Cette chaude journée d’été est tout bonnement parfaite pour s’envoyer en l’air.
Voilà une phrase de circonstance, sans aucune arrière pensée, qui me fait tant sourire, tandis que je traverse la piste d’atterrissage, mon sac à dos dans les mains, dévorant des yeux ce ciel que je ne vais pas tarder à rejoindre. Cette immensité qui m’appelle, ces sensations que je vais bientôt retrouver. Je suis si impatient, pire qu’un gosse le matin de Noël!
Bon, l’idée de passer une nuit agréable en compagnie d’une jeune femme est une option que je garde sous le coude, malgré tout. Mais qui ne semble pas être au programme de la soirée à venir: J’ai toujours en tête ces étranges retrouvailles avec Magda que j’ai vécu il y a quelques jours. Tomber nez à nez avec son amour de jeunesse est une expérience aussi inconfortable que surprenante, surtout quand elle n’a jamais vraiment quitté mon coeur! Mais je tente de conserver la tête froide: Ce matin, je ne suis pas Stefan le coureur de jupon, ni même le pompier volontaire et engagé ou encore le chauffeur Uber que je suis parfois quand je tente de faire des extras afin de mettre un peu de beurre dans les épinards.
Non, ce jour là, j’avais revêtu la casquette du moniteur de sauts en parachute, j’étais très concentré sur ma tâche: Accompagner une jeune femme qui s’était inscrite, sans doute friande de sensations fortes ou ayant sans doute reçu un bon cadeau afin d’efffectuer son premier saut. Quoi qu’il en soit, j’étais celui qui l’accompagnerait lors de sa chute dans le vide, je devais donc être aussi rassurant que professionnel.
Déjà équipé, je venais de rejoindre le pilote de l’avion qui allait nous conduire directement au septième ciel et à qui je m’empressais de piquer une cigarette. L’allumant grâce au briquet également emprunté à ce pauvre bougre, nous échangions quelques mots d’une effarante banalité quand soudain, je repère le patron du club, me faisant de grandes signes des bras. Laissant filer mon mégot vers le sol, je l’écrase d’un coup de pied violent, l’attrape dans mes mains afin de pouvoir le jeter dès que possible dans une poubelle (sans être un fervent écolo, j’avais à coeur de ne pas polluer davantage cette pauvre Terre qui souffrait le martyr) et me dirigeait dans sa direction, presque en courant. Aux côtés de mon ami, une jolie jeune brune, au visage quelque peu tordu par l’angoisse, sans doute. Après avoir compris que c’était ma cliente pour la matinée, je tends une main chaleureuse vers elle et lui lance, comme usuelle entrée en matière:
Bonjour, enchanté, je suis Stefan, votre instructeur de vol.
Je lance un sourire sincère à ce jolie brin de femme, dont le visage me dit vaguement quelque chose. Mais où ai-je pu la rencontrer? Je suis certain de la connaître.
Cherchant dans les tréfonds de ma mémoire, je continue de sourire bêtement, n’oubliant pas l’impatience qui ne cesse de gagner mes tripes.
Quand on aime les sensations fortes, on ne résiste pas longtemps à son appel, c’est bien connu!

Cela faisait longtemps que Luna n’avait pas pris de temps pour elle. En ce moment, elle enchaînait les journées fatigantes entre son boulot en résidence à l’hôpital de Monterey où elle avait récemment été admise en tant que médecin urgentiste et son autre travail à mi-temps dans la clinique privée MOM&ME, qui accueillait continuellement des mamans, futures mamans et enfants. Luna commençait à trouver son rythme dans toute cette agitation, parvenant à faire garder sa petite fille de six ans qui entrerait bientôt à l’école, en septembre. En attendant, elle passait des bras de Randy, à ceux de sa mère ou de la nourrice de la petite. Elle n’osait pas trop la donner à Darwin, qui faisait une grimace chaque fois que Freya était dans la même pièce que lui - de quoi tordre de rire Luna qui s’amusait de cette peur pour les enfants. Pourtant, Freya n’était pas une enfant méchante, certes elle pleurait et faisait quelques crises de temps à autre mais elle ne l’avait jamais mordu ou fait accusé de quelque chose qu’il n’avait pas fait comme certains des enfants de son âge étaient capables de le faire.

Maintenant qu’elle trouvait petit à petit son rythme, Luna avait décidé qu’elle allait prendre le temps de s’occuper d’elle. Sur ces dernières années, elle s’était oubliée, se battant pour obtenir son diplôme de médecin urgentiste tout en s’occupant d’une enfant en bas-âge avec toute l’aide qu’elle avait pu trouver. Luna savait qu’elle avait de la chance d’être très bien accompagnée, en particulier du côté de ses amis ; aujourd’hui, elle avait confié Freya une nouvelle fois à Randy, qui avait accueilli la nouvelle avec un grand sourire. La réservation de la demoiselle était dans moins de vingt minutes. Elle se dépêcha donc d’arriver à un centre qui permettait de faire des sauts en parachute ; de quoi s’envoyer en l’air sans mauvais jeu de mots. Tout sourire, l’amatrice de sensations fortes se laissa guider jusqu’à son moniteur de vol, des étoiles pétillantes dans ses yeux d’enfant. Elle avait rêvé de ce jour depuis qu’elle était gamine et elle y était enfin : prête à prendre son envol.

Elle apprécia le joli sourire de son moniteur en lui attrapant la main pour la serrer. Elle resta plantée là un instant, les deux mains dans la main comme s’ils se sondaient le visage. Luna était persuadée de l’avoir déjà croisé quelque part sans savoir où. Un patient ? Un ambulancier ou un pompier ? Peut-être une rencontre lors de l’un de ses stages universitaires à l’étranger ? Elle avait rencontré tellement de monde dans sa vie qu’elle n’était plus très sûre où est-ce qu’elle avait pu le croiser.

« Enchantée, votre élève de vol. » dit-elle en rigolant avant de retirer sa main. « On y va ou vous comptez rester planté là ? » ajouta-t-elle en blaguant, un sourire espiègle collé au visage. Toute excitée, elle passa devant son instructeur de vol, se dandinant presque d’une jambe sur l’autre tellement elle était contente, prenant une direction au hasard sans trop savoir où elle allait. Elle était si heureuse de pouvoir prendre du temps pour elle qu’elle se retenait presque de laisser exploser sa joie.

J’étais, je devais bien l’avouer, complètement dérouté par l’attitude de mon élève du jour. Elle semblait… terriblement à l’aise! D’ordinaire, je tombais soit face à des visages dépités, loin d’être rassuré par l’exercice auquel nous allions nous adonner ou alors, il s’agissait de mordus de sensations fortes qu’il fallait malgré tout canaliser. Sauter en parachute était une activité dangereuse et certains clients semblaient l’avoir oublié. En tant que moniteur, mon devoir était d’encadrer l’exercice, apporter toute la sécurité possible afin que le saut soit une réussite. Notre principale crainte, à mon patron et au reste de l'équipe? L’accident, évidemment. Et même si j’étais un assoiffé dans le genre, je ne prenais pas de risques inutiles. Tout ce que je cherchais en sautant, c’est de me sentir vivant. Je me voyais mal dévorer la vie comme je l’entends si je me retrouvais cloué dans un fauteuil roulant. Et bien que je ne pouvais faire contre le destin, je m'efforçais de ne pas trop le provoquer malgré tout.
Suite à mon sourire et à ma poignée de main, la jolie jeune inconnue m’envoya une réplique à laquelle je ne m’attendais pas. Quelle assurance! Légèrement déstabilisé, je lui réponds, bafouillant presque:
Oh bien sûr, allons-y! Je vous… Enfin, suivez moi. Nous allons déjà nous occuper de la partie sécurité.
Oui, je reprends le contrôle de la situation, moi qui me sens si perturbé par la manière dont elle m’a répondu. Pourquoi un tel sentiment? Oh, j’étais habitué à ce que la gente féminine soit surprenante, bien entendu. Mais d’ordinaire, JE contrôlais la situation, JE menais la discussion et JE guidais cette danse qu’on appelait “séduction”. Mais dans ce cas précis, je n’étais pas du tout en position de force, j’étais au travail. Je me devais de conserver une attitude professionnelle à toute épreuve et même si l’envie de draguer cette cliente ne me manquait pas, je devais me concentrer.
Une chose après l’autre. Peut-être qu’une fois le saut effectué et si elle n’avait pas rendu son petit déjeuner… Je pouvais l’inviter à boire un verre.
Secouant la tête pour me forcer à oublier ce genre de scénarios perturbants, je faisais mon entrée dans le hangar, me dirigeant vers une pièce isolée qui servait de bureau et de passage incontournable avant de nous équiper. Je prenais le temps, environ un petit quart d’heure, pour présenter le déroulé du saut et toutes les étapes qu’il fallait respecter. Certes, c’est le moment le plus ennuyant du saut mais c’est également une entrée en matière qui permet de cadrer l'événement. Je m’arrête à une seule reprise, afin d’avaler quelques gorgées d’eau, ma bouche étant devenue sèche à force de parler mais malgré tout, je reste concentré sur mon objectif: apporter toutes les informations nécessaires à ma cliente afin que nous soyons en phase, tous les deux, lorsque nous allons nous retrouver dans le ciel, nous jetant d’un avion afin d’amorcer une descente inoubliable à ses yeux.
J’interromps mes explications, bien trop perturbé par cet air de déjà vu qui ne me quitte pas. C’est plus fort que moi, je n’arrête pas d’y penser. Tournant à présent le dos au tableau blanc qui comporte une trace écrite de mon monologue, je pointe le feutre dans sa direction et ose lui poser la question qui m'obsède depuis de trop longues minutes:
Je… On se connaît non? Je suis certain de vous avoir déjà vu. J’suis désolé, ça me tracasse.
La dernière remarque était un peu exagéré mais j’étais une sacrée tête de mule: je me connais, si ce détail me reste dans un coin de la tête, je ne serais pas à cent pour cent de mes capacités.
Ce serait bien dommage de ne pas avoir l’esprit tranquille alors que nous nous apprêtons à faire le grand saut!

