L’accident n’est pas arrivé par ta faute. Tu t’es contentée de freiner à une intersection, comme une bonne scoute. Tu as tout juste eu le temps de jeter un oeil à ton miroir de courtoisie, quelques secondes qui n’ont pas suffit à ce que tu puisses te préparer au choc. Tu as un peu mal à la nuque, mais tu es surtout remontée contre l’idiot qui a embouti ta voiture et que tu entends déjà hurler comme un dingue alors qu’il quitte sa voiture pour venir à ta rencontre, comme si c’était toi, la responsable. Encore un peu sonnée, la tête dans du coton, tu commences à ouvrir ta portière qu’il referme d’un coup sec, te bloquant à l’intérieur de ton cabriolet tandis qu’il hurle comme un dingue contre la terre entière. Les femmes au volant, les jeunes, les dangers publics, les femmes au volant, les petites connes qui roulent en grosse bagnole… Tu tentes encore une fois d’ouvrir ta portière qu’il claque à nouveau sur toi et tu sens la colère et la panique monter en toi à la fois. Par instinct de survie, tu cesses d’essayer d’ouvrir la porte et tu te contente d’actionner la fermeture centralisée. Plus question de sortir et d’affronter ce malade toute seule. Tu es tentée d’appeler la police, pour qu’ils te sortent de ce mauvais pas, mais tu as un peu bu, un peu trop, et même si tu te sens en pleine possession de tes moyens et que tu n’es clairement pas en tort, tu n’as pas envie de prendre le risque de passer encore une fois la nuit en cellule de dégrisement. Ou pire, perdre ton titre de conduite, voire même risquer l’immobilisation de ta précieuse voiture.

Avec un soupir de résignation, et parce que le type de l’autre côté de ta portière continue à s’exciter, tu finis par composer le numéro de Meera sur ton cellulaire, priant pour qu’elle ne soit pas endormie, ou en intervention. Tu sais qu’elle risque de te passer une soufflante pour avoir conduit en état d’ébriété -encore que tu es presque certaine d’avoir instantanément désaoulé après le choc-, mais tu sais aussi que tu peux compter sur elle pour venir à ton secours aussi vite que possible. C’est presque devenu une habitude. A tel point que tu la visualises très bien lever les yeux au ciel d’exaspération en voyant ton nom s’afficher sur l’écran de son téléphone et qu’avant même que sa voix ne retentisse dans le combiné, tu l’entends déjà te demander ce qu’il t’arrive, encore. “Hey… Meera, quoi de neuf?”, tu lances l’air de rien quand elle décroche enfin.  

« Et si tu restais dormir ici, cette fois ? Juste dormir dans mes bras... » La main de Cal vient caresser ton dos nu dans un geste presque tendre, mettant ainsi tous tes sens en alerte. Ça ne va pas du tout. Vous deux, ce n’est pas censé être autre chose que du cul... C’était ce qui était convenu depuis le début. Alors certes, le sexe était vraiment très bon, et c’était sans doute ce pourquoi tu avais dérogé à ta sacro-sainte règle d’une seule nuit mais pour autant, tu ne voulais absolument pas t’engager dans une relation avec lui... Sauf qu’il semble tout à coup souffrir d’un élan de romantisme malvenu. D’ailleurs, il se sent peut-être encouragé par ton silence, car il continue de parler, te murmurant qu’il t’apprécie de plus en plus, que pour lui, les choses devenaient sérieuses même si elles n’étaient pas censées l’être au début... Tu pousses un petit soupir. Tu vas être obligée de répondre et la conversation risque de prendre une tournure désagréable. C’était précisément pour éviter ce genre de moment que tu ne voulais pas t’engager. Quelle ironie... Tu te remets sur le côté pour lui faire face. « Cal, je... » C’est précisément à ce moment-là que ton téléphone se met à vibrer, créant une diversion bienvenue. Enfin, Cal te lance quand même un regard de chien battu, essayant te dissuader de prendre cet appel dans un moment qu’il considère sans doute comme important. « Je dois le prendre, c’est peut-être le boulot... » Tu t’en veux de te justifier, c’est vraiment le signe qu’il est temps de passer à autre chose...

