Réunion des Harlow.
Noël.
Le Ranch.
Le Sapin si bien décoré, l’odeur de cannelle qui se répand dans l’atmosphère, les jeux de société et leurs probables disputes si futiles et qui offrent un sourire sur chacune de nos lèvres.

Voilà des mots qui ne cessent de résonner dans ma tête, des souvenirs qui tournent en boucle dans ma mémoire tandis que je suis en chemin pour un repère que je n’avais pas gagné depuis des années. Trop de temps sépare mon dernier Noël en famille, beaucoup trop à mon goût mais après tout, j’ai toujours été en phase avec mes choix de vie et de carrière. Devenir médecin sans frontières est une vocation que j’ai toujours assumée, jamais reniée. Les sacrifices que j’ai dû réaliser pour parcourir ce chemin et triompher d’une certaine mesure ont été nombreux et malgré un passé sulfureux que j’ai toujours pris soin de cacher à ma famille, je suis en paix avec mes choix. Tout comme mon âme se retrouve stimulée d'une joie intense à l’idée de vivre de nouveau auprès des miens. La fabuleuse occasion a été le mariage de Malone, celle où j’ai pu observer de mes propres yeux un amour véritable et la consécration d’une relation fusionnelle et si évidente. J'ai été si fière d'être présente, à l'image de chacun des Harlow. Malgré tout, ma très récente rupture amoureuse avec Teddy, qui est parti sans la moindre explication de notre cocon en Amérique du Sud, fait encore un mal de chien. Et encore, l’expression est faible à côté du deuil sentimental que je vis. Je pleure silencieusement depuis des mois son absence et l’avoir retrouvé, par le plus grand des hasard, il y a quelques semaines, à l’hôpital, fût un choc immense.
Avoir découvert qu’elle m’avait caché sa maladie a tout simplement été la goutte d’eau qui a fait déborder mon vase personnel.
Pour autant, je n’ai pas réellement osé me confier à ce sujet à mon entourage. À cause de cette pudeur entretenue depuis si longtemps à propos de mon orientation sexuelle? Je n’ai pas à en avoir honte, encore moins auprès des membres de mon clan. Mais c’est plus fort que moi, Mère Discrétion semble m’avoir bénit à la naissance et ce trait de personnalité n’a jamais pû être gommé, malgré tous les efforts employés pour le modifier.
Il y a des choses qui ne changent pas, dans la vie.
Et parfois, ce n’est pas plus mal.
Comme ce rituel de Noël que nous nous apprêtons à vivre...

Rejoindre le ranch des Harlow est un jeu d’enfant, je me gare en douceur, à quelques mètres seulement de l’entrée. À l’idée de festoyer tous ensemble, mon coeur se remplit d’une excitation sans faille, pour autant, dès que je pénètre dans la gigantesque bâtisse, c’est d’une voix calme, discrète et mesurée que je questionne, sans doute bêtement, posant mon sac de voyage à côté de la table de salle à manger:

Maman…? Malone, Maïa… Quelqu’un…?

C’est donc ça de revenir au bercail après tout ce temps: scander le nom de ses proches, chercher leur présence, se replonger dans une enfance merveilleuse où j’ai côtoyé de si belles âmes que j’ai la chance d’appeler… ma famille.

On y est. Le plus beau jour de l’année est enfin arrivé. J’ai une adoration particulière pour Noël. Les odeurs d’épices, de cannelle et d’orange qui s’échappent des boutiques, ou même de cette maison, remplissent l’air d’une chaleur réconfortante. Les décorations illuminent chaque pièce, et surtout, c’est le jour où mes sept enfants, ainsi que mon frère, sont tous présents. Rien ne me rend plus heureuse que cette réunion. J’espère que cette soirée fera du bien à Stan. Cette fin d’année a été difficile pour lui, et j’espère qu’en voyant ses neveux et nièces, il retrouvera un peu de légèreté et de joie.

Cette année, un invité supplémentaire se joint à nous : Célian. Maintenant qu’il est marié à mon bébé, il fait partie intégrante des Harlow. À mes yeux, c’est presque comme si j’avais un huitième enfant. Dommage pour les futures pièces rapportées, mais la barre est très haute ! Mon seul souhait est que chacun de mes enfants trouve un amour aussi sincère et solide que celui de Malone et Célian. Rien d’autre ne compte.

Je me suis levée à cinq heures du matin pour m’assurer que tout est parfait. La décoration, posée depuis le 1er décembre, doit être juste comme il faut : ni trop, ni trop peu. Avec Christopher et Killian, nous avons installé un grand sapin dans le salon, que nous avons décoré avec soin. D’ailleurs, oui, Killian est mon colocataire. À presque cinquante ans, j’ai un coloc. Ne cherchez pas à comprendre, c’est comme ça.

Ensuite, je suis partie au marché bio, à une heure de route de Monterey. Là-bas, les producteurs ont un véritable respect pour le bien-être animal, et j’ai personnellement visité leurs exploitations pour m’en assurer. Depuis, je suis prête à parcourir des kilomètres pour acheter chez eux. J’ai ramené une belle dinde à farcir, quelques marrons, et des condiments pour l’apéritif et l’entrée. Quant au plat de Maïa, tout ce dont j’ai besoin est déjà au ranch.

De retour à la maison, je ne quitte plus la cuisine. Je commence par farcir la dinde et la glisse immédiatement dans le four. Elle doit cuire lentement, à basse température. Une fois cela fait, je nettoie mon plan de travail et prépare les plats de Maïa. Je veille toujours à cuisiner ses aliments en premier, pour qu’ils ne soient jamais en contact avec un produit d’origine animale. Petit écart pour la dinde qui nécessite de longues heures de cuisson, mais j’ai mis une planche entre le plan de travail et les aliments.

