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Tempest ↯ Victor & Tori

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Victor Nash

Victor Nash
291
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Chris Evans
ichi
//

39 ans en avril. Vigueur des muscles, expérience de l’âme, tourments de l’esprit.
Célibataire. Il a aimé et fut aimé en retour, des cadeaux de la vie qu’il chérit en son cœur. Amours impossibles, d’intensités diverses, étouffées par son dévouement envers l’US Army, plusieurs fois ensevelies sous le tombeau de la tragédie. Il chemine aujourd’hui avec la froide solitude, ressent parfois l’envie d’une compagne de voyage plus chaleureuse.
Sergent d’infanterie muté début 2022 au Presidio de Monterey, base militaire dépourvue d’unité de combat. Affairé à des tâches profondément ennuyeuses d’intendance et logistique. Victor a toujours eu la bougeotte et le goût de l’action ; il a passé une grande part de sa vie adulte sur les théâtres d’opération de l’US Army – sa famille de cœur. Et comme dans toutes les familles… il y a des couacs. Un sauvetage interdit en Afghanistan, jugé comme acte d’insubordination, lui a valu cette mise au placard qu’il espérait temporaire. Redresseur de torts depuis septembre 2022. Des rencontres et événements inopinés le poussent à se battre hors des lois, mais toujours en accord avec son code de conduite.
Une vieille bâtisse spacieuse au nord-ouest de la ville.
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Tempest ↯ Victor & Tori Xzov
Our meeting was fate,
Our pairing was symbiosis,
Our love was serendipity,
Our story was tragedy.



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MessageSujet: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyMer 21 Sep - 21:53#

Tempest ↯ Victor & Tori
He who fights, can lose. He who doesn't fight, has already lost.

Septembre 2022 ☆ Océan
Victor se hissa sur la barque, ôta ses lunettes de plongée et contempla le ciel avec inquiétude. Des nuages noirs et épais s’amoncelaient à l’horizon, l’écho de leur grondement faisait vibrer ses os, sous sa peau humide. Un simple short de bain l’habillait. Un vent frais fouetta la surface de l’eau, arrachant des nuées d’embruns. Victor frissonna et retira hâtivement ses palmes. La vieille barque de pêcheur commençait à tanguer doucement. À l’aide de sa boussole, il tourna la tête en direction de l’est et plissa les yeux. La mer à perte de vue, agitée comme du lait sur le feu. Selon ses estimations, la côte se trouvait à soixante kilomètres. Une paire de rames constituait son unique moyen de propulsion, et pour les actionner des bras harassés par une longue exploration sous-marine.
C’était mal barré.
Victor palpa le vieux gilet de sauvetage tassé au fond de la barque. Le côté gauche était déchiré, le reste avait noirci et puait le moisi. Victor revêtit son tee-shirt de l’US Army, puis enfila le gilet défectueux par-dessus. Le premier exacerberait la vaillance de celui que le 1er bataillon surnommait Victory. Le second lui prodiguerait l’avantage ténu qui empêche de basculer vers la mort.
Il empoigna les rames avec une détermination farouche, lança un au revoir aux créatures marines qui avaient réchauffé son âme, puis banda ses muscles aguerris.
Il souqua ferme pendant une heure avant que l’orage le rattrape.

Le menton fier de Victor se dressa vers les cieux enragés avec défi. Ses yeux électriques reflétaient les éclairs bleutés qui s’abattaient sur les flots bouillonnants. Tout autour de lui l’océan gémissait, tonitruait, soulevait des vagues dantesques. Des gerbes d’écume jaillissaient du magma apocalyptique, soufflées par un vent furieux.
Un cri guerrier répondit à l’explosion du tonnerre. Le courage de Victor refusait de faiblir. Ses bras étaient en feu ; le frottement de ses paumes contre le bois usé générait une douleur atroce. Les muscles de son dos brûlaient sous l’effort, comme si une cape de charbons ardents reposait sur ses épaules.
Victor bataillait pour sa survie.
Rame ou crève.
Le soldat d’infanterie était coutumier du fait. Désert irakien, montagnes afghanes, océan Pacifique : il avait choisi une vie de lutte et de périls. La barque montait et descendait les creux de plusieurs mètres telle une coquille de noix, menaçant de sombrer à tout moment. Un œil sur la boussole, Victor continua inlassablement de souquer en direction de l’est.
Longtemps après que son corps dépassât ses limites, il souquait encore.

Une déferlante le frappa de travers. Assez puissante pour renverser la statue d’un titan.
Victor bascula par-dessus bord.
Une lanière de son gilet de sauvetage s’accrocha à la barque et s’enroula autour de sa gorge.
Victor eut le souffle coupé. Les eaux tempétueuses ballottaient son corps immergé. Il avait les yeux ouverts mais ne voyait plus rien. La barque s’était retournée, lui couvrant la tête comme une potence. Une pression mortelle lui écrasait la jugulaire.
D’instinct, Victor savait que le cerveau n’était plus alimenté en oxygène. Il lui restait vingt secondes avant de sombrer dans l’inconscience et couler vers les abysses. Sa main droite fouilla la poche de son short et saisit un petit objet oblong. Avec une maîtrise surhumaine, ses doigts déployèrent la lame du couteau commando. Victor suffoquait. Dix secondes. L’acier tranchant attaqua la lanière.
Une vague balaya la barque, le gilet et Victor avec elle. Le soldat faillit lâcher le manche du couteau. Pour la première fois, sa vigueur exceptionnelle l’abandonnait rapidement et il sentit les doigts osseux de la Mort autour de son cou. Dans un ultime effort, il déchiqueta le tissu avec des aller-retour frénétiques. L’eau salée brûlait la chair à vif de sa gorge comme un bain d’acide.
Puis l’étau se libéra.

Victor était à bout de force. La tempête rugissait tout autour de lui, projetant des embruns cinglants sur son visage. Un goût d’iode et de sel saturait sa bouche. Du sang coulait de ses entailles, se diluant dans la mer. La barque avait disparu de son champ de vision, avec sa boussole et ses palmes. Bon nageur, Victor parvenait à maintenir sa tête hors de l’eau. Il faisait du surplace, observant autour de lui l’inéluctabilité de son trépas. La visibilité ne dépassait pas trente mètres et il n’avait aucune idée de la direction de la côte. Victor leva les yeux avec l’espoir de discerner la pâle lueur du soleil à travers les nuages. Il pourrait ainsi s’orienter.
Une mer gris-bleu, insondable. Sublime et mortelle.
Victor poussa un horrible cri de détresse et battit la surface écumante de ses bras. La panique s’emparait de son être. Est-ce que son heure était venue ? La noyade était une fin inconcevable. Son destin, croyait-il, le mènerait un jour à la rencontre d’une balle perdue sur un champ de bataille. Ou d’un éclat d’obus, comme celui qui avait tranché l’artère du caporal Philman et l’avait vidé de son sang en soixante secondes. Le sergent Nash ne pouvait pas connaître le sort d’un nageur du dimanche victime d’une crampe.
Un magma de colère monta de ses entrailles. Victor rejetait une fin aussi stupide et inutile.
La réalité de sa situation alimentait le feu de son ire. Depuis son passage devant une cour martiale, Victor n’était plus rien. Un exilé qui triait des chaussettes pendant que ses anciens frères d’armes luttaient aux confins du monde. Aucune créature vivante ne l’attendait sur le rivage ; il vivotait parmi les fantômes de son ancienne vie. Si l’océan l’engloutissait, ses parents le pleureraient sans que l’honneur de leur patronyme soit rétabli.
La flamme d’une vie était trop précieuse pour s’éteindre de façon aussi inique. Il fallait que le crépuscule de son existence ait un sens. Qu’il entre dans la nuit éternelle en poursuivant un objectif honorable.
Victor implora un signe. De la part des esprits qui guident les âmes égarées. Des divinités qui tissent le destin. De l’entité aux millions de visages qui précédait l’apparition du genre humain et sourirait à l’explosion du soleil. Le soldat leur fit une promesse, fusant de sa poitrine comme le cri d’un nouveau-né : Je combattrai pour ce monde, avec et sans fusil. Je prêterai mon oreille et mon bras aux personnes qui en ont besoin. J’échouerai parfois, trébucherai à maintes reprises, mais je ferai de mon mieux.
L’atmosphère s’assombrit, froide et sans espoir.
Victor crut un instant que sa fin l’aspirait.
Puis un éclair déchira le ciel ombrageux. Le spectre d’un visage aux traits doux et souriants se refléta à la surface d’une vague immense. Était-ce le produit d’un délire ? La création d’un esprit aux abois ?
Victor suivit son instinct. Se propulsa de toutes ses forces contre la vague monstrueuse qui avançait sur lui. Un mur d’eau s’abattit sur ses larges épaules et l’engloutit.
Victor continua à nager dans le noir. Tout droit, dans le sens de l’apparition. Il refit surface. Défia les flots rugissants. Ses nerfs avaient dépassé le stade de l’épuisement et chaque fibre musculaire se contractait dans une douleur effroyable. Pourtant, l’énergie d’une volonté inébranlable animait ses bras et ses jambes.

Le naufragé finit par sentir une surface granuleuse sous sa peau. Des aspérités rocheuses déchirèrent son maillot de l’US Army et écorchèrent sa peau. Il geignit piteusement.
Victor avait rejoint la côte. Un rire nerveux franchit ses lèvres. Il avait réussi. Il avait survécu. Une bruine agonisante avait succédé aux trombes d’eau et le grondement du tonnerre s’éloignait dans un bruit sourd.
Il rampa quelques mètres sur le rivage, exsangue, puis chavira dans les limbes de l’inconscience.

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It is to be useful, to be honorable, to be compassionate,
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Dernière édition par Victor Nash le Lun 26 Déc - 8:47, édité 1 fois
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Jessica Alba
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36 ans.
Les amants maudits, ça vous parle ?
Linguiste et formatrice pour le compte de l'armée.
Un appartement dans le quartier ouest.

You held my hand, and everything is okay again. You make me feel beautiful, loved, taken care of, and protected...

Tempest ↯ Victor & Tori Xzov

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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyDim 25 Sep - 19:16#

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Septembre 2022 ☆ Monterey Shore
Je longeais le front de mer plongé dans une semi-obscurité, sandales à la main, me délassant après une longue journée de travail. Ma première semaine à Monterey s’achevait, éreintante, et je m’accordais enfin un moment de détente. Je humais l’air iodé, chargé des embruns de l’orage qui s’était violemment abattu dans l’après-midi. J’aimais les odeurs des éléments naturels, le contact des grains de sable sous mes pieds. Je frottais mes bras nus, songeant qu’il me faudrait acquérir un châle avant l’hiver. Ma garde-robe était adaptée au climat tropical de Floride où j’avais passé dix-huit mois dans un centre de la Navy.
Je marchai sur un objet dur et me baissai. Il s’agissait d’un fossile de coquillage nacré, aux rainures en éventail. Je l’observai sous la pâle clarté du crépuscule, plongeant dans mes souvenirs d’enfance.
Avec mon frère, nous passions des après-midi entiers à fouiller les dunes à la recherche de coquillages, non loin de la base militaire où nous habitions juste avant le passage au nouveau millénaire, dans les Phillipines. Je ris jaune en me remémorant le cri de terreur que Ruben avait poussé en apercevant un long serpent filer entre des hautes herbes, à dix mètres de nous. Du haut de ses six ans, Ruben s’était réfugié derrière moi, tremblant de peur. J’en avais treize et j’étais aussi terrorisée que lui. Alors je lui avais hurlé dessus, passant mes nerfs sur lui en le traitant de lâche. De retour chez nous, j’avais immédiatement tout raconté à papa qui nous avait sermonnés, avant de nous expliquer la bonne conduite à tenir en cas de rencontre avec un reptile. Ruben, se sentant honteux, avait pleurniché pendant que je faisais la fière. Puis maman avait pris le garçon chétif dans ses bras, séché ses larmes et mouché son nez coulant. Je me rappelais chaque détail. Quelle horrible grande sœur je faisais ! C’est moi, qui aurais dû éprouver de la honte pour mon comportement.
Je soupirai et laissai tomber le coquillage sur le sable.
Où es-tu, Ruben ? Pourquoi tu ne réponds plus à mes messages ?
Je ruminais d’inquiétude lorsque j’aperçus une forme humaine sur le rivage, étendue dans la pénombre parmi les rochers. Je remis mes sandales à la va-vite, accélérai le pas et m’approchai. C’était un homme de constitution robuste. Allongé sur le ventre, bras disposés autour de sa tête comme s’il tentait de nager sur le sable. Il ne portait rien d’autre qu’un short de bain.

Monsieur ? Monsieur, ça va ?

Visiblement, non. Saisie de panique, je m’accroupis et lui touchai doucement l’épaule. La congestion du muscle me surprit. Cet homme avait dû nager pendant des heures ! Je poussais de mes deux mains pour le retourner, et fus rassurée de voir sa poitrine se soulever. Le naufragé respirait faiblement, mais il respirait. Son torse athlétique était idéalement proportionné, avec des épaules larges et une taille affutée. De multiples éraflures traçaient des lignes brunies le long du thorax, d’autres courraient le long de ses membres. Elles avaient l’air superficielles. Je regardai derrière moi et me représentait le nageur ramper à même la roche, depuis la mer. Un homme tombé de son bateau durant la tempête ? Un nageur imprudent qui s’était laissé emporter vers le large ? Avec la marée basse, il avait dû s’échouer il y a moins d’une heure.
Je le secouai, l’appelai à se réveiller, le giflai doucement, moins doucement, en vain. L’obscurité s’accroissait et je distinguais mal les traits de son visage barbu. Cet homme m’évoquait pourtant quelqu’un.
Pas le temps de tergiverser, Tori !
L’épiderme du naufragé était d’un froid inquiétant. Je tâtai la base de son poignet et évaluai son pouls. Le rythme, lent, faisait de brusques embardées comme si son organisme affrontait un ennemi imaginaire. Je supposai que c’était un signe encourageant. Papa disait toujours qu’aussi longtemps qu’on se bat, on est impossible à abattre.

Ça va aller, murmurai-je à son attention autant qu’à la mienne.

Je levais la tête vers la route en surplomb, me mordant la lèvre inférieure. Deux options s’offraient à moi : soit je courrais chercher du secours, en croisant les doigts pour que les crabes ne lui dévorent pas une oreille ou deux pendant mon absence, ou alors je le trainais jusqu’à mon véhicule.
Allez ma grande ! Tu peux le faire !
Je me levai, fis craquer mes vertèbres et roulai des épaules. J’avais les gènes d’un militaire qui aurait pu incarner Hulk à l’écran, de bonnes aptitudes pour le sport et ne rechignais pas à l’effort. Bien sûr que je pouvais le faire !
Oh, hisse !
J’attrapai l’homme par les aisselles et tirai de toutes mes forces.
Ma parole, il pèse bien une tonne !
J’aimais les hommes baraqués dans son genre. J’aimais qu’ils me prennent dans leurs bras musclés et me soulèvent comme si je pesais une paille. L’inverse était beaucoup moins plaisant !
Mes talons s’enfoncèrent dans le sable et je tirai à nouveau.

Bon sang, tu vas bouger ton cul ! sifflai-je entre mes dents.

Comme par magie, la masse inerte s’extirpa de la tombe de sable où elle s’était enfoncée. Ne jamais sous-estimer le pouvoir d’autorité des latines !
Je jurai tout au long des deux cents mètres qui nous séparaient de mon carrosse, une vieille Honda Civic achetée d’occasion. Les talons de mon fardeau de chair raclèrent enfin le bitume. Arrivée devant la portière, j’avais le dos en compote et du coton dans les jambes.
Bravo, Tori ! Tu l’as fait !
Une voiture passa et ses occupants nous regardèrent avec des yeux ronds. Je me mettais à leur place : une pauvre femme qui ramasse son compagnon plein comme une barrique. Si mon naufragé roulait par terre, ça m’aurait bien arrangé, tiens ! Egratignée dans mon orgueil, je pliai les jambes de l’homme et claquai la portière sur ses pieds. Qui sait ? Mon naufragé était peut-être tombé de son bateau après une beuverie en pleine mer !
Je grimpai à l’avant, mis un semblant d’ordre dans mes cheveux en bataille et passai la première. Une odeur de combustion empuantit l’habitacle et je baissai ma vitre. Je n’avais pas fait une bonne affaire, avec ce tas de ferraille.

Tout va s’arranger, monsieur. Je vous conduis à l’hôpital !

J’essayais en toute bonne foi, roulant au hasard en direction du centre-ville, scrutant chaque panneau routier avec l’espoir d’y lire un grand H. Je n’avais pas encore eu le temps de me familiariser avec Monterey, mon antique voiture japonaise n’avait pas le GPS, et j’avais laissé mon téléphone à charger dans mon appartement.


Dernière édition par Tori Espinoza le Sam 24 Déc - 11:18, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyMer 28 Sep - 21:46#

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Septembre 2022 ☆ Monterey
À plusieurs centaines de kilomètres, quelque part dans l’Utah, le soir tombait sous un ciel limpide. Une Ford immatriculée dans un état voisin se gara dans le parking d’un motel. Deux hommes en noir en sortirent. Un grand au front dégarni, un petit avec une moustache. Tous les deux basanés, longs cheveux noir corbeau. Une vilaine balafre traversait la joue gauche du moustachu.
Ils se présentèrent à l’accueil et payèrent une chambre pour la nuit, en liquide. Un minimum de mots fut prononcé, dans un fort accent hispanique. Ils griffonnèrent de faux noms sur le registre.
Les deux étrangers se rendirent au diner judicieusement placé à côté du motel. Commandèrent deux gros steaks saignants avec des pommes de terre. Le grand badigeonna son assiette de ketchup, le petit agrémenta la sienne d’une noix de moutarde. Ils mastiquèrent sans échanger un mot. Payèrent en liquide.
Ils gagnèrent leur chambre d’un pas synchrone malgré la différence de hauteur des hanches. Se répartirent les deux lits sans discussion. Leurs gestes étaient routiniers. Ils ôtèrent leurs vestes noires, puis les holsters dissimulés dessous. Démontèrent leurs armes encrassées par des tirs récents, les nettoyèrent, puis les remontèrent.
Ils prirent une douche et allumèrent l’écran de télévision fixé au mur. Se réjouirent d’avoir accès à un panel de chaines câblées dans un motel au milieu de nulle part. Ils sélectionnèrent un programme sportif et encouragèrent une équipe de football sud-américaine.
Ils éteignirent l’écran et les lumières avant la fin des prolongations. Une longue route les attendait le lendemain.


* * *

— Non, pas l’hôpital…
Victor avait l’impression de flotter dans un océan de brume. La sensation d’habiter son corps s’était estompée, comme dans les expériences de mort imminente où l’esprit s’extrait de l’enveloppe charnelle. Toutefois il n’y avait aucun tunnel de lumière, seulement la perception étrange d’un univers vaporeux et sans limites. Tout n’était que confusion, à l’exception d’une certitude : on le dirigeait vers un hôpital et il refusait farouchement cette idée.

