu sais j’ai vraiment peu de personnes autour de moi en qui j’accorde ma confiance.
Ils peuvent se compter sur les doigts de la main. Tu n’as jamais eu nombreuses personnes autour de toi, le tri, tu le faisais assez vite ; alors les gens étaient surtout de passage dans ta vie.
- Je te promets, je ne serai jamais un bisounours !

J’ai envie de la croire, de faire confiance à son jugement. Je sais que l’amour rend aveugle, ce n’est pas qu’une expression. Je serai là, si Jeremy venait à réellement merder, à rendre ma fille malheureuse. Elle a toujours été au centre de ma vie, il faut dire que cette vie que j’ai, n’a aucune valeur sans elle. Je suis usé, d’avoir dû la protéger de moi-même tout ce temps, c’était l’prix à payer pour être digne de l’aimer, d’être aimé. J’crois que j’ferais jamais parti de ces mecs qui ne mettent pas l’amour au premier plan de leur vie, qui pensent qu’aimer est inutile. Pourtant, quand on m’regarde on pourrait parier l’contraire. J’ai tout à fait l’allure d’un type carencé en amour, mais c’que j’ai reçu dans ma vie, c’est tellement bien plus que tout ce que j’aurais jamais pu rêver.

- Je sais…

J’lui ai peut-être un peu trop dis de ne pas faire confiance trop facilement, ou peut-être qu'elle est juste comme ça, méfiante, exigeante ? Pourtant, conciliante, elle l’a été avec moi, quelque part, jusqu’à une certaine limite.

- J’ai confiance en ton jugement.

J’entrerais pas en guerre contre Jeremy, j’n’irais pas jouer les détectives pour déterrer tous ces cadavres comme me l’avait proposé Albano. J’crois qu’il a l’droit au bénéfice du doute et quand bien même, il a bien l’droit à une chance de faire partie d’la famille.

- Mais je serais là pour te protéger jusqu’au bout, même si je suis vieux !

J’la taquine, bien que je sache que je ne me bat pas aussi bien qu’à vingt-cinq ans, je saurais trouver la force pour elle, je saurais me sacrifier sans regret. J’embrasse sa joue avant de me lever, de prendre le paquet de clopes dans une main pour me relaxer, le p’tit chien dans l’autre pour qu’il sorte un peu, maudit chien d’appartement !

- J’reviens dans deux minutes.

Je m’exile quelques minutes dehors pour souffler un peu, j’sais que j’vais pas dormir d’la nuit et j’espère seulement qu’elle ne se rendra compte de rien, j’m’en veux d’la supercherie, mais j’veux pas qu’elle sache que les cauchemars ne sont pas prêt de me quitter, quoi que j’dise. Au delà du fait de ne pas dormir, il va falloir que je reste tranquille toute la nuit.

A mon retour, j’constate qu’elle est partie se doucher, alors j’me renifle et franchement, ça sent pas le jasmin. J’profite de son absence pour vider l’sac de sport dans lequel j’ai rangé mes affaires, c’est bizarre de n’rien avoir de suspect dans le sac au cours d’une excursion. J’crois que j’pourrais m’y faire. Quand c’est mon tour de filer me décrasser, j’étais sous l’eau de la douche à m’dépêcher parce que j’ai jamais aimé ça moi, les douches.

Une voiture de rangers locaux arrive devant le chalet, deux types armés et en uniformes descendent du véhicule et frappent à la porte.

- Bonsoir Madame, on nous a prévenus de votre arrivée, est-ce que Jayson Salazar est bien présent ?

Qui pourrait les blâmer, dans leur p’tit coin tranquille, un type potentiellement dangereux qui s’promène dans les bois... Y’a de quoi inquiéter l’voisinage, aussi loin soit-il…

- Pouvez-vous le faire venir pour qu’on l’identifie ? Procédure de routine, m’dame.

Demande l’un d’eux, tapotant nerveusement son arme. Le second la dévisage, la trouve sans doute beaucoup trop jeune pour un type que l'on a décris comme quarantenaire plutôt "bony". Et moi, pendant ce temps-là, j'enfile à cloche pied un sous-vêtement propre à me soucier seulement de retrouver l’endroit où j’ai pu poser mon t-shirt de rechange.