Avec les choses de la vie, si Luna était autrefois l’enfant timide qui n’avait pas confiance en elle et qui n’osait pas faire quoi que ce soit, c’était tout le contraire désormais. Lorsqu’elle est devenue maman, à force de voyager et en terminant son diplôme, Luna avait su qu’elle avait dompté la vie, enfin. Et l’une de ses plus grosses frayeurs : aller parler sans problème aux gens qu’elle ne connaissait pas, passer un appel sans avoir la frousse, la timidité en somme. Aujourd’hui, elle montrait sa confiance en elle par sa façon d’être. Elle semblait n’avoir plus peur de rien. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle avait décidé qu’aujourd’hui, elle allait faire un saut en parachute.

Parfois, elle cachait même sa timidité sous une carapace de brusquerie. Un peu comme elle venait de le faire auprès de son moniteur de vol. Il faut dire qu’elle avait grandement été déstabilisée par celui-ci quand elle avait l’impression de faire affaire avec quelqu’un qu’elle connaissait déjà. Puis, faut dire qu’elle trouvait ce petit visage dérouté assez mignon, alors forcément, elle se devait de cacher cela tout de suite. Elle n’était pas là pour ça, bien au contraire.
Luna le suivit dans le hangar, entrant dans une pièce qui lui semblait un peu trop isolée à son goût. Regardant autour d’elle, elle réfléchissait déjà aux manières possibles de s’échapper - on ne sait jamais. En revanche, tout en l’écoutant parler et en s’équipant, Luna laissa doucement les muscles de son corps se détendre. Elle découvrait une voix apaisante, un lieu plus intime qu’isolé, un moment privilégié. Tandis qu’elle buvait ses paroles, elle sentait la peur commencer à lui arracher les tripes. Elle sentait désormais qu’elle allait vraiment le faire ce saut. Ça l’excitait autant que ça l’effrayait mais elle tenta de ne pas avoir un visage qu’on peut lire comme un livre ouvert.

Soudain, son instructeur se retourna vers elle et la pointa du feutre. Son cœur loupa un battement puis elle se reprit.

« Euh et bien, je … Bonne question. Peut-être ? Si vous avez déjà amené un patient aux urgences de Monterey, ça se pourrait. Pour être honnête, j’ai aussi eu l’impression de vous reconnaître mais je … je n’osais pas vous demander, je pourrais me tromper. »

Pourtant, cette fois-ci, son intuition avait été bonne. Elle le connaissait. Mais d’où ?

Il n’y avait rien à faire, malgré ma farouche volonté de me concentrer sur l’instant présent, sur cette préparation qui était capitale pour le bon déroulement du saut, je n’arrivais pas à me sortir de la tête cette drôle d’impression que ma cliente du jour ne m’était pas si inconnue que ça. Rompant enfin la glace en osant enfin lui poser la fameuse question, je haussais les sourcils en l’entendant me répondre qu’elle avait aussi la certitude de me connaître. C’est drôle, ça. Je me devais de trouver l’origine de notre potentielle rencontre, ça me trottait trop en tête, je ne pouvais pas passer au dessus de ce détail. Posant le feutre contre mes lèvres closes, je me mis à penser à voix haute:

Mmm… L’hôpital, je ne sais pas, je suis pompier et en effet, j’ai déjà eu l’occasion d’amener des personnes blessés mais…

Et soudain, oui, ça me revenait! Comme un flash lumineux sous mes paupières, j'écarquille les yeux et jette mon feutre sur la table pour plonger un de mes poings de l’autre paume de la main et rétorquer, tout sourire, très heureux d’avoir enfin mis le doigt sur ce souvenir presque oublié:

Mais oui, c’est ça! Vous êtes… Vous travaillez à l’hôpital! J’étais la personne chargée de conduire cette pauvre Madame Simons, après sa vilaine chute dans l’escalier, l’autre jour. Fracture du fémur, c’était assez moche, la pauvre grand-mère n’a même pas eu la visite de sa famille.

Oui, c’était donc grâce à nos professions que nous avons déjà eu le plaisir de nous croiser. Quel soulagement! Je suis du genre têtu, j’avais du mal à passer au-dessus de questions sans réponse, je ne le supportais tout simplement pas. Du coin de l'œil, je repérais le maître des lieux, qui me fit signe que tout était prêt, pour le saut de ma cliente. Opinant du chef, je lui tendis la main et lui demanda, d’une voix douce:

Bon… T’es prête? C’est parti? Et puis… Tu m’as pas donné ton prénom, histoire que ça soit un peu moins stressant, pour toi. Tu connais déjà le mien et j’peux pas t’appeler “Esteves” pour le reste de la journée…

Oui, j’ai une mémoire infaillible, surtout en ce qui concerne les noms. Je me souviens à présent l’avoir lu sur son badge, épinglé sur la poche de sa blouse, à l’hôpital. Maintenant que ma mémoire était ravivée, tout me revenait en tête. Mais nous n’avons plus le temps, nous devons nous mettre en route. Direction l’avion, de l’autre côté du terrain, que nous traversons presque en courant. J’aide ma fameuse cliente dont je connais à présent davantage de détails à monter à l’intérieur, avant de moi-même me hisser à ses côtés, poussant un cri de jouissance.
Que j’avais hâte de sauter, une fois de plus, et de ressentir cette formidable sensation dans la poitrine!
Mon sourire redouble tandis que l’avion se positionne afin de prendre de la vitesse pour rejoindre le ciel. Tapant dans mes mains, je hausse la voix pour demander à la jolie brune:

Alors, ça y est, le grand moment arrive! T’as le trac?

Naturellement, je faufile ma main dans la sienne, la serre doucement. J’imagine à quel point elle doit être stressée, apeurée…
Mais elle n’a rien à craindre. Je suis avec elle.
Et j’aimerais bien connaître son prénom, au fait!

Impossible pour le moment de déterminer d’où est-ce qu’elle connaissait ce jeune homme. Une chose était sûre, en le dévisageant, Luna le trouvait plutôt charmant avec sa petite barbe blonde et ses airs à la fois stricte, dur et doux. C’était un mélange où Luna comprenait qu’il ne fallait pas trop l’emmerder mais qu’au fond, il était un très bel homme. Elle détailla rapidement son corps d’athlète, ses bras protecteurs et se surprit à vouloir s’y blottir. Puis elle se reprit. Elle rigola en le voyant avoir une illumination. Ses mimiques étaient particulièrement mignonnes. Il était attachant.

« Oh le pompier qui a ramené Madame Simons, mais oui ! Je me disais bien que je t’avais déjà vu quelque part ! »

Elle devait admettre qu’il était très bon car elle aurait eu beaucoup plus de mal à se rappeler de lui. Entre le personnel de l’hôpital qu’elle ne connaissait pas totalement, les pompiers, les patients aux urgences, ceux qui entraient et sortaient de l’hôpital sans même passer par son secteur … Il existait beaucoup de monde. Puis il y avait toujours les parents d’enfants, maintenant que Freya allait à l’école, ça aurait pu être des amis de son groupe d’amis. Bref, tout un tas de personnes.