Il détecta un sursaut d’agitation à proximité de lui, des turbulences dans la brume. Il comprit sans savoir comment qu’il s’agissait de la personne déterminée à le conduire dans un hôpital. Elle aussi semblait confuse.
— Pas l’hôpital… murmura-t-il à nouveau.
Bizarrement, l’image du sergent instructeur Highway s’invita dans son esprit. Battant sa paume gantée avec la matraque qu’il tenait fermement dans l’autre, gantée de blanc elle aussi. Il s’adressait aux recrues les plus misérables de l’US Army, qu’on lui demandait de métamorphoser en piétaille capable d’envahir le désert irakien en ordre de bataille. Highway leur narrait comment il s’était brûlé les deux mains en manipulant un mortier d’artillerie, après avoir craché des obus sur les Vietcongs pendant deux jours et deux nuits. Victor se rappelait chacun de ses mots : « Je vais vous endurcir, bande de morpions congénitaux ! J’entends que vous êtes le fond du panier de l’armée américaine, des éclaboussures de diarrhée sur le drapeau. On me rapporte que vos sales gueules purulentes font gerber les soldats qui ont gagné le privilège de porter l’uniforme. Je vais vous dire une bonne chose : rien à branler ! Je me fous de savoir si vos pères ont baisé leur sœur avant qu’elle vous chie sur un tas de fumier ; je me fous de savoir si vous avez vendu du crack sous les ponts, ou si vous êtes juste les pires bons à rien que notre nation a vomis sous la présidence Reagan. Je m’en branle, parce que je vais vous apprendre à outrepasser les limites qu’on a édictées pour vous. Je vais vous apprendre à voir plus loin que vos nez prépubères, et vous allez vous y rendre à marche forcée ! Mais pour commencer, chiures de cafards, je vais vous enseigner les bonnes manières. Parce qu’avant de faire de vous des G.I.s capables de manier un fusil, je dois faire de vous des hommes. »
Highway avait endurci leurs corps avec des tours du régiment à fond de train, bras en l’air soutenant des caisses de ravitaillement. Il avait forgé leur volonté avec des séries de pompes sous une pluie battante, fourbus jusqu’aux os, jusqu’à ce que les tenaces et les acharnés se couchent dans la boue. Chaque matin, après le cérémonial de la levée des couleurs, le peloton en redemandait poliment. Highway n’avait jamais abattu sa matraque sur Victor ou sur le dos d’un troufion maladroit. Les bonnes manières.
— S’il vous plaît, sergent, pas l’hôpital… Je veux… servir… bataillon…
« Un soldat ne se rend pas à l’hôpital quand il a mal au crâne un lendemain de permission ou la flemme de faire son devoir le lundi », aboyait Highway. « Un soldat se rend à l’hôpital quand ses tripes dégueulent de son foutu bide, et encore doit-il s’y rendre en marchant la tête haute, les deux mains en appui sur le ventre. » Victor avait claironné que lui pourrait retenir ses entrailles d’une seule main, ce qui laissait une main libre pour accomplir son devoir avec un bon vieux M16. L’esquisse d’un sourire était apparue sur les lèvres du sergent-instructeur, si fugace que la compagnie avait longuement débattu sur l’authenticité de cet exploit sans précédent. Certains, jaloux, affirmaient qu’une mouche fut à l’origine de ce tic et que Highway avait ensuite foudroyé l’insecte d’un regard. L’histoire s’était propagée au reste du bataillon, déformée de bouches en oreilles, formant les prémices d’une légende : Victory, le soldat d’infanterie avec qui l’impossible devient possible. Quoi qu’il en soit, ce jour-là, Highway avait gravé la loi pas l’hôpital à moins d’agoniser dans l’âme de Victor.
Dix-huit ans plus tard, vautré à l’arrière d’une Honda Civic puante, les brumes de la fatigue se mêlèrent aux ténèbres de l’inconscience. Victor eut un râle et se rendormit. Un gros sommeil de bébé que toutes les jeunes mères appellent de leurs vœux.

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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyDim 2 Oct - 19:16#

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Septembre 2022 ☆ Monterey
Non, pas l’hôpital…

La voix caverneuse me fit bondir sur mon siège. On aurait dit un murmure d’outre-tombe, à peine audible, si bien que je lui demandai bêtement de répéter, juste pour être sûre que je n’avais pas rêvé.

Pas l’hôpital…

Comment ça, pas l’hôpital ?
J’en restais coite de stupéfaction. Il n’y a pas trente-six raisons pour refuser une prise en charge au sein d’un hôpital, avec la batterie d’examens que cela comporte. Soit on a dans le sang des substances illicites, soit on est recherché par la police. Je rejetai une troisième hypothèse, celle d’une phobie des aiguilles. Mon naufragé n’avait pas l’air douillet.
Oh la la, est-ce que je traine un repris de justice sur ma banquette arrière ? Un drogué aux réactions imprévisibles ?
Mon pouls s’accéléra, le volant grinça sous mes doigts. Mille scénarios se jouaient dans ma tête et aucun n’était de nature à me rassurer. Je regardai dans le rétro intérieur et ne vis que la partie supérieure des sièges élimés. L’homme était toujours couché. J’aurais presque préféré qu’il se soit évaporé.
Par précaution, j’ouvris la boîte à gants et m’emparai du taser dissimulé à l’intérieur. J’avais en ma possession toute une batterie d’armes neutralisantes, et même un pistolet chargé dans mon sac à main. Mon père m’avait appris à assurer ma protection et je suivais ses conseils à la lettre. Si monsieur "pas l’hôpital" brandissait des menaces, je le ferais griller et c’est sur un brancard qu’il entrerait aux urgences !

Votre corps est froid comme du poisson congelé et je ne veux pas avoir votre mort sur la conscience. Vous comprenez, monsieur ? Dites-moi plutôt pour quel motif vous n’iriez pas dans un hôpital.

Bonjour la comparaison foireuse !
La réponse vint instantanément, comme un enregistrement automatique sur une boîte vocale.

S’il vous plaît, sergent, pas l’hôpital… Je veux… servir… bataillon…

Ce fut à mon tour de me figer comme un poisson au congélateur. Avais-je bien entendu ? Je vivais parmi les militaires depuis ma naissance et n’avais aucun doute : cet homme en était un. Peut-être un vétéran traumatisé, accro aux opiacées depuis son retour à la vie civile. Papa croulait sous les affaires de ces soldats en perdition. C’était vraiment triste.
Je tapotai le volant de mes pouces, hésitante, quand enfin j’aperçus un panneau fléchant la direction du Monterey Memorial Hospital. Je m’arrêtai au feu rouge, lorgnant l’avenue à droite que mon devoir de citoyenne m’imposait de prendre, puis me retournai.
Le vétéran dormait avec la bouche ouverte, bras croisés sur sa poitrine qui se soulevait à intervalle régulier. Il avait l’air paisible, pas plus menaçant qu’un gros bébé durant son sommeil.
Oh, et puis zut !
Le feu passa au vert. Je tournai à gauche.

Quinze minutes plus tard, après une nouvelle séance de cassage de dos, l’énorme bébé s’enfonçait dans le matelas confortable de mon lit. Il aurait sans doute fallu que je le traine sous une douche brûlante, que je lui frictionne les muscles avant de l’étendre, mais il y avait des limites à mon dévouement. La température de son épiderme avait déjà remonté. Les militaires ont la peau dure, et celui-ci paraissait particulièrement vigoureux. Je nettoyais rapidement son torse et ses membres couverts de sable, parce que je ne voulais pas partager mon espace vital avec des grains abrasifs le lendemain. Mon gant de toilette s’attarda sur les pectoraux épais, autour des épaules puissantes. Que voulez-vous, il y avait là du sable très récalcitrant !
Je le séchais et le bordais d’une couette d’hiver trouvée dans un placard. Je laissai une bouteille d’eau avant de refermer la pièce derrière moi. Je n’avais pas ouvert la lumière, m’éclairant avec celle du couloir.

Dans le salon, je dépliai mon tapis de yoga et m’étirai au moyen de postures savantes. J’avais les muscles raides et endoloris mais je m’imposai d’aller au bout de ma routine. C’était le prix à payer pour passer une nuit régénératrice et me réveiller sans grosses courbatures le lendemain.
Je finis la soirée sur le canapé, zappant sur les chaines publiques, emmitouflée sous une fine couverture. La température dépassait vingt degrés, cependant j’aimais passer la nuit dans un cocon doux et sécurisant. Un documentaire passait sur les chasseurs de tempêtes. Je repensais à l’homme sommeillant dans ma chambre. Etait-il un de ces aventuriers de l’extrême ? Comment un militaire a pu se laisser surprendre par une tempête annoncée par la météo ?
Je m’endormis d’un sommeil lourd, un shocker électrique sous l’oreiller.

Je me levai aux premières lueurs de l’aurore, massant mes épaules et mes lombaires un peu raides. Je rendis visite à mon naufragé. Il dormait comme un loir, immobile et paisible. Je posai une main sur son front, revenu à une température saine, puis laissai mes doigts courir sur son beau visage. Je les retirai dans un tressaillement.
J’ai déjà vu cet homme !
Je ne lui avais pas adressé la parole, mais il n’y avait aucun doute. Pas plus tard que la veille, lors d’une pause, je l’avais aperçu se mouvoir avec puissance et adresse sur les agrès du Presidio. Il portait un treillis et un tee-shirt moulant, avec ce charisme naturel que dégagent les hommes dotés d’une grande force tant physique que mentale. Captivée, j’avais observé le beau militaire au-delà de mon temps réglementaire. Il était encore plus canon de près ! Je me demandai quelle couleur avaient ses yeux, et à quel nom il répondait.
Je poussai un soupir, me rappelant que j’avais des préoccupations plus essentielles. Une en particulier. Je quittai la chambre, passai un moment dans la salle de bain, enfilai un jean clair et un débardeur blanc, puis avalai un petit déjeuner frugal. Enfin, je retournai au salon avec mon téléphone chargé et une longue liste de numéros à contacter.


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Victor Nash

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39 ans en avril. Vigueur des muscles, expérience de l’âme, tourments de l’esprit.
Célibataire. Il a aimé et fut aimé en retour, des cadeaux de la vie qu’il chérit en son cœur. Amours impossibles, d’intensités diverses, étouffées par son dévouement envers l’US Army, plusieurs fois ensevelies sous le tombeau de la tragédie. Il chemine aujourd’hui avec la froide solitude, ressent parfois l’envie d’une compagne de voyage plus chaleureuse.
Sergent d’infanterie muté début 2022 au Presidio de Monterey, base militaire dépourvue d’unité de combat. Affairé à des tâches profondément ennuyeuses d’intendance et logistique. Victor a toujours eu la bougeotte et le goût de l’action ; il a passé une grande part de sa vie adulte sur les théâtres d’opération de l’US Army – sa famille de cœur. Et comme dans toutes les familles… il y a des couacs. Un sauvetage interdit en Afghanistan, jugé comme acte d’insubordination, lui a valu cette mise au placard qu’il espérait temporaire. Redresseur de torts depuis septembre 2022. Des rencontres et événements inopinés le poussent à se battre hors des lois, mais toujours en accord avec son code de conduite.
Une vieille bâtisse spacieuse au nord-ouest de la ville.
Tempest ↯ Victor & Tori 111da1796a179abd3091571786b897b0224d89f3

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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyJeu 6 Oct - 21:53#

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Septembre 2022 ☆ Monterey
Les deux étrangers se levèrent avant l’aube. Exécutèrent une série d’exercices d’assouplissement, de renforcement musculaire et de mise à mort. Puis ils se préparèrent au départ. Au moment de ranger leurs outils de travail, le grand dégarni déplia sa grande lame de rasoir – un ustensile de barbier au tranchant redoutable. Il eut un gros rire. Le métal était souillé d’un vernis brun où s’engluaient quelques cheveux blonds. Il expliqua à son acolyte moustachu qu’il avait oublié de nettoyer la lame après son dernier scalp. Le balafré ne rit pas. Les armes tranchantes lui avaient laissé un mauvais souvenir.
Ils se restaurèrent de steaks saignants et d’œufs au diner, juste à l’heure d’ouverture. Ketchup pour l’un, moutarde pour l’autre. Double café, plus un thermos rempli. Leur silence passa inaperçu dans la torpeur du matin. Ils payèrent en liquide.
La Ford se réengagea sur l’I-15, direction Las Vegas.


* * *

Victor ouvrit les paupières et dressa aussitôt le buste à la verticale. L’esprit lucide, clair comme un ciel sans nuages. Il avait chaud et la gorge sèche. Des trainées rougeâtres le démangeaient au niveau du buste et des membres. Blessures superficielles. Il porta une main à son cou, traumatisé de l’étranglement de la veille. Sa barbe l’avait protégé des frottements et devait masquer les entailles. Il n’y passerait pas la tondeuse de sitôt.
Une couette épaisse recouvrait ses jambes ; le matelas était plus mou que celui de son lit. Il tourna la tête, se protégea des rayons aveuglants qui filtraient à travers le store de la fenêtre. Modèle pvc standard, plus étanche et moins ancien que les fenêtres de son auguste tanière. Une petite bouteille d’eau en plastique trônait sur la table de chevet. Victor l’empoigna sauvagement et engloutit la moitié de son contenu sans prendre une respiration.
Il se souvenait de tout. La sortie en mer. Le ballet majestueux des créatures océaniques. Le retour tardif à la surface. L’orage. L’étreinte glaciale de la Mort, la rage mêlée de désespoir. Le miracle. Le néant, froid et silencieux. La voix féminine, semblable au babillage d’un ange. La sensation de mouvement et la puanteur d’un moteur bruyant. La confusion et le déshonneur de l’hôpital. Le néant à nouveau, mais chaud et confortable.
Tout en vidant le reste de la bouteille, Victor examina la pièce où il se trouvait. Une chambre aux dimensions moyennes. Simple, coquette, propre et ordonnée. De subtiles touches féminines dans la décoration sommaire. Sa bienfaitrice avait donc pris en compte ses supplications et l’avait transporté chez elle, dans son propre lit. Sans assistance, la manœuvre exigeait une bonne condition physique et une grande quantité de courage.
L’eau avait étanché sa soif et rempli son estomac, taisant provisoirement la faim qui le tenaillait. Victor leva le store et aéra la chambre. Le soleil était déjà haut et la ville baignait dans une lumière ardente. L’été jouait les prolongations dans ses plus beaux atours : un dôme d’un bleu limpide, accompagné d’une brise marine qui soufflait une fraicheur agréable dans les terres. Victor se repéra facilement. La fenêtre se situait au deuxième étage d’un petit immeuble et donnait sur les hauteurs du Presidio. Étrange coïncidence.

Songeur, le soldat réchauffa ses muscles. Bien que légèrement engourdis, le long sommeil régénérateur en avait extirpé la fatigue. À trente-sept ans, Victor se sentait en meilleure forme et récupérait plus vite qu’à ses premiers mois dans l’armée, lorsqu’il vomissait sa bile avant le premier kilomètre de course. Il fit le lit au carré, ne sachant s’y prendre autrement. Puisqu’il n’y avait aucun vêtement à son intention, Victor garda son short de bain et glissa ses pieds nus dans une paire de chaussons qui trainaient par terre. Ils ressemblaient à des lapins, plusieurs tailles inférieures à sa pointure.
Puis il ouvrit doucement la porte.
Une voix parvint à ses oreilles, depuis une pièce située à gauche après l’étroit couloir. Elle s’exprimait en espagnol avec un débit de mitraillette. Fluide et percutante. Une voix agréable à écouter, riche en accents et intonations. Un véritable orchestre symphonique. Victor y décela plusieurs notes d’anxiété et de lassitude, comme lorsqu’on appelle une flopée de fournisseurs au sujet d’un article essentiel en rupture d’approvisionnement. Il ne comprenait guère la langue hormis quelques mots : por farvor, mi hermano, casa et Fresno, une grande ville fortement hispanisée à l’est de Monterey.
À droite, le couloir débouchait sur une petite cuisine. Victor s’y engouffra. Mobilier standard, impersonnel. Sans doute un appartement de location, que son occupante actuelle n’avait pas pris ou voulu prendre le temps d’aménager à son goût. Il trouva le café moulu dans un placard, soigneusement entreposé dans un tupperware géant. Résista à l’appel des autres victuailles. Versa six cuillères – bombées – dans le ventre d’une cafetière qui avait beaucoup servi. Pressa le bouton express en espérant que l’appareil crache un breuvage correct sans y passer la journée.
Six minutes plus tard, Victor remplissait deux mugs en grès, couleur ocre. Le goût n’était pas fameux, mais la cafetière n’affichait aucune promesse au sujet de la qualité. Le contrat était rempli.

Il se dirigea vers le salon, trainant ses chaussons trop petits sur un sol carrelé.
Une couverture froissée reposait sur le canapé, seule entorse à l’ordre qui régnait dans la pièce. Au fond, abreuvée de la lumière du jour, une femme siégeait face un petit bureau. Posture seyante ; un stylo dans sa main droite, un téléphone sous la gauche. Une longue chevelure brune ondulait jusqu’aux omoplates. Ses bras nus arboraient un joli teint olivâtre. Victor devinait une peau douce comme le velours.
— Bonjour, s’annonça-t-il d’un ton neutre.
La femme pivota dans sa direction ; sa splendeur le frappa comme un coup de poing au sternum. Elle ressemblait à une fleur du désert et dégageait un parfum de noblesse, une belle énergie qui exerçait une puissante attraction sur son âme.
Victor reprit son souffle et se dirigea posément vers le bureau. Posa un mug fumant à l’écart d’un bloc-note, ouvert sur une page noircie avec ce qui ressemblait à des noms d’agences d’immobilières et leurs coordonnées. Belle écriture, dynamique et précise. La moitié des lignes étaient barrées. Les pages précédentes avaient subi un traitement identique.
Il capta le regard alerte de sa bienfaitrice. Elle le jaugeait, ce qui était la moindre des précautions pour une femme seule hébergeant un inconnu. Il observa qu’elle avait des cils magnifiques, longs et soyeux.
— Je m’appelle Victor Nash. J’espère que vous ne me trouverez pas malpoli d’avoir emprunté vos chaussons, après avoir gâché votre soirée. Vous méritez plus que mes remerciements, mais il n’y a pas d’autre façon de commencer. Merci. Merci de m’avoir arraché à la nuit froide ; merci de m’avoir offert la douceur de votre cocon.

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Les amants maudits, ça vous parle ?
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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyDim 9 Oct - 18:26#

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Septembre 2022 ☆ Monterey
Galant, en plus de ça, mon naufragé, et beau parleur ! Il s’exprimait avec une voix calme et profonde qui inspirait spontanément la confiance. Sa démarche tranquille ne montrait aucun signe de nervosité ou une quelconque intention d’impressionner, comme c’était souvent le cas chez les hommes à la carrure avantageuse. Pourtant je l’étais, impressionnée à m’en décrocher la mâchoire, face à ce dieu descendu de l’Olympe ! Un buste puissant, des abdominaux plantés comme des collines, plus bas les contours d’une magnifique ceinture d’Adonis, et autour deux bras capables de vous porter jusqu’au sommet de la Sierra Nevada. Je me rappelai de la sensation de mes mains sur ce corps plongé dans une demi-obscurité, pas plus tard que la veille. Pour en ôter du sable très récalcitrant, me convainquais-je alors qu’une vague de chaleur me montait aux joues.
A présent, ces bras forts m’apportaient le café ! Peu d’hommes avaient cette délicatesse, même après avoir dormi dans mon lit.

Merci pour le café !