Pour rester dans l’ambiance, je porte un chapeau de Noël et diffuse des chansons de saison dans les enceintes : Jingle Bells, Deck the Halls, Rockin’ Around the Christmas Tree, et We Wish You a Merry Christmas. Par contre, il est hors de question d’entendre l’autre… celle dont la chanson est un véritable supplice. Oui, je parle de Mariah Carey. Pitié, non.

L’ambiance est chaleureuse et joyeuse. Je prépare le repas pour dix personnes. Dix. Heureusement que j’aime cuisiner, parce que sinon, ça deviendrait vite un cauchemar. Je pourrais faire appel à un traiteur, mais non. Plutôt mourir.

Au menu, nous avons :
○ Amuse-bouches : végétariens, bien sûr.
○ Entrée : un velouté de courge butternut aux châtaignes, des huîtres pour ceux qui en veulent, un carpaccio de betteraves, et des feuilletés chèvre-miel.
○ Plat principal : la fameuse dinde aux marrons – pour ceux qui mangent de la viande – et des ravioles de cèpes au parmesan, accompagnées d’une cassolette de légumes.
○ Dessert : une bûche de Noël que j’ai achetée chez Cranachan, accompagnée de biscuits à la cannelle faits maison.

L’avantage, quand on cuisine autant ? Pas besoin de bougies parfumées. L’odeur du repas suffit à créer une atmosphère magique. Bien sûr, je ne suis jamais seule en cuisine : les trois morfales à quatre pattes viennent quémander un petit morceau dès qu’ils en ont l’occasion.

- Maman…? Malone, Maïa… Quelqu’un…?
- Cuisine ! crié-je, sans lever les yeux.

Puis, j’aperçois la tête de mon aînée passer. Un grand sourire éclaire mon visage.

- Joyeux réveillon de Noël, ma chérie ! Comment vas-tu ?

Je frotte mes mains sur mon tablier, repoussant d’un geste une mèche blonde qui tombe devant mes yeux. Une trace de farine reste collée sur mon front, mais je ne m’en rends pas compte. Je m’approche pour lui déposer un baiser sur la joue.

Lorsque je quitte la caserne ce matin à la fin de ma garde, mon coeur est léger. C'est parti pour une semaine de vacances. J'ai été intransigeante. Je voulais bien être de garde jusqu'au 24 au matin et le 31, mais pas question de travailler aujourd'hui, ni cette semaine d'ailleurs. Cette semaine c'est repos, dans mon appart avec ma chienne et mes chats. Mais avant, je dois me rendre à la meilleure fête de l'année : Réveillon au ranch des Harlow.
Cette année, (comme toutes les années) c'est Noël chez maman. Mais cette année, la famille sera au grand complet. Voilà des semaines que je compte les jours jusqu'au réveillon, telle une enfant. Même si nous habitons maintenant tous à Monterey, il est rare que nous soyons tous rassemblés au ranch. En même réussir à faire coexister les emplois du temps de onze personnes est un sacré défi. Défi que nous allons enfin relever.

Je profite de la matinée pour finir mes cadeaux : un bout de ruban par-ci, un petit mot par là... Avant de profiter de l'après-midi pour faire une sieste avec mes chats lovés contre moi : je n'ai pas arrêté de la nuit et je suis épuisée.
L'après-midi file pendant que je me prépare. J'enfile une robe rouge à manches longues, cintrée et évasée à la taille avec des collants. Je coiffe soigneusement mes cheveux, me maquille, avant d'enfiler une veste noire et mes bottes. Je charge toutes mes affaires dans la voiture : les cadeaux, et ma Gin que je n'allais pas laisser seule à l'appart avec pour seule compagnie les chats. J'arrive au ranch de bonne heure. Christopher est ravi de retrouver ma chienne et moi, je suis heureuse de retrouver mon petit frère.

Je passe cinq bonnes minutes à batailler avec ma mère pour qu'elle me laisse l'aide à cuisiner... Sans succès, me voilà chassée de la cuisine. Je râle et la traite de mère indigne avant de rejoindre Christopher que j'emmène dehors jouer avec ma chienne. Dehors, le sol est boueux et je ne tarde pas à me salir malgré le soin avec lequel je me suis préparé. Comme quoi, certaines choses ne changeront jamais : j'avais déjà ce souci petite, de ne pas pouvoir rester propre plus d'une heure. J'aperçois alors une voiture à quelques mètres de nous qui remonte vers le ranch. À peine ai-je eu le temps de réagir que mon petit frère se lance dans une course pour être le premier à la maison. Nous arrivons hors d'haleine les chaussures couvertes de boues que nous enlevons dans l'entrée et j'ordonne à Gin de ne pas bouger. Si elle met des traces de boues de partout, mon compte est bon. Je me dirige vers la cuisine avec en tête de trouver un chiffon pour nettoyer nos chaussures.
Quand j'entre dans la pièce où ma mère règne aujourd'hui en maitre, mon visage s'illumine quand mes yeux se posent une jeune femme. C'est une des plus belles femmes que je connaisse et une des plus courageuses que j'ai la chance de côtoyer. Je me sens d'autant plus chanceuse parce que j'ai grandis avec elle.

-CHRISTA !

Je serre ma sœur ainée dans mes bras, heureuse de la voir.