« Eh bien figure-toi que Madame Simons va très bien aujourd’hui. C’est une sacrée battante. Je passais la voir parfois comme elle n’avait personne. Elle est un peu chiante, sans mentir mais au fond, c’est une dame particulièrement adorable. Je crois qu’il faut juste apprendre à la connaître et savoir lui parler. Elle marche presque aussi bien qu’avant maintenant, c’est génial pour une personne de son âge de se remettre aussi bien. »

Constatant qu’elle s’était laissé aller aux explications, elle se tut et l’encouragea à poursuivre son petit cours d’un simple geste de la main. Elle comprit assez rapidement qu’en fait, il avait déjà terminé ses explications. Un petit sourire sur les lèvres, elle se leva. Elle prit sa main puissante - à côté de ses petits doigts, elle paraissait immense - et eut un sentiment rassurant et chaleureux qui la traversa.

« Oh, tu t’en rappelles … Mmh. Dr. Esteves, ça suffira pour toi ! Non, je rigole. Je m’appelle Luna. Je suis prête, j’ai hâte ! Je te préviens d’avance, je risque d’être moins assurée que ça quand on sera devant le fait accompli et qu’il faudra y aller. Mais j’ai trop envie de le faire, alors allons-y ! »

Elle le suivit presque en courant jusqu’à l’avion et se laissa aider par son instructeur pour monter dedans. Pendant toute la durée de l’attente, elle sentit son stress décupler et elle n’était désormais plus aussi sûre de vouloir sauter. Elle avait envie mais la peur se faisait de plus en plus puissante, si bien qu’elle avait la jambe qui tremblait d’impatience et de stress.

« Ouais … Mais t’es là, on va dire que ça va aller. »

Elle souffla pour se donner du courage. Lorsqu’il attrapa sa main, elle sentit une vague de chaleur passer à travers elle et se demanda s’il faisait la même chose avec les autres jolies jeunes femmes qui venaient faire un saut ici. Elle croisa son regard, s’y perdit un instant puis laissa son calme apaiser son cœur. Elle se sentit prête près de lui. Sa jambe avait cessé de trépigner, son cœur tentait de se ralentir. Elle serra sa main un peu plus fort, pour marquer autant son stress qu’un début d’apaisement. On y était presque … Et elle avait perdu toute la confiance qu’elle avait en elle quelques minutes auparavant.

Enfin, le quiproquo est levé. J’ai même le droit à un rapide résumé sur la situation de Madame Simons, qui se porte comme un charme, ce qui ne m’étonne guère, elle nous enterra tous, j'en suis persuadé, ça peut se lire, dans le plus profond de son iris. Nous arrivons, chacun à notre tour, à déterminer d’où nous nous connaissons. Le monde est petit, quand on y pense. Mais je dois bien m’y attendre, à force de faire des rencontres, je suis amené à les retrouver, tôt ou tard.
Sauf avec Magda. La seule femme au monde que j’aurais espéré revoir, encore et encore, jour après jour, sans m’en lasser une seule seconde. Et puis… La désillusion. L’absence. Qui se prolonge, d’année en année.
Non, Stefan, ne laisse pas ce tourbillon de négativité t’emporter.
Concentre-toi. Tu es au travail et la sécurité de la jolie brune est entre tes mains. Enfin… Tes bras et ton torse, plus précisément. Recentre toi, il s'agirait d'être efficace, rassurant. Et ne pas montrer le moindre signe de faiblesse.
Nous grimpons dans l’avion, prenons de la hauteur, tentons de contrôler nos respirations, que nos cœurs s’apaisent, qu'ils battent au même tempo, que l’angoisse n’occupe pas tout l’espace.
Mais mon sourire redouble, j’ai si hâte. Tel un gosse la veille de Noël, je suis d’une rare impatience.
Ça y est, le grand moment arrive. Celui où nous nous apprêtons à nous jeter dans le vide.
Cette sensation, je la connais par cœur et pourtant, je ne peux éviter le pincement qui se propage dans ma poitrine. Au contraire, il est galvanisant, il me fait me sentir si vivant.
Mon appétit est toujours dévorant quand il s’agit de sensations fortes. Je ne pourrais pas m’en passer, pour rien au monde, et c’est une concession que je suis pas prêt de fournir, pour qui que ce soit. Ce sentiment de liberté est trop précieux, c’est ce que j’ai de plus cher dans ma vie.
Et aujourd’hui, Luna m’accompagne. Je vais la protéger et fournir tous les efforts nécessaires afin que sa grande première soit inoubliable.
Laissant la brune quasiment me broyer la main sans rechigner, j’ajuste mes lunettes, mon casque, mon sac à dos contenant le parachute, ce qui va nous rattacher à la vie durant notre saut. Après un vague hochement de tête en direction du pilote, j’attrape la porte de l’avion, l’ouvre.
L’air s’engouffre, il est d’une rare violence. Nous avons de la chance, le ciel est sans nuage, tout est parfait, rien ne trouble son immensité.
À part deux êtres humains qui s’apprêtent à jouer aux oiseaux, sans pour autant se brûler les ailes.
Attrapant Luna par les hanches, je la colle sur mon torse, m’occupe de l’arnacher comme il se doit. Malgré le boucan qui emplit l’intérieur de l’avion, j’arrive à me faufiler jusqu’à son oreille gauche et quasiment lui hurler, la pauvre:

T’es prête? Allez… GO!

Attendre une réponse de sa part? Pour quoi faire?
Mon pied glisse sur le rebord, et voilà.
Nous flottons.
Ma position est impeccable, presque naturelle. Je savoure chaque seconde de notre descente qui file tel les grains de sable, tel le Temps, tel les plaisirs simples de la vie. J’arrive à sourire mais n’oublie pas mon objectif: que tout se passe pour le mieux du point de vue de Luna. Bien trop vite à mon goût, il est temps d’ouvrir le parachute et de rejoindre la terre ferme. Tentant d’être le plus adroit et délicat que possible, nous débarquons dans la zone d'atterrissage, tandis que le reste du staff n’est pas loin, pour les situations de crise, on ne sait jamais.
Pourtant, avec moi, ils devraient savoir que tout est sous contrôle.
Poussant des cris de satisfaction, tel un enfant surexcité, je tapote l’épaule de la brune et demande, d’une voix presque inquiète:

Luna… Luna, t’es avec moi?

Elle est étalée sur mon corps, je n’ose bouger. À peine respirer malgré l'effort intense que je viens de fournir.
Putain, j’espère qu’elle est pas tombée dans les pommes… Ce serait bien la première fois qu’une femme succombe à mon charme de manière aussi brutale!

Sauter dans le vide.
C’était quelque chose que Luna avait voulu faire en commandant un vol d’initiation toute seule, comme une grande. Elle avait laissé sa fille à une nourrice et elle avait décidé de se lancer. Seulement, plus elle se rapprochait du moment fatidique et plus le stress montait en elle. Déjà, lorsqu’ils étaient montés dans l’avion et qu’ils avaient décollé, Luna avait commencé à sentir cette pointe d’adrénaline dans son cœur qui souhaitait presque reculer.
De nature parfois timide et peureuse, Luna essayait tant bien que mal à chaque fois de dépasser cette peur pour se battre et découvrir de nouvelles choses. Elle aimait les sensations fortes mais quand le danger était bien trop présent, elle faisait trois pas en arrière. Et depuis qu’elle était devenue maman, cette peur irrationnelle était devenue encore plus forte.

Aujourd’hui, pourtant, elle savait qu’elle allait le faire. Déjà parce qu’elle allait se laisser porter par son moniteur de vol mais aussi parce qu’elle avait terriblement envie de sauter. Enfin, belle et dernière raison : son moniteur était mignon. Et gentil. Ses bras forts la rassurait. Elle sentait que ça faisait longtemps qu’elle ne s’était pas sentie autant en sécurité auprès d’un homme. Elle chercha son regard pendant qu’il l’arnachait. Elle tentait de calmer sa respiration.
La porte s’ouvrit brusquement et un vent violent la fit presque tanguer. La peur fit battre son cœur si fort qu’elle l’entendait jusque dans ses tempes. Elle aurait voulu attraper les mains de son moniteur ou le prendre dans ses bras pour se sentir plus rassurée, mais sa position l’en empêchait.

