tw : décès, alcoolisme.

Aux premières heures d'une chaude matinée de Septembre.

Sortant de l’océan, encore sous l’emprise de la puissance des vagues, je peine à reprendre mon souffle, ajustant mon maillot de bain qui colle désagréablement sur ma peau. Mes cheveux chargés d’eau colle contre ma nuque, mes yeux me piquent à cause du sel qui compose cette immensité aquatique.
Pourtant, je ne me suis jamais sentie autant en phase qu’à cet instant.
Ce rituel que j’entretiens quotidiennement depuis des semaines est essentiel dans mon quotidien. Ces sessions intensives de nage, qui m'encouragent à repousser mes limites, à aller toujours plus loin dans l’effort physique. Et qui occupe mes pensées, qui me donnent l’impression d’une normalité rassurante.
Depuis que j’ai mis… sur pause mon activité professionnelle, tout part à la dérive, dans ma vie. Mais si je veux me montrer objective, depuis la disparition de ma mère, depuis mon divorce… Plus rien n’a de sens. Je ne fais que m’enfoncer dans une spirale destructrice et que je nourris, bien malgré moi.
Oui, broyer du noir est si facile, une option si évidente à mes yeux.
J’ai tant envie de me noyer, pour toujours.
De disparaître sous l’eau, de quitter ce monde où je ne semble plus avoir une place.
Où m’épanouir est devenu si complexe et si délicat.
Oui, j’aimerais tant rester sur cette plage jusqu’à la fin. Mais… jusqu’à quand, exactement?
Mais il est trop tard pour réfléchir, trop tôt pour des réflexions aussi poussives. Il est grand temps de rentrer. Une longue journée m’attend.
Pour faire quoi, hein?
Picoler, soupirer, ruminer, pleurer, me goinfrer?
Une journée parmi tant d’autres, en somme.
Reniflant nerveusement, j’attrape mon sac et sens une brise fraîche me parcourir la colonne vertébrale. Frissonnante, j’enfile à la hâte mon bomber de pilote, dont je n’arrive pas à me débarrasser. J’ai une de ces dégaines, tiens, mais qu’est ce que j’en ai rien à foutre, du regard des gens.
J’enfile également mes lunettes de soleil modèle aviator, évidemment, je suis le parfait cliché de la pilote qui s’accorde une pause dans son épanouissante carrière.
Si seulement les gens savaient. La cruelle vérité qui s’impose malgré tout.
Regagnant la promenade, je pose mon sac au sol, prends le temps de respirer, de regarder autour de moi.
Sans me douter une seule seconde de la rencontre que je m’apprête à faire…

tw : aucun.

Aux premières heures d'une chaude matinée de Septembre.

Tout part d’une simple envie de rouler, de sortir. Profiter de ce temps pour aller se balader, aller prendre l’air. Le pilote avait passé pas mal de temps dans ses travaux, et il voulait aujourd’hui faire autre chose. Passer à la base pour aller faire un tour dans ses oiseaux de fer ? Non, plutôt demain. Là, il voulait quelque chose d’autre, simplement sa moto, et ses cheveux aux vents. Lunette de soleil alors qu’il roulait doucement, profitant du paysage. L’homme s’amusait à laisser le véhicule vrombir quelques fois. Avant d’arriver proche de la plage. Il venait ralentir avant de se stopper complètement. Poser son pied au sol pour enjamber l’engin. Rangeant son casque dedans, il était simplement venu avec un petit cuir. L’homme venait se poser sur un mur en béton, regardant l’océan. Il aimait les paysages, c’était une certitude. Voir ce que les autres ne pouvaient pas, avoir un point de vue imprenable sur tout ce qui se trouve. C’était une des motivations qui l’avait poussé à devenir pilote d’hélicoptère.

Mais aujourd’hui, ce Jonas était de côté. C’était l’homme qui voulait profiter de la terre qui était là pour le moment. Il était simplement là, silencieux, profitant de son temps de repos. Il ne s’attendait à rien réellement. Avant qu’une femme ne passe pas loin de lui. Des personnes, il y en avait des dizaines, probablement des centaines qui passaient dans ce coin. Mais portant un bomber militaire de la même base que lui, c’était bien assez rare. Surpris, l’homme se levait pour aller faire quelques pas. Aller à sa rencontre, il venait faire les quelques pas pour l’interpeller. « Superbe veste ! » disait-il, avant de renchérir. « Vous êtes de l’armée ? » Suite à la vue de la veste, son visage ne lui disait rien, mais l’homme ne pouvait pas connaître toute la base. Si ça se trouvait, ils étaient collègues depuis des années, mais qu’il venait seulement de s’en rendre compte. « Vous êtes pilote non ? » Elle avait le style qui allait avec, sans que l’homme ne voulait entrer dans les stéréotypes. Il attendait les réponses de la femme avant d’aller plus loin. Peut-être était-elle simplement fan des bomber, et qu’il faisait fausse route. Importunant une personne pour aucune raison.

tw : décès, alcoolisme.