Je portai immédiatement le mug à mes lèvres, dissimulant ma nervosité. Ma drogue favorite était bien corsée, comme je l’aimais et me l’autorisais rarement. Tant pis pour mon système nerveux !
Il s’appelait Victor Nash. Un nom commun, et qui pourtant imposait un certain respect. Je fus amusée et troublée par la manière dont son prénom s’accordait avec le mien.
Victori, le nouveau duo gagnant ?
Je plongeai à travers les volutes de fumée dans le bleu intense de son regard. En contraste avec son calme apparent, ses yeux évoquaient la tempête qui l’avait rejeté sur la plage. Je baissai spontanément les miens alors qu’il mentionnait mes chaussons, puis lâchai un rire que j’étouffai vite sous ma main. Imaginez Achille, le héros de la guerre de Troie, chaussé de sandales Roger Rabbit duveteuses, et vous aurez un aperçu du spectacle.

Pardon ! m’excusai-je. Moi, c’est Tori. Vous chaussez du combien ? 45 ?

Il acquiesça. J’avais l’œil pour ces choses-là et devinais au centimètre près ses mensurations. (Toutes sauf une !)
Je me levai et me dirigeai vers l’armoire où s’entassaient pêle-mêle des affaires de plage, répondant à ses remerciements que j’avais seulement fait mon devoir de citoyenne.

Vous m’avez causé des frayeurs, hier soir ! En apercevant votre silhouette étendue près des rochers, j’ai craint que vous étiez mort. Vous êtes tombé d’un bateau, ou vous essayiez de gagner les côtes japonaises à la nage ? Vous n’avez pas consulté la météo avant de prendre la mer ?

Je fouillai dans un carton et trouvai une paire de gougounes, taille soi-disant universelle qui convient à la plupart des hommes et à moins de la moitié des femmes. Avec mon mètre soixante-neuf, je faisais partie des heureuses privilégiées.

Oh, si vous avez une personne à appeler pour la rassurer, vous pouvez utiliser mon téléphone.

Je revenais vers Victor et lançai les tongs à ses pieds.

Mettez plutôt ça, avant que mes pauvres chaussons doublent de largeur !

Je retenais un nouveau fou rire.

Vous vous sentirez moins, euh, (ne pas dire ridicule, ne pas dire ridicule, ne pas dire...) à l’étroit. Navrée, mais je n’ai pas d’autres vêtements à votre taille.

Je n’étais pas réellement navrée, à vrai dire. Après tous les efforts que j’avais fournis pour le hisser jusqu’à mon lit, j’avais bien mérité une exhibition privée !
Je m’assis et bus une nouvelle gorgée de nectar. Quand je ne me réfrénais pas, les paquets de café partaient comme des apéritifs à une fête d’anniversaire et je terminais vite en pile électrique.
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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyMer 12 Oct - 22:04#

Tempest ↯ Victor & Tori
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Septembre 2022 ☆ Monterey
Après les ennuis qu’il avait causés à cette femme, Victor ne s’attendait guère à un accueil aussi chaleureux et décontracté. Il savait que sa carrure intimidait bien que son pays regorge de mastodontes plus impressionnants que lui. Il ne décela aucune peur dans les yeux inquisiteurs de sa bienfaitrice. En déduisit qu’elle était familière des hommes dans son genre, raison pour laquelle elle avait trouvé le courage de le conduire jusqu’à sa chambre sans fermer la porte à double tour.
Elle avait un rire qui faisait resplendir son joli minois et s’appelait Tori. Nouvelle coïncidence. Nouveau frisson, émergeant des entrailles du passé. Ses anciens camarades de l’infanterie le surnommaient Victory. Victory le porte-chance.
Il profita que Tori s’éloignait du bureau pour l’examiner attentivement. Démarche souple, énergique : une sportive. Il la dépassait seulement de quinze centimètres, ce qui n’arrivait pas souvent avec les femmes d’origine latine. Son profil révélait un métissage occidental. Le brassage génétique lui était hautement favorable bien que ses lèvres charnues avaient probablement suscité des railleries. Les pires garnements ont le verbe cruel et un respect inexistant – trente ans plus tôt, Victor aurait exploité le filon des lèvres de carpe jusqu’à l’outrage.

Accroupie devant une armoire, Tori le questionna sur les circonstances de son naufrage. Une curiosité légitime.
— Vous n’êtes pas loin du compte, convint-il. Je me suis aventuré en haute mer à bord d’une barque afin de m’adonner à la plongée sous-marine. Il existe un monde fascinant, sous la surface. La tempête m’a surpris et n’a fait qu’une bouchée de mon embarcation. Ma seule option était de rentrer à la nage. Les côtes californiennes me paraissaient plus accessibles que l’archipel du Japon.
Victor se gratta la barbe du cou, là son couteau avait tailladé la sangle des lunettes de plongée. Il ressentait encore l’étranglement qui l’avait mené au bord de l’asphyxie. Revoyait l’apparition miraculeuse – ou hallucinée – qui l’avait guidé en direction des terres. Il aurait dû mourir. Vomi sur le rivage à la prochaine marée, couvert d’écume ; ou remonté dans le filet d’un chalutier avec un banc de poissons nécrophages. Pourtant Victor se sentait apaisé, empli d’une sérénité qu’il n’avait pas connue depuis longtemps. Il avait l’impression de voguer sur le fleuve éternel du destin, avec l’assurance que rien de fâcheux n’arriverait tant qu’il pagayait dans le sens du courant. Un courant qui l’avait porté dans le lit moelleux de Tori Espinoza.
— Je tiendrai compte du bulletin météo la prochaine fois. Il y a un côté stimulant dans les imprévus et les difficultés, mais je m’en voudrais de causer d’autres frayeurs à une honnête citoyenne.
Il sourit à sa bienfaitrice qui farfouillait le contenu d’un carton. Admira la ligne gracieuse de son cou.

— Oh, si vous avez une personne à appeler pour la rassurer, vous pouvez utiliser mon téléphone.
On était samedi et Victor n’avait rien de prévu avant le match de football du lendemain. Par politesse, sa tête décrivit un arc de cercle en direction du bureau où reposait le téléphone. Elle s’arrêta en face du canapé. Sous un pli de la couverture dépassaient les dents métalliques d’un shocker électrique. Bienfaitrice et courageuse, mais prudente.
Victor hocha la tête, puis reporta son attention sur Tori.
— Je n’ai personne à contacter, je vous remercie.
Il crut détecter un soulagement. Tori semblait le genre de personne à beaucoup s’inquiéter pour les autres.
Il déclara que peu de citoyennes auraient montré un tel niveau d’engagement et d’hospitalité envers un naufragé. Le réflexe habituel consistait à appeler une ambulance. À remettre la patate chaude aux autorités compétentes. Mais en plus d’un courage bien dosé et d’un cœur solidaire, Tori possédait également le sens de l’initiative. Ces qualités valaient de l’or au sein de l’armée. Il y avait quelque chose de militaire chez elle, dans sa façon d’être. Tori n’avait pourtant pas l’allure d’une combattante. Ses mains étaient lisses, sans cals ; elle maniait le stylo comme une employée de bureau et mentionnait le danger comme une personne inaccoutumée à la mort.

Victor réceptionna poliment les tongs. Ses pieds se sentirent aussitôt plus à l’aise. Il se figura son apparence.
— Puisque vous m’avez trouvé sur la page, j’imagine qu’une tenue de plagiste est appropriée aux circonstances.
Son tee-shirt de l’US Army lui manquait déjà. La mer en furie l’avait englouti – mieux valait le tee-shirt que le gars à l’intérieur.
Il désigna le bloc-notes du menton.
— Vous cherchez un logement ?
Pour elle-même, ou peut-être son hermano.

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Dernière édition par Victor Nash le Mer 19 Oct - 21:55, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyDim 16 Oct - 18:56#

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Septembre 2022 ☆ Monterey
Je n’ai personne à contacter, je vous remercie.

Personne qui l’attendait, voilà qui était intéressant ! Je n’étais pas encore au stade de faire des plans sur la comète, cependant je ne pouvais m’empêcher de songer qu’on devait se sentir merveilleusement bien, sur une comète avec Victor Nash. Les filles se battaient comme des lionnes pour mettre le grappin sur les mecs dans son genre, beaux et respectueux, auréolés d’un je-ne-sais-quoi d’étrange qui nous captive. A moi aussi, il m’était arrivé de distribuer des coups de griffes pour écarter des prétendantes. Leur célibat résultait d’un choix personnel, et d’ailleurs Victor ne montrait aucune intention de me séduire. Je sentais le poids de son regard, toutefois j’y décelais seulement de la curiosité. Peut-être cachait-il bien son jeu ? Sans vantardise, je savais appartenir à la catégorie des beautés naturelles. Merci maman pour les os fins et la graisse idéalement répartie ! Dès ma première semaine au Presidio, plusieurs officiers m’avaient copieusement reluquée avant de m’aborder avec la délicatesse d’un char d’assaut. Certains masquaient maladroitement leur alliance. Le rituel se répétait à chaque nouvelle affectation, et la majorité repartait la queue entre les jambes quand je leur annonçais le grade et la fonction de papa. Personne ne voulait se frotter à un commandant de la police militaire ! Je me réjouissais que Victor se comporte en gentleman un peu bizarre, cependant une partie de moi désirait que cet homme-là me témoigne plus d’intérêt, peu chaste de préférence.
Par contre, il montra un intérêt inattendu pour ma liste d’agences immobilières. Le charme se rompit alors que je songeai à mon frère injoignable, disparu depuis des jours. Je soupirai et cherchai mes mots. Maman était la seule personne à qui j’avais confié ma démarche, elle aussi se faisait un sang d’encre au sujet de Ruben. Bien qu’il n’était pas dans mes habitudes de parler affaires familiales avec des inconnus, Victor m’inspirait confiance. Et puis ce n’était pas tout à fait un inconnu. Je savais qu’il portait l’uniforme, et il avait quand même passé toute la nuit dans mon lit. Même si je n’y étais pas, flûte !

Je cherche le logement de mon frère, Ruben. Il devait déménager à Fresno au début du mois et nous sommes sans nouvelles de lui. Il nous a déjà causé des frayeurs, parfois il fait preuve d’une négligence exaspérante, mais c’est la première fois qu’il reste muet aussi longtemps. J’ai inondé sa boîte vocale de messages, envoyé des textos et des emails, et…

Je fixai ma liste pour que Victor ne voie pas les larmes qui me montaient aux yeux. Après chaque journée infructueuse, mon inquiétude franchissait un palier supplémentaire et ébranlait mon aptitude à garder la tête froide. Papa se murait derrière un silence stoïque. Maman supposait que Ruben avait changé de prestataire téléphonique, à cause du déménagement, et qu’il se manifesterait une fois bien installé. C’était bien le genre de mon frère ! J’éprouvais tout de même le besoin d’en avoir le cœur net.

Et donc, repris-je d’une voix chevrotante, j’appelle tour à tour les agences immobilières de Fresno dans l’espoir qu’elles me renseignent sur un logement attribué dans les trente derniers jours à un Ruben Espinoza. Je ne sais même pas s’il a pris une maison ou bien un appartement, s’il loue ou s’il a acheté. Je tombe parfois sur des secrétaires gentilles et compréhensives. D’autres fois, il faut batailler ferme pour leur arracher une information qui ne rapporte rien !

Jamais je n’aurais cru que Fresno dénombre autant d’agences immobilières. C’était une grande ville, mais pas non plus Los Angeles ! J’avais passé toutes mes pauses du midi et mes débuts de soirée au téléphone, jusqu’aux heures de fermeture des agences. Vendredi, j’étais partie me promener sur la plage après le travail parce que mes nerfs approchaient du seuil de rupture. J’y avais trouvé un naufragé, l’homme qui se tenait debout devant moi, et l’avais secouru. J’espérais reproduire ce petit miracle avec Ruben qui n’en était pas à son premier coup d’éclat.
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Il s’agissait donc de son frère. Un garçon à problème, comprit Victor en filigrane. Il remarqua la peine en gestation dans les yeux de Tori. Perçut dans le trémolo de sa voix une angoisse qui se propageait en ondes frémissantes et subtiles sur sa peau hâlée. Derrière ces manifestations physiques, le lien puissant et immuable d’un amour inconditionnel.
Victor sentit un froid envahir sa poitrine. En tant que fils unique, il ne pouvait guère comprendre le lien particulier entre deux individus bercés dans la même matrice. En tant que sergent d’infanterie, néanmoins, il avait connu les sudorifications âcres qui précèdent une opération périlleuse. Les boules dans la gorge qui succèdent aux retours de mission. L’anticipation glaciale qu’un tir ou un engin explosif fauche un de ses gars, ou le membre d’une unité alliée. La plupart du temps, l’ensemble du contingent rentrait au bercail sain et sauf. Il arrivait cependant que des frères d’armes ne reviennent pas indemnes, ou ne reviennent pas du tout. Tori devait éprouver ce genre d’inquiétude.
Victor posa une main sur l’épaule de sa bienfaitrice. Elle était tendue. Il la conforta doucement, comme on héberge le crâne délicat d’un nouveau-né au creux de sa paume.
De l’autre main, il planta un index volontaire au milieu du bloc-notes. Les mots jaillirent de sa gorge avec vaillance.
— Permettez que je vous apporte mon aide. Je sais y faire avec les opérateurs récalcitrants et je dispose d’un téléphone cellulaire.
C’était la deuxième fois que son expérience au sein de la logistique trouvait une application pratique hors de la base, après l’accord noué avec la librairie de monsieur Larsen. Victor détestait le téléphone ; il préférait voir ses interlocuteurs en face. Faute de pouvoir serrer des mains aux quatre coins de la planète, il avait dû s’approprier ce piètre outil de communication.
Tori le regarda bizarrement. Peut-être parce qu’en 2022, neuf adultes sur dix possédaient un téléphone mobile – plus évolué que son antique appareil en forme de brique. Il n’y avait pas de quoi fanfaronner.
— Je dois d’abord faire un saut chez moi. Pour récupérer mon téléphone… et aussi pour enfiler des vêtements.
Il écarta les bras et les cuisses, façon grenouille en plein saut. Un sourire facétieux aux lèvres, l’air de dire ceci n’est pas une tenue correcte pour mener un travail d’investigation auprès d’une dame. Son geste fit rigoler Tori. Victor aimait le son que ce rire produisait.
Le militaire devait aussi répondre de toute urgence aux besoins physiologiques de son organisme. Il était parti tôt en mer et n’avait rien mangé depuis une vingtaine d’heures. Un gouffre s’était creusé à la place de son estomac, qu’un grand bol d’avoine comblerait partiellement. Cinq minutes de préparation. Le temps réglementaire pour faire sa toilette et se mettre en tenue. Cinq minutes supplémentaires pour tout avaler – dix pour éviter d’embarrassants renvois d’estomac au cours de la matinée. Restait le trajet entre l’immeuble de Tori et la vieillerie qui lui apportait un toit. Cinq minutes au pas de course, à l’aller comme au retour.
— Inutile de me conduire, ça ne prendra pas plus de trente minutes. J’irai très vite à pied et me dégourdir les jambes me fera le plus grand bien.
Victor supposait que sa bienfaitrice voudrait un moment de tranquillité. Pour vérifier sa chambre et faire mille petites choses qui nécessitent d’être seule. Pour faire le point.
Il la remercia à nouveau, la réassura de son prompt retour. Marqua un arrêt sur le pas de la porte :
— Ils ont tort, vous savez. Les agents immobiliers. Humainement parlant, bien sûr, mais aussi commercialement. Ce sont des vendeurs, or la réputation d’un commerce se bâtit sur la manière de traiter ses clients. Tous ses clients ; pas seulement les acheteurs potentiels. Un client traité avec dédain détient le potentiel de nuisance d’une colonie de termites. Sans un bruit, ces créatures invisibles et considérées comme insignifiantes dégradent la charpente qui soutient tout l’édifice. À mes interlocuteurs les plus cyniques, ce sont des arguments que je brandis pour obtenir de leur part un minimum de coopération.
Il disparut dans l’escalier.

Trente-deux minutes plus tard, Victor sonnait. Il avait perdu un temps précieux à l’aller, grimpant dans un arbre pour attraper un ballon. Les larmes de crocodile du gamin qui l’y avait expédié mettant en veilleuse sa faim oppressante. Victor fit promettre au gamin de jouer plus loin et de faire attention, mais il avait connu cet âge et savait ce qu’il en était. Au retour, à peu près au même endroit, le même ballon dormait entre les bras noueux d’une branche fourchue – trois mètres au-dessus du visage incrédule du gamin. Victor songea alors au frère de Tori et sa « négligence exaspérante ». Il traça sa route sans se détourner.

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Un appartement dans le quartier ouest.

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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyDim 23 Oct - 18:18#

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Septembre 2022 ☆ Monterey
Je fermai la porte derrière mon naufragé, le souffle court, et réalisai que je n’avais pas prononcé un mot depuis que Victor avait exprimé l’intention de rentrer chez lui. Moi qui avais l’habitude de bavasser comme une pipelette, cet homme me faisait surtout produire des signes de tête, des rires et des sourires. En un mot, je devais avoir l’air idiote !
L’appartement était calme, je trainais les pieds sans direction précise et me retrouvai dans ma chambre. J’avais l’impression de sortir d’un grand huit émotionnel, avec ses chutes angoissantes et ses montées d’extase. La disparition de mon frère m’affectait plus que j’avais voulu l’admettre, et puis il y avait mon naufragé, Victor Nash. Je m’écroulai au milieu du lit où cet homme avait passé la nuit, faisant l’étoile de mer. Mes bras et mes jambes glissèrent sur la couette qui l’avait tenu au chaud durant la nuit. Je poussai un rire nerveux en touchant les plis impeccables autour du matelas. Ces militaires, je vous jure ! Je respirai profondément, repensant aux minutes qui venaient de s’écouler, et posai une main sur l’épaule que Victor avait touchée. Ses mots faisaient mouche, ainsi que ses gestes. J’avais accepté son aide sans protester, sans émettre de condition, et m’étais sentie plus forte lorsqu’il avait plongé son regard volontaire en moi. Je me targuais d’être une femme indépendante, mais on se sent quand même mieux avec un soutien à ses côtés ! Mes parents, les piliers de mon existence, avaient toujours joué ce rôle. Malheureusement des milliers de kilomètres nous séparaient.

Allez, Tori, c’est pas le moment le rêvasser !

J’arrachai la couette, reniflai inconsciemment l’odeur masculine mêlée d’iode, puis la rangeai dans son emplacement d’origine.
Mon humeur revenait à l’optimisme et je chantonnais tout achevant de mettre l’appartement en ordre. Dans le salon, je pliai ma couverture et révélai dessous le shocker électrique qui m’avait sécurisée. Je l’avais oublié, celui-là !Est-ce que Victor l’avait vu ? m’inquiétai-je. Je n’avais pas honte d’assurer ma protection, mais j’espérais que ce détail un peu flippant lui avait échappé.
Je passai dans la salle de bain, renonçai à lisser mes cheveux en contemplant mon reflet et nouai une queue de cheval. J’ouvris le parfum hespéridé que j’avais ramené de Floride, déposai une goutte des deux côtés du cou. Aucune arrière-pensée ! Les flagrances fraiches et fruitées s’accordaient merveilleusement à mon entrain retrouvé.

