{outfit} ஐ Tu arpentes la galerie avec un air concentré, l’oreille attentive aux conversations autour de toi et l’œil scrutateur sur chaque œuvre. Tu te plonges littéralement pour ce pourquoi tu es venue : ton travail. En tant qu’attachée de presse, tu sais à quel point ces événements sont importants pour maintenir des relations, cultiver des contacts et repérer de nouveaux talents. Tu es ici pour travailler, mais il y a aussi une certaine fascination dans ces œuvres, une forme de beauté brute et captivante que tu n’avais pas anticipée. La lumière douce de la galerie met en valeur les œuvres exposées, mais aussi les visages autour de toi. Tu savoures la délicatesse de cette ambiance presque feutrée, tout en t’efforçant de rester professionnelle. Ton regard se pose sur une sculpture particulièrement intrigante, ses formes délicates et épurées captent ton attention. Ton esprit se perd sur ses détails, et tu visualises rapidement ce que tu pencheras sur papier à son sujet. Soudain, un léger frisson traverse ton dos, une sensation étrange, familière, mais que tu repousses d’abord. Tu continues d’observer la sculpture, préférant ne pas y apporter d’importance, croyant que ton esprit te joue des tours, mais cette sensation persiste, elle est presque palpable. Puis, cette voix. Cette voix qui fait resurgir un flot de souvenirs que tu avais soigneusement enfermés. Ton cœur se serre, et pendant un instant, tout semble se figer autour de toi.
Léo. C’est impossible… Tu n'as pas entendu son prénom, mais ton corps a déjà deviné avant même que tes pensées ne te rattrapent. Tu ne bouges pas, tes yeux restent fixés sur l’œuvre devant toi comme si elle pouvait te protéger de ce que tu sais déjà inévitable. Tu finis par lentement te tourner vers lui, presque à contre-cœur, et là, il est devant toi. Plus mature, plus sûr de lui, mais c’est bien lui.
Léo Jacquemus.
Les mots résonnent dans ta tête, faisant écho à deux longues années de silence, de lettres non manquées, de souvenirs partagés et de moments que tu croyais perdus. Tu essayes de masquer l’impact de son apparition soudaine, mais ton cœur s’emballe, ton esprit en pagaille, et tes yeux, eux, ne peuvent s’empêcher de boire chaque détail de son visage. Il n’a pas tant changé… mais il semble plus raffiné, plus élégant, plus lui finalement, comme si les années avaient forgé quelque chose de plus solide en lui. Comment pourrais-tu l’oublier ? Son sourire, son humour, sa façon de te faire rire quand tu en avais besoin… Ce flot de souvenirs te submerge si rapidement que tu as l’impression de te noyer. Et pourtant, tu te forces à garder une façade imperturbable. Un réflexe, une carapace que tu t’es forgée ces deux dernières années. Parce que s’il est là, devant toi, c’est la Cassiopéa d’avant qui ressurgit aussi, celle qui était plus libre, insouciante, avant la fuite, avant l’Italie. Il dit ça avec légèreté, mais tu peux sentir la sincérité et une petite touche de vulnérabilité derrière ses mots. Tu imagines combien il a été blessé par ton silence, par ta disparition si soudaine. La culpabilité te frappe de plein fouet. Tu n'as jamais voulu couper les ponts, et encore moins avec lui, mais les circonstances t'ont forcée à tout abandonner. C’était mieux ainsi. Pour lui. Un sourire, léger, étire tes lèvres, malgré toi. Tu croises les bras, plus pour te protéger que pour te donner une contenance, et tu l’observes longuement avant de parler, chaque mot pesant dans ta tête.
Tu sens tes doigts se resserrer nerveusement autour de ton verre, essayant de dissimuler la tempête d’émotions qui menace de te submerger. Léo, cet ami d’enfance, ce pilier de ton passé que tu pensais perdu à jamais, se tient là, juste devant toi. Tu as coupé les ponts avec tant de gens, tant de choses, en fuyant l’Italie, mais pas lui… Lui, c’était différent. Léo n’avait jamais été une simple amitié, c’était ce lien rare, cette personne à qui tu confiais tout, même tes silences. Et maintenant, il est là, en chair et en os, comme une silhouette qui aurait percé le brouillard de ton passé. Tu te forces à inspirer profondément, mais ton cœur bat trop vite, comme s’il essayait de rattraper les années perdues en quelques secondes. Tu plonges ton regard dans le sien, à la recherche de ce même éclat que tu as toujours connu, cette chaleur familière qui te rassurait autrefois. Mais aujourd’hui, il y a autre chose, quelque chose de plus dur, plus mature dans ses yeux, et ça te frappe d’autant plus. Le poids des années, des non-dits, pèse lourd sur tes épaules. Tu t’es souvent demandé s’il avait tenté de te joindre après ton départ, bien que tu saches pertinemment la réponse. C’est un coup dur. Tu aurais dû faire les choses différemment, tu aurais dû te douter qu’il n’allait pas abandonné aussi facilement, que quelque part, lui aussi chercherait à comprendre. Pourtant, à l’époque, tu avais fait ce qui te semblait juste. Fuir était la seule solution. Tu ne pouvais pas emmener Léo avec toi dans cette tourmente.