Aux premières heures d'une chaude matinée de Septembre.

Du coin de l'œil, je le repère. Cet homme plutôt charismatique, qui descend de sa moto, qui semble figé à observer le paysage de la sorte. Fronçant des sourcils derrière mes larges lunettes de soleil, je décide de ne pas me préoccuper de cet agréable détail et me sèche à la hâte avec ma petite serviette ridicule, la fourrant dans mon sac avec un peu trop de violence gratuite. Relevant la tête quand j’entends le gars me questionner, les mots s’échappent de ma bouche avant même que je ne réfléchisse à lui apporter une réponse plus consistante:

Euh… C’est compliqué.

Ouais, pas mal, comme réparti. Je tente de me frayer un chemin jusqu’à ma voiture mais c’est le moment que choisit un groupe composé d’une dizaine de cyclistes pour traverser la promenade. Pestant contre ces sportifs matinaux qui encombrent le chemin, je soupire, secoue ma chevelure mouillée et tourne la tête vers l’inconnu, qui me pose une nouvelle question et qui tape en plein dans le mille.
Bah plus de pas être dégueu, il est pas con, dis donc.
Me débarassant de mes lunettes, je pince les lèvres et décide de me montrer franche au possible avec lui:

Ouais… Enfin, j’étais pilote. Ça fait des mois que j’suis pas remontée dans un avion…

Qu’est ce que c’est douloureux. De me souvenir de cette sensation formidable, de me dire que tout ceci est derrière moi. Que je ne suis plus. Que je ne serais plus jamais.
Avec une colère qui me caractérise dernièrement, je me mets de l’autre côté de la barrière et décide à mon tour d’être celle qui pose les questions:

Et toi, t’es dans l’armée? Pourquoi tu me demandes tout ça, hein? Ah, la veste…

Je baisse la tête vers ce vêtement caractéristique et décide de m’en débarrasser immédiatement. Au fond, j’y suis très attachée mais elle représente également la source d’un échec dont je n’assume toujours pas la responsabilité. Méfiante, je me montre un chouia paranoïaque en lui disant, tendant mon bras droit vers lui:

T’as l'œil, dis donc. Et toi, t’es… flic? Non… Attends, je dirais… La Marine, non? J’suis sûre de mon coup.

Je pouffe de rire tandis qu’un chien sans laisse se faufile entre nos jambes, manque de me faire tomber. L’équilibre, c’est plus ce que c’était.
Putain mais qu’est ce que je fous encore là, au juste, hein? Je n’ai qu’une envie: me casser d’ici, rentrer chez moi, prendre une longue douche chaude et me vautrer sur mon canapé jusqu’à une heure raisonnable pour boire un coup.
Mais étrangement, je ne bouge pas. Je ne prends pas la route de mon appartement.
Je reste planté devant ce mec, à attendre ma réponse. Ma curiosité légendaire prendra toujours le dessus, on dirait!

tw : aucun.

Aux premières heures d'une chaude matinée de Septembre.

L’homme était tout d’abord surpris de voir une veste de ce genre, elle était belle, elle le faisait penser à la base, à des souvenirs plutôt joyeux, alors, avec un rictus, l’homme venait échanger quelques mots avec la femme. Reconnaissant la veste, il venait l’interpeller sur ce sujet en premier lieu. Une approche qui n’était peut-être pas la bienvenue, mais l’homme lâchait ces quelques mots avant de la voir réagir. Il sentait que dans sa réponse, elle n’était peut-être pas la plus enclin à vouloir en dire plus, avant de voir qu’elle allait reprendre son chemin, il venait faire un petit pas en arrière avant de voir qu’elle se tournait pour venir ajouter.