Elle sentit son souffle près de son oreille et elle crut l’entendre crier qu’ils allaient y aller. L’instant d’après, elle était dans les airs. Elle lâcha un cri de surprise. L’adrénaline la transcendait, le paysage était magnifique au loin. Elle admira de longs instants les environs avant de regarder sous elle. La terre se rapprochait vite, trop vite même. Son cœur se mit à paniquer, son cerveau imagina tous les scénarios possibles et juste avant de s’évanouir, Luna pensa à sa fille.
À peine quelques instants plus tard, elle entendait la voix de Stefan qui l’appelait. Elle ouvrit les yeux, découvrit qu’ils étaient déjà en bas et se releva en s’appuyant sur lui.

— Mon dieu, je suis désolée … Quand j’ai vu la terre se rapprocher, je crois que j’ai commencé à paniquer inconsciemment et mon corps m’a lâché.

Elle en pouffa de rire, un peu gênée.

— Par contre, l’expérience est magique. Moi qui adore les sensations fortes, j’ai été servie. Je ne sais pas comment tu fais pour faire ça tous les jours. Ça te fait encore quelque chose, après l’avoir fait tant de fois ?

Elle aurait aimé le prendre dans ses bras pour faire calmer encore un peu son cœur, mais elle n’osa pas. Parce que ce n’était pas normal d’attaquer l’espace personnel d’une personne qu’on ne connaît pas.

La descente a été sensationnelle. Parfaitement contrôlée, je suis plutôt fier de moi, mon expérience et ma maîtrise en la matière s’est une nouvelle fois confirmée. J’ai assuré comme un chef, y’a pas d’autres mots. Moi, égocentrique? Pas le moins du monde. Il ne faut pas minimiser ma responsabilité, j’ai tout de même la vie d’une jeune femme entre mes bras, quand même! Mais fort heureusement, tout s’est déroulé à merveille. Pas de blessé ou de mort au compteur! Enfin… je l’espère? Je dois avouer que je commence à paniquer quand je réalise que je ne sens plus Luna bouger. Nous sommes allongés à même l’herbe grasse et quelque peu glissante, son corps sur le mien ne semble plus répondre à mes appels. Mais enfin, laissant échapper un long grognement, j’entends la voix de la nouvelle baptisée s’élever. Soulagé, tout autant que le reste de l’équipe qui nous entoure, je finis par hausser le ton et dire, tout en me redressant tant bien que mal:

Putain, Luna, tu m’as fais peur, sérieux! J’pensais que t’avais passer l’arme à gauche.

Mais je finis par rejoindre mon rire au sien, laissant l’angoisse me quitter. Après tout, c’était un formidable instant de grâce! Et mon coeur reprend un rythme normal, n’effectue plus de louper si désagréable. Tandis que je me lève et qu’avec le soutien de mes coéquipiers, je retire l’intégralité de mon équipement ainsi que celui de Luna, avec qui je fais preuve d’un peu plus de douceur, je l’écoute me questionner. Bonne pioche, je dois dire. Elle ne manque pas de jugeote, son interrogation est parfaitement légitime. Mon regard planté dans le sien, je choisis mes paroles avec soin mais lui réponds enfin, le haut de ma combinaison ouvert, les manches tombant sur mes cuisses musclés:

Non, je ne me lasse jamais. Bien sûr, c’est encore plus intense à chaque fois. Tu vois, c’est comme coucher avec quelqu’un, tu connais la marche à suivre mais ça ne t’empêche pas de recommencer et d’apprécier tout autant l’expérience.

Bon, la comparaison est peut-être un peu trop… too much. Mais je n’ai aucune imagination, je n’ai rien trouvé de mieux à offrir. Faut dire que niveau cul, j’ai plutôt matière à discuter durant des heures. Et puis… Ce n’est que la simple vérité, n’est ce pas? Difficile à expliquer, ce qu’on ressent quand on aime à ce point les sensations fortes. C’est comme si on commençait à manquer d’air, dès que l’idée d’effectuer une aventure sensationnelle et hors du commun frappait à la porte de mon esprit. Je suis perpétuellement en quête de sensations, pour me sentir encore plus vivant que la veille. Je suis accro, c’est indéniable. Mais mon appétit étant enfin assouvi, je me racle la gorge et me dirige vers la buvette de l’association et propose à Luna, d’une voix fluide et naturelle:

… T’as du temps, pour un petit remontant? J’ai toujours une tradition à effectuer, après un saut en parachute.

Sourire mystérieux qui apparaît sur mes lèvres… Faut dire qu’en effet, je ne déroge jamais à la règle. Faudrait surtout pas que je manque à mes rituels portes bonheurs.
Et puis, qui dirait non à un verre après une telle sensation? Luna semble être de la trempe à croquer la vie, à pleines dents, qui plus est.
Croisons les doigts pour qu’elle ne rende pas son petit déjeuner et finisse par s’enfuir en courant! Ce serait bien la première fois que je provoque cet effet, chez une femme…

Jamais de sa vie, elle n’avait fait un saut en parachute. Elle pensait que ça ressemblait un peu au grand 8 qu’on fait quand on va faire les parcs d’attractions. Luna avait eu l’occasion d’en faire tellement dans sa vie qu’elle s’était dit que l’adrénaline qu’on ressentait dans les cieux était la même que celle dans les attractions. Au contraire, l’adrénaline ressentie était décuplée par 100, si bien qu’elle avait ressenti que son corps l’avait lâché. Une absence de réponse, un trou noir d’un instant. Pourtant, elle était accompagnée, elle le sentait, d’un des meilleurs instructeurs. Bon, bienveillant, drôle, puis bon, il fallait se l’avouer, sexy. Mais elle n’aurait jamais pensé qu’en sautant en parachute, elle finirait par s’évanouir. Qu’est-ce qui faisait qu’on s’évanouissait dans les airs ? Bonne question. Il fallait lui demander. En tout cas, ça ferait une très bonne anecdote à raconter quand elle en parlerait à ses amis. Elle qui avait toutes les cartes en main, avait eu la sensation de tout ruiner en tombant dans les pommes. En revanche, tout ce qu’elle avait pu vivre, au début, avait été si sensationnel qu’elle en aurait des souvenirs toute sa vie. Elle souhaitait désormais que sa fille, quand elle serait plus vieille, puisse vivre elle aussi ce genre d’expériences incroyables. C’était à faire, au moins dans une vie.

« Merde, je suis sincèrement désolée ! Je comprends pas, je regardais, je t’entendais puis ma vision se trouble et black out. Ça arrive souvent ça, des personnes qui tombent dans les pommes pendant le vol ? Tu sais c’est dû à quoi ? »

Elle panique un peu, se demande si c’est seulement elle qui est tombée dans les pommes, si c’est rare ou commun. Si c’est signe de quoi que ce soit. Luna est une femme inquiète dans la vie, un peu sensible mais surtout, elle réfléchit beaucoup trop. Elle se pose trop de questions pour des choses qu’elle s’imagine. Elle interprète bien trop, voit trop loin. Parfois, il faut juste la rassurer et son cerveau se remet en ordre de lui-même. Il cesse de trop penser.
Luna laissa les collègues de Stefan l’aider à retirer son équipement, essayant encore de réaliser ce qu’il venait de se passer. Ça y est, elle avait fait un saut en parachute, putain ! Elle y était parvenue, passant au-dessus de sa timidité, de sa peur. La petite confiance qu’elle avait en elle gagna un nouveau niveau avec cette expérience et le sourire aux lèvres, les mains encore un peu moites, elle rendit ses équipements fièrement.
Après sa question, la réponse de Stefan fut assez drôle : il faut dire que sa comparaison était assez … logique, imagée, mais un peu intime. Mais Luna n’était pas fermée à parler sur ce genre de sujets : pas de tabou avec elle. Elle en rigola.

« Ah, okay, je vois ! Bonne comparaison, je dois dire. Au moins, j’ai tout de suite compris ce que tu voulais dire par là. Est-ce que tu dirais que ça fait comme les parcs d’attraction ? Quand tu fais l’attraction qui te fait le plus de sensations, tu pourrais le refaire encore et encore ? C’est que de l’adrénaline, en fait … » Elle réfléchissait à voix haute. « On peut tomber addict du saut en parachute. Addict à l’adrénaline qu’elle procure. J’espère que ça ne t’arrivera pas ! » dit-elle en se moquant légèrement de lui, le sourire toujours accroché à ses lèvres.

Le casque libéra ses cheveux blonds et elle enleva le chouchou qu’elle avait utilisé pour les mettre en queue de cheval. Désormais, ils retombaient en cascade sur ses épaules. Elle suivit Stefan jusqu’à la buvette du club, se disant qu’elle allait bientôt devoir rentrer. Elle allait retrouver sa fille. L’expérience lui avait semblé courte, maintenant qu’elle sentait qu’elle allait devoir partir. Elle aurait aimé prolonger encore un petit peu tout ça, peut-être en passant un peu de temps avec cet homme ; mais qui lui disait qu’il était intéressé ? Qu’il n’avait pas autre chose à faire ?

« Oh euh … » La question était soudaine, si liée à ses pensées qu’elle en fut surprise. Elle se demandait si la fameuse “tradition” dont il parlait était une façon de lui proposer un verre ou s’il faisait ça avec tout le monde. Elle haussa les épaules, pensa à sa fille, au fait qu’elle devrait reprendre la voix pour rentrer. « Bon, d’accord, mais juste un verre ! Je prends la route après. Vous avez quoi ? De la bière ou quelque chose de plus … fort ? » Elle aurait dû céder à une petite bière, mais quand ça sentait l’air de la fête dans l’air, Luna avait envie de se laisser aller. Elle voulait se lâcher, boire un bon coup, commencer fort et tout donner. Rigoler, taper des fous rires, avoir des délires. Mais elle n’était ni en soirée, ni avec ses potes. Peut-être que son engouement soudain était un peu trop décalé par rapport à la situation. Elle laissa son coeur se calmer en calculant sa respiration. « Peut-être qu’il faudrait éviter de trop se lâcher, en vrai. Tout ça, ça me donne envie de boire un verre de rhum ou de vodka, mais en vrai, faudrait que je reste soft … C’est pas raisonnable. »

Le saut est passé, certes, mais l’expérience ne s’arrête pas là pour autant. Mon rôle, en tant que moniteur, est de m’assurer que mon élève soit en parfaite santé, reprenne correctement ses esprits après un tel choc autant sur le plan physique que psychologique. Je sais, mieux que quiconque, à quel point le saut en parachute peut déstabiliser mais je suis d’une nature aventureuse, cherchant continuellement le flux de sensations fortes, afin de me sentir aussi vivant et secoué que possible. Je sais que tout le monde ne partage pas cette envie, mais je sens que Luna, bien qu’elle soit déboussolée, a tenu le coup et je suis excessivement fier d’elle, elle a assuré avec brio. Le reste de l’équipe s’occupe de la débarrasser, tandis que je m’occupe de cette partie, dans mon cas, en parfaite autonomie. Malgré tout, je garde toujours un œil sur Luna, souhaitant sincèrement qu’elle ne va pas tomber dans les pommes d’une minute à l’autre. Me voulant rassurant, j’attrape Luna par les épaules, les frictionnant avec vigueur mais également bienveillance et lui apporte une bribe de réponse:

Oui, c’est normal, c’est l’adrénaline qui descend. Avec le temps et la multiplication des sauts, on s’y fait… Mais ça n’enlève en rien le plaisir, rassure toi. Et je suis ravi que la métaphore ne t’ai pas brusqué, je dois dire que je n’en avais pas de meilleur sous le coude! Et je dois te faire une confidence… Je suis un véritable accro. Plus addict que moi, tu ne trouveras pas, c’est certain!

Je me contiens d’exploser de rire mais je sens que Luna reprend du poil de la bête, son visage devient moins livide, ses joues reprennent des couleurs. Je tente de ne pas la fixer trop intensément, je ne veux pas paraître insistant ou passer pour l’obsédé de service. Mais après tout, ça fait partie des points à contrôler, non mais oh! Je suis bien obligé de dévorer son regard des yeux, c’est une nécessité professionnelle.
Quand Luna retire son casque, laissant ainsi sa chevelure dégringoler sur ses épaules, je finis par détourner le regard, amusé mais aussi quelque peu gêné. Mais c’est qu’elle est vraiment mignonne, dis donc! Et ce qui me plaît davantage, c’est qu’elle ne refuse pas ma proposition de partager un verre afin de participer à mon rituel. Au contraire, je peux la sentir, dans mon dos, suivant mes pas, me questionnant avec fébrilité, m’informant qu’elle prend le temps de m’accompagner bien qu’elle souhaite retrouver au plus vite sa fille. À une de ses dernières remarques, je hausse les épaules et rit, tout en lui disant:

Raisonnable… C’est un mot qui ne fait pas partie de mon vocabulaire. Mais ne te tracasse pas, ce n’est pas si fort que ça, comme boisson. Juste un shooter à avaler, pour symboliser ce beau moment que tu viens de vivre. Ça va te requinquer, crois moi.

Nouveau clin d'œil complice, tandis que nous arrivons enfin devant le comptoir de la buvette de l’association. Je n’ai pas besoin de développer ma commande, Johnny pose deux minuscules verres juste devant nous, remplis d’un liquide d’une étrange couleur, dont un que j’attrape avec vigueur, tout en le levant en direction de mes lèvres, prêt à le descendre mais m’arrête quelques secondes afin d’expliquer à Luna:

Allez, cul sec. Et après, tu me racontes ce que tu penses avoir reconnu, comme saveur. T’es prête?

Nouvel échange de regard, tandis que je laisse l’alcool me brûler la gorge, tout en posant d’un coup sec le shooter sur le bois, laissant un cri de satisfaction envahir la pièce.
Putain, ça fait du bien par où ça passe, cette histoire!

L’adrénaline, dans les airs, est d’une puissance qu’elle n’aurait pu imaginer. Elle pensait que cela ressemblerait davantage à un tour en parc d’attraction mais en un peu plus long. Néanmoins, ce fut une explosion de sensations qu’elle n’avait encore jamais ressenti dans son corps, si bien que celui-ci avait fini par lâcher prise avant qu’elle n’ait eu le temps de dire « ouf ». Au moins, elle avait pu profiter du spectacle avant de fermer les yeux.
Elle écoutait les explications du jeune homme avec avidité et peut-être un peu d’admiration. Elle se rendait compte qu’elle appréciait ce côté fou et désireux d’adrénaline dans le corps. Elle avait été un peu pareil, avant sa fille, mais en moins puissant. Ce besoin de se sentir vivant, de tester de nouvelles choses, de sentir son corps planer. Mais elle se l’autorisait beaucoup moins depuis qu’elle avait eu Freya : chose qu’elle regrettait parfois mais elle y remédiait par des sorties insolites seule.

— Eh bah, madame doit être contente à la maison d’avoir un homme aussi fou de sensations. Je ne suis pas accro à l’adrénaline mais je ne vais pas te mentir, j’adore cette sensation qui nous traverse à chaque fois que notre cœur à l’air de se décrocher. Les parcs d’attraction, les expériences à sensation, le parkour …

Elle ressentait le besoin de lui évoquer ses expériences pour lui montrer qu’elle comprenait ce qu’il lui expliquait.
Tout en reprenant des couleurs, Luna se laisse se faire déséquiper et accepte, non sans modération, un petit shot. Elle n’avait jamais été contre faire la fête, boire un coup. Mais à son âge et dans sa situation, les responsabilités nous rattrapent inévitablement. Pourtant, si c’était à refaire, Luna n’hésiterait pas à garder sa petite princesse. Elle l’avait eu tôt mais elle était extrêmement heureuse d’avoir été une maman jeune. Elle sourit à son clin d’œil complice et manque de rougir mais détourne le regard. Il faut dire que le jeune homme est un brin charmeur avec un regard pénétrant. Mais elle a appris à ne pas laisser rentrer n’importe qui dans sa vie, surtout quand on élève un enfant seul. La seule chose qu’elle retint, c’est qu’il ne dit rien quand elle évoqua sa fille. Il n’avait pas tiquer. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Qu’il s’en fichait qu’elle ait un enfant ou qu’il n’était pas du tout intéressé par elle ?

En arrivant au comptoir, elle étudia pendant un moment le verre, plissant les yeux face à cette couleur particulièrement étrange.

— On dirait un truc à la mangue ou je sais pas, fruit de la passion … Je peux sentir … Oh d’accord, cul sec, merde, attends.

Elle but son verre sans réfléchir, n’ayant pas le temps de savoir d’avance à quoi correspondait ce somptueux mélange. Elle ouvrit grand la bouche, tandis que le liquide brûlait légèrement sa gorge. Elle apprécia néanmoins le goût et d’un sourire satisfait, elle posa le verre dans un petit bruit de tintement fier.