La matinée était bien entamée, et même si nous avions une chance de tomber rapidement sur l’agence immobilière de Ruben, il fallait songer au repas du midi. Je n’allais pas renvoyer Victor chez lui après son aide généreuse et il n’était pas question d’un rendez-vous au restaurant. Ma priorité restait Ruben et Victor semblait sur la même longueur d’onde. Un bon point pour lui. Je ne lui avais pas encore confié que Ruben avait suivi une carrière militaire avant sa récente démission. Une partie de moi craignait qu’il réagisse comme papa. En parlant du premier homme de ma vie, j’eus une idée et volai jusqu’à mon téléphone. Je choisis Antonio Espinoza comme destinataire et tapai mon message.
Bonjour papa !
Tout va bien en Ohio ? Vous avez encore un peu de chaleur estivale ?
Je voudrais faire appel à mon agence de renseignement favorite au sujet d’un Victor Nash, affecté au Presidio de Monterey. J’ignore son grade et son unité, mais je suis sûre que tu vas trouver son dossier et y jeter un œil averti ^^ Tu ne voudrais pas que ta fille chérie s’acoquine avec un psychopathe, n’est-ce pas ? Rien ne presse, rassure-toi !
Fais de gros bisous à maman de ma part ♡
Je vous aime très fort.

Je gloussai et pressai la commande Envoyer. Maman et moi étions les seules personnes sur cette planète à nous adresser aussi familièrement au redouté commandant Esponiza de la police militaire. Chaque fois que j’avais en homme en vue, forcément en uniforme, je lui réclamai ce petit service qui constituait la seule entorse à son éthique irréprochable. C’était une manière à peine voilée d’obtenir son aval, essentiel à mes yeux. Je savais aussi qu’il en toucherait un mot à maman, si bien qu’à notre prochaine conversation téléphonique elle me réclamerait des détails croustillants. Il ne se passerait peut-être jamais rien entre Victor et moi, mais une fois que j’aurais serré Ruben dans mes bras, mon beau naufragé faisait un candidat très sérieux pour me blottir entre les siens.
Je fonçai ensuite à la cuisine et rassemblai les ingrédients pour des pâtes à la mexicaine. J’avais l’impression que dix minutes s’étaient écoulées lorsque le carillon de l’entrée retentit. Les militaires ont une capacité étonnante à accomplir les gestes du quotidien deux fois plus vite que les autres.

Victor portait le même tee-shirt moulant de l’armée que la première fois où je l’avais vu, ainsi qu’un pantalon multipoches près du corps. Cette tenue devait représenter pour lui l’équivalent du costume sur mesure chez un cadre de grande entreprise. Elle lui allait bien et régalait les mirettes, étant encore imprégnée de sa nudité presque totale j’avais l’impression de voir au travers.
Nous nous mîmes rapidement au travail. Certaines agences immobilières fermaient à midi et nous les contactâmes en priorité. Je restais à mon bureau, Victor s’installa sur le canapé. Son téléphone était une antiquité ! Je n’étais pas même pas certaine qu’il capte la 3G. Nous échangions des mots d’encouragements entre deux appels, ou quand les musiques d’attente mettaient nos nerfs à l’épreuve. Victor manipulait son téléphone comme un papi avec un jouet électronique entre les mains, sa balourdise me faisait rire. Pourtant, il n’avait pas son pareil pour obtenir ce qu’il voulait une fois le contact établi. J’avais un peu honte de l’admettre mais il se débrouillait mieux que moi, la linguiste. Il ne souffrait pas de la charge émotionnelle qui me nouait l’estomac chaque fois que je me prononçais le nom de mon frère. En pur militaire, Victor s’exprimait d’une voix grave et profonde, chargée d’autorité naturelle. Je l’imaginais sergent-chef, ou adjudant, avec de belles décorations. Il avait le charisme d’un sous-officier supérieur, mais pas le look un peu guindé des officiers.
A midi passé, nous avions contacté la quasi totalité de la liste et nous demeurions bredouilles. Je m’étirai la nuque, lasse, et refis le point sur ce que je savais. Ruben avait loué une habitation à Fresno, il me l’avait dit au téléphone et j’étais persuadée qu’il disait la vérité. Par ailleurs, il n’était pas assez débrouillard pour se passer d’une agence. Celle-ci se trouvait nécessairement dans les noms restants, ou parmi les agences que nous n’avions pas réussi à joindre.

On fait une pause ? Vous avez faim ? demandai-je à mon spécialiste du téléphone.

Je l’invitai à rejoindre la cuisine. Si Victor n’avait jamais goûté aux pâtes à la mexicaine, il allait faire l’expérience d’un véritable baptême du feu culinaire.

Vous vous débrouillez rudement bien, le complimentai-je sur sa prospection. Quel est votre secret ?
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Célibataire. Il a aimé et fut aimé en retour, des cadeaux de la vie qu’il chérit en son cœur. Amours impossibles, d’intensités diverses, étouffées par son dévouement envers l’US Army, plusieurs fois ensevelies sous le tombeau de la tragédie. Il chemine aujourd’hui avec la froide solitude, ressent parfois l’envie d’une compagne de voyage plus chaleureuse.
Sergent d’infanterie muté début 2022 au Presidio de Monterey, base militaire dépourvue d’unité de combat. Affairé à des tâches profondément ennuyeuses d’intendance et logistique. Victor a toujours eu la bougeotte et le goût de l’action ; il a passé une grande part de sa vie adulte sur les théâtres d’opération de l’US Army – sa famille de cœur. Et comme dans toutes les familles… il y a des couacs. Un sauvetage interdit en Afghanistan, jugé comme acte d’insubordination, lui a valu cette mise au placard qu’il espérait temporaire. Redresseur de torts depuis septembre 2022. Des rencontres et événements inopinés le poussent à se battre hors des lois, mais toujours en accord avec son code de conduite.
Une vieille bâtisse spacieuse au nord-ouest de la ville.
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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyMer 26 Oct - 21:51#

Tempest ↯ Victor & Tori
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Septembre 2022 ☆ Monterey
Quelque part dans le Nevada, la Ford quitta la route principale et s’engagea dans une bretelle menant à une station-service. Un poids lourd la précédait, purgeant ses gaz d’échappement au nez de la berline. Non loin, une cohorte de véhicules de transport occupait le vaste terrain plat qui servait de parking. Les deux étrangers émirent des commentaires sur l’asphalte craquelé et la vétusté du bâtiment qui faisait également office de cafétéria. Les Ricains se vantaient de leur opulence, pourtant hors des grands centres urbains leur pays n’était pas si différent du leur. Le camion dégagea le passage. La Ford piqua un coup d’accélérateur jusqu’à la pompe ; sa carrosserie gris ardoise disparaissait sous une saleté noirâtre et ocre. Le conducteur remplit le réservoir jusqu’à plus soif, exposant sa calvitie naissante à la morsure du soleil.
Il paya en liquide. Son acolyte lui emboîta le pas et ils gagnèrent ensemble la cafétéria, bondée de tous les spécimens de routiers que compte l’Amérique. Les effluves de graisses chauffées se mêlaient aux odeurs de gasoil. Un homme au visage grêlé les héla avec un grand sourire. Cheveux noirs, teint basané, conversation fluide en espagnol. Les deux voyageurs se déridèrent ; on ne leur avait pas fait plus bel accueil depuis leur départ du Colorado. Peut-être même depuis qu’ils foulaient ce fichu pays. Le grêlé leur servit un gros steak chacun, avec des haricots noirs et une sauce épicée. Spécialité maison, servie en double pour le plus grand. Ils se régalèrent. Se présentèrent sous l’identité de cousins éloignés invités à une fête de mariage. On leur offrit une boîte de sucreries traditionnelles, pour les heureux élus. Les tueurs feignirent de chaleureux remerciements. Payèrent en liquide, avec un pourboire.
Le moustachu prit le volant à la place de l’autre qui se massait la bedaine. Songea que son acolyte devenait vieux et se laissait aller. Bientôt, ce grand dadais commettrait une erreur et le patron ne le pardonnerait pas. Salvador Castillo ignorait le pardon.


* * *


— On fait une pause ? Vous avez faim ?
L’estomac de Victor se contracta aussitôt.
— Une faim de loup !
Tori passa devant le canapé du salon, semant un parfum fruité qui réjouissait l’humeur. Une odeur subtile, pénétrante, apte à mettre en émoi l’appétit d’un homme. Le ventre de Victor n’était pas seul à s’exciter.

Quelques minutes plus tard, les senteurs de cuisine le faisaient saliver comme un bambin à une fête d’anniversaire. L’armée ne l’avait pas habitué au raffinement ; un plat composé de trois ingrédients ou plus tenait du chef d’œuvre gastronomique. Il s’était dignement occupé des pâtes en sachet – une des rares recettes qu’il savait préparer – pendant que Tori mixait l’alléchante garniture. Coulis de tomate, chorizo, maïs, oignons, poivrons, piments et épices chauffaient en répandant un florilège d’arômes.
Il disposa les assiettes et couverts que Tori sortait des placards, expliquant qu’il travaillait dans la logistique militaire et passait un temps fou à batailler auprès des fournisseurs. Il sélectionna une poignée d’anecdotes burlesques qui ne trahissaient pas le secret militaire. La confidence d’une cargaison de lait infantile expédiée aux cadets de la Navy, en raison d’une bête erreur de référence, n’allait pas compromettre la sécurité nationale. La tension qui habitait Tori s’amenuisa. Elle avait le rire facile et sincère ; ses yeux foncés s’emplissaient d’éclats de lumière, offrant un spectacle magnifique à contempler.
— Il n’y a pas de secret, conclut-il avec un haussement d’épaules. Lorsque je prends le téléphone, j’ai un objectif et je fais ce qu’il faut pour l’atteindre. Chaque appel est comme une mission. Parfois on passe un sale moment, parfois on fait de belles découvertes. L’important, c’est de ne pas s’égarer et garder le cap.

Ils passèrent à table. Les premières bouchées émoustillèrent le palais du militaire, accoutumé aux plats simples et pauvres en saveurs. C’étaient ses premières pâtes à la mexicaine ; un baptême du feu, s’amusait Tori. Victor comprit rapidement pourquoi. Une chaleur vive monta de sa gorge, pareil à un début d’incendie. Il ouvrit grand la bouche et haleta. Le feu s’attisa, consumant toute la chair sensible de la langue aux gencives. Il engloutit d’une lampée le contenu de son verre d’eau, puis s’en servit un deuxième. Et enfin un troisième.
Tori riait aux larmes.
Victor aussi sentait des larmes lui brûler les yeux, néanmoins elles devaient plus aux épices qu’à une explosion de joie.
— Je vais m’en sortir, inutile d’appeler les pompiers ! assura-t-il en soufflant des vapeurs volcaniques. Elles ont du caractère, vos pâtes. J’imagine que ces recettes latines ont contribué à forger le vôtre.
Son palais commença à s’accommoder. Il avait goûté des plats asiatiques plus corsés que ces pâtes mexicaines ; c’était juste une affaire de maîtrise et d’accoutumance. Il vida son assiette avec un seul verre d’eau supplémentaire, remercia Tori pour le repas savoureux et… chaleureux, puis proposa de se répartir les tâches pour la vaisselle.

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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyDim 30 Oct - 18:23#

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Septembre 2022 ☆ Monterey
Je rougissais comme une pivoine, mes joues et mes oreilles au bord de l’embrasement. Entre les potins croustillants de la logistique militaire et le visage décomposé de Victor, je rattrapais mon quota de rire après une semaine sans joie.
J’étais aussi mortifiée de honte ! D’abord, j’avais éclaboussé le maillot de monsieur avec de la sauce-piment bouillante, le type qui ne part jamais au lavage quoi que vous tentez. Promis, je n’avais pas fait exprès pour qu’il tombe le maillot ! Flegmatique, Victor m’assura qu’il possédait le même en cinquante exemplaires, un des petits avantages de sa fonction. Quant au goût de la sauce coupable, il était déjà fort pour mon palais rompu aux piments puya, alors le choc gustatif devait être terrible pour un soldat accoutumé aux rations insipides ! Une fois encore, mon naufragé prit la chose avec philosophie et trouva même le moyen de me complimenter subtilement. Si cet homme cherchait à me séduire, il était en train de réaliser un sans-faute.

C’est vrai, j’aime ce qui est fort et ardent, admis-je avec un regard qui l’était tout autant. Je ne parlais pas seulement de nourriture, bien qu’il s’agissait aussi de chair.

Je confiai alors à Victor que j’appartenais à une famille de militaires dont la branche paternelle avait grandi au Mexique, et que je travaillais moi-même pour l’armée en tant que linguiste. Il ne semblait guère surpris et je ne perçus chez lui aucune crispation. C’était encourageant, toutefois je ne courus pas le risque de tout gâcher en précisant la fonction crispante de papa ou la carrière en creux de Ruben.

Nous nous sommes d’ailleurs croisés une fois, au Presidio. Je ne vous ai pas reconnu hier soir, à cause de l’obscurité, mais votre tee-shirt a ôté mes derniers doutes. Dites-moi, ça vous arrive de porter autre chose ?

Je ris et me sentis plus légère. Je n’ai jamais été à l’aise avec les cachotteries et d’ordinaire, on me trouve plutôt directe. A présent, tout était dit ! Enfin, pas exactement tout. Notre complicité devrait franchir un palier supplémentaire avant que je confesse avec quelle insistance je l’avais observé. Je sentais d’ores et déjà une belle alchimie entre nous, rarement je m’étais si bien accordée avec un homme en si peu de temps. Les choses venaient spontanément, sans forcer, et j’avais hâte de découvrir où elles me mèneraient. Cela tenait peut-être à la particularité de notre rencontre, au caractère placide et serviable de mon naufragé. Rien à voir avec les machos à la coupe en brosse qui pullulent dans l’armée américaine ! Ne vous méprenez pas, je les aimais bien, ces gros durs, et je savais que leur profession mettait une personnalité à rude épreuve. Mais j’appréciais que cette force soit mise au service d’une présence réconfortante qui me donne le sentiment que tout irait bien. Victor me faisait exactement cet effet, sa belle gueule était la cerise sur le gâteau que j’avais envie de croquer.
Nous fîmes la vaisselle ensemble, dans une proximité physique qui ne m’aidait pas à redescendre en température, échangeant des tuyaux sur la base militaire et son personnel.

J’ai porté ma Honda à la zone d’entretien des véhicules pour un petit rafistolage, mais le technicien caporal m’a rondement préconisé de trouver un garage en ville. Il y avait pourtant d’autres véhicules civils dans son hangar, et ce genre de service est monnaie courante dans les bases militaires. Suis-je tombée sur un soldat qui n’apprécie pas les civils ?

Pendant qu’il lavait et que j’essuyais, j’appris qu’il était arrivé à Monterey durant la période de Noël et entendis pour la première fois de l’amertume dans sa voix. Que lui était-il arrivé ? Etait-il blessé, physiquement ou psychologiquement ? J’en savais suffisamment sur le fonctionnement des institutions militaires pour deviner que les bases comme le Presidio servaient, entre autres choses, à caser des soldats jugés inaptes au combat. Si Victor avait l’air bien dans sa tête et dans son corps, les apparences pouvaient être trompeuses. J’avais hâte que papa jette un œil à son dossier militaire !
Logeant mes questions dans un coin de ma tête, nous retournâmes à nos téléphones respectifs avec la motivation de coureurs proches de la ligne d’arrivée. J’allai bientôt obtenir l’adresse de mon frère, ainsi que son nouveau numéro de portable si maman avait vu juste !

Les aiguilles de la pendule approchaient 14h quand nous déposâmes nos appareils, tous les deux arrivés au bout de nos listes.
Aucune des agences immobilières que nous avions contactées n’avait entendu parler de Ruben Espinoza.
Malgré la chaleur ambiante, j’étais glacée de désespoir.
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Victor Nash

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Sergent d’infanterie muté début 2022 au Presidio de Monterey, base militaire dépourvue d’unité de combat. Affairé à des tâches profondément ennuyeuses d’intendance et logistique. Victor a toujours eu la bougeotte et le goût de l’action ; il a passé une grande part de sa vie adulte sur les théâtres d’opération de l’US Army – sa famille de cœur. Et comme dans toutes les familles… il y a des couacs. Un sauvetage interdit en Afghanistan, jugé comme acte d’insubordination, lui a valu cette mise au placard qu’il espérait temporaire. Redresseur de torts depuis septembre 2022. Des rencontres et événements inopinés le poussent à se battre hors des lois, mais toujours en accord avec son code de conduite.
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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyMer 2 Nov - 21:47#

Tempest ↯ Victor & Tori
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Septembre 2022 ☆ Monterey
La Ford traversa la frontière, accueillie par une immense pancarte crasseuse du Golden State. Une épaisse couche de poussière recouvrait le véhicule, sorti gris ardoise de l’usine. Quelques kilomètres plus loin, le conducteur bifurqua en direction du Mojave National Preserve. Le véhicule s’immobilisa au creux d’une cuvette naturelle, exposé au regard curieux d’un rapace décrivant de longs cercles dans le ciel azur.
Les deux portières avant s’ouvrirent sur un paysage lunaire. Rien ne bougeait sous la fournaise. Le conducteur moustachu posa tranquillement son séant sur le capot, puis commença à rouler une cigarette. L’autre se dirigea à l’arrière, leva le hayon, débarrassa le bric-à-brac, révéla un double fond. De grosses gouttes de sueur perlaient sur son crâne luisant. Il attrapa une petite visseuse électrique soigneusement calée dans un compartiment. Vérifia la charge de la batterie. Recula, s’agenouilla devant la plaque minéralogique et la démonta. Fit de même à l’avant sous l’œil torve de son complice. Retourna au coffre, jeta les deux rectangles métalliques sur un fatras d’autres plaques, en sélectionna deux nouvelles aux codes de la Californie. Le tour de passe-passe se régla en deux tours de vis. Son complice veillait. Le grand s’épongea le front, rangea la visseuse dans son compartiment, remit le cache et le bric-à-brac. Il crevait de chaud – un effet secondaire du copieux repas, de la caféine et du soleil ardent de l’après-midi. Il demanda à passer son tour de conduite et regagna le siège passager.
Le moustachu obtempéra avec un rictus mauvais.


* * *

Victor avait vu juste. Bien qu’elle faisait partie de la famille, Tori n’était pas militaire d’active. Dans le jargon de l’armée, on nommait parfois ces femmes les cousines. Il comprenait mieux les regards appuyés que Tori lui adressait : elle l’avait aperçu au sein de la base, probablement occupé à briser l’ennui de l’intendance en faisant le mariole. Victor devait être enfermé dans sa bulle pour manquer l’apparition de cette beauté latine dans le paysage.
— Dites-moi, ça vous arrive de porter autre chose ?
Il tira l’avant de son tee-shirt. Souple, confortable, respirant, adapté aux différents climats de la planète et – le plus important – badgé du logo de l’US Army. Victor n’en connaissait pas de meilleur. Celui-ci était fichu à cause des taches de sauce mexicaine ; il continuerait à servir en tant que chiffon, une honorable fin de carrière pour un bout de tissu filé avec patriotisme. Quarante-neuf autres exemplaires parfaitement identiques patientaient dans ses casiers, en attente de l’Appel.
— Il m’arrive de mettre une veste par-dessus, répondit-il avec un grand sourire.
Le nettoyage de la vaisselle fut l’occasion d’échanger sur leur lieu de travail.
— J’ai porté ma Honda à la zone d’entretien des véhicules pour un petit rafistolage, mais le technicien caporal m’a rondement préconisé de trouver un garage en ville. Il y avait pourtant d’autres véhicules civils dans son hangar, et ce genre de service est monnaie courante dans les bases militaires. Suis-je tombée sur un soldat qui n’apprécie pas les civils ?
Victor s’esclaffa. Il se rappelait l’affreux tintamarre de la vieille Honda Civic, les relents pestilentiels de carburant – un miracle que les gaz d’échappement ne l’aient pas achevé.
— Je crois plutôt qu’il avait la flemme d’enfiler une tenue de protection chimique intégrale avant de trifouiller sous le capot, fit-il avec un clin d’œil taquin.
Tori feignit un air choqué, puis ils rirent de bon cœur.
Victor livra ensuite une poignée de confidences. La linguiste achevait sa première semaine à Monterey et il se revit neuf mois plus tôt, débarquant dans la ville enguirlandée. Il lui communiqua des informations utiles, muet sur les événements dramatiques qui avaient précédé sa mutation. Tori avait suffisamment de soucis à cause de son frère aux abonnés absents.

Une fois la cuisine revenue à son état d’origine, chacun regagna son poste et les appels reprirent. La liste d’agences de Victor s’achevait sur San Mar Properties Inc. Tori l’observait d’un regard où l’espoir se réduisait à une pâle étincelle – elle venait de conclure son dernier appel. Victor se présenta comme un détective embauché par la famille Espinoza ; il avait tenté cette accroche en fin de matinée et celle-ci donnait d’excellents résultats. Maria, employée de San Mar Properties Inc, ne trouva aucun Espinoza dans les registres de l’agence. Victor remercia l’aimable employée et raccrocha.
Tori enfouit son visage entre ses mains. Victor se rembrunit. Il se sentait pareil à un arbre que le passage d’un nuage sombre privait des rayons du soleil. Le fleuve du destin l’avait guidé vers cette femme radieuse et sans qu’il sache pourquoi, un lien spécial les unissait. Il se mettait à la place de Tori, communiait avec le désarroi qui lui serrait la poitrine. Le sol se dérobait sous ses pieds et il n’y avait aucune branche à laquelle se cramponner. Pourtant Tori ne sanglotait pas. Ne se lamentait pas. Ne jurait pas. Une vraie fille de militaire, solide sous le voile morose de ses angoisses.
Victor se leva, fourra dans sa poche la vieillerie qui lui servait de téléphone, puis rejoignit le bureau d’un pas volontaire. Il tendit la main.
— Levez-vous, Tori. On y va.
Douceur dans la voix, autorité dans le verbe. Ami et sous-officier. L’instinct de Victor lui soufflait que Tori avait besoin des deux.
Elle leva vers lui un visage chargé d’incompréhension.
— J’ai deux agences dans ma liste qui ne décrochent pas le téléphone, plus une troisième qui m’a placé en attente ad æternam. Vous en avez probablement autant.
Il tourna le poignet, jeta un œil au cadran de sa montre.
— Il est bientôt 14h. Avec votre tacot, il faut trois heures pour rejoindre le centre de Fresno. Trop juste pour un samedi : aucune agence ne jouera les prolongations après 17h. En revanche, ma Camaro peut y être avant 16h30. Avec une bonne répartition des parcours, dix minutes par agence chacun, nous les aurons toutes vérifiées avant ce soir. Et vous saurez pour votre frère, d’une manière ou d’une autre.
Victor la regarda fixement, les flammes de la combativité brûlant à l’intérieur de lui.

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Un appartement dans le quartier ouest.

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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyDim 6 Nov - 18:28#

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Septembre 2022 ☆ Monterey
C’est fou comme une main tendue peut vous faire passer rapidement du désespoir au désir farouche de vous battre. Cette main, celle de Victor, je la saisissais. Elle était large, chaude au toucher, vigoureuse, le genre de main qui vous tient fort au milieu de la tempête et ne vous lâche pas.
Je me remis debout, droite comme un i, et plantai mes yeux dans ceux de mon naufragé. Ce regard intense qu’il avait, bon sang ! Je me sentais toute petite devant cette figure guerrière, forte et bienveillante à la fois. Toutefois je ne voulais pas que Victor me voie comme une femme fragile, pour la bonne raison que je n’en étais pas une. J’angoissais, mes nerfs m’accordaient peu de répit, pour autant je ne restais jamais longtemps sur le banc de touche à me morfondre. Ce n’était pas mon tempérament, ni la manière dont j’avais été éduquée.

Il me reste deux agences, pas trois. On dirait que vous allez devoir courir plus vite que moi.

Je lui adressais un sourire espiègle, laissant à mes yeux le soin d’exprimer ma gratitude. Ma main demeurait dans l’étreinte de la sienne, nos visages se pouvaient presque se toucher. Je sentais la chaleur de son souffle sur mon front, le magnétisme de son corps tout proche qui générait des picotements à la surface de ma peau. Le regard volontaire de Victor ne déviait pas d’un millimètre. Le mien glissa spontanément sur les lèvres du beau militaire puis, dans un effort incommensurable, je rompis le contact pour aller prendre mes clés de voiture.

Deux minutes plus tard, je roulai vers le bord de mer où mon naufragé avait garé sa voiture, avant son expédition maritime de la veille. J’avais l’impression de conduire une tondeuse à gazon, bruyante et malodorante. Il fallait vraiment que je porte ma vieille Honda au garage, ou que je change pour un modèle plus récent ! Il y avait heureusement peu de circulation, par contre les rues grouillaient de piétons. Pendant que je cherchais mon frère, beaucoup d’habitants profitaient de la période estivale particulièrement longue en Californie. Mille inquiétudes trottaient à l’intérieur de ma tête, j’en exprimai quelques-unes à haute voix.

Je suppose que vous n’allez pas respecter les limitations de vitesse, n’est-ce pas ? Que va-t-il arriver si vous grillez un radar ? Si un véhicule de la police nous prend en chasse ? Et si on nous arrête ? Vous n’allez me faire le coup de la panne, n’est-ce pas ?

Nous arrivâmes rapidement à destination et je me garai dans le créneau jouxtant la Camaro du militaire. Mon épave faisait vraiment tache à côté du bolide ! Je n’étais pas tout à fait ignare en voitures de sport, et remarquai que celle-ci affichait plusieurs singularités. Une touche patriotique, peut-être ? Sa robe bleue liserée de blanc évoquait le drapeau américain et les routes interminables qui longent l’océan.
Je descendis de ma petite voiture et réalisai que mes questions avaient dû taper sur les nerfs de Victor.

Pardon, je suis désolée de vous avoir bombardé de questions idiotes. Je pris mon sac à main, alourdi du pistolet que je transportai par habitude à l’intérieur, puis claquai ma portière. J’apprécie votre aide, sincèrement, mais je ne veux pas que vous ayez des ennuis à cause de moi.

Tout le monde apprécie les chevaliers servants, jusqu’au moment où ils se vautrent dans un fossé avec leur fringante monture.
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39 ans en avril. Vigueur des muscles, expérience de l’âme, tourments de l’esprit.
Célibataire. Il a aimé et fut aimé en retour, des cadeaux de la vie qu’il chérit en son cœur. Amours impossibles, d’intensités diverses, étouffées par son dévouement envers l’US Army, plusieurs fois ensevelies sous le tombeau de la tragédie. Il chemine aujourd’hui avec la froide solitude, ressent parfois l’envie d’une compagne de voyage plus chaleureuse.
Sergent d’infanterie muté début 2022 au Presidio de Monterey, base militaire dépourvue d’unité de combat. Affairé à des tâches profondément ennuyeuses d’intendance et logistique. Victor a toujours eu la bougeotte et le goût de l’action ; il a passé une grande part de sa vie adulte sur les théâtres d’opération de l’US Army – sa famille de cœur. Et comme dans toutes les familles… il y a des couacs. Un sauvetage interdit en Afghanistan, jugé comme acte d’insubordination, lui a valu cette mise au placard qu’il espérait temporaire. Redresseur de torts depuis septembre 2022. Des rencontres et événements inopinés le poussent à se battre hors des lois, mais toujours en accord avec son code de conduite.
Une vieille bâtisse spacieuse au nord-ouest de la ville.
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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyVen 11 Nov - 9:08#

Tempest ↯ Victor & Tori
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Septembre 2022 ☆ Route de Fresno
À l’échangeur de Barstow, la Ford fraichement immatriculée en Californie prit la sortie ouest de l’I-15, direction Bakersfield et la côte du Pacifique. Le conducteur regarda sa montre, lâcha une main du volant et caressa nerveusement sa moustache. Une montée âcre de panique le fit transpirer. Une heure de retard, comment était-ce possible ? Il passa devant une station-service qui proposait un lavage express, songea que leur véhicule crado allait devoir s’en passer et prendre la tangente, en espérant que les fringantes voitures de sport de ces Ricains prétentieux donnent suffisamment de travail à la police de la route.
Quelques kilomètres plus tard, à 15 km/h au-delà de la vitesse autorisée, il eut un déclic et s’humecta l’index, lequel frotta rageusement le cadran poussiéreux de la berline. Les LED rouges, synchronisées à l’heure locale par les miracles de la technologie, indiquaient une heure de moins. Il se rappela le changement de fuseau horaire, après l’Utah. Leva le pied de l’accélérateur et souffla un grand coup. Essuya la sueur de ses tempes. Il n’arrivait pas à s’y faire ; son pays à lui avait la superficie de trois états de taille moyenne. La même heure d’est en ouest. Son complice continuait à roupiller ; il ne s’était aperçu de rien.
Tout allait bien. Castillo ne leur sectionnerait pas les testicules pour un défaut de ponctualité.


* * *

La mise en action stimulait Victor. Il demeurait un soldat : l’épée supérieure à la plume, bien qu’il reconnaissait aux mots le pouvoir de toucher l’âme humaine et d’apporter un chant d’espoir au bourbier de l’existence. Une rencontre physique, entre quatre yeux, était toujours préférable à la voix distante d’un correspondant invisible. En outre, il trouvait plus de plaisir à chevaucher les 455 chevaux de la Chevrolet Camaro SS, cheveux au vent, qu’à végéter sur les coussins d’un canapé. Ou pire encore, se mortifier le fondement à bord du tape-cul puant de Tori.
Victor le fit comprendre à Tori – à coups d’estocades.
— Je suppose que vous n’allez pas respecter les limitations de vitesse, n’est-ce pas ?
— En effet.
— Que va-t-il arriver si vous grillez un radar ?
— Je continuerai à rouler pied au plancher.
— Si un véhicule de la police nous prend en chasse ?
— Je suis un sergent de l’US Army, pas un gibier.
— Et si on nous arrête ?
— Les policiers sont plus indulgents avec les militaires. Solidarité de l’uniforme.
— Vous n’allez me faire le coup de la panne, n’est-ce pas ?
— Ma Camaro ne tombe jamais en panne. Je la connais et elle me connait.
Et ainsi de suite jusqu’au bord de mer.

Le ciel était d’un bleu limpide. Les mouettes décrivaient des arcs de cercle turbulents au-dessus de leurs têtes, à l’affût des morceaux de sandwich à la tomate qu’abandonnent les promeneurs négligents. Victor appréciait peu ces charognards qui délaissaient leurs mœurs naturelles pour emprunter à la roublardise de l’humain moderne. Certains volatiles allaient jusqu’à becqueter dans les assiettes des honnêtes gens, plus accessibles et sucrées qu’un poisson de haute mer.
La Camaro rutilante attendait son compagnon et maître. Victor flatta la carrosserie chauffée au soleil avec la déférence d’un cheval de course. Il aimait et respectait la personnalité unique de sa Chevrolet américaine, l’assemblage ingénieux des milliers de pièces qui la composait. À côté de sa ligne élégante et racée, la Honda Civic en fin de vie ressemblait à un rat porteur de peste. Il eut été plus clément de l’envoyer à la fourrière et rendre son âme à la terre.
Victor déverrouilla les portières, s’installa derrière le volant et inséra la clé. Pas le temps de jouer au voiturier galant avec Tori. Il fit gronder le moteur et accorda enfin son attention à la passagère.
— J’apprécie votre aide, sincèrement, mais je ne veux pas que vous ayez des ennuis à cause de moi.
— Un conducteur est maître et responsable de son véhicule, mademoiselle Espinoza. C’est ainsi que je vois les choses. Je dirais la même chose devant un juge. Ce qui n’arrivera pas puisque cette voiture et moi nous entendons à merveille. Je vous aime bien, et par conséquent elle vous aime bien aussi. Elle ne fera donc pas d’histoire et nous conduira à Fresno sans encombre.
Victor enclencha la première. La Camaro jaillit sur le bitume tel un pur-sang bondissant hors de son box. Très vite, le trio s’engagea sur la CA-1 qui longeait la côte californienne jusqu’à San Francisco. Sur leur gauche, l’océan miroitait jusqu’à l’infini. Victor actionna la capote : le toit qui les recouvrait se rabattit sagement à l’arrière. Sur cette portion roulaient des véhicules familiaux, des deux-roues, ainsi que les motos de la police de la route. La Camaro ronronnait en attendant son heure.
Ses deux occupants discutaient. D’abord, des circonstances détaillées de leur rencontre inopinée depuis la plage jusqu’à l’appartement de Tori. Puis de Fresno et du cadre de vie de la cinquième ville californienne. Un air chaud et sec soufflait contre le pare-brise, les contraignant à élever la voix. C’était surtout Tori qui parlait – une fontaine de connaissances qui débitait un flot musical. La linguiste semblait tout connaître de la ville et de l’histoire de la région.

La Camaro obliqua sur la CA-156 qui s’enfonçait dans les terres. Victor rappela la capote et mit les gaz. Les voix se turent. L’océan se positionna dans leur dos, puis disparut. Le compteur de vitesse explosait la limite autorisée ; l’habitacle vibrait comme un avion à l’approche du bang supersonique. Victor tenait le volant avec fermeté, sans zèle. Il fallait du doigté pour piloter un bolide de ce genre. Regard accroché au ruban d’asphalte qui se déroulait devant lui, Victor aborda un sujet qui le turlupinait depuis la matinée.
— Vous êtes restée très vague à propos de votre frère que nous recherchons. J’ai d’abord cru qu’il était militaire, comme le reste de votre famille, mais il n’y a aucun régiment à Fresno. Juste un centre de commandement de l’infanterie et un escadron de la Garde nationale aérienne.
Un ange passa.
Ce Ruben n’était pas simplement une tête en l’air qui oubliait de répondre à ses messages. Victor avait la certitude que Tori ne s’inquiétait pas sans raison.
— Je comprends qu’il s’agit d’une affaire privée. Si vous ne souhaitez pas en parler, ne dites rien. Vous ne me devez rien : c’est moi qui vous suis redevable après votre acte secourable. Sachez qu’en outre, il est naturel pour moi de se serrer les coudes entre serviteurs du drapeau. Je suis heureux de vous filer un coup de main.

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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyDim 13 Nov - 18:17#

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Septembre 2022 ☆ Route de Fresno
Ce Victor Nash était décidément un homme étrange. Des militaires accros à leur précieeeuuux quatre-roues, cela n’avait rien d’inhabituel. Un de mes ex lustrait son Range Rover comme si la carrosserie était faite d’or pur, je l’avais surnommé Gollum. Inutile de préciser que notre histoire n’a pas duré longtemps ! Victor aimait sa voiture, cela se voyait, mais pas à la manière puérile de ses congénères mordus de mécanique. Cela ressemblait plutôt à la relation de compagnonnage entre les cow-boys avec leurs chevaux. Ou quelque chose de plus fort encore, semblable au lien spirituel qu’entretiennent les peuples amérindiens avec ce noble animal des prairies. J’avais du respect pour ce genre d’attitude, héritée de mes ancêtres mésoaméricains. Ainsi, quand Victor se mit à accélérer, je me surpris à toucher le tableau de bord du coursier mécanique comme on flatte l’encolure d’un équidé au galop. Je m’en remettais au cavalier autant qu’à sa monture, comme s’ils formaient une entité duelle et m’accordaient une faveur en m’acceptant en leur sein. Ce fut une expérience hyper bizarre, mais aussi diablement excitante !
Victor mit fin à mon trip anthropologique avec des questions sur ma famille. Il ne formulait aucune question, à vrai dire, mais c’était tout comme.
Alors, c’était donc ça ! Victor m’aidait parce qu’il se sentait redevable d’un service. A l’entendre, il répondait à un impératif patriotique parce que j’avais l’armée dans le sang et travaillais pour eux. C’était honorable de sa part, cependant j’espérais plus. Surtout après qu’il eut déclaré "je vous aime bien". Il m’aimait bien parce que j’étais plus ou moins dans l’armée, sans doute. Pour la peine, je lui balançai à la figure le point le plus rédhibitoire de mon ascendance.

Mon père est commandant dans la police militaire. Notre famille a vécu sur toutes les bases où il a travaillé dur pour gravir les échelons. C’est un homme comme on en fait peu, et je l’admire de tout mon être.

Et voilà ! C’était dit. Je guettais la réaction de Victor, défiante, puis enchainai sur la femme de ma vie.

Ma mère travaille aussi pour l’armée. Elle est traductrice et interprète, avec un statut comparable au mien. C’est elle qui m’a transmis sa passion pour les jeux de langue.

Et pas seulement dans le domaine très spécialisé de la linguistique, si cet imbécile voulait bien comprendre ! On peut faire des choses très agréables, avec une langue, et avec deux langues aussi.

Quant à Ruben, il a sept ans de moins que moi et s’est engagé dans l’infanterie. Votre première intuition n’est pas infondée. Comme dit le proverbe, les chiens ne font pas des chats. Il a récemment décidé de changer de voie, après onze années de service, et son déménagement à Fresno devait marquer une étape importante de son entrée dans la vie civile. Je vois d’ici ce que vous allez vous imaginer, alors autant mettre les choses au clair : mon frère n’a jamais été au front et ne souffre d’aucun traumatisme de guerre. En tout cas, aucun dont j’ai connaissance. Il a eu des problèmes, comme beaucoup de garçons, mais cela n’avait rien à voir. Et Ruben n’est pas du tout le genre à se tirer une balle dans la tête ou vouloir disparaitre pour de bon. En plus, il n’est pas seul puisqu’il a une petite amie censée le suivre à Fresno.

Une petite amie dont j’ignorais tout, jusqu’au prénom et les circonstances dans lesquelles Ruben l’avait rencontrée. Je savais qu’il ne s’était pas inventé une copine imaginaire. Mon frère avait parfois le comportement d’un ado de seize ans, mais il n’était pas un affabulateur. Ces derniers mois, je l’avais même trouvé changé, plus mûr. Seule une compagne peut avoir cet effet, et cela signifiait que leur relation était sérieuse.

Et vous ? Quelle est votre histoire ?