Et maintenant, comment lui expliquer tout ça ? Comment rattraper ces années de silence sans que les mots ne sonnent creux ou superficiels ?
« Comment pourrais-je t’oublier, Léo ? » La phrase te sort enfin de la gorge, ton ton doux mais chargé d’émotions, portant le poids de la culpabilité.
« Tu es inoubliable. » Ces mots, tu les penses sincèrement. Jamais, pas une seule fois, tu n’as pu oublier tout ce qu’il représentait pour toi. Le souvenir de ses lettres, de ses rires, de vos étés partagés en France ou en Italie, est gravé en toi comme un réconfort lointain, une ancre à laquelle tu t’accrochais parfois, quand tout devenait trop lourd à porter. Mais aujourd’hui, cet ancrage s’est brisé en éclats de verre, et tu ne sais pas si tu pourras rattraper les morceaux. Car oui, bien que la distance et le silence ont régné entre vous, tes pensées, elles, continuaient d’aller vers lui. Comment pourrait-il en être autrement ? Tu es bien incapable de laisser derrière toi tant d’années d’amitié, bien qu’il puisse en douter. Il était ton meilleur ami, et d’une certaine façon, qu’importe ce qu’il en est, il le restera toujours. Il aura toujours sa place dans ton coeur, cette place toute particulière que seul lui peut occuper. Ton sourire est faible, presque forcé. Tu laisses tes bras retomber le long de ton corps, un soupir à peine audible échappant de tes lèvres. Tu voudrais t'excuser, mais les mots te manquent. Que pourrais-tu dire, après tout ce silence ?
Tu inspires une nouvelle fois, t’efforçant de maintenir ton calme. Les souvenirs défilent à une vitesse folle dans ton esprit. Tu pourrais te souvenir du premier jour où vous vous êtes rencontrés, de ce moment où vos familles se sont rapprochées grâce à votre complicité enfantine. Tu pourrais aussi évoquer ces lettres mensuelles que vous vous échangiez, ce rituel devenu indispensable. Et puis, il y a ces moments où tu as espéré que le temps n’ait pas effacé tout ça. Que malgré l’absence, vous restiez les mêmes.
« J’ai… » Tu hésites, tu te coupes cherchant tes mots. Il y a tant de choses à dire, et si peu de temps pour le faire. Le travail t’appelle, mais l’envie de rester ici, face à lui, de rattraper ces années perdues, est plus forte. Il ne sait pas tout, et une partie de toi hésite à révéler l’ampleur de ce que tu as fui. L’Italie n’est plus que des ombres pour toi, mais ces ombres t’ont poursuivie jusqu’ici. Tu as dû abandonner tellement de choses. Léo a toujours été perspicace, capable de lire entre les lignes, et tu te demandes ce qu’il pense à cet instant précis. Est-ce qu’il comprend que ce n’était pas un choix, que tu n’as pas voulu couper les ponts ? Ou bien croit-il que tu as tout simplement effacé ces années, cette amitié ? L’idée de le décevoir te noue la gorge, bien que tu aies déjà pris la forme d’une déception sans même qu’il ne te le dise.
« Je... » Tu t’apprêtes à poursuivre, mais tu t’arrêtes, prise de court par tes propres émotions.
En face de toi, il n’a pas changé tant que ça, et pourtant, il est tellement différent. Il semble à la fois familier et étranger, un visage que tu connais par cœur mais dont les traits ont été redessinése. Et toi, es-tu toujours la Cassiopéa qu’il connaissait, ou es-tu devenue une autre, façonnée par des choix que tu n’as pas voulu faire mais que tu as dû endosser ? Tu finis par laisser échapper un léger rire, presque amer sentant l’émotion te monter au regard. Tu n’arrives pas à réagir. Tu n’arrives pas à voir clair. Et malheureusement, tu n’as qu’une seule chose à lui dire :
« Tu m’as terriblement manqué. » Tu le dis enfin, plus doucement cette fois, ta voix teintée de regret, sachant que tu ne peux pas réellement te permettre de le lui dire. Tu voudrais tout effacer, tout recommencer, mais tu sais que c’est impossible.
« Je sais que je n’ai pas réellement le droit de te le dire, mais rien ne me vient à part ça... J’espère que tu me comprends. » Presque honteuse, tu baisses légèrement le regard vers ton verre que tu tiens dans la main, fuyant le sien le temps d’un instant. D’autant plus que tu sens les regards autour de vous, les conversations qui continuent de flotter dans la galerie, mais tout cela semble si lointain maintenant. C’est comme si le monde s’était rétréci autour de vous, autour de cette rencontre imprévue qui te bouleverse exactement comme tu te l’avais imaginé.