Tu attrapes ton téléphone, te mettant assise sur le bord du lit. Ce n’est pas du tout le boulot. Tu pousses un nouveau soupir en voyant le nom de ta petite sœur apparaître sur l’écran. Ça ne pouvait pas être bon. Encore moins à cette heure-ci. Puis de toute façon, elle ne t’appelait jamais par pure courtoisie. Que quand elle avait un problème... Tu décroches quand même. Tu décroches toujours. Peu importe à quel point elle peut t’exaspérer, elle reste ta sœur. Et puis pour une fois, son appel tombe plutôt à pic. Ce qui ne t’empêche pas de fermer les yeux avec dépit quand tu entends sa voix un peu trop joyeuse, teintée d’une élocution légèrement traînante. C'est clairement sa voix de meuf pompette. Or, pas besoin d'être un génie des maths pour résoudre l'équation : Asha + Alcool = problèmes. Enfin, pour le moment, elle te demande juste ce « qu’il a y a de neuf » donc tu ne t’inquiètes pas encore, commençant par la taquiner. « Ma chère petite sœur... Je vais bien. Je me demande juste ce que me vaut ce plaisir, hélas, pas si rare... » Sauf que tu n’as pas à te questionner très longtemps. Tu entends soudain des bruits de choc, quelqu’un qui tape contre une surface dure, et des cris. Enfin surtout des insultes qui bien qu’étouffées via le téléphone, semblent s’adresser à Asha. Tes instincts protecteurs se réveillent aussitôt. « Asha, qu’est-ce qu’il se passe ? Dans quoi tu t’es encore fourrée ? » Demandes-tu, aussitôt, ne te doutant pas que tu viens de livrer à la ligne près la réplique qu’elle attendait de toi. « Où est-tu ? » Dis-tu, en repoussant déjà les draps pour t’habiller, prête à foncer.  

Il faut quelques sonneries pour que Meera décroche, et même si tu prends un air détaché, comme si rien ne t’atteignait jamais, tu te retiens de pousser un soupir de soulagement. C’est une peur irrationnelle, un peu comme certains peuvent avoir peur du monstre sous leur lit, ou du clown dans leur placard. Toi, même si tu sais qu’elle répond toujours, t’as peur qu’un jour Meera te laisse te démerder avec tes conneries. Au fond, tu l’aurais pas volé. Mais elle répond bien présente quand il le faut, et même si tu lèves les yeux au ciel quand elle demande ce que lui vaut ce plaisir -as if…-, tu es vraiment contente d’entendre sa voix. Instantanément, et malgré les coups répétés sur ta vitre, tu te sens en sécurité. “Nan mais, vous voyez pas que je suis au téléphone? On s’entend même plus parler…!”, tu pestes, avinée, à l’attention de ton adversaire qui semble bien décidé à insulter l’intégralité des femmes de ta famille sur plusieurs générations. Tu plaques ton doigt contre tes lèvres, dans un long chuuut! qu’il ne risque pas d’entendre, avant de reporter son attention sur ton aînée. “Pourquoi est-ce que ça serait encore de ma faute hein? Tu m'accuses toujours!”, tu proteste avec une moue boudeuse. C’est vrai quoi?! Pour une fois que tu n’as rien demandé…

Agacée par les accusations de ta soeur, tu laisses un silence -tout à fait relatif compte tenu des vociférations de l’homme à l’extérieur-, s’installer entre toi et l’autre bout du combiné alors que Meera te questionne sur ta position. Tu as bien envie de lui dire de laisser tomber et de raccrocher sans autre forme de procès, juste pour lui faire les pieds et lui prouver que tu peux te débrouiller toute seule, mais tu sais pertinemment que ce n’est pas le cas. Tu as besoin d’elle, et de sa plaque accessoirement, pour forcer cet imbécile à remplir un constat. En tort ou pas, ton père ne risque pas de te payer les réparations au vu des relations que vous entretenez actuellement. Une chance que tu n’aies plus l’âge d’être envoyée en pension. Autrement, c’est sûrement là que tes frasques auraient finies par te mener. “Ca existe encore les couvents?”, tu demandes finalement, laissant tes pensées s’exprimer tout haut, sans filtre. Si exiler la chair de sa chair est encore à la mode, c’est sûrement là que tu vas finir avant même d’avoir eu l’occasion de présenter ton futur faux petit-ami à ta famille. A moins que ce ne soit la case prison qui ne t’attende à l’arrivée -Ne passez pas par la case départ, ne touchez pas 2000 dollars!-. "J'ai de trop beaux cheveux pour les cacher sous un voile noir Meer... En plus j'aime même pas le vin! Il aurait pas pu leur dire, j'en sais rien moi:Buvez cette tequila?!", tu chouines dans ton téléphone, à des années lumières de répondre à la question que ta soeur t'as posé. "Tu dois rien lui dire, d'accord? Promets!"