J’étais bien curieuse de connaître son parcours, bien que papa ne tarderait pas à me donner les grandes lignes. Une partie de moi avait le sentiment que Victor avait l’armée dans les veines, beaucoup plus que Ruben et moi. D’un autre côté, il affichait une décontraction et une excentricité qui s’éloignaient des portraits d’ancêtres bardés de médailles. Un "profil atypique", comme décrirait papa.
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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyJeu 17 Nov - 21:23#

Tempest ↯ Victor & Tori
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Septembre 2022 ☆ Route de Fresno
La Ford s’engouffra dans la vallée fertile de San Joaquin. Des vergers, des vignes, des plantations d’amandiers à perte de vue prospéraient à l’ombre de la Sierra Nevada. Silencieux, les étrangers découvrirent amèrement la puissance économique de l’état de Californie. Impression qui se renforça en entrant dans Bakersfield, grande ville dynamique du sud. Des grues immenses tirées vers le ciel, des immeubles de bureaux vertigineux, des chantiers essaimant tels des champignons après la pluie. Le long de l’artère principale, des marteaux-piqueurs harcelaient les tympans. Le conducteur pesta dans sa moustache, accrut le souffle de la climatisation afin de couvrir le bruit des travaux. Pas question d’allumer l’autoradio : il détestait la musique diffusée dans ce pays. Un feu de travaux l’obligea à ralentir derrière une file de voitures.
Il darda un regard furibond sur son compatriote. Affalé contre la portière, celui-ci roupillait. Son crâne luisait à travers la vitre sale, là où les cheveux noirs désertaient. Le balafré le haïssait depuis le premier jour, lorsque Castillo lui avait assigné son mentor. Cette détestation immédiate tenait à une ressemblance, dans les manières et le physique, avec le guérillero qui avait violé sa mère sous ses yeux d’enfant épouvanté. D’autres guérilleros avaient forcé son père à regarder, puis l’avaient décapité. Trois coupes nettes et barbares, au milieu du cou, avec une machette qu’on utilise pour battre la jungle. Caché derrière un panneau de bois tressé, du sang l’avait éclaboussé ; les yeux figés dans l’horreur de son père le regardaient. Ce jour-là, la graine de la haine s’était plantée dans le cœur de l’orphelin. Il était grand pour son âge et cessa alors de grandir. La graine noire et rouge quant à elle grossissait, palpitait, absorbait toute la sève de son être tel un cœur formé de ténèbres et de magma. À présent, il haïssait tout le monde. Il haïssait son partenaire qui lui avait appris les ficelles du métier. Il haïssait toutes les cibles qu’ils avaient mutilées et mises à mort. Il haïssait Salvador Castillo qui avait donné un but à son existence et l’utilisait comme un pion. Il haïssait l’aimable restaurateur qui leur avait offert des sucreries. Il haïssait la conductrice de la Volvo qui le précédait et lui faisait perdre son temps. Il les haïssait tous. Cette haine dévorante constituait sa force, au prix d’un besoin intarissable de cris et de sang. Par chance, l’occasion de pourvoir à ce besoin se présenterait bientôt.
Le feu passa au vert. Le balafré prit à droite, vers le nord. Quitta la ville bruyante en se glissant parmi la circulation fluide.
Route 99, direction Fresno.


* * *

— Mon père est commandant dans la police militaire.
Victor se raidit, comme touché par des particules de lave incandescente. Les souvenirs de sa mise à l’arrêt jaillirent dans sa conscience telle de la roche en fusion qui n’avait jamais refroidi.
Deux soldats de la MP l’avaient cueilli au retour de son échappée interdite dans les faubourgs de Kaboul, leur écusson noir brodé de deux lettres blanches sur le biceps. Les troupes n’apprécient guère cet emblème, tout comme les polices du monde entier offrent rarement café et petits gâteaux aux fouineurs des affaires internes. Détentrice d’un pouvoir démesuré, la police militaire peut démolir la carrière de n’importe quel individu en treillis après un acte non réglementaire. Ce qui arrive inévitablement en zone de guerre – pour les meilleures et les pires raisons. Victor n’avait opposé aucune résistance : les siamois de la MP faisaient leur job. Ils avaient menotté ses poignets à la vue de tous. De ses compagnons d’armes qui se demandaient ce que Victory avait fichu. C’était le protocole. Le même qui s’appliquait aux meurtriers et aux violeurs. Puis ils l’avaient jeté sans ménagement à l’arrière d’une jeep, trimballé à travers le camp sous une volée de regards suspicieux. Puis on l’avait jeté dans la cellule sombre et puante d’un vieux bâtiment. Assailli d’une puissante colère intérieure, Victor entendait l’écho des plaintes et des hurlements qui imprégnaient les murs tachés d’horreur. Naguère, les talibans enfermaient et torturaient leurs contradicteurs à l’intérieur de ce trou à rats. Probablement qu’ils recommenceraient après le départ des forces américaines. Victor s’était senti trahi, déshonoré, humilié.
Un an plus tard, la blessure restait vive. Il espérait que le couple de traducteurs-interprètes qu’il avait secouru s’en était sorti. Que la femme avait accouché dans un hôpital américain, aux frais de l’Oncle Sam après leurs loyaux services. Le père de Tori avait le bras assez long pour le découvrir ; son épouse, qui exerçait un emploi similaire, serait probablement sensible à leur sort. Encore des coïncidences, songea Victor. Une porte qui se présentait devant lui, qu’il se refusa néanmoins à ouvrir. Il n’avait pas envie de raconter cette histoire à Tori et elle avait suffisamment de souci avec son frère.
— Quant à Ruben…
Victor se reconcentra sur la voix fluide et chaleureuse. Il avait perçu quelques pics à son attention, mais avant tout l’amour intense et inconditionnel que Tori vouait aux membres de sa famille. Le sergent hocha la tête pour signifier qu’il écoutait attentivement et comprenait. Des soldats comme Ruben, l’infanterie en produisait à la pelle. La nation adorait mettre en avant les Navy Seals, les Rangers, les forces spéciales des Marines et les chasseurs de l’Air Force ; ces corps d’élite brillaient comme les étoiles sur le drapeau. Pourtant, en termes d’effectifs opérationnels, l’armée reposait sur une masse de troupes sans prestige. Des soldats pas dans les clous pour illustrer les belles affiches du rêve américain. Souvent moins bons, mais pas toujours. Ruben était juste un soldat ordinaire, un peu en dessous de la moyenne.
— Sa petite amie le veut peut-être pour elle seule avant que la grande sœur débarque, avança-t-il sur un ton léger, regard toujours fixé sur la route. Je suis un sergent de logistique, pas un héros de guerre ; je ne vais pas juger votre frère sur ce qu’il a ou n’a pas accompli. Et puis, s’il avait vraiment merdé au cours de ses onze années de service, l’armée l’aurait dégagé bien avant qu’il pose sa démission. J’espère que tout se passera bien pour lui une fois qu’il aura refait surface. Il a déjà beaucoup de chance de vous avoir. Comme votre père a eu de la chance en rencontrant une femme aux multiples talents. Il faut du cran, pour fonder une famille avec un militaire.
Un cran que l’ex-épouse de Victor n’avait pas. Lui non plus, d’ailleurs.
— Et vous ? Quelle est votre histoire ?
Victor laissa la question en suspens. Il avait confié des bribes de son passé à une poignée de personnes, triées sur le volet ; aucune n’avait un parent au sein de la police militaire. La Camaro continuait d’avaler les kilomètres à un rythme dément. Les rares véhicules se matérialisaient sous la forme de taches sombres à l’horizon, puis disparaissaient dans le rétroviseur tels des grains de poussière.
Tori attendait sa réponse. Un refus semblait malvenu. Plus malvenu encore que la vérité sur son parcours. Ainsi soit-il. La Camaro faisait un remarquable confessionnal – même lancée à la vitesse d’un missile Stinger, Victor s’y sentait plus détendu qu’à l’intérieur d’une église.
— Moi, je suis juste un gars du Kentucky. Il n’y a pas d’autre militaire dans ma famille, autant que je sache. Mes parents sont des gens simples et discrets ; le genre de personnes avec qui vous passez un moment agréable, puis que vous oubliez en poursuivant votre chemin. Ils n’ont pas voulu d’autre enfant après moi.
Victor eut un petit rire gêné, passa une main dans ses cheveux. La honte de sa jeunesse crapuleuse ne l’avait jamais quitté, pareille à une tache d’encre indélébile sur son âme. On pouvait toujours s’améliorer, cependant il était impossible de modifier le passé.
— J’étais un garçon irrespectueux, un vaurien. Un garnement très imaginatif pour jouer de mauvais tours. Et puis il y a eu le 11 septembre. J’avais seize ans et j’étais con comme un balai. J’en avais aussi la silhouette : soixante-trois kilos à la pesée deux ans plus tard, quand j’ai posé ma signature au bureau de recrutement. J’avais quatre poils de duvet sur le menton et je rêvais de dézinguer des terroristes, façon Rambo. Je me fichais totalement du reste.
Silence. Le regard de Victor fixa l’horizon qui à l’époque lui apparaissait sous la forme d’un champ de bataille fantasmé. Il contemplait à présent la jonction spectaculaire du Ciel et de la Terre, s’émerveillait des mystères qui se dévoilaient autour et au-delà, jusqu’à l’infini.
Ce regard se détourna vers sa passagère, piqueté d’éclats de malice.
— Croyez-moi, vous ne seriez jamais montée avec le type que j’étais à l’époque. En tout cas vous n’auriez pas dû, même si bien sûr j’aurais insisté. Énormément insisté, précisa-t-il avec un sourire canaille.
Parce que Tori affichait une beauté saisissante, des courbes aguichantes, le Victor Nash de dix-huit ans aurait sorti le grand jeu pour connaître la joie de lui peloter les seins.

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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyDim 20 Nov - 18:15#

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Septembre 2022 ☆ Route de Fresno
J’observai avec dépit la crispation de Victor, comme si la simple évocation du métier de papa l’avait statufié. Et encore, il n’avait pas vu le commandant Antonio Espinoza en chair et en os ! Si Victor était imposant dans le style champion olympique, mon impressionnant géniteur avait la corpulence d’un taureau. Il n’était pas grand, mais trapu, avec des bras et des jambes comme des troncs d’arbre, et un cou plus épais que ma tête. Quand il se plaçait sur la route d’un char d’assaut, poings sur les hanches, le blindé s’arrêtait sagement et se mettait au garde-à-vous. Les hommes en uniforme changeaient de chemin pour ne pas le croiser, et l’instinct de préservation motivait beaucoup d’entre eux à étendre cette précaution au reste de la famille Espinoza... Bref, encore un beau militaire qui allait s’enfuir la queue entre les jambes au lieu de s’en servir pour, au hasard, m’apporter du plaisir. Dommage, car je fus touchée par la sagacité et la bienveillance de Victor au sujet de ma famille, spécialement mon frère. Ses paroles sonnaient juste, pas comme les flatteries spécieuses que beaucoup déversent pour avoir l’air gentils. J’étais certaine qu’il était sincère, et j’appréciais beaucoup.

J’interrogeai Victor sur son parcours. Il y eut un long silence durant lequel je grattai nerveusement la toile de mon jean, laissant dériver mes pensées alors que nous dévorions la route à la vitesse d’une fusée. J’avais le sentiment étrange que nous allions vivre des moments forts dans les jours à venir. Appelons ça l’intuition féminine, ou les angoisses qui se mêlaient à mes hormones en ébullition chaque fois que je contemplais le profil extrêmement attirant de mon chauffeur. Chaque minute auprès de Victor accroissait mon désir de mieux le connaître, en plus des désirs que me signalait mon corps et sur lesquels je n’avais aucun contrôle.
L’objet de mes fantasmes reprit la parole et j’écarquillai les yeux, essayant de m’imaginer un Victor Nash chétif avec des manières de voyou. Non, impossible ! Je ne mettais pas en cause la véracité de ses confidences, mais celles-ci dépeignaient un odieux petit con tellement différent de l’homme courtois et charismatique juste à côté de moi que mon imagination atteignait ses limites.

Eh bien, on peut dire que vous avez parcouru un long chemin !

En parlant de mes hormones et de mon imagination, les premières stimulèrent la seconde lorsque Victor évoqua son énorme insistance. Que voulez-vous, j’avais reluqué et même palpé l’ensemble de son anatomie à l’exception de cette région stratégique. Qui dit mystère, dit forcément curiosité ! Bon, il y avait aussi ses fesses d’athlète dont son pantalon serré offrait déjà un bel aperçu.
Hum hum, c’est moi ou il fait soudain très chaud dans cette voiture ?

Parce qu’aujourd’hui, vous n’insisteriez pas pour monter une fille comme moi ? le provoquai-je, arquant un sourcil.

Oups ! J’y étais peut-être allée un peu fort. "Le coup est parti tout seul", comme disent les tireurs. J’espérais que Victor possède plus de maîtrise que moi dans ce registre licencieux, au moins pour la partie pratique. Tu t’enfonces, Tori, tu t’enfonces... "Enfoncer", encore un splendide choix de vocabulaire.
J’observais maintenant Victor sous un angle nouveau. Pas seulement dévergondé, promis-juré-craché ! Après ses aveux dévalorisants il m’apparaissait plus humain, plus réel et authentique. Jusqu’ici, Victor ressemblait un peu trop à Monsieur Parfait. Même papa avait fait des bêtises durant sa jeunesse. Rien de particulièrement répréhensible, des broutilles sur le chemin de la maturité que certaines personnes n’atteignent jamais. Pourtant il refusait d’en parler et nous n’aurions jamais rien su sans ma grand-mère, très bavarde après quelques verres de vin. Je ressentais la même gêne chez Victor, ainsi que des relents de honte, sauf que "juste un gars du Kentucky" m’avait confié ses failles sans se chercher d’excuses. A moi, une inconnue. Il fallait du courage pour tirer le voile sur sa part d’ombre, ainsi qu’une grande force intérieure pour réussir à la dominer. Je me fichais du crétin immature qu’il était à ses débuts dans l’armée, l’homme accompli qui me conduisait à Fresno faisait naître des étoiles dans mes yeux. Les grands enfants savent mettre de l’ambiance, mais jamais je ne choisissais l’un d’eux pour me raccompagner après une fête. Il restait néanmoins un aspect irrésolu du parcours de Victor, incompréhensible pour moi.

Comment avez-vous atterri dans la logistique ? Entre le Rambo de pacotille de vos débuts et le chevalier servant que vous êtes devenu, c’est un choix de carrière surprenant !
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Célibataire. Il a aimé et fut aimé en retour, des cadeaux de la vie qu’il chérit en son cœur. Amours impossibles, d’intensités diverses, étouffées par son dévouement envers l’US Army, plusieurs fois ensevelies sous le tombeau de la tragédie. Il chemine aujourd’hui avec la froide solitude, ressent parfois l’envie d’une compagne de voyage plus chaleureuse.
Sergent d’infanterie muté début 2022 au Presidio de Monterey, base militaire dépourvue d’unité de combat. Affairé à des tâches profondément ennuyeuses d’intendance et logistique. Victor a toujours eu la bougeotte et le goût de l’action ; il a passé une grande part de sa vie adulte sur les théâtres d’opération de l’US Army – sa famille de cœur. Et comme dans toutes les familles… il y a des couacs. Un sauvetage interdit en Afghanistan, jugé comme acte d’insubordination, lui a valu cette mise au placard qu’il espérait temporaire. Redresseur de torts depuis septembre 2022. Des rencontres et événements inopinés le poussent à se battre hors des lois, mais toujours en accord avec son code de conduite.
Une vieille bâtisse spacieuse au nord-ouest de la ville.
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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyJeu 24 Nov - 21:23#

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Septembre 2022 ☆ Route de Fresno
—Eh bien, on peut dire que vous avez parcouru un long chemin !
Victor ne dit rien. Son chemin avait été tortueux – jonché d’embûches, d’épisodes douloureux et de révélations poétiques. Il n’y avait pas de quoi pavoiser. Certains individus empruntaient des voies certes plus ténébreuses, ainsi que la famille Nash l’avait longtemps craint pour Victor. D’autres traversaient la vie tel un soleil flamboyant, illuminant leurs semblables jusqu’au crépuscule de leur existence. Ces gens-là n’apprenaient point à guerroyer. Victor avait le sentiment que Tori faisait partie de ces femmes-étoiles.
— Parce qu’aujourd’hui, vous n’insisteriez pas pour monter une fille comme moi ?
Interloqué, Victor tourna brusquement la tête vers sa passagère. Au même instant, un camion rugit en sens inverse et frôla la carrosserie de la Camaro. Le battement de l’air infligea une vilaine claque au bolide lancé à pleine vitesse, glaçant les veines de Victor. Tori, en revanche, ne se démontait pas. La coquine semblait plutôt fière de sa répartie et elle pouvait l’être. Victor se concentra à nouveau sur l’asphalte brûlant sous le soleil, puis répondit avec un demi-sourire :
— Aujourd’hui, je procèderais différemment. J’ai appris à devenir un meilleur cavalier et à respecter ma monture, ce sont les avantages de l’expérience et de la maturité.
Victor songea à la dernière fois qu’une femme s’était ouverte à lui corps et âme. Un sentiment de joie l’emplit. Doux, lumineux, ardent comme la flamme dansante d’une bougie dans un vide obscur.
— Aujourd’hui je crois que les joies de la communion, lorsque celle-ci est profonde et intense, n’ont pas d’équivalent sur toute la durée de notre passage sur Terre.
Insuffler une parcelle de bonheur dans le cœur et le corps d’une femme, en recevoir un écho magnifié, c’était goûter à la quintessence des rapports humains. Une extase qu’un bête pelotage de poitrine ne permettrait jamais d’atteindre. Victor aurait aimé l’expliquer au jeune benêt qu’il fût. Là aussi, l’apprentissage fut long et sinueux.

— Comment avez-vous atterri dans la logistique ? Entre le Rambo de pacotille de vos débuts et le chevalier servant que vous êtes devenu, c’est un choix de carrière surprenant !
Victor se racla la gorge. Attrapa sa bouteille d’eau, but de lentes gorgées tandis qu’il réfléchissait. Trois aller-retour jusqu’à Fresno ne suffiraient pas à narrer le chemin long et sinueux qu’il avait suivi. Même en sautant les épisodes qu’il préférait garder sous silence.
— J’ai d’abord intégré l’infanterie, comme votre frère. Ce n’était pas mon premier choix. J’ai fait mes classes au Kansas, l’état des tornades et le pays d’Oz. J’y ai rencontré un authentique magicien, avec un chapeau de sous-officier et des gants immaculés. Tout à l’heure, vous m’avez dit que j’ai supplié un sergent hier soir, lorsque vous vouliez me conduire à l’hôpital. C’est sans aucun doute au sergent Highway que je m’adressais dans mon délire. C’était notre instructeur, un vétéran du Viet Nâm. Il n’y avait plus une once de douceur en lui, comme s’il avait laissé une part de son humanité dans la jungle. Il s’agissait pourtant d’un sergent-instructeur exceptionnel. Tout le monde s’accordait sur ce point, du troufion le plus inepte aux grands pontes du régiment. Il n’a pas seulement fait de nous de bons soldats d’infanterie : il a fait de nous des hommes. Et croyez-moi, ce n’était pas gagné d’avance. Quand vous vous pointez au stand de tir parmi des anciens braqueurs, quand vous dormez à côté d’un repris de justice qui sent encore l’odeur âcre mitard, vous vous dites que votre carrière militaire est mal engagée. « Les ploucs », qu’on nous appelait. Et pourtant, notre compagnie de ploucs a étonnamment brillé dès notre premier déploiement en Irak.
Victor eut un sourire triomphant. Un sourire bref, indécent dès lors que d’effroyables scènes de guerre défilaient au fond de ses prunelles. Des bâtiments détruits, des véhicules calcinés, des cadavres alignés sur un sol noirci, des morceaux d’humains emballés en vrac dans des sacs plastiques.
— Pardon. La rudesse des combats conditionne l’un des horribles paradoxes de notre métier : la gloire se mesure à l’état de dévastation de l’ennemi, au sang répandu. Aucune médaille n’est décernée sans qu’un coup de feu soit tiré. Derrière les célébrations et les poignées de mains solennelles, le poids du triomphe est lourd à porter. Très lourd. C’est un fardeau trop pénible pour ceux qui n’ont pas l’âme guerrière ; il n’y a aucun mal à cela.
Sans doute trop pénible pour Ruben, le frère rêveur de Tori. Victor comprenait qu’il évite le champ de bataille. On pouvait servir le drapeau avec d’autres compétences.

Le GPS donna de nouvelles instructions. Ils approchaient de Fresno. Victor ralentit et mit son clignotant afin de quitter la voie rapide.
— Votre frère a eu de la chance de ne pas connaître l’Irak, conclut-il sur un ton amer.
Les patrouilles dans les avenues de Bagdad et Fallujah, continuellement piégées d’engins explosifs. Les embuscades dans les venelles sombres, après le signalement d’une cache d’armes. Les fouilles dans les habitations inhospitalières, les cris des femmes et des nourrissons dérangés dans leur sommeil. Les gamins ceinturés d’explosifs, les places de marché ensanglantées. L’invasion de l’Irak avait été brutale. Le bataillon de Victor s’y était préparé. Ils avaient fait le job sans trop de casse, accumulant les succès tactiques. En revanche, les G.I.s. n’étaient guère formés au travail de police. La mission avait dégénéré. Après le scandale inique des armes de destructions massives, la légitimité même de la mission fut remise en cause. La guerre d’Irak hantait la conscience et les cauchemars de ses combattants.

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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyDim 27 Nov - 18:58#

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Septembre 2022 ☆ Route de Fresno
Aujourd’hui, je procèderais différemment. J’ai appris à devenir un meilleur cavalier et à respecter ma monture, ce sont les avantages de l’expérience et de la maturité.

A ces paroles un vide se creusa dans la région de mon bas-ventre, enveloppée du désir brûlant que Victor le comble. Je ne fis aucun effort pour dissimuler mes ambitions. Bien au contraire je me tournai exagérément vers lui, manœuvrant sous la ceinture de sécurité, croisai les mains sur ma cuisse et l’étudiai avec insistance.

Ah oui ? Quoi d’autre ? insistai-je avec un accent suave dans la voix. La langue étant mon métier, j’en faisais tout ce que je voulais. Absolument tout.

Aujourd’hui je crois que les joies de la communion, lorsque celle-ci est profonde et intense, n’ont pas d’équivalent sur toute la durée de notre passage sur Terre.

Est-ce que j’avais envie de m’arrêter au bord de l’autoroute pour faire l’expérience de cette joyeuse communion ? Ouiii ! Mille fois ouiii ! Toutefois il y avait Ruben et l’horloge qui approchait impitoyablement 17h. J’étais tellement frustrée que j’adressai à mon cher frère une salve de récriminations mentales. D’un autre côté, sans le silence radio de Ruben, Victor serait rentré chez lui dans la matinée et je ne l’aurais pas revu de sitôt. La veille, je n’aurais sans doute pas marché le long de la plage où j’avais trouvé Victor après son naufrage, sosie du militaire anonyme que j’avais reluqué au Presidio. L’un dans l’autre, je n’en voulais plus à Ruben. A condition que son silence soit justifié et qu’il s’excuse !

Il faudra me faire une démonstration, veloutai-je en imitant une fauvette pendant la saison des amours. Oui, la maîtrise de ma voix allait jusque là !

A cause de mes pensées polissonnes, je décrochai un peu du discours de Victor. J’entendais néanmoins le profond respect dans sa voix lorsqu’il décrivit son instructeur, Highway, qui m’évoquait l’inoubliable sergent Hartman de Full Metal Jacket. J’avais entendu papa pester à maintes reprises au sujet des contingents recrutés massivement après le 11 septembre 2001. Au nom de la guerre contre le terrorisme, l’armée avait réduit son niveau d’exigence et fermé les yeux sur une ribambelle de délits inscrits au casier judiciaire. Selon papa, ces "voyous en uniforme" causeraient de nombreux problèmes et il ne s’était pas trompé. Je frémis en songeant au rapport que je lui avais demandé : Il allait juger sévèrement le début de carrière de Victor ! Heureusement sa compagnie avait su tirer son épingle du jeu, et j’espérais que mon naufragé avait grappillé quelques médailles au passage.

Votre frère a eu de la chance de ne pas connaître l’Irak

Holà ! Pas si vite, sergent Nash !

Notre père a travaillé sur le rapport Fay Jones. Ruben avait dix ans au moment des faits, et je peux vous dire que la guerre en Irak l’a durement affecté. Elle a affecté durement toute notre famille. Pas de la même façon que vous et les soldats déployés sur le terrain, évidemment. J’ai tout à fait conscience que ce n’est pas comparable.

"Le pire déshonneur de la police militaire, une infamie, une honte inqualifiable", disait papa au sujet des forfaits de nos soldats en Irak. Nous ne l’avions jamais connu si orageux et désemparé. Les affreuses photos de prisonniers torturés et humiliés avaient fait le tour du globe. Pendant toute la durée de l’enquête, notre famille vivait dans une tension permanente. La fureur de papa n’était pas dirigée contre nous, toutefois ses violents accès de colère nous glaçaient les sangs.

A la fin, confiai-je à Victor, j’avais même l’impression que notre famille s’effondrait et tenait uniquement grâce aux efforts désespérés de ma mère. J’étais une jeune fille anxieuse de dix-sept ans, et bien sûr je me trompais. Je n’étais pas une chipie dans votre genre, mais pas encore une adulte avec le recul qu’on a sur les événements, en particulier ceux qui nous touchent. Rien ne peut ébranler mon père et j’étais simplement aveugle à tous les petits gestes invisibles qu’il accomplissait en notre faveur. Il n’a pas caché l’affreuse réalité à Ruben, en même temps qu’il s’en est servi pour le faire grandir.

J’imaginais que Victor était le même genre d’homme, gentil et dévoué, en moins taciturne et explosif que papa. En tout cas, le sujet difficile du conflit irakien avait calmé mes ardeurs et je n’étais pas mécontente d’arriver à Fresno !

Vous me déposez devant l’agence Proper Properties ? demandai-je après consultation des adresses de nos cinq agences sur mon téléphone. Celle de Fresh Rentals n’est pas très loin, je pourrai m’y rendre à pied pendant que vous faites votre tournée.
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Victor Nash

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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyMer 30 Nov - 21:13#

Tempest ↯ Victor & Tori
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Septembre 2022 ☆ Fresno
Le balafré flanqua un coup de coude vicieux à son acolyte. Celui-ci émergea de son lourd sommeil en geignant. Il avait la bouche pâteuse. Son crâne le grattait à l’endroit où la calvitie défrichait impitoyablement sa tignasse de jais. Une pancarte BIENVENUE À FRESNO se matérialisa au bord de la route ; les yeux sombres du tueur s’illuminèrent comme des torches. Son buste se redressa à la manière d’un chien de garde tandis qu’un rictus sinistre dévoilait une dentition solide, légèrement ternie par une voracité excessive. À quarante-sept ans, il ne souciait plus de son poids de forme. Son régime alimentaire tournait autour de ses deux péchés mignons : les steaks saignants et le café noir. Le vétéran se connecta à la messagerie sécurisée de son téléphone. Pas de nouvelles instructions. Il envoya un court message crypté : tout se déroulait selon le plan et les choses sérieuses allaient bientôt commencer. Il rangea son téléphone dans une poche intérieure de sa veste, non loin de son fidèle Beretta. Récupéra le thermo de café à l’arrière et proposa une tasse à son partenaire. Le balafré déclina l’offre, figé dans sa mine patibulaire. Son mentor haussa les épaules, vida le contenu du thermos à l’intérieur du couvercle dévissé. C’était le meilleur café qu’il avait bu depuis des semaines, torréfié comme au pays. Un élan de nostalgie lui noua les entrailles, conjugué aux effets d’un copieux repas. Il demanda à son irascible binôme de s’arrêter pour couler un bronze. Il y avait urgence, et Via Frassino se trouvait à l’autre bout de la ville.
Les lèvres du conducteur se pincèrent sous son épaisse moustache. Un trait horizontal de haine pure.


* * *

— Votre famille a l’air très solide.
Victor n’avait rien à ajouter. Les Espinoza avaient leur vécu, Victor avait le sien. La vie militaire affectait les familles de multiples façons. Victor se satisfaisait que les Nash en avaient tiré plus de fierté que d’anxiété : il leur confiait le strict minimum et malgré les dangers auxquels il s’exposait, aucune blessure sérieuse ne l’avait mis à terre. Victor s’en sortait à bon compte. Jusqu’à l’année précédente et son passage en cour martiale, seul son mariage désastreux avait déçu les siens.

Ils entrèrent dans Fresno par la route ouest. Ville contrastée. Des bâtiments anciens, des édifices modernes. Des pancartes décrépies jouxtant des enseignes au néon. Des véhicules de toutes les tailles et de toutes les séries, émettant fumées noires et pléthore de particules invisibles. Des trottoirs piétinés par toutes sortes de gens. Des animaux en laisse, la langue pendante sous la chaleur écrasante. Aux yeux de Victor, toutes les grandes agglomérations se ressemblaient. Un amas de fourbis. Il se sentait plus à l’aise derrière l’enceinte d’une base militaire, ou même dans une ville à taille humaine comme Monterey.
— 16h31, on est dans les temps.
— Vous me déposez devant l’agence Proper Properties ? Celle de Fresh Rentals n’est pas très loin, je pourrai m’y rendre à pied pendant que vous faites votre tournée.
— C’est vous la patronne. Vous me direz si Proper Properties a été fondée par une personne bègue ou si le nom a été choisi par des génies du marketing. (Victor sourit à sa passagère.) On s’appelle s’il y a du nouveau.

Victor déposa Tori devant Proper Properties et lui souhaita bonne chance. L’agence avait l’air immense et moderne. De nombreux employés s’activaient à l’intérieur malgré l’approche du repos dominical. Tori avait de bonnes chances d’y trouver ses réponses. Victor le souhaitait de tout son cœur.
La silhouette gracieuse de Tori captiva son regard tandis qu’elle poussait la porte. La voix suave de la métisse résonna dans sa tête. Il faudra me faire une démonstration. Une fois encore, un coup de chaleur frappa le militaire de plein fouet. Il chassa les pensées salaces de son esprit, puis fonça en direction de l’agence Rava Property Group.

Il pénétra à l’intérieur d’un bâtiment vétuste, cuisant sous le soleil de l’après-midi. Vieille moquette grise, infestée d’acariens. Des poussières âcres flottaient dans l’air. Il régnait une chaleur du diable et la climatisation vrombissait comme un moteur deux-temps en bout de course. Victor n’y chercherait pas un garage pour sa Camaro, encore moins un appartement ou une maison.
Il se présenta devant la seule personne présente, une énorme femme en sueur assise derrière un bureau bon marché. Vêtements de friperie, bijoux en toc à cinq dollars pièce, un badge avec « Sarah » imprimé dessus.
Sarah leva sur Victor des yeux las. Son maquillage bon marché dégoulinait. Elle avait dû passer une mauvaise journée. Et même une mauvaise semaine, à en juger par la profondeur de ses cernes. Certainement une mauvaise année. C’était le genre de personne qui faisait dix ans de plus que son âge.
Victor la salua poliment de la tête, puis se détourna vers la fontaine à eau. Il remplit un gobelet en carton recyclable. Revint sur ses pas et déposa le gobelet sur le bureau de Sarah avec un sourire compatissant. L’agente sembla se détendre, rendit un faible sourire. Ça lui allait mieux que le maquillage fondu.
— Que puis-je pour vous, monsieur… ?
— Nash. Je cherche l’adresse d’un ami qui a peut-être fait appel à votre agence.
— Et vous êtes ?
— Nash. Un ami.
La femme en sueur prit un mouchoir en tissu et s’épongea le front. Victor garda le silence. Sarah avait certainement hâte de rentrer chez elle, devant une clim qui fonctionne avec un thé glacé dans la main. Elle allait craquer dans les dix secondes.
L’agente commença par aviser les taches de sauce sur le tee-shirt de Victor. Fit la moue. Remarqua le blason de l’US Army sur les manches. Refit la moue. L’armée et ses fanfaronnades n’avaient pas bonne presse dans les quartiers déshérités, quelle que soit la ville. Enfin, Sarah poussa un soupir et se pencha sur son ordinateur. Huit secondes.
— Bien. Quel est le nom de votre ami ?
— Ruben Espinoza.
Victor épela le nom.
Les doigts boudinés voltigèrent au-dessus du clavier avec une rapidité sidérante. Victor était en admiration. Il avait du mal à taper avec son deuxième index.
— Il n’y a aucun Espinoza dans nos fichiers. Je suis navrée, monsieur Nash.
— Je vois, merci de vous être donné la peine.
Victor se leva. Une impasse de plus. Treize minutes de perdues et encore deux agences. Peut-être déjà fermées, ou sur le point de l’être.
Il s’arrêta devant la porte transparente, une main sur la barre de poussée.
— L’orage vient. Dans quelques heures, l’air sera plus respirable.
Les yeux de Sarah s’arrondirent. Dehors, le ciel était d’un bleu limpide et une chaleur étouffante tenait la ville sous son joug. Le temps que l’agente ouvre la bouche, Nash avait disparu.

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Dernière édition par Victor Nash le Mar 27 Déc - 14:49, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyDim 4 Déc - 18:40#

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He who fights, can lose. He who doesn't fight, has already lost.

Septembre 2022 ☆ Fresno
C’est vous la patronne. Vous me direz si Proper Properties a été fondée par une personne bègue ou si le nom a été choisi par des génies du marketing.

Non mais franchement ! Je ris à la bêtise de Victor, soulagée que les employés de l’agence ne pouvaient nous entendre depuis la voiture de sport.

On s’appelle s’il y a du nouveau.

A vrai dire, le timbre grave de sa voix me donnait envie de l’écouter téléphone plaqué contre l’oreille, l’autre main se promenant sur mon corps à me... hum hum !

Comptez sur moi pour vous appeler, affirmai-je avec un regard lourd de sous-entendus.

Moi, incorrigible ? C’était à cause de la chaleur caniculaire, elle me mettait dans tous mes états. Voilà. Je sortis dans la fournaise, sac à main en bandoulière, et dis au revoir à Victor avec un pincement au cœur. En fin de compte, j’aurais bien aimé que le trajet dure plus longtemps. J’eus un sourire machiavélique en songeant que nous roulerions moins vite au retour, que la nuit tombait tôt et que j’avais aperçu de chouettes motels le long de la route. Mais d’abord, finissons-en avec la tournée des agences !
Je franchis le seuil de Proper Properties sans me faire d’illusions. Après la kyrielle d’agences que nous avions contactées, les chances de tomber sur la bonne en toute fin de liste me paraissaient très minces. Les matheux me contrediraient peut-être avec des calculs savants, je n’ai jamais rien compris aux probabilités. J’étais néanmoins déterminée à aller jusqu’au bout et me présentai à l’accueil. Le local était immense et grouillait de monde, je ne m’attendais pas à une activité aussi intense un samedi en fin d’après-midi.

¡Hola! Votre agence a l’air de bien marcher ! lancé-je à l’hôtesse d’accueil avec mon plus beau sourire.

M’en parlez pas, señora ! On croule sous le travail !

Une approche sympathique ouvre bien des portes. J’expliquai rapidement ma demande et une fois de plus, mon amabilité fit des merveilles. J’appris que septembre était un mois traditionnellement chargé et qu’ils faisaient des heures supplémentaires. D’autres interlocutrices m’avaient tenu le même discours. Cela expliquait la difficulté à les joindre au téléphone. Ruben avait bien choisi son moment !

J’ai deux Espinoza recensés, fit l’hôtesse après une saisie sur son ordinateur.

Ma mâchoire inférieure s’en décrocha de stupéfaction. J’étais déjà tombée sur plusieurs agences avec un Espinoza dans leur clientèle, et même une fois parmi les employés. Dans une grande ville hispanique comme Fresno, beaucoup partageaient mon patronyme. Par contre, c’était la première fois qu’on m’en servait deux. Mon cœur palpitait d’espoir.

Le mien s’appelle Ruben ! reprécisai-je.

Je sentais mon pouls battre contre mes tempes. La voix de la raison me dictait de ne pas m’emballer mais je ne pouvais m’empêcher d’y croire.

Ah ! J’ai un R. Espinoza. Bizarre, le prénom complet n’est pas indiqué.

Je dus me cramponner au comptoir pour ne pas vaciller. C’était la meilleure correspondance depuis le début de mes recherches. J’avais l’impression d’apercevoir un disque de lumière au bout d’un long tunnel.
Puis mon cerveau cogita à cent à l’heure. Pourquoi diable Ruben jouerait les cachotiers avec son prénom ? Ou alors c’était l’erreur d’une employée inexpérimentée ? Je m’apprêtais à accuser une stagiaire quand ma gentille hôtesse leva le nez de son écran.

Vous pouvez patienter pendant que je demande à un agent ? Je n’ai pas accès au dossier complet depuis ce poste.

J’avais passé tellement d’heures à patienter au téléphone que j’étais devenue championne olympique de la patience ! Enfin, si on ne tient pas compte des crises de nerfs.

Bien sûr, je vous en prie ! C’est très, très gentil de votre part. Et c’est très, très important pour moi.

L’hôtesse se leva et m’adressa un sourire. Un vrai sourire plein d’humanité, pas un sourire forcé de commerciale. Cette jeune femme était une perle et si ses collègues lui ressemblaient, je comprenais le succès de Proper Properties.
Je gigotais sur place tandis que mes yeux suivaient chacun de ses gestes. Elle entra dans un bureau et je la vis échanger des paroles avec un homme grisonnant. J’aurais tant aimé les entendre ! Pendant qu’ils discutaient, je m’interrogeai ce qui allait suivre. Si j’obtenais l’adresse de Ruben, il fallait que j’y me rende tout de suite. Il était hors de question d’attendre lundi. Mon petit frère et moi avions beaucoup de choses à nous dire. Je le gronderais pour nous avoir causé des frayeurs, il me présenterait des excuses à sa manière indolente, puis je lui ferais un gros câlin. Je ne pouvais pas inviter Victor à cette réunion de famille très privée, toutefois j’avais besoin de son bolide pour le trajet du retour. Les autobus longue distance ne roulaient pas la nuit. Cela impliquait qu’il patiente un long moment, après son rôle d'enquêteur et chauffeur depuis le milieu de matinée. C’était beaucoup demander, même si je l’avais tiré de la plage et hébergé toute la nuit. Je me décidai à abuser de sa générosité contre la promesse d’un diner en tête-à-tête. Je me ferais belle, porterais une robe sexy, et nous aurions jusqu’au lendemain matin pour exprimer notre profonde gratitude. J’adorais ce plan !
Ma gentille hôtesse le réduisit à néant.

Je suis désolée, mademoiselle Espinoza. Notre client est un Roberto, c’est un vieux monsieur à la retraite. Vous avez contacté d’autres agences ?

J’eus un rire nerveux. Des larmes se formèrent sans que je les anticipe ou puisse les arrêter. Je les essuyai de ma main tremblante, songeant que j’avais bien fait d’éviter le mascara. Quel spectacle, tout de même ! C’était comme si la tension accumulée se libérait d’un coup. Mes nerfs lâchaient. Il y avait une cliente derrière moi, une dame ridée qui me regardait comme si j’étais une pauvre fille désespérée. L’hôtesse contourna son comptoir, m’emmena à l’écart avec des mots rassurants et m’installa sur une chaise.

Restez ici le temps qu’il vous faudra, personne ne viendra vous déranger. J’ai une cliente à gérer et ensuite je vous apporte un café. D’accord ?

Un café était la dernière chose dont mes nerfs avaient besoin en ce moment ! J’acceptai néanmoins, murmurant un merci du bout des lèvres. Je me sentais tellement stupide ! C’était comme si j’étais redevenue l’ado pathétique que j’avais décrite à Victor. J’avais envie de me blottir contre maman et l’entendre dire que tout irait bien.
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Victor Nash

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39 ans en avril. Vigueur des muscles, expérience de l’âme, tourments de l’esprit.
Célibataire. Il a aimé et fut aimé en retour, des cadeaux de la vie qu’il chérit en son cœur. Amours impossibles, d’intensités diverses, étouffées par son dévouement envers l’US Army, plusieurs fois ensevelies sous le tombeau de la tragédie. Il chemine aujourd’hui avec la froide solitude, ressent parfois l’envie d’une compagne de voyage plus chaleureuse.
Sergent d’infanterie muté début 2022 au Presidio de Monterey, base militaire dépourvue d’unité de combat. Affairé à des tâches profondément ennuyeuses d’intendance et logistique. Victor a toujours eu la bougeotte et le goût de l’action ; il a passé une grande part de sa vie adulte sur les théâtres d’opération de l’US Army – sa famille de cœur. Et comme dans toutes les familles… il y a des couacs. Un sauvetage interdit en Afghanistan, jugé comme acte d’insubordination, lui a valu cette mise au placard qu’il espérait temporaire. Redresseur de torts depuis septembre 2022. Des rencontres et événements inopinés le poussent à se battre hors des lois, mais toujours en accord avec son code de conduite.
Une vieille bâtisse spacieuse au nord-ouest de la ville.
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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyMer 7 Déc - 21:33#

Tempest ↯ Victor & Tori
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Septembre 2022 ☆ Fresno
Guidée par les instructions du GPS, la Ford s’engagea dans une avenue commerçante de Fresno. Le quartier fourmillait de monde, toutefois les sinistres occupants du véhicule n’étaient guère inquiets. Leur véhicule était un modèle banal, d’une couleur banale, banalement immatriculée en Californie. À travers le pare-prise sale, leurs faciès basanés passaient inaperçus dans la grande agglomération hispanisée. Les porte-flingues de Castillo connaissaient les ficelles du métier. Ils ne se faisaient jamais prendre. Ceux qui échouaient disparaissaient de la circulation.
Soudain, un homme se précipita à l’avant de la berline. Le balafré freina sec, éructant un flot d’insultes sous son épaisse moustache. L’imprudent était un Blanc d’âge moyen, baraqué. Le prototype du Ricain suffisant qui s’arroge le droit de mener des actions de déstabilisation dans son pays. Le balafré le haït aussitôt. Il se força à hocher poliment la tête, puis répondit aimablement au signe de main du malotru. « N’attirez pas l’attention », avait ordonné Castillo.


* * *

Sortant de l’agence Rava Property Group, Victor se ruait vers sa voiture garée cinquante mètres plus loin du côté opposé de la route. Une Ford empoussiérée manqua le heurter. La responsabilité de l’incident était entièrement celle du militaire : il adressa un pardon solennel aux deux occupants du véhicule, puis traversa l’avenue en courant.

Installé dans la Camaro, il bascula le GPS sur la deuxième adresse enregistrée. Une voix féminine déblatéra instantanément des instructions. Tori produisait des sons nettement plus doux à l’oreille, enveloppés d’une chaleur dont les assistantes électroniques étaient dépourvues.
L’agence était localisée en périphérie nord de la ville, vaste comme dix Monterey agglutinées les unes sur les autres. La circulation se densifiait et le V8 tournait en sous-régime. Victor atteint sa destination à 16h51. Le succès de la mission était sérieusement compromis.
Il bondit hors du véhicule, une main sur la portière.
Les stores de l’agence immobilière étaient baissés.
Victor jura dans sa barbe, s’affaissa sur le toit brûlant de la Camaro. Un élan d’irritation lui fit serrer les poings ; Tori méritait de savoir. Il scruta par habitude la rue tout autour. À une distance de vingt mètres, un homme en costume cendré se glissait à l’intérieur d’une Mercedes.
Victor se mit à courir, abandonnant sans crainte son véhicule – portière ouverte et clé sur le contact. Tel un cheval fougueux, la Camaro savait repousser les indésirables.
Victor toqua à la vitre du conducteur. Le moteur de la berline allemande ronronnait.
La vitre s’abaissa dans un zap électrique.
— Excusez-moi, vous travaillez à l’agence immobilière qui se trouve là ?
Victor pointa les stores baissés. Dans sa précipitation, il n’avait pas mémorisé le nom de l’agence. Un nom espagnol dont la traduction lui échappait. L’homme en costume cendré avait effectivement le type hispanique, toutefois il répondit avec un accent de la côte est.
— Oui, en effet, mais je viens juste de fermer. Vous pourrez repasser lundi, ou téléphoner pour un rendez-vous. Nous ouvrons à 8h tappantes.
— J’ai besoin d’un renseignement. C’est très important. Pas pour moi, mais pour une amie.
Le conducteur de la Mercedes consulta sa montre. Une montre chic, sans donner dans le grand luxe. Son porteur avait l’air d’un type qui a gravi les échelons à la sueur de son front et gardait le sens des réalités.
— Vous m’en voyez navré, monsieur, mais je dois partir sans tarder. Mon fils a un match de base-ball et je lui ai promis d’y assister.
Victor prit appui sur la carrosserie, brûlante elle aussi, et baissa son visage.
— Alors vous comprenez pourquoi je ne vous lâcherai pas. Cette amie se ronge les sangs pour son frère, injoignable, dont le nom et l’adresse figurent peut-être dans vos fichiers. C’est une histoire de famille. Moi, je suis juste un joueur qui court avec son gant et s’efforce d’attraper la balle. Vous, vous êtes un des batteurs sur qui repose l’issue du match. Dans la famille comme en sport, on doit se montrer coopératifs et solidaires. Ce sont des valeurs que vous souhaitez apprendre à votre fils, n’est-ce pas ? Dites-moi que je me trompe, ou montez dans les tribunes avec un peu de retard. C’est l’affaire de quelques minutes. Après le coup de sifflet final, lorsque votre fils vous demandera pourquoi vous avez raté les premiers coups de batte, vous lui expliquerez pourquoi.
Silence. Le père de famille détourna le regard et fixa un point devant lui. Peut-être la Camaro laissée sans surveillance, portière ouverte.
— Si je pars tout de suite, Pedro ne saura pas que j’ai refusé un client. Et il sera heureux de voir son père l’encourager avant le début du match.
— Exact. Mais vous, vous saurez.
L’homme en gris dodelina de la tête.
— D’accord, d’accord, on va regarder ça !

À 17h04, Victor saisissait l’adresse de Ruben Espinoza dans le GPS : 34, Via Frassino. Une maison familiale avec une langue de verdure et un étage, avait précisé l’agent immobilier parmi un florilège de détails. Très professionnel. Le militaire avait craint que le jeune Pedro ne voie pas le pli d’un costume cendré avant la deuxième manche. Victor lui souhaitait de faire la fierté de son père – cet honnête homme le méritait.
La Via Frassino se situait à quelques pâtés de maisons de l’agence. Levier de vitesse sous la paume, Victor songea à y faire un saut afin de vérifier si les volets du 34 étaient ouverts. Il tourna la tête dans la direction opposée. Tori devait se morfondre ; il était en outre tenu de l’appeler.
Victor pressa le bouton d’ouverture de la capote et mit les gaz.
Il atteignit le point de rendez-vous à 17h21. Tori faisait le pied de grue sur le trottoir, à l’ombre d’un auvent.
— J’ai l’adresse de votre frère. C’est une maison au nord de la ville, à vingt minutes d’ici. Je vous y conduis ?
Victor perçut l’écho de vives émotions sur le visage de la métisse.
— Ça va aller ?

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Dernière édition par Victor Nash le Mar 27 Déc - 14:49, édité 1 fois
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36 ans.
Les amants maudits, ça vous parle ?
Linguiste et formatrice pour le compte de l'armée.
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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyDim 11 Déc - 18:50#

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Septembre 2022 ☆ Fresno
Ma deuxième et dernière agence était bidon ! Je vérifiai le numéro et le nom de la rue, puis cherchai d’éventuelles homonymies sur mon téléphone. Il n’y avait plus aucun doute possible, l’agence Fresh Rentals n’existait pas ! Je me trouvais à la place devant un étalage de fruits et légumes, pas très frais à en juger par leur aspect rabougri.
Ma tête de pleurnicharde n’avait manifestement pas échappé au vendeur, un petit homme à la cinquantaine bedonnante qui vint à ma rencontre avec une orange toute molle.

Vous en voulez une, ma p’tite dame ? C’est cadeau. Elles sont très bonnes, mûres et bien sucrées !

Il me sourit et je constatai que la moitié de ses dents manquait à l’appel. L’autre moitié ressemblait à des fruits gâtés. J’appréciais néanmoins l’intention, refoulant l’idée que ce vendeur affable projette de m’empoisonner. Dans mon infortune, j’avais la chance de rencontrer des personnes gentilles et attentionnées !

C’est généreux de votre part, monsieur, mais j’ai bu un grand café il y a cinq minutes. Le mélange me donnerait un gros mal à l’estomac. Je suis plutôt fragile de ce côté-là.

Je posai une main sur mon ventre, l’air penaude, accentuant l’effet en mimant les yeux de Bambi. Le vendeur s’excusa. Je n’aurais eu aucun scrupule à souligner la qualité douteuse de sa marchandise à un commerçant désagréable, mais ce petit vieux avait un côté adorable, presque candide.

Est-ce que vous savez si une agence immobilière a tenu boutique près d’ici ?

L’homme semblait heureux de discuter, il ne croulait visiblement pas sous la clientèle. Il m’apprit qu’il avait loué une partie de son local à un entrepreneur immobilier, lequel avait besoin d’une adresse physique à un tarif accessible. Un beau jour, l’entrepreneur disparut en laissant trois mois de loyer impayés derrière lui. Mon gentil épicier avait grand mal à joindre les deux bouts et il craignait de devoir mettre la clé sous la porte avant l’hiver. J’étais tellement triste pour lui ! Il semblait bien le prendre, avec l’attitude sereine et philosophe qui vient avec l’âge. Je me sentis poussée à faire un petit geste et lui demandai s’il lui restait des amandes. Son visage buriné s’illumina aussitôt, on aurait dit une décoration de Noël ! Je compris que ce n’était pas la modeste commission de mon achat qui l’intéressait, mais le fait de servir une cliente. Je lui en achetais une livre, emballée dans du papier kraft. Les amandes se conservaient mieux que les fruits juteux et elles étaient bien plus belles que ses oranges. Il m’informa qu’elles provenaient d’un producteur de la région qui le fournissait depuis vingt ans.
A ce moment-là, j’aperçus la décapotable de Victor et remerciai le vendeur d’une bise claquante. Il fut tellement surpris qu’il m’observa grimper dans la fringante voiture du militaire sans prononcer un mot.

J’ai l’adresse de votre frère. C’est une maison au nord de la ville, à vingt minutes. Vous voulez que je vous y conduise ?

QUOI ?! Il ne pouvait pas le dire plus tôt ? Au téléphone par exemple, comme nous l’avions convenu ?
Une vague d’allégresse déferla à l’intérieur de moi et balaya toute idée de remontrance. Je bondis sur le siège passager, glissai mes bras autour du cou de Victor, puis l’embrassai vertement sur la joue sous le regard stupéfait du vendeur édenté. Les deux hommes devaient me prendre pour une folle exubérante. Depuis ma promenade sur la plage, qui me semblait remonter à une éternité, je ballotais dans un ascenseur émotionnel qui allait enfin s’arrêter au bon étage.

Ça va aller ?

Je rivalisais avec les chutes du Niagara dix minutes plus tôt, et à présent j’essuyais des larmes de joie. Heureusement que je n’avais pas mis de maquillage !

Bien sûr que ça va aller, quelle question ! C’est la sauce mexicaine, elle agit à retardement sur moi. En route !

Je me lovai contre l’épaule de mon beau porte-chance et captai son regard attentif. Je ne m’étais pas sentie aussi bien de toute la semaine. Je respirais enfin un air oxygéné d’espoir.

J’ai acheté des amandes, beaucoup d’amandes. Cela va donner un très gros gâteau que je ne réussirai pas à manger toute seule. Auriez-vous l’obligeance de m’aider à en venir à bout, disons demain après-midi ? Je déteste le gaspillage.

Offre valable quoi que l’on fasse durant la nuit !
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MessageSujet: Re: Tempest ↯ Victor & Tori Tempest ↯ Victor & Tori EmptyJeu 15 Déc - 21:30#

Tempest ↯ Victor & Tori
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Septembre 2022 ☆ Fresno
La Ford se logea dans une impasse derrière la Via Frassino, à une vingtaine de mètres du numéro 34. Capot dirigé vers la route, apte à s’extirper et fuir en un tour de main. Pour cette mission facile, les deux criminels n’escomptaient aucun écueil ; toutefois les surprises sont par nature imprévisibles. Le grand avait repris du poil de la bête et, dans un fou rire, vérifia sa lame engluée de sang séché et de cheveux. Rien ne l’excitait plus qu’un décalotage en règle. Peut-être à cause de sa calvitie, songeait son complice. Ce dernier opérait un raisonnement machiavélique. D’un côté, il avait besoin de son mentor pour accomplir la mission : un homme seul ne peut jamais tout contrôler, aussi bon soit-il. D’un autre côté, la haine qu’il éprouvait envers ce briscard écœurant avait atteint un niveau suffisant pour appeler de ses vœux un échec monumental. Nul doute que Salvador Castillo se débarrasserait du meneur vieillissant avec cruauté – il commencerait par lui briser les os, puis l’abandonnerait encore vivant au milieu de porcs affamés. Le sort de son acolyte dépendrait de facteurs incertains. Pour échapper à un châtiment, le poids de l’échec devait reposer sur le mentor à 80-90%. Pas 100% : cela paraitrait suspect et mènerait tout droit à l’enclos à cochons. Il faudrait la jouer fine.
Le balafré cessa de cogiter en descendant de voiture. Inutile de fantasmer : Ruben Espinoza était un militaire à la sauvette. Zéro bataille au compteur. Zéro victime. Ils avaient maté des gars nettement plus coriaces.
Les deux étrangers progressèrent avec discrétion. Le quartier reposait dans une torpeur silencieuse ; pas un chat ne circulait sous la fournaise. Un bâillon s’avèrerait nécessaire pour étouffer les cris.


* * *

Victor accusa la bise énergique, incendiaire. Sa joue avait pris des torgnoles plus douces. Quel phénomène, cette Tori Espinoza !
— Bien sûr que ça va aller, quelle question ! C’est la sauce mexicaine, elle agit à retardement sur moi. En route !
Il considéra sa passagère : la joie qui habitait son visage chaleureux était un ravissement à contempler. Victor sentit des picotements sur sa peau – symptôme de l’atmosphère qui se chargeait en électricité, symptôme de son émoi.
— Je l’avais dit qu’elle avait un sacré caractère, cette mexicaine, enchérit Victor avec un sourire en coin.
Comme ce midi dans la cuisine, Victor se garda d’éclaircir l’espiègle ambiguïté. Si la sauce piment enflammait les sens, Tori n’était pas en reste. La métisse cuisinait également des gâteaux aux amandes.
— Auriez-vous l’obligeance de m’aider à en venir à bout, disons demain après-midi ? Je déteste le gaspillage.
Victor ne réfléchit pas longtemps.
— J’accepte de combattre le gaspillage à vos côtés, mais à une condition.
Suspens.
— Promettez-moi de ne pas ajouter de puya à la recette.
Tori lui lança une tape indignée sur l’épaule ; ils rirent de bon cœur.
— Vous acceptez aussi de me lâcher le bras, que je puisse conduire jusqu’à chez votre frère ?

Les vingt minutes de trajet jouèrent les prolongations. Victor avait prévu large, mais c’était sans la fanfare qui les fit rouler au pas le long d’une avenue bondée. Une issue se matérialisa dans ce grouillot de spectateurs et la Camaro s’y engouffra en rugissant. Une voie à sens unique, qui les lança sur un long détour avant de retrouver leur chemin. Tori lui fit grâce de ne pas protester ; l’enthousiasme allégeait son cœur après une dure semaine de recherches infructueuses. Victor connaissait cette sensation de légèreté, semblable à la fatigue qui s’évanouit au dernier kilomètre de course. La dernière ligne droite avant l’arrivée, quand le parfum de la victoire exalte les sens. Victor espérait vivement que Tori trouve Ruben à son nouveau domicile, trop occupé à monter des meubles ou baptiser les lieux avec sa petite amie pour songer à appeler sa sœur.
— Via Frassino, commenta Victor en s’engageant dans la rue. Numéro 34.
Il inspecta sa gauche pendant que Tori contrôlait à droite. Le numéro 1 était plaqué sur le mur grisâtre d’un bar, au croisement d’un grand boulevard. Très bon emplacement pour le commerce. Victor repéra une dizaine de clients à l’intérieur, assoiffés par la fournaise ou en quête d’un refuge. L’atmosphère de Fresno se figeait, s’appesantissait à l’approche de l’orage. La Camaro avalait doucement la petite montée.
Via Frassino était une rue ordinaire, typique des grandes villes américaines. Route large, suffisamment entretenue pour empêcher la formation de nids de poule, flanquée d’habitations de la classe moyenne. Celles-ci comprenaient un étage, un garage, une façade terne, une langue de verdure diversement fleurie et entretenue d’une propriété à l’autre.
La pelouse du numéro 34 était grillée. Elle n’avait pas reçu une goutte d’eau au cours des quinze derniers jours, a minima. Victor scruta le ciel et reçut la confirmation des picotements sur son épiderme. Il ne s’agissait pas seulement de Tori : des nuages chargés de pluie se massaient à l’ouest. Victor songea que l’herbe allait bientôt repartir. Lorsqu’il rabaissa les yeux, Tori avait déjà bondi sur le trottoir. Les volets étaient ouverts sans qu’aucune activité transparaisse au-delà des rideaux.
— J’attends de voir si on vous ouvre, puis j’irai faire le plein d’essence et quelques courses. Prenez le temps dont vous avez besoin. J’imagine que vous avez beaucoup de choses à vous dire, entre sœur et frère. Appelez-moi avant de sortir, et j’accourrai avec ma monture.
Sourire fringant.
Tori, radieuse sous le soleil, s’appuya sur la portière de la décapotable. Elle se pencha et lui offrit ses remerciements. Victor profita éhontément de la vue plongeante qu’offrait son débardeur. L’intensité des picotements électriques s’accrut et cette fois, le changement de météo n’y était pour rien.
— Bonne chance, Tori.

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