— Je crois qu’il faut que je regoûte pour essayer de déterminer le goût, j’ai pas encore eu assez le temps de l’apprécier … dit-elle avec un regard taquin envers le blond. Pendant que le mec du comptoir les servaient, elle enchaîna. Et du coup, ça fait longtemps que tu fais ça ? Moniteur de parachute ?

Je me sens tellement à ma place, ici. À Monterey. Moi qui ne me suis jamais réellement senti chez moi, je suis le premier surpris à être parfaitement à l’aise sur ces terres, à considérer cette ville comme mon foyer. Plusieurs personnes sont à l’origine de ces sensations nouvelles, qui pourraient presque m’effrayer: Ma grande soeur Sawyer, évidemment mais aussi ces amis, les Globe Trotters, comme on aime nous surnommer, cette famille que je me suis créé de toutes pièces et celle que je retrouve, lentement mais sûrement, les Salomon. Et puis, dans cette ville, j’ai l’opportunité de m’épanouir à 300%, surtout sur le plan professionnel. Jonglant entre pas moins de quatre activités, je déborde d’énergie et ne sait comment m’arrêter mais ma préférée reste sans aucun doute celle d’être moniteur de saut en parachute.
C’est que j’ai l’occasion de rencontrer du monde et dans des circonstances fabuleuses, à l’image de Luna. Elle me fait rire, à étudier avec beaucoup de concentration le contenu de son verre. Je ne peux pas passer à côté de cette tradition si symbolique à mes yeux, je me dois de lui faire découvrir ce rite de passage, elle l’a bien mérité après son saut, de tout à l’heure. Je souris doucement avant de lever mon bras en direction de mes lèvres, descendant d’une traite le contenu reste encore inconnu auprès de Luna, qui reste songeuse. Après avoir avalé mon premier verre, littéralement après quelques secondes, je repense soudainement à un détail qu’elle m’avait confié, tout à l’heure et décide de creuser à ce sujet, curieux comme je suis:

Au fait, tu as parlé de Parkour…? Tu peux m’expliquer ça plus en détail?

Je l’étudie du regard, me fait mille scénarios à son sujet, attendant une réponse malgré tout. Et puis, Luna avale son shooter, cul sec et m’annonce, à demi-mots, en vouloir un second. Hilare, je laisse ma joie contaminer l'atmosphère en éclatant franchement de rire et applaudit tout en demandant au tenancier:

Barman, t’as entendu la dame? Une autre tournée! Elle est sur une bonne piste, avec le fruit de la passion, en plus…

Je tapote de nouveau des mains sur le comptoir, au rythme de la musique passant comme fond sonore, un son que j’adore, Sugar, de Robin Schultz. Le genre de musique qui me donne envie d’être en été, sur la plage, à faire la fête, à fermer les yeux et à me laisser porter par une incroyable ambiance qui me ferait sentir si léger…
Et puis, je reviens brutalement sur Terre, à cause de l’intervention de Johnny, qui décide de laisser la bouteille entre nos deux minuscules verres désormais vides, faisant ainsi un fracas de tous les diables. Je crois qu’il a bien anticipé les choses, on ne risque pas de se décoller de ce comptoir avant longtemps. Gentleman dans l’âme, je m’occupe de servir un verre à Luna tout en souriant en écoutant sa question. Ne pouvant m’en empêcher, je lève mon shooter et lui propose un drôle de jeu, impulsion qui m’est venu sur l’instant:

Luna, t’en dis quoi si je te propose un échange de bons procédés? Je te donne une information sur moi si tu m’en donnes une. Et, comme je suis galant, je commence: je suis moniteur depuis quelques années, après avoir pratiqué plus d’heures que je ne peux les compter. Et toi, ta fille, elle a quel âge?

Et j’ajoute, presque sur une voix de défi, n’ayant certainement pas oublier l’illusion à peine voilée de tout à l’heure:

… Et puis, il n’y a pas de Madame qui m’attend à la maison. Je dis ça, je dis rien.

Nouveau verre qui claque contre le bois du comptoir. Nouveau regard courroucé de Johnny, exaspéré de mon attitude.
C’est quoi l’adage, déjà? Jamais deux sans trois?!
Alors… Feu à volonté!

C’était beau, l’adrénaline. Ce saut en parachute, seule, sans hésiter, elle avait foncé. Luna prenait enfin sa vie en main. Elle faisait des choses pour elle, arrêtant de tout faire pour les autres. Elle donnerait sa vie pour sa fille, évidemment, mais elle avait arrêté de vivre pour les autres. Naveen. Son père. Ses amis. Sa mère. C’était terminé. Elle avait besoin de se sentir libre, de se sentir vivre. L’impression d’être passée à côté de sa vie lui avait déjà traversé l’esprit les soirs où elle se sentait seule, la poussant à venir sauter en parachute pour la première fois, sur un coup de tête. Ce coup de tête était bénéfique pour le moment puisqu’elle avait vécu un moment incroyable, au delà de ses espérances, en présence d’une personne particulière agréable.

Stefan était un moniteur courageux, plein de vie et chaleureux. Elle se souvenait l’avoir rencontré une fois ou deux quand elle était ambulancière et lui pompier. Ils avaient participé à des interventions en commun mais elle n’aurait jamais cru le voir ici, dans ce contexte. Il paraissait très sûr de lui et parfaitement capable de lui faire oublier ses ennuis du quotidien rien que par sa présence. Luna avait terriblement besoin d’une personne comme lui dans sa vie, mais elle savait que les choses ne fonctionnaient pas si facilement, malheureusement.

Étudiant encore un instant son verre, Luna finit par le boire avant d’entendre la question de Stefan. Elle leva les yeux vers le grand blond, un sourire espiègle aux lèvres.

« Ouaip. Tu peux aussi appeler ça le free running. En gros, c’est une discipline où tu franchis n’importe quel type d’obstacle. J’ai pour habitude de monter sur les toits avec des amis pour ma part ou à m’entraîner dans une salle. Mais avant, je m’entraînais sur les rochers, les bancs, les équipements de sport dans les parcs. Plus tu prends confiance, plus tu prends de la hauteur. Tant que tu restes conscient des dangers, ça va. Mais certains ont cette insouciance qui les entraînent en haut d’un building et ce mec glisse et disparaît. »

Le parkour, comme n’importe quel sport, pouvait se révéler particulièrement dangereux. En particulier quand on voyait ces vidéos où des mecs grimpaient limite sur des grues, se laissant prendre dans le vide en ne tenant qu’à une seule main. Elle avait déjà entendu parlé de ces gens qui vont si loin dans le danger que cette fameuse main glisse et ces imbéciles meurent pour des followers ou des sensations. Parfois, elle avait du mal à comprendre. Risquer sa vie pour ça.

Elle attendit son deuxième shooter avec intérêt, le sourire aux lèvres. Tandis que Stefan tapotait au rythme de la musique, Luna se mit à la fredonner en commençant tout doucement à faire bouger son corps en rythme. Voyant la bouteille arriver sur le comptoir, Luna comprit qu’elle n’était pas prête de rentrer. Elle attrapa son shooter, écoutant la proposition du jeune homme.

« Je rajoute une règle. Si tu veux pas répondre, tu bois. »

Et elle but son shooter cul sec, continuant de danser doucement sur la musique, le défiant du regard. Elle n’était pas encore prête à parler de sa fille auprès d’un homme ; elle n’était pas prête à le faire entrer autant dans sa vie.

« Moi non plus, ça tombe bien. Depuis combien de temps t’es célibataire ? »

Mon envie d’indépendance prendra toujours le dessus, dans mon quotidien. J’ai toujours été farouchement libre, saisissant chaque opportunité de me sentir pleinement vivant. Je ne réfléchis jamais au lendemain, je n’anticipe rien, je vis chaque heure le plus intensément possible. Parce que je connais l’importance de la vie, dans son ensemble tout comme dans les détails qui paraissent insignifiants. À l’image de ces instants précieux dont j’ai savouré chaque seconde, durant cette matinée. Je profite de chaque occasion de vivre pleinement, sans détour et surtout sans regrets. Et même si j’ai toujours, quelque part, oscillé entre fuir la compagnie de mes proches et découvrir de nouvelles âmes passionnantes, je ne regrette pas d’avoir proposé à Luna de boire ce verre, juste après notre saut conjoint en parachute. Je découvre une jeune femme très intéressante, aux réactions ambyvalentes mais aussi complexes qu’indéchiffrables. Quand enfin elle termine son explication détaillée sur ses activités, je siffle bruyamment et lui réponds, enthousiaste:

Wow, et bah… Je ne pensais pas que tu étais autant accro aux sensations fortes! T’as… J’suis désolé de te le dire comme ça mais t’avais pas l’air d’être ce genre de nana. Aussi insouciante, qui n’a qu’une envie: croquer la vie à pleines dents.

Je ne cesse de sourire, plus qu’impressionné qu’un si joli brin de femme soit aussi surprenante. Il ne faut jamais se fier aux apparences, apparemment! Et le petit jeu que j’ai initié, en toute innocence, semble convenir à Luna. Je dirais même plus qu’il l’amuse et elle n’hésite pas à accompagner ses interrogations et les réponses qu’elle m’offre sans hésitation par de jolis mouvements de danse qui me pousse à la dévorer du regard. J’espère sincèrement ne pas en faire des tonnes mais je ne suis pas non plus du genre à me limiter. L’adrénaline ne retombe pas vraiment car ensemble, nous trouvons une nouvelle manière de la stimuler. Luna rajoute d’ailleurs une règle à notre échange et je comprends de manière très claire qu’elle ne souhaite pas me donner davantage d’informations au sujet de sa fille. Ça peut se comprendre, je ne suis qu’un inconnu et ce genre de détails sur sa vie personnelle ne me regarde pas. Je me contente donc de l’observer avaler un nouveau shooter cul sec. Dis donc, elle fait vraiment preuve de culot! De mon côté, je ne me compte pas me défiler et lui dit, d’une voix assurée:

Euh… Depuis toujours, ça compte comme réponse…? J’ai jamais appris à me poser, je suis bien trop volage pour ça… À mon tour, maintenant… Qu’est ce que je vais bien pouvoir te demander…

Impatient comme un enfant, je prends le temps de réfléchir, essayant de la questionner d’une manière la plus pertinente possible. Je n’ai pas le droit à l’erreur mais à la fois, je n’ai pas envie de la brusquer. Elle semble si accessible mais aussi terriblement secrète… Enfin, je trouve la question parfaite et ose murmurer, tout en m’approchant d’elle tel un fauve qui a trouvé son déjeuner:

Luna, dis moi, t’aimes danser…? T’arrêtes pas de te déhancher, c’est que ça doit te plaire, n’est ce pas…?

D’un geste impatient, j’ordonne à Johnny de monter le son, puisqu’il semble beaucoup plaire à Madame. Autour de nous, les autres rares clients de la buvette ont déserté, nous laissant seuls, en tête à tête. Il n’y a plus que… nous deux. Furtivement, une autre question me vient à l’esprit, que je m’empresse de poser à Luna, qui semble de plus en plus détendue, sans doute grâce à l’alcool récemment ingurgité:

Alors, Luna, réponds moi… Si aujourd’hui était la dernière journée de toute ton existence, qu’est ce que tu aimerais faire, là, tout de suite…?

Plutôt radical comme contexte mais j’ai toujours été comme ça: du genre à ne pas passer par quatre chemins!

La liberté, un sentiment addictif, qui devient sans mal un besoin lorsqu’on y goûte un peu trop. S’émanciper, devenir soi-même, apprendre et découvrir ce que l’on aime, ce que l’on aime. La liberté, c’est se mettre à découvrir le long sans se soucier du lendemain, sans se soucier ce que l’on va manger, où l’on va dormir. C’est se débrouiller, s’adapter à chaque situation, partir à l’aveuglette et profiter de chaque instant qui nous est permis de vivre. Luna aimait l’adrénaline mais elle ne l’aimait pas autant que Stefan, elle en était persuadée. Elle était heureuse d’avoir fait ce saut en parachute mais elle n’avait pas besoin d’en faire son métier et de le vivre tous les jours. Une fois lui avait suffi amplement. Et peut-être qu’elle reviendrait pour essayer à nouveau mais elle ne se voyait pas mettre son cœur à l’épreuve à longueur de temps. Il subissait déjà assez de toute façon avec son métier d’ambulancière, où chaque seconde compte.

« Je cache bien mon jeu, apparemment. »

Elle eut un petit sourire espiègle pour jouer avec l’information qui venait de lui être donnée mais en vérité, Luna était surtout une femme timide qui, une fois pleinement ancrée dans une activité ou dans une conversation, se révèle enfin, comme une fleur. Elle s’ouvre doucement et on y découvre quelque chose de magnifique et d’incroyable.

Cette discussion devient folle, absurde, enivrante. L’adrénaline ne retombe pas, l’alcool s’infiltre doucement dans ses veines et cet amour de la liberté lui dit de foncer. Autrefois, en entendant un homme comme Stefan lui avouer qu’il n’a jamais eu de relation sérieuse parce qu’il ne sait pas se poser, elle aurait fui immédiatement. Mais aujourd’hui, elle ne cherche plus l’amour, elle cherche à s’amuser. Elle cherche à vivre pleinement. Et elle se dit qu’il pourrait se passer quelque chose avec lui, le temps d’une soirée. Juste une fois.

« En effet, j’adore danser. »

Elle le laissa s’approcher, continuant de se déhancher, sentant sa chaleur. Alors que l’endroit est vide et qu’il ne reste que l’homme qui se met à monter le son, poussant Luna à danser davantage et à se laisser aller au rythme de la musique, elle leva les yeux vers Stefan alors qu’il posait sa deuxième question.

« Deux questions d’un coup, hein ? Tu triches. »

Elle but son shot, ne souhaitant pas répondre tout de suite. Elle se rapprocha à nouveau de lui, dansant en le frôlant avant de tourner son visage vers lui, plongeant son regard dans le sien.

« Et toi ? Qu’aimerais-tu faire, à tout de suite … »

Elle était suspendue à ses lèvres, attendant qu’il fasse le premier pas pour s’abandonner une bonne fois pour toute, l’un et l’autre.

J’ai de milliers de choses à faire, et pourtant, je suis toujours là.
À m’enfiler verre sur verre, à m’enivrer, tandis que je pensais cette désinvolture loin derrière moi. Ma jeunesse n’est plus aussi fraîche qu’auparavant, pourtant, j’entretiens un âge glorieux où j’étais le Roi de mon Monde. En débarquant à Monterey, je n’ai pas décidé de laisser derrière moi mon style de vie peu orthodoxe. Bien au contraire, j’ai choisi d’affirmer mon caractère, de m’investir toujours plus loin dans mes plus profondes croyances. Les sensations fortes, les nuits courtes, les journées sans fin. Les soirées, le travail, le rire et le partage. Autant de valeurs auxquelles je crois dur comme fer et qui m’animent depuis de longues années.
Mais aux côtés de Luna, je perds pied. Je m’engage sur un chemin plutôt tortueux et je dérape, juste un peu. Mes lèvres à quelques centimètres de son oreille droite, je lui murmure, tandis que j’esquisse quelques pas de danse maladroits:

J’avoue, je ne suis pas vraiment les règles, hein…

Je joue avec le feu, plutôt. Mais je n’ai pas peur de me brûler, je suis plutôt expert en la matière. Dans un rire coquin, je me confesse, le regard malicieux:

Bah… J’aimerais bien sauter à nouveau dans le vide, tu vois. Histoire d’avoir encore une décharge d’adrénaline, encore une fois…

Et puis, et puis, et puis… Je l’embrasse. C’est loin d’être un geste professionnel, bien au contraire, c’est vraiment une connerie monumentale. Mais je n’ai pas envie de réfléchir, pas envie de me retenir. Luna est attirante, douce et très mignonne… Et moi, je suis un garçon célibataire et qui s’est promis de toujours croquer la vie à pleine dents. Mais un sursaut de conscience s’éveille en moi. Écarquillant les yeux, je rompt notre baiser, tout en bégayant:

Pardon… Je… Je ne sais pas ce qui m’a pris, pardon…

Et depuis quand je m’excuse d’avoir fait fondre une jolie fille, hein? C’est n’importe quoi. Reprends toi, Stefan, bon sang! Nerveux, je me défais de notre étreinte, me réfugie en direction du comptoir, me servant un nouveau shot. J’en suis à combien, déjà?! Oh, je m’en fiche, après tout. Je me suis juré de toujours vivre chaque journée comme si c’était la dernière, ce n’est pas maintenant que je vais bafouer ma promesse.
J’ai promis. Je lui ai promis.
Et pourquoi je pense à mon défunt meilleur ami, tout à coup…? Sans doute qu’à chaque fois que je saute en parachute, je pense à ce rêve qu’il n’a jamais eu l’occasion de réaliser.
Et pourquoi une larme se met à couler le long de ma joue, hein? Une sorte de bad trip? L’alcool ne me réussit plus autant qu’avant, je me sens si merdeux. Pleurer devant une quasi inconnue, mais qu’est ce qui m’arrive, à la fin?!
Je dois me ressaisir. Tout de suite. Alors, passant derrière le bar, j’augmente le volume sonore, encore un peu plus, et me met en recherche d’une boisson plus forte, d’une distraction moins passagère. Victorieux, je dégote de la vodka, que je serre dans un verre beaucoup plus large. Le levant afin de trinquer avec Luna, je me contente de reprendre notre jeu, tout en demandant:

Luna, qu’est ce qui t’as pris de t’inscrire à ce saut, hein? Qu’est ce que tu cherches à prouver?

Ma question est un peu brutale, presque trop intrusive. Réalisant, sans doute trop tard, que je n’emprunte pas le bon chemin, je me rattrape en ajoutant:

J’veux dire… T’as l’air d’une nana posée. T’as une fille… Mais t’as pas de mec. T’es indépendante, oui, mais au fond, tu cherches à vivre pleinement. Tu penses que je peux t’apporter une expérience sympa…?

Ok, Stefan, là, on reprend le jeu là où on l’a laissé.
Elle risque de souligner qu’il y a plusieurs questions, que je ne respecte pas les règles.
Mais je crois qu’elle a commencé à bien cerner mon personnage…

Les tentations deviennent de plus en plus fortes aux côtés de ce fameux Stefan. Luna ne s’était jamais sentie aussi libre que ce soir, dansant, virevoltant, l’alcool dans le sang. Elle laisse le monde prendre le dessus, elle s’enveloppe d’une brume enivrante, se déhanchent sous les yeux ravageurs du jeune homme blond. Elle perd pied dans son regard, le laisse approcher dangereusement, jouer avec le feu, se soustraire aux règles préétablies.

« Ne dit-on pas que les règles sont faites pour être brisées ? »

Luna s’approche et se décroche, s’éloigne par moment, revient si près de lui qu’elle s’y colle presque. Son rire est coquin. Son regard est malicieux. Ses mots sont tentants. La décharge d’adrénaline ne viendra pas d’un nouveau saut dans le vide ce soir. Du moins, pas littéralement. Ce soir, Luna le laisse l’embrasser, n’attendant que ça depuis tout à l’heure. L’alcool désinhibe, fait tomber soudainement les barrières sans qu’on s’y attende. Pourtant, on accepte plus facilement certaines situations, on se laisse faire, on approuve même ces moments où le monde s’étiole. Quand Luna s’apprête à lui rendre son baiser, elle le voit reculer, s’excusant. Un large sourire s’étire sur les lèvres de la blonde. Elle le regarde reculer et se cacher derrière le comptoir mais Luna en veut déjà plus. Elle s’approche du comptoir, laissant une séparation entre eux et s’appuie pour s’approcher davantage de lui et le provoquer. Elle s’apprêtait à lui dire que ce n’était rien, qu’il n’avait pas à s’excuser mais elle remarque une larme couler le long de sa joue. Il avait besoin d’espace. Elle s’éloigne, se remet à danser sans se soucier de ce qu’il vient de se passer. Elle n’a pas envie de se prendre la tête, pas envie de réfléchir, plus rien n’a d’importance. Elle le voit monter le volume, quitter le comptoir et un nouveau sourire ravageur s’étire sur le visage de la jeune femme qui n’attendait que ça. Elle attrape son verre et écoute sa phrase. Elle rentre d’une oreille, sort de l’autre.

Si Luna avait été dans son état normal, cette question aurait pu la vexer. Elle aurait pu la prendre de cours, la braquer. Mais les phrases passaient au-dessus de lui maintenant que les verres s’enchaînaient. Elle prend une gorgée de vodka, tout en l’écoutant.

« Tu triches, encore et encore. »

Mais elle aussi, avait envie de tricher. Elle se rapproche à nouveau de lui, collant son corps au sien. Elle n’avait pas envie de parler, elle avait envie de vivre sans réfléchir. Stefan semblait avoir besoin de parler, malgré tout. Elle prend une nouvelle gorgée de vodka, lâche une grimace et finit par poser son verre. Elle décide d’entourer le jeune homme de ses bras, les enroulant autour de son cou. Stefan était plus grande que lui, mais ça n’était pas tellement dérangeant.

« Je veux pas juste une expérience sympa. Je veux une expérience inédite, inoubliable. Je veux vivre ce soir. Et rien de plus. »

Les termes étaient clairs. Et le jeu n’était plus tellement au rendez-vous, puisqu’elle l’embrassait sans envoyer une nouvelle salve de questions, comme lui. Luna n’avait rien à prouver, Luna voulait lâcher prise au moins une fois ce soir. Elle recule doucement, cherchant à savoir s’il avait envie d’aller plus loin ou s’il allait à nouveau se défiler.

« Qu’est-ce que tu fuis, Stefan ? »

C’est moi ou il commence à vraiment faire chaud, là…?

La faute à ses shooters que j’avale les uns après les autres, sans réfléchir, comme une sucrerie agréable et qui n’est pas supposée apporter des conséquences détestables. Les sensations provoquées par le saut en parachute sont déjà loin derrière nous et pourtant, quelque chose d’autre vient naître dans nos entrailles, à tous les deux.
Un jeu se met en place et à priori, nous connaissons tous les deux les règles, quitte à les transgresser.
La question de Luna résonne dans mes oreilles comme la tentation ultime. J’ai choisi de m’enivrer, de perturber mon emploi du temps pourtant serré. Je ne suis plus attendu pour une nouvelle session de saut en parachute mais mes nombreuses autres activités ne peuvent pas attendre. Et pourtant, j’ai choisi de faire la fête. De rester aux côtés de Luna, de me laisser aller, sans doute un peu trop. Ouais, j’ai, durant quelques minutes, lâché du leste, ce qui n’est pas passé inaperçu auprès de Luna. C’est qu’elle est futée, en plus d’être très mignonne. J’devrais arrêter de la dévorer des yeux, comme ça, mais j’crois bien qu’elle a fini par tomber dans mon piège. Bon, ok, j’ai pas été très réglo avec mes questions, j’ai sciemment choisi de la mettre mal à l’aise, de la déstabiliser.
Faut bien qu’elle me rende l’appareil, n’est ce pas…?
Et elle continue de m’étonner, me désarçonner alors que je tente de garder les pieds sur terre, me réfugiant même derrière le comptoir, quelques instants. Un répit qui est rapidement écourté par une Luna toujours plus entreprenante. Une attitude lascive face à laquelle je ne peux pas grand chose, mis à part… l’entretenir?
D’une voix suave, je répète ses propos, haussant les sourcils, faussement étonné:

Une expérience inédite, vraiment…?

C’est bien connu, je ne refuse jamais un défi. Depuis tout petit, mon âme d’aventurier me guide et maintenant que je suis un homme adulte, j’ai choisi d’être responsable, mais pas trop. Joueur, mais avec prudence. Audacieux et surtout, surtout, surtout, charmeur au possible. À croire que j’ai trouvé une partenaire de choix, avec Luna. D’ailleurs, j’accentue notre échange sensuel en ajoutant, me faisant craquer les doigts de chaque main:

Mais je ne fuis rien, Luna. Rien du tout. Regarde…

L’attrapant par les cuisses, j’ose l’installer sur le comptoir du bar, faisant ainsi valser les quelques verres et bouteilles de bières vides qui y restait, trace du passage des précédents clients. Mais désormais, c’est à nous de marquer notre territoire, de prendre possession des lieux, d’une manière brutale, presque animale. Poussé par un instinct pratique, je pose ma main sur son épaule, penchant la tête sur le côté, tout en marmonnant:

Attends, juste une petite minute…

Réalisant, heureusement juste à temps, que nous risquons d’être dérangés à tout moment, je me précipite jusqu’à la porte, que je verrouille précipitamment, attrapant les clés afin de les jeter sur une table au loin. Voilà une bonne de chose de faite. Retrouvant mon sourire coquin, je susurre à Luna, que je viens de retrouver:

Alors… Où en était où, hein…?

Ultime geste provocateur, je m’occupe de retirer mon tee-shirt, le jetant derrière l’épaule de Luna.
Oui, il fait définitivement très chaud, par ici.
Et je ne suis pas certain que notre prochaine activité réussisse à nous rafraîchir…