Asha ne te répond pas tout de suite et ne te parle plus directement, préférant gueuler sur la personne qui est à l’origine des bruits de fond assez effrayants que tu entends en arrière plan. Tu écartes quelques instants le combiné de ton oreille pour garder ton tympan, poussant un long soupir. Tu oscilles entre dépit et inquiétude mais c’est plus cette dernière qui prime car elle vient de te confirmer que quelqu’un l’importune. Tu tiens sur le qui vive, pressée d’aller l’aider. Hélas, vous perdez un temps précieux car tes répliques revêches l’ont vexée et elle se met à geindre dans le téléphone d’un air plaintif plutôt que de t’indiquer sa localisation. Tu t'exhortes donc au calme avant de répondre. “ Ok, ok, ce n’est pas de ta faute. D’accord. Mais dis-moi où tu es, d’accord ? Et ce qu'il s'est passé ? ” Demandes-tu d’une voix que tu veux conciliante. Tu dois faire une sale tête parce que Cal te fait des signes frénétiques, se demandant sans doute ce que c'est que bordel. Tu l’ignores, concentrée sur l’urgence qui t’occupe. Ta voix se fait tout à coup beaucoup grave pour qu’Asha comprenne que tu n’es pas en train de plaisanter. “ En attendant - écoute-moi bien Sha, c’est important - tu dis à l’abruti qui te hurle dessus que s’il touche un seul cheveux de ta tête, je vais lui faire regretter le jour de sa naissance. Et tu restes en ligne avec moi jusqu’à ce que j’arrive. ” A part toi, personne n’avait le droit de malmener ta petite sœur.

Tu sautes en bas du lit, coinçant le téléphone sous ton oreille, te tortillant en même temps pour enfiler ton jean. C’est là qu’elle te pose la plus incongrue des questions, comme si elle réfléchissait à voix haute. Du Asha tout craché. C’est plus fort que toi et tu es trop stressée et énervée pour te retenir alors tu réponds du tac au tac. “ Ce n’est pas un couvent qu’il te faut, mais carrément un exorcisme.” Tu l’aimes profondément mais oui parfois, tu as l’impression qu’elle a le diable au corps. Elle avait beau s’en défendre, elle se mettait toujours dans les situations les plus improbables… Et pourtant, elle arrive à t’arracher un sourire malgré toi, quand elle part dans ses délires sur la religion. “ Pour ce soir, on dirait que tu l’as eu ta tequila…” Dis-tu, essayant de dissimuler ton amusement. Puis tu comprends, à la lumière sa question suivante, qu'elle parle de couvent car elle redoute surtout les conséquences de sa frasque de ce soir, qui doit être plus importante que ce que tu imagines. Et il n'y a même pas besoin de lui demander qui était ce "lui" qu'elle vient de mentionner. Elle redoute clairement la colère de votre paternel, qui, c'était vrai, pouvait se montrer assez créatif pour vous démontrer que vous l'aviez déçu.   " Je te promets. Peu importe de quoi il s'agit, ça restera entre toi et moi." Tu lui délivres la promesse qu'elle t'a demandé, sans y réfléchir une seconde. Tu es loyale à ta sœur, et tu dois bien avouer que tu ne lui en veux pas de défier votre géniteur. Au fond, c'était sans doute la répression constante qu'il menait sur vos vies qui vous poussaient à ce genre d'extrême...
 

Une moue boudeuse aux lèvres, tu te laisses amadouer par ses paroles un peu plus douces. Tu cherches du regard un indice sur la rue où tu te trouves. Aucun panneau n’est lisible de là où tu te trouves, mais tu repères une ou deux enseignes qui te permettent de te localiser. “Je suis… Dans la rue avec l’animalerie, et… Je crois que c’est une librairie ésotérique…? Un abruti - à qui tu donnes une encore une fois des nouvelles de ton majeur-, m’est rentré dedans…”, tu bougonnes à ton tour un peu plus coopérative. Prenant ta soeur au mot, tu baisses à peine la vitre de ta voiture, juste assez pour qu’il t’entende, mais pas suffisamment pour qu’il puisse y glisser les doigts et la faire descendre davantage avant de l’alpaguer avec suffisance. “Hey connard! Ma soeur arrive. Elle a dit qu’elle allait te botter le cul et te faire ravaler tes dents!”. Tu affiches un petit sourire satisfait et pendant qu’il vocifère toujours plus fort à l’extérieur, tu refermes ta fenêtre et l’ignore de nouveau. De quoi le rendre fou de rage alors que de ton côté tu éclates de rire quand Meera te prescrit un exorcisme. “Ta mère suce des bites en enfeeer…”, tu grommelle dans le combiné en forçant sur ta voix pour lui donner un air effrayant et tu ris à nouveau, particulièrement fière de ta propre bêtise. "Enfin pas ta mère à toi hein...".

La tête rejetée en arrière contre l’appuie tête, hilare, tu secoues la tête, faisant parfaitement fi du fait que ta soeur est actuellement incapable de te voir. “Hm, hm. C’était pas de la tequila. C’était du champagne. Du très bon d’ailleurs!”. Suffisamment bon pour que tu en commandes plusieurs bouteilles en laissant une note au nom de ton père, mais pas assez pour éviter la gueule de bois qui ne manquera pas de te terrasser demain matin -ou plutôt vers midi, quand tu ouvriras enfin les yeux…-. Une raison supplémentaire pour ne pas quitter ta chambre et faire profil bas, histoire que ton paternel ne se rende pas compte -pas trop vite du moins-, que tu n’as une fois de plus pas tenu les promesses que tu leur a faites, à lui et à ta mère lors de leur dernière intervention. Tu le vois déjà secouer la tête, le visage fermé, la déception clairement marquée dans son regard. Tu l’entends déjà menacer de t’envoyer au pays et de t’y faire épouser un parfait inconnu, histoire que tu rentres enfin dans le moule qu’il a créé pour toi et tes frères et soeurs. Heureusement, Meera est encore là pour te sauver la mise et promet de ne pas te dénoncer. “Merci…”, tu souffles, sincère. “Tu penses que tu seras là bientôt? Tu peux mettre le giro? C’est la classe le giro!”, tu fais remarquer tout en faisant signe au type à l'extérieur de fermer son clapet. Blablabla

Au bout d’un moment, Asha finit par céder, te donnant des indications sur sa localisation. Bon ce sont des indications à la Asha, mais fort heureusement, tu connais bien la ville à force de la quadriller dans tous les sens. « C’est bon, je vois où tu es. J’arrive tout de suite. » Et tu ne mens pas, tu te mets en route immédiatement, quittant la chambre de Cal, pour attraper tes clés et mettre tes chaussures. Tu claques la porte derrière toi. Tant pis s’il te tient rigueur de ton départ cavalier, ta seule priorité est ta petite sœur. Ton inquiétude monte d’ailleurs en flèche quand elle finit par t’expliquer ce qui s’est vraiment passé. « Tu as eu un accident de voiture ?! Tu n’as rien ? » Au risque de réveiller les voisins, tu as crié dans la cage de l’escalier. Mais l’idée qu’elle puisse être blessée t’insupporte. Et puis, en plus, maintenant tu comprends que le type qui lui est rentré dedans et répondant au doux surnom « d’abruti » est sans doute celui qui est encore en train de l’embêter. Et tout à l’heure, il tapait carrément sur sa voiture. Fort heureusement, elle ne se laisse pas intimider, lui criant que tu es sur le point de venir lui botter le cul. Ce qui te démange encore plus maintenant que tu sais que c’est lui qui a provoqué l’accident. « Garde bien tes portes et fenêtres fermées, je suis en route. » Dis-tu, ensuite, essayant de la rassurer. Ce qui s’avère parfaitement inutile car elle ne semble pas inquiète du tout, riant dans ton oreille, s’amusant à proférer des blasphèmes et murmurant à propos de tequila et de champagne. Tu secoues la tête, te rappelant de son état d’ébriété. Il allait falloir que tu calmes vraiment le type sinon Asha pourrait avoir des ennuis, même si elle n’est pas responsable de l’accident...

Tu lui promets d’ailleurs de la couvrir vis à vis de votre père aussi, bien consciente qu’il ne ferait preuve d’aucune clémence s’il avait vent de l’accident. Cependant, comme à chaque fois, ta conscience te tiraille un peu. Si tu aidais encore Asha ce coup-ci, elle allait recommencer encore et encore. Parce que là, finalement, c’était presque une soirée de routine pour elle. Pour autant, tu ne pouvais pas l’abandonner... « De rien. Mais quand tu auras dessoulé, il faudra qu’on ait une sérieuse conversation, toi et moi. » Tu es arrivée dans ta propre voiture, et tu coinces le téléphone sur le socle collé au pare-brise, le mettant en haut-parleur pour continuer la conversation. Ta correspondante te demande alors si tu seras bientôt près d’elle et si tu peux mettre le gyrophare. Tu roules des yeux, constatant qu’elle prend tout ça comme un jeu. « Non, Asha, je ne vais pas mettre le giro. Crois-moi, la dernière chose dont tu as besoin, c’est qu’on attire l’attention. Puis sérieux, tu as quel âge ?! » Tu soupires. Même si tu chassais le type, tu allais devoir gérer une Asha bourrée et tu n’avais que très peu de patience quand elle se transformait en cette créature bruyante, gloussante et irrationnelle. « Je suis dans la voiture, je suis là dans 5 minutes. Je n’étais pas loin. » Lui indiques-tu, conduisant rapidement même si tu respectes les limitations de vitesse. A cette heure-ci, les rues sont désertes et tu glisses vers ta destination sans encombre. Tu continues à essayer de faire parler ta sœur pour être sûre qu’elle va bien, mais tu as l’impression qu’elle boude un peu depuis que tu as à nouveau élevé la voix. Peu importe, tu arrives déjà à destination. Tu vois en effet, les deux voitures arrêtées au milieu du carrefour et le fameux Abruti en train de tourner autour de la voiture d’Asha comme un vautour. Tu te gares à côté d’eux, descendant de la voiture, essayant de distinguer si ta sœur va bien. Mais tu ne vois pas grand-chose alors tu te focalises sur le problème le plus urgent : vous débarrasser du type. Détail qu’Asha a passé sous silence : c’est un colosse. Peu importe, tu l’interpelles froidement, tentant d’y aller au bluff. « Eh toi ! Tu te crois où ? Tu provoques un accident et tu fais encore des histoires ? Tu ne crois pas que tu devrais plutôt la fermer ? Je te laisse deux minutes pour remonter dans ta voiture et dégager. » Dis-tu en marchant sur lui au pas de charge.  En espérant que ça suffisse à l’intimider sans que tu n’ais besoin de sortir ton insigne. Tu détestais utiliser ton travail pour régler des situations de la vie privée.

 

Alors que Meera te demande si tu n’es pas blessée, tu réfléchis pour la première fois à cette éventualité. Tu touches toutes les parties de ton corps, mais aucune ne semble te faire souffrir. Même ta nuque est encore bien mobile malgré le choc arrière qui aurait clairement pu occasionner un cou du lapin et autres joyeusetés. Heureusement, le choc n’a pas été si violent que ça et seule ta voiture a souffert. Tu crois du moins. Tu n’as pas encore eu l’occasion de constater les dégâts, mais tu t’attends à ce que ton coffre ait pris un coup et ne soit pas aussi en forme que toi. “Oui, chef!” Tu rétorque alors qu’elle te conseille de bien garder tes portes et fenêtres closes. Obéissante, pour une fois, tu remontes ta vitre pour clore les quelques centimètres que tu avais ouvert et tu continues d’ignorer tant bien que mal l’homme qui continue d’hurler sur toi depuis l’extérieur. A ce rythme là, il va finir par rameuter tout le quartier. Peut-être même la police… Cette idée te fait un peu paniquer parce que tu sais que même si tu n’es pas responsable de l’accident, le seul fait de conduire dans ton état risque de t’attirer des ennuis dont même Meera ne pourra pas te tirer. Une récidive te coûterait cher et tu ne bronches pas lorsque ta soeur te préviens qu’une fois ton taux d’alcoolémie revenu à la normale, vous aurez une discussion sérieuse. Tu te contente de rester silencieuse, consentant implicitement à cette conversation à laquelle tu sais que tu n’échapperas pas et qu’au fond, tu préfères largement avoir avec elle, qu’avec votre père, ou pire… Un agent de probation.

Ça ne t’empêche pas de te mettre à bouder quand elle te refuse une arrivée en fanfare. Les bras croisés sous la poitrine, tu commences à trouver le temps long et à perdre patience. Tu réponds seulement du bout des lèvres aux sollicitations de Meera. Quand tu réponds. Tu te contente le plus souvent de l’imiter en silence avec des grimaces peu flatteuses et des soupirs qui en disent long. Pourtant, quand tu distingues enfin les phares de sa voiture qui s’arrête à quelques mètres de la tienne, tu cesses de faire l’enfant et c’est un soupir de soulagement qui t’échappe. Tu sais que désormais, tu es en sécurité. Meera ne laissera jamais rien t’arriver. Tu détaches ta ceinture quand tu entends sa portière s’ouvrir et sa voix interpeller ton adversaire et tu ouvres légèrement ta portière pour assister en direct à l’humiliation de cet imbécile à qui on a visiblement pas appris à se taire. Un point commun qui, dans d’autres circonstances, vous aurait sûrement valu de bien vous entendre… “Qu’est ce que tu me veux toi? De quoi je me mêle?”. Il demande à Meera en se dirigeant vers elle. Une partie de toi jubile, excitée comme une gamine dans un magasin de jouets, parce qu’il ne connaît pas Meera. Autrement, il ne lui parlerait pas sur ce ton. L’autre partie, en revanche, est un peu inquiète pour ton aînée. Tu sais qu’il ne faut pas la sous-estimer et qu’elle est bien plus forte qu’elle n’en a l’air, mais tu ne voudrais pas qu’il lui fasse du mal pour autant. Alors en voyant qu’il s’approche d’elle sans s’arrêter et qu’il a l’air toujours plus menaçant, tu prends ton courage -et ta chaussure- à deux mains et tu avances en claudiquant sur le talon qu’il te reste pour te rapprocher de lui avant de l’interpeller à ton tour. “Hey, trouduc! Laisse ma soeur tranquille!”, tu menaces avant de faire prendre à ton bras le plus d’élan possible et de lui envoyer ton précieux escarpin dessus. Il s’est retourné, et ta chaussure atterri mollement à ses pieds sans le toucher. Baissant les yeux, il observe l’arme de crime l’air blasé avant d’éclater de rire -Non mais qu’est ce qui ne va pas chez lui?- et de se retourner vers Meera. “Non mais… Elle est complètement cinglée cette fille, putain.”

“Qu’est ce que tu me veux toi? De quoi je me mêle?” Sans surprise, le type qui est rentré dans Asha ne se laisse pas intimider et te toise d’un air menaçant. En même temps, vu qu’il a tourné comme un charognard autour de sa voiture pendant presque 20 minutes, il ne va pas faire demi-tour juste parce que tu lui as demandé une fois. Tu cares les épaules, prête à en découdre quand tu entends le bruit d’une portière qui s’ouvre. Asha sort de l’habitacle protecteur de son véhicule, une chaussure à la main, délivrant de nouvelles insultes, prête à rejoindre le combat aussi. Ta première réaction est le soulagement parce que tout à l’heure, tu n’avais pas eu de réponse claire quand tu lui avais demandé si elle n’était pas blessée. Là, elle a l’air de très bien se porter ce qui t'ôte un gros poids des épaules. Mais ensuite, tu fermes les yeux, atterrée. “ Heureusement que je lui ai dit de rester dans la voiture.” Marmonnes-tu, n’aimant pas du tout la tournure des évènements. Avec Asha exposée, tu serais moins efficace, ton attention distraite par ton inquiétude pour elle. Surtout qu’elle ne s’arrête pas au stade de la menace, jetant son escarpin griffé sur le type. Sauf qu’elle rate sa cible, provoquant rire et nouvelles railleries du gorille. Ton sang s’échauffe dans tes veines quand tu l’entends à nouveau insulter ta petite sœur. Tu reportes ton entière attention sur lui, perdant clairement patience. “ Tu sais quoi ? Je suis encore plus cinglée qu’elle. Et on me laisse quand même porter un flingue… Alors, utilise le peu de matière grise que tu possèdes et essaye de trouver la réponse à cette question vitale pour toi, si tu peux : est-ce que c’est une bonne idée de continuer à l’insulter devant moi ?”

Tu écartes les pans de ta veste, laissant apparaître le fameux flingue pour prouver que tu ne mens pas. Tu jettes aussi un regard en arrière, essayant d’inciter Asha du regard à rester éloignée, derrière toi. La manière dont elle avait essayé de t’aider tout à l’heure était touchante mais il n’y avait pas grand-chose qu’elle pouvait faire pour décanter la situation là. “ Tu sais quand on est bien élevé et qu’on provoque un accident, on s’arrête pour porter assistance à sa victime et prendre ses responsabilités. On ne se met pas à insulter la personne et à l’intimider. Ce n'est même pas une question d’éducation élémentaire en fait, c’est la loi. Tu vois où je veux en venir ?” Tu marques une courte pause pour laisser infuser puis tu abats ta dernière carte. “ Mais je crois qu’aucun de nous trois n’a envie qu’on mêle les flics et les assurances à tout ça. Je suis prête à fermer les yeux face à ton attitude de merde. Alors en échange, je te le demande une deuxième et dernière fois avant de m’énerver pour de bon, remonte dans ta caisse et tire-toi.” Ton assurance le déstabilise clairement, tu vois qu’il réfléchit sérieusement, esquissant plus aucun geste menaçant. Il semble même reculer de quelques pas. L’affaire semble presque gagnée. Tu espères qu’Asha va garder le silence, comprendre que les choses ne doivent guère plus escalader. La situation était déjà bien assez merdique comme ça…

 

Debout dans un équilibre précaire maintenant qu’il te manque un escarpin, tu profites que le colosse se soit retourné vers Meera pour te pencher légèrement et tout en levant les mains en l’air, -Hey, pas d’bol!- adresser un petit regard d’excuse à ta sœur qui semble atterrée par ton comportement. Les bras croisés sous la poitrine, un sourire satisfait aux lèvres en entendant ton aînée remettre ce sale type à sa place, tu te retiens d’appuyer les paroles de Meera à l’aide de petits commentaires plus ou moins bien sentis, consciente d’en avoir déjà trop fait. A la place, tu réagis silencieusement, secouant la tête lorsqu’elle demande, plus pour la forme que pour recevoir une véritable réponse, s’il pense que t’insulter devant elle est une bonne idée. Ca n’est clairement pas une bonne idée et le pistolet qui brille à sa ceinture le confirme.

Tu restes silencieuse, mais ton visage trahit le sentiment de triomphe qui s’empare de toi alors que l'homme, après avoir pris les menaces de ta soeur au sérieux, finit par s’éloigner en direction de sa voiture. Il ouvre la porte et après s’être installé derrière le volant, profite de sa vitre ouverte pour t’insulter une dernière fois alors qu’il démarre en trombe. D’après lui, tu ne perds rien pour attendre. Estomaquée qu’il ait osé te menacer en présence de Meera, et de son flingue, tu le suit du regard et -courageuse, mais pas téméraire-, tu attends qu’il soit suffisamment loin pour faire quelques pas dans la direction qu’il a prit et lui envoyer ton majeur : “Ouais, ouais, c’est ça! Dégage tocard!”, tu lui lance, avant de te retourner vers Meera à qui tu lance un regard incrédule, l’air de dire: Nan mais t’y crois toi?. Tu ne réalises absolument pas à quel point tu as eu chaud avec cet imbécile. Sans Meera, il aurait sûrement fini par te faire du mal, mais puisque rien n’est arrivé, et parce que tu es de toute façon trop saoule pour t’en soucier, tu décides de balayer cet incident de ton esprit. Claudicante, tu rouspètes pour toi même en marchant pour aller récupérer ta chaussure abandonnée au sol. Tu l’inspecte minutieusement sous la lumière des réverbères pour t’assurer qu’elle n’ait rien. Cette paire vaut l’équivalent d’un rein au marché noir et si tu étais prête à la sacrifier pour sauver Meera, tu es tout de même bien heureuse qu’elle n’ait pas souffert et depuis l’endroit où tu te trouves, tu la brandi fièrement en direction de ta soeur. “Comme neuve!”, tu lances avec un petit gloussement joyeux en titubant jusqu’à ta voiture. Tu t’appuie sur la carrosserie pour renfiler ton escarpin à ton pied, et tu en profites pour jeter un oeil aux dégâts causés à ton coffre sans même songer une seule seconde à remercier Meera pour t’avoir pratiquement sauvé la vie. “Bon sang… Appa va me trucider… Comment je vais faire pour lui cacher ça?!”, tu demandes en passant la main sur le creux causé par le choc. Sans constat, tu vas devoir te débrouiller pour faire effectuer les réparations et tu sais pertinemment que le garagiste de ton père ne tiendra pas sa langue s’il te voit encore arriver avec une voiture endommagée alors qu’il n’a toujours pas digéré le fait que tu ais embouti la Porsche de collection de ton père il y a deux ans. Heureusement, tu connais désormais un autre réparateur auto. Note à toi-même: envoyer un message à Théo.

Le type continue de s’éloigner et miracle : pas un mot ne s’échappe des lèvres d’Asha. Bon elle affiche clairement un sourire narquois mais tu ne vas pas lui reprocher alors que tu devines sans peine qu’elle fait un gros effort pour garder le silence. Tu lui adresses un petit regard, restant sur le qui-vive, continuant à surveiller le type. Ça semble lui coûter aussi mais il lâche enfin l’affaire, marchant jusqu’à sa voiture avant de mettre le contact et démarrer. Ton espiègle petite sœur suit alors le véhicule, lui adressant un doigt, retrouvant bien vite sa verve. Visiblement, elle avait atteint la limite de temps durant laquelle elle était capable de garder le silence... Dieu merci, super gorille ne regarde pas dans le rétro et ne fait pas demi-tour. C’est vraiment terminé. Tu pousses un petit soupir, où se mêlent soulagement et exaspération. « Quand je pense que certaines personnes vivent le fait d’être fille unique comme une malédiction... Tu ne peux pas t’en empêcher, hein ?! » Tu marmonnes avec tes airs bourrus habituels maintenant que tout danger est écarté. Surtout que la principale intéressée n’a pas l’air traumatisée pour un sou, se concentrant plutôt sur la récupération de son cher escarpin que sur le reste. Elle va le chercher à cloche-pied, l’examinant à la recherche de la moindre trace dessus. Tu la regardes, en faisant les gros yeux, incrédule. Et quand elle te le montre avec fierté, t’annonçant qu’il n’a rien, tu dois bien avouer que tu craques un peu. Elle ne pouvait pas être sérieuse... Tu poses tes mains sur les hanches, la toisant, imitant son faux de meuf bourrée débile sans scrupules. « Bonsoir Meera. Ça va, Meera ? Merci Meera, d’être ENCORE venue sauver mes petites fesses de gamine pourrie gâtée et ingrate. Mon sens des priorités ? Oh, ben je l’ai laissé loin derrière moi, avec mon bon sens et mes responsabilités. Tu crois qu’on pourrait les retrouver pour la santé mentale de tous ?! » Bien sûr, tu ne voulais pas qu’elle s’agenouille devant toi pour te baiser les pieds mais tu aurais voulu qu’elle soit un minimum... contrite ?

« J’ai une furieuse envie de te passer les menottes, histoire que tu vois comment ça aurait pu finir... » Continues-tu, maintenant que tu es lancée. En plus, ça pourrait être un moyen efficace de la faire dessoûler. Parce que là, elle est vraiment trop chill à ton goût, gloussant béatement. Enfin, elle cesse vite quand elle découvre l’état de son coffre, prononçant le nom de votre père d’un air terrifié. Tu bailles, regrettant tout à coup le lit de Cal. La nuit était loin d’être terminée. Tu ne peux pas te laisser aller, comme toujours tu dois être l’élément pragmatique de la fratrie. « On va trouver une solution pour qu’il n’en sache rien. Déjà, c’est hors de question que je te ramène à la maison dans cet état... Tu vas venir dormir chez moi. » Tes méninges se mettent en marche et en quelques secondes, tu élabores un plan que tu lui exposes. Même si tu n’es pas certaine qu’elle t’écoute attentivement. « Pour ce soir, je vais aller la garer sur le parking là-bas, elle devrait redémarrer. Demain, je te ramènerai chez Appa et Amma avant d’aller au boulot. On dira que tu m’as appelée parce que ton moteur faisait un bruit bizarre et que la voiture est chez le garagiste. Ça te fera gagner du temps et après tu pourras trouver une solution pour la faire vraiment réparer. » Dis-tu, espérant qu’elle se débrouille sur ce point. Tu ne pouvais pas trop la couvrir non plus et puis, tu n'avais pas vraiment le temps d'aller chez le garagiste demain. « Allez en voiture ! » Dis-tu en lui tendant tes propres clés pour qu’elle s’installe dans ta voiture, pendant que tu vas enlever la sienne du milieu de la chaussée.