« J’ai une surprise pour vous ! » Ils avaient tous crié de joie quand Maya leur avait annoncé la nouvelle quelques jours plus tôt. Les autorisations de sorties avaient été donné à toutes les parents et elle avait reçu une réponse positive de la part de tout le monde. À peine deux semaines plus tôt, Maya avait emmené les enfants de sa classe à un parc d’attraction local. Elle se souvenait encore, le midi, quand Tim avait décidé de faire son courageux et de se rendre dans l’attraction du manoir hanté, qui était alors vide et non fonctionnel à cause d’une panne. Maya était passée tout près de la crise d’angoisse, réalisant qu’elle avait perdu un enfant sous sa responsabilité et que quelque chose lui était peut-être arrivé. Par chance, un miracle, une femme était apparue pour l’aider à le retrouver et la journée était rentrée dans l’ordre. Aujourd’hui, elle espérait que cela se passe de la même façon.

Elle était en train de faire sortir les enfants du bus, les rassemblants par petits groupes, répartis avec les parents accompagnateurs. Elle regardait les visages de chacun d’entre eux, cette admiration dans le regard. Chaque jeune avait des étoiles dans les yeux en voyant les voitures rouler sur la piste, fonçant à toute allure. Le sourire aux lèvres, elle accompagna tout le monde jusqu’aux écuries pour pouvoir parler aux pilotes et les présenter. Après un petit moment et une présentation, Maya laissa champ libre aux enfants pour poser des questions pendant qu’un groupe montait dans une vraie voiture pour voir l’intérieur et que d’autres testaient les simulateurs pour se rendre compte des sensations. Elle regardait les petits comme ses propres enfants et surprit une silhouette armée d’un appareil photo. Elle se tourna vers lui, un sourire chaleureux aux lèvres. « Ça pourrait leur faire de beaux souvenirs si vous acceptez de leur laisser quelques unes de vos photos. » Elle s’approcha doucement, tout en gardant un œil sur ses élèves.

Le photographe retirait l’œil de son objectif : visiblement, Maya l’avait dérangé dans son travail mais il ne semblait pas lui en tenir rigueur. Au contraire, il blaguait même sur la situation. Mais il y avait une chose que Maya anticipait toujours avant une sortie scolaire : l’autorisation de sortie et l’autorisation de photos. Jamais elle ne revenait d’une sortie sans de doux souvenirs pour chaque enfant ayant accepté d’être pris en photo. Ainsi, si elle sortait son téléphone portable pour capturer quelques doux moments, elle n’aurait pas la justice dans les pattes avec des parents qui portent plainte. Car, évidemment, ça lui était déjà arrivé dans ses premières années de maîtresse. Elle se souvenait encore des parents furieux que sa fille ait été prise en photo - alors qu’elle était belle comme un cœur sur cette image. Maya avait tenté de plaider sa cause, sans succès. « Ne vous en faites pas, j’ai demandé les autorisations de photo à tous les parents. On a la petite brune, avec un haut rouge. Il ne faut pas que son image soit diffusée. En ce qui concerne le reste, vous êtes libres de prendre les photos. » Elle tendit la main dans la direction de la jeune fille sans la pointer du doigt et observa avec douceur les enfants autour de la voiture de course, veillant à ce qu’ils ne fassent pas de traces ou de rayure. Elle faillit répéter une nouvelle fois « On touche avec les yeux et on regarde avec les mains. » mais elle l’avait déjà dit plusieurs fois avant d’arriver. « Oui, ce sont mes élèves. Ils ont tous entre 8 et 9 ans, sauf un, qui n’a que 7 ans.  Il savait déjà lire et écrire quand il est arrivé à l’école. Il a donc sauté une classe. » La proposition d’une frise mit des étoiles dans les yeux de la maîtresse qui se tourna vers le jeune homme, un large sourire aux lèvres. « Mais c’est une excellente idée ! Je pourrais l’afficher dans le fond de la classe. Nous manquons cruellement de jolies choses à mettre sur les murs de la salle. »