Ah, Jonas avait un petit sourire satisfaisant en voyant qu’il avait raison. Posséder ce genre de veste n’était pas anodin. Les pilotes aimaient beaucoup la porter, lui-même avait la sienne. Bien qu’il ne l’avait pas prise pour aujourd’hui. Il venait se faire attaquer ensuite de question, où sa seule réaction était de venir s’asseoir à moitié sur une petite dalle de béton à sa hauteur juste derrière lui. Il était toujours debout, juste appuyé à cette dernière. Il n’avait pas le temps de lui répondre qu’elle le faisait elle-même. Il faisait simplement un signe de tête pour confirmer qu’il était de l’armée avant de voir la femme retirer ce bel équipement. Qui lui allait plutôt bien au passage. «Ça aurait pu être ça, mais non » Disait-il, avec un geste de la tête, tournant cette dernière légèrement. « L’air aussi. Mais pas le même appareil. Le tien allait bien plus vite que le mien » Il souriait en coin, il n’avait pas besoin d’en dire plus pour qu’elle sache de quoi l’homme parlait.

Jonas se tordait un peu sur le côté pour caresser le chien qui était venu les voir. N’ayant pas de laisse, l’homme regardait s’il avait un collier alors qu’il continuait à discuter avec la femme. Il allait la vouvoyer, mais elle s’était mise à le tutoyer. L’allemand allait faire de même. « Tu étais en service dans le coin ? On a peut-être déjà volé ensemble sans le savoir! » L’idée de rencontrer peut-être une collègue des cieux amusait bien l’homme. Lorsqu’il grattouillait le cou de l’animal, il voyait que rien ne l’identifier, le chien était juste là à quémander des papouilles. Ce que l’homme lui donnait avant de voir plus loin un petit bar de plage. Il n’avait rien bu depuis qu’il avait pris la route, l’homme se rendait compte que sa soif était bien présente. « J’irais bien me prendre quelque chose, mon ami demande si tu veux te joindre à nous ? » Finissait le pilote, alors que le chien laissait entendre un ou deux aboiements.

tw : décès, alcoolisme.

Aux premières heures d'une chaude matinée de Septembre.

Cette journée n’a rien de logique, rien de normal.

Franchement, taper la discut’ avec un parfait inconnu dans la rue, c’est clairement pas mon genre. Ou alors, faut que j’en sois à ma quatrième pinte, minimum, qu’on soit Samedi soir, que j’sois dans un de mes bars favoris du centre ville de Monterey. Et que surtout, ce ne soit pas la pleine lune. Bref, toutes les conditions réunies afin de stimuler mon aspect sociable… Qui ne sont clairement pas celles que nous sommes en train de vivre en ce moment. Au contraire, j'étais venue me retrouver, seule, afin de profiter de l'océan et de tous ses secrets. J'avais envie de tout sauf une présence humaine.
Mais j’sais pas, j’arrive pas réellement à me foutre en colère. Pourtant, l’entendre blablater sur les avions, notre métier commun, puisque j’apprends qu’il fait partie de la même branche que moi, ça devrait clairement me plonger dans un profond désarroi. Pilote de chasse, c’est du passé me concernant. J’ai raccroché… Bien malgré moi. Et je possède encore une aigreur concernant cette profonde erreur de parcours que j’ai commise en acceptant l’alcool, dans ma vie…
Tout devient flou, devant mes yeux. C’est à peine si j’arrive à conserver l’équilibre.
Je sens quelque chose dégringoler dans ma poitrine: la fierté. Je suis en train de faire connaissance avec un collègue et pourtant, je n’ai qu’une envie, prendre mes jambes à mon cou. Je me contente de marmonner à la suite de ses questions, elles me rendent terriblement mal à l'aise.
Ouais, allez, Charlie, déguerpis fissa, t’as plus rien à foutre là. Devenu étrangère à ta propre profession et…

… Pourquoi pas!

... D'accord.
Bah voilà, c’est ce qui s’appelle réagir à chaud. J’étais en train de l’observer depuis plusieurs minutes, en train de caresser ce chien qui est venu s'immiscer entre nous et j’étais foncièrement décidée à trouver n’importe quelle excuse pour me barrer d’ici. Alors que sans réfléchir, j’ai approuvé sa proposition. J’ai même osé jeter un coup d'œil sur ma montre histoire de prendre quelques secondes avant de répondre et j’ai dis oui. Oui pour un verre,, oui pour un tête à tête avec un homme que je ne connais même pas.
Putain, franchement, je m’étonnerais toujours.
Ajustant la anse de mon sac sur mon épaule, je fais une moue étonnamment timide et lui demande:

J’peux aller me changer? J’habite juste en face et mon maillot est encore humide. J’en ai pour cinq minutes, je te rejoins… où ça?

J’vais même pas en profiter pour me barricader chez moi pour broyer du noir.
Non, j’suis sincère, en fait.
J’ai envie de parler, d’échanger, de découvrir.
Faut croire que c’était le destin, notre rencontre grâce à ce point commun essentiel et si important dans nos vies…

Patiemment, j’attends une réponse de sa part, sursautant quand le chien se met à aboyer.
Bon, finalement, il s'agirait plus d'un trio.
Quel bordel, ce matin, j'vous jure...

tw : aucun.

Aux premières heures d'une chaude matinée de Septembre.

Jonas ne connaissait même pas le prénom de la femme avec qui il échangeait. Mais il n’en avait pas le besoin pour le moment. C’était dire comment certains domaines pouvaient réussir à lier facilement sans avoir besoin de grand-chose. Il était toujours avec le chien quand il proposait à la femme de l’accompagner prendre quelque chose. Il venait ensuite lui répondre alors que le chien se mettait à aboyer. Jonas essayait de le calmer un peu, il n’avait pas l’air méchant, mais le faisait plus pour attirer l’attention sur lui. « Euh, on a qu’a dire celle un peu plus loin ? » Disait-il, en montrant de la tête une terrasse qui ne semblait pas être bondé de monde. Lorsque la femme se retirait pour aller se changer, Jonas commencer à faire le chemin qui le séparer des tables. Avant d’en choisir une à l’ombre pour ensuite remarquer que la bête était toujours avec lui. Il aurait bien pensé qu’elle se serait fait la malle entre temps, vagabondant de personne en personne, sans avoir réellement de but. Mais ce dernier préféré passer un peu plus de temps avec lui, et avec elle lorsqu’elle serait de retour.  Il venait continuer de lui faire quelques papouilles, jouant avec lui.

Jonas était installé sur une petit canapé, le genre où il y avait la place pour trois personnes, en plus d’en avoir un second en face avec quelques sièges. Un coussin plutôt doux venait recouvrir le bois tressé. Le chien venait grimper pour être à sa hauteur avant de simplement se poser, étant plus calme que tantôt. En attendant la femme, un serveur venait prendre sa commande, ce à quoi l’allemand lui demander s’il était possible d’attendre encore une ou deux minutes. Il ne s’était pas imaginé la journée prendre un tournant dans ce sens. Lui qui n’était pas forcément la personne la plus sociable du coin. Mais quelques fois, il arrivait à décocher quelques mots, comme cette remarque sur le bombers. Et puis sociabiliser n’avait jamais tuer personne. C’était même plutôt bénéfique, surtout pour quelqu’un de solitaire comme lui. Lorsque la femme revenait, Jonas se levait pour lui tendre la main, se rappelant qu’il ne s’était pas présenté une seule fois. « Jonas, enchanté » Il avait un petit rictus, avant de s’installer à nouveau  et de faire un signe ensuite au serveur. « Je crois que c’est la première fois que je croise une collègue de boulot. C’est pas commun ! » finissait-il, alors qu’il caressait sur le côté l’animal.

tw : décès, alcoolisme.

Aux premières heures d'une chaude matinée de Septembre.

J’imaginais vraiment pas ma journée comme ça. Enfin, pour être honnête, j’ai pas vraiment de programme prédéfini, depuis que… ma carrière de pilote de chasse est devenue une putain d’histoire ancienne. Je me laisse porter par le vent et mes journées ressemblent vraiment à des montagnes russes. Incertaines, effrayantes et qui connaissent une fin douloureuse, comme lorsque le wagon se stoppe brutalement à la fin des loopings. Ouais, très belle image, Charlie, tu vois, tu arrives à être créative et intéressante, quand t’es sobre.

J’avais fini par me changer, faisant un passage éclair à mon appartement et à présent, j’étais plantée devant la table où était installé le fameux mec un peu chelou, prénommé Jonas. Levant les sourcils aussi hauts que possible suite à sa seconde remarque, je finis par grogner, tel un animal:

Euh… Charlie. Enchantée. Et j’peux pas dire que j’suis toujours une collègue…

Pourtant, j’ai pas réussi à me débarrasser de ce bomber. Certes, j’ai troqué mon maillot de bain humide pour un jean confortable et un pull kaki léger, mais j’ai toujours cette veste sur les épaules. Elle me rassure, me rappelle une ancienne époque où je brillais, où rien d’autre ne comptait mis à part ma carrière. Certes, j’étais mariée. À un homme formidable, que je ne méritais pas un seul instant. Certes, j’étais meurtrie par la disparition de ma sœur jumelle quand nous n’étions même pas encore majeures. Mais j’avais enfin réussi quelque chose, dans mon existence. J’avais réalisé mon rêve et j’en étais, putain, j’en étais tellement fière.
Époque révolue. Il ne me reste plus que quelques souvenirs et la honte comme seule partenaire, désormais…

Alors que je m’apprête à ouvrir la bouche et tandis que je m’installe sur la banquette faisant face à Jonas, un serveur finit par se pointer, pour prendre notre commande. J’suis très tentée de réclamer de l’alcool, mais j’arrive à me faire une raison et jette mon dévolu sur un soda à la glace vanille, une sucrerie qui permet de calmer mes ardeurs. Écoutant à peine ce que le fameux Jonas désire, j’finis par lâcher, dès que le serveur tourne les talons pour préparer nos boissons:

C’est ton chien, alors? J’savais pas, il est adorable, en fin de compte. Même s'il aboie un peu trop fort à mon goût.

J’tente de sourire, c’est un peu douloureux à la mâchoire, comme si ce n’était plus un geste naturel que j’étais capable de produire. J’dois vraiment faire peine à voir, me recroquevillant, attrapant mes genoux afin de les plaquer les plus possible contre ma poitrine, fermant les yeux, tentant de retrouver mon souffle.
Putain, c’est dur. J’pensais pas que j’étais descendue si bas dans la sphère de la socialisation. Quelques minutes passent, silencieuses. L’ambiance est vraiment particulière, pourtant, j’me sens bien. J’ai pas envie de fuir, ni de partir. J’suis tranquille, je réussis à me sentir à mon aise. Quand nos boissons arrivent enfin, je me jette sur la paille en carton plantée dans mon verre, sirotant une longue gorgée, bruyamment, sans aucune gêne et je finis pas lâcher la bombe qui régit ma vie depuis quelques temps déjà:

En fait, j’suis retraitée de l’armée. De mon plein gré. Donc techniquement, j’suis plus une collègue, de ton point de vue.

À mon plus grand rejet… Mais ça, c’est encore un détail que j’suis pas tout à fait prête à révéler…

tw : aucun.

Jonas s’était installé pendant que la femme était repartie se changer. Elle aurait très bien pu le planter à ce moment là. Il aurait compris, peut-être avait-elle acceptée par politesse sans réellement vouloir venir. Se sentant prise au piège. Mais il ne le sentait pas. Il y était quand même allé, c’était rendu à la terrasse pour s’y placer, avec toujours le chien à ses côtés. Puis, c’était au tour de la dame de le rejoindre. Charlie. C’était son prénom, avant de rétorquer suite à sa remarque. « Oh, collègue un jour, collègue toujours non ? » Souriait-il. Il était de ce genre là, à considérer les gens de cette manière. Il n’était réellement pas embêtant sur ce sujet là. Bien ouvert en tout cas.

L’allemand venait se replacer pendant que Charlie commandait. Il suivait son pas, il ne voulait pas d’alcool, très mauvais mélange avec le fait de devoir reprendre la moto plus tard. Quelque chose de plutôt sucré pour lui aussi, une limonade avec pour ajouter du pétillant. Il aimait changer et boire un peu de tout. Il n’était pas cantonné à une seule boisson et encore moins à de l’alcool. Jonas tournait la tête quand elle lui demandait s’il était son chien. Petit étouffement de rire quand il se rendait compte qu’il pouvait totalement l’être, mais qu’effectivement, ce n’était pas le cas. « Du tout. » Il venait passer sa main proche du museau, pour venir lui faire une caresse pleine d’affection. Le chien se laissait faire. Il n’avait ni collier, ni source d’identification. L’envie de l’adopter s’il était errant montait en lui. « Il est arrivé en même temps que toi, il à l’air de se plaire avec nous. Mais il n’a pas de collier, ou de manière de l’identifier. » Il venait lui en faire une seconde avant de reprendre. « Tant qu’il passe un bon moment, et qu’il ne fait pas de bêtise, il ne gêne personne, pas vrai pépère ? » Il venait cette fois-ci avec les deux mains jouer quelques temps avec.

Puis, les boissons arrivent, Jonas n’était pas le plus doué dans les comportements, ne captent pas très bien celui de Charlie, mais il ne la brusque pas, il discute simplement quand il le peut, partage un moment sympa avec une collègue. Ou plutôt, ancienne collègue d’après ses dires. C’était à son tour de répondre. « Boarf. Tu l’as été tantôt, c’est suffisant nan ? » Il était sérieux dans sa question. « Surtout dans l’aviation, c’est une grande famille. » Elle avait stoppée  de son plein gré. L’homme ne se sentait pas de lui demander pourquoi, c’était une raison qui le regardait et le demander maintenant pourrait-être trop tôt. C’était pourquoi il lui demandait plutôt. « Pourquoi pilote ? » Il connaissait ses raisons, mais il aimait beaucoup apprendre celle des autres. Il y trouvait toujours une raison, quelque chose de noble. Si Charlie voulait lui en parler, il serait toute ouïe de l’entendre. Lui qui en était tant féru.

tw : décès, alcoolisme.

Aux premières heures d'une chaude matinée de Septembre.

Franchement, parfois, je me demande à quoi ça peut servir, de se montrer aussi avenante.
Au fond, les relations sociales, ça sert à quoi, hein? À part nous décevoir, nous provoquer une gêne extrême, une déception systématique?
Bien entendu, en avançant une telle théorie, je pense à toutes les personnes qui m’ont déçu, dans ma vie. À commencer par mon père. Cet homme détestable, prévisible, cruel et impitoyable.
Mais fort heureusement pour moi, je ne me suis pas arrêté là dessus. J’ai eu une mère formidable, une sœur jumelle fantastique, un cousin avec qui j’ai développé tant de points communs, à commencer par l’armée. Faut dire que Camaël, c’est un sacré loustic, dans son genre. Penser à lui me fait rire, tiens. J’pensais pas en être capable, ces derniers temps.
J’ai forgé des relations solides en dehors de ma famille, comme avec Sinaya, ma meilleure amie. Comme avec Ezio… Mon ex-mari. Ok, le mot “ex”, il peut faire flipper mais en soit… C’est pas plus mal comme ça. J’ai échoué à ma mission de le rendre heureux, mais il ne m’en tient pas rigueur.
Tout le monde peut commettre des erreurs, personne n’est parfait, n’est ce pas…?
Mais c’est plus fort que moi, quand je rencontre de nouvelles personnes, je reste toujours sur mes gardes. Méfiance, c’est un peu comme mon second prénom.

Mais bon, il est sympa, le gars. Il… m’inspire confiance. Et c’est clairement miraculeux, dans mon cas. Bon, après, je ne vais pas le cacher, il m’agace, à me traiter comme une collègue, malgré tout. La vérité est toute autre… Et il ne s’imagine même pas à quel point cela me crève le coeur de devoir lui révéler ce fâcheux, dérangeant, détestable petit détail:

J’ai été pilote de chasse. Et sans doute que je ne le serais plus jamais…

Putain, son petit sourire, j’ai envie de lui faire bouffer. Y’a une certaine Charlie qui se serait levé de table, sans même attendre son verre, qui l’aurait sans doute retourner même, pour venir l’attraper par le col et lui demander ce qui le fait tant sourire.
Mais j’ai plus envie d’être cette Charlie. Plus jamais, même.

Cette rencontre, c’est un peu comme une foutue seconde chance. ‘fin, non plutôt une… vingt-septième chance.
T’as l’occasion de te montrer sous un jour nouveau, ma grande. Contente-toi de sauter sur l’occasion au lieu de pester.

J’apprends, un peu surprise, que non, c’est pas son chien. Fronçant des sourcils, j’peux pas m’empêcher de souligner, faisant preuve d’une effrayante franchise:

Ah ouais? Putain, bah t’as un truc avec les chiens, c’est évident. Il s’est tout de suite senti à l’aise, avec toi.

Un peu comme toi, Charlie, même si l’avouer est un peu trop tôt, dans la conversation? J’écoute mon interlocuteur en l’observant, non, en le passant sous les rayons X de mon regard toujours hésitant. Je me contente de hausser la tête quand il affirme que tant qu’il se tient à carreau, le chien est accepté. Ouais, j’peux trop rien rétorquer, à ça.
On en a fait un beau de trio, nom de dieu.
Je m’attends à un déferlement de questions, quand je lui apprend que je ne suis plus active, dans mon poste. Pourtant, une seule tombe, comme un couperet. Qui me laisse… con.

Bah ouais, Charlie, pourquoi pilote…?

Je suis plongée, durant une durée indéterminée, dans une période sombre de ma vie: mon enfance. Je lutte pour ne pas me laisser emporter par ce tourbillon de négativité, me contenant d’avaler gorgée sur gorgée de mon verre, quitte à le terminer en un temps record et lâche, presque comme un venin qui s’échappe de mes lèvres:

Pour fermer le clapet d’un père qui ne m’en croyait pas capable. Et puis… Voler, c’est un rêve de gosse, non? Et toi… euh… Jonas, j’crois? Pourquoi… Tu fais ce que tu fais?

Je me réfugie de nouveau sur ma paille, que je finis par détruire à force de la mordiller.
En fait, je crois que j’angoisse. Une sensation nouvelle m’envahit.
Celle de vouloir apprendre à connaître quelqu’un, le découvrir… aussi simplement que cela.

tw : aucun.

Charlie décelait un talent que Jonas aurait avec les chiens. Il était surpris de l’entendre, n’ayant jamais eu de canidé dans sa vie. Il était plutôt simple avec eux, il restait comme il était tous les jours. C’est à dire franc, et honnête. Des valeurs qu’il avait, et qui allait le suivre toute sa vie. C’était une certitude. Pendant qu’il continuer de passer sa main dans le pelage du chien, ce dernier semblait l'apprécier plutôt bien. Il venait donc lui répondre. “J’en ai jamais eu, mais il est docile, il se laisse bien faire.” Il continuait donc les caresses pendant que les boissons arrivaient. Il buvait un petit coup avant d’être curieux, voulant savoir la raison de piloter de Charlie. Si cela n’était pas indiscret. Tout le monde dans les airs avaient une raison bien particulière de fouler le ciel. Et de ne pas se contenter du sol. Il y trouvait une certaine forme de respect, c’était quelque chose qu’il aimait entendre. Selon lui, ça en disait long sur la personne. Elle venait lui donner finalement sa réponse.

Une façon de faire as vie, de provoquer quelqu’un. Il n’était pas en phase avec sa réponse, mais il respectait. Comme il l’avait déjà fait auparavant. Tous le monde n’avait pas le même avis, dieu merci. Mais il s’imaginer appliquer celle-ci dans ses chaussures et il n’était pas le plus à l’aise. Mais il n’avait certainement pas le même vécu qu’elle. Des choses qui l’aurait poussée à prendre cette décision. Avant de préciser que voler était un rêve de gosse. Bien entendu. “C’est ça, et puis… On est jamais aussi libre et à l’aise que seul dans les airs, je sais pas si t’as ce sentiment aussi… Mais je ne suis jamais aussi bien que là haut.” Avant de s'installer un peu plus dans son fauteuil. Faisant bien attention à ne pas pousser le chien. Pour ensuite reprendre. “Hum” il venait regardait une ou deux secondes au dessus de la femme, avant de commencer. “Un jour, j’ai vu un hélicoptère voler.” Il rigolait. C’était réel, c’était sa raison. “ça peut sembler bizarre, mais j’me suis demandé comment il était possible de faire tenir quelque chose d’aussi gros dans les airs. Et j’ai commencé à en regarder un autre, et un autre.” Il se souvient de chaque souvenir qu’il raconte. “Je me souviens encore, ma première exposition, mes parents avaient dû me sortir de force parce que je ne voulais pas quitter l’endroit.” Tout souriant à l’évocation de ces moments heureux, faisant fonctionner une partie de sa mémoire qu’il n’utilisait pas aussi souvent qu’il le voulait. “Et depuis, je suis tombé amoureux de ces morceaux de ferraille. Et pour rien au monde j’échangerais mon boulot.” Il venait finir son verre, pour lui demander. “Mais maintenant que tu n’es plus de l’armée, tu fais quoi? T’as pas eu trop de mal à te reconvertir? J’sais que ça peut vite être la merde sur ce sujet là !” Finissait-il, curieux d’abord, mais surtout à présent voulant en savoir un peu plus sur son ancienne collègue de travail.