L’appareil se tourna vers elle pour qu’elle puisse jeter un coup d’œil aux photos que le jeune homme avait déjà pris juste avant. « Avec plaisir. » Elle fit défiler petit à petit les photos, tout en ajoutant un commentaire chaque fois qu’elle trouvait que l’un de ses petits avait une tête mignonne ou une tête drôle. Cela faisait près d’un an qu’elle connaissait chacun d’entre eux. Elle connaissait la plupart de leurs mimiques adorables comme la plupart des choses qui pouvait les mettre en colère. « Elles sont vraiment magnifiques. Je crois qu’il n’y en a pas une seule que j’enlèverai. Vous avez un talent certain pour la photographie. Exposez-vous vos œuvres ? » Lorsque l’un des pilotes monta dans sa voiture, elle perçut elle aussi le magnifique moment à prendre en photo. Elle n’aurait pas pu espérer meilleur instant à capturer. « Non, bien sûr, allez-y. » Elle tendit sa main pour l’inviter à prendre place et s’écarta de façon à lui laisser de l’espace, sans gâcher la lumière de la photo. Elle ne s’attendait certainement pas à ce qu’il lui propose de les rejoindre. Un peu timidement, elle acquiesça et s’approcha dans l’angle de la caméra. « J’ai peur de ne pas être assez naturelle, je ne suis pas très photogénique, désolée. » explique-t-elle en le regardant. Puis, elle tenta de paraître le plus naturelle possible en posant les yeux sur les enfants puis sur la voiture. Malgré tout, elle se sentait nerveuse, une main jouant machinalement avec les pans de son chemisier. Elle se tourna à nouveau vers lui. « Je suis sûre que je dois gâcher la photo. Faites voir, je suis sûre que je n’ai pas l’air naturelle. » Maya n’avait jamais eu beaucoup de confiance en elle, même si aujourd’hui elle avait 48 ans. Son premier amour avait eu raison d’elle, la manipulant, la rabaissant, au point qu’aujourd’hui, elle ne se sentait toujours pas en confiance. Malgré un mari après Mr. Kennedy, qui l’avait aidé à reprendre confiance en elle. Malgré le fait qu’elle ait divorcé et choisi de prendre sa vie en main seule.

Maya mettait toujours du cœur dans ce qu’elle faisait. Autrefois, quand elle travaillait dans la customisation de voiture, elle aimait énormément prendre des libertés créatives et voir l’émerveillement dans les yeux de ses clients satisfaits. C’est un peu ce qu’elle voyait dans les yeux du jeune homme, tandis qu’il prenait des photos des enfants de la classe : il devait être heureux de savoir que les photographies des élèves qu’il était en train de faire se retrouveraient à l’arrière de la salle de classe des enfants et qu’elle proposerait même d’en donner ou d’en vendre aux parents afin de financer d’autres sorties de ce genre. La plupart des parents, ne pouvant pas toujours se permettre de telles sorties avec leurs propres enfants, appréciaient énormément quand leurs enfants revenaient plein de souvenirs en tête, en particulier lorsque la sortie était accompagnée de photos. Aujourd’hui, si elle n’avait pas pris de photographe avec eux, elle avait la chance d’être tombée sur un homme en plein reportage, comme il lui indiqua quelques minutes plus tard. « Je serais ravi de venir embellir cette classe alors, vous me laisserez vos coordonnées, que je puisse vous la faire parvenir ? » Les yeux de Maya s’illuminèrent à cette phrase, un grand sourire sur ses lèvres. Elle imaginait déjà la frise dans le fond de la classe, avec les dessins pour la fête des gens qu’on aime, les flocons de neige découpés à Noël et diverses activités encore affichées. « Avec plaisir ! J’essayerai de trouver un papier et un stylo. Ils doivent bien avoir ça ici. » En attendant, elle resterait aux côtés du jeune homme et des enfants qu’elle devait surveiller.

Elle prit le temps de regarder les photos qu’il avait déjà pu capturer, souriant en voyant les enfants armés de leur curiosité dans leur regard. Elle s’enquit de cette passion qui semblait l’animer, curieuse. Elle savait ce que c’était que de se perdre dans sa passion et d’espérer de percer au grand jour. Elle l’avait espéré avec ses customizations mais elles n’avaient pas abouti très loin, finalement. Elle avait pu peindre pour de grandes enseignes mais sa vie familiale et amoureuse ne lui avaient pas permis d’aller plus loin. Elle avait préféré tout recommencer en devenant maîtresse d’école. « Je vous remercie, c’est une passion qui m’anime depuis des années, j’ai perfectionné ma technique avec le temps. Je ne les expose pas, à part dans le journal local, je suis photographe-reporter, d’où ma présence ici aujourd’hui. Ce genre d’évènements fait couler un peu d’encre. Je devrais peut-être songer à exposer. » Maya parcourut l’endroit du regard avant de lui répondre, s’étonnant des détails qu’il lui avait fourni. « Oh, c’est donc vous le fameux photographe du journal local ! Je le lis régulièrement. C’est intéressant de pouvoir poser une tête sur une personne des coulisses. » Elle aurait pu rajouter un nouveau compliment sur son talent et sur les photos qu’il faisait particulièrement bien pour le journal, mais elle préféra appuyer l’idée d’exposer ses oeuvres. « Je serais votre première fan, si jamais vous exposez. De toute façon, vous aurez mes coordonnées, si cela vous intéresse. Vous avez toujours fait photographe-reporter ? » Plus par curiosité qu’autre chose, elle demanda. Elle avait elle-même déjà changé de voie, ça ne l’étonnerait pas qu’il ait fait de même.

Finalement, elle se laissa embarquer dans une séance photo improvisée, avec elle-même au cœur des photos : quelque chose qu’elle n’aimait pas trop. Maya n’avait jamais été très photo et ne se trouvait pas forcément photogénique ou assez bien quand elle regardait des photos d’elle. « C’est gentil. » Elle tint encore la pose avant de regarder le résultat des photos. Finalement, en voyant ce que cela donnait, elle trouvait que les photos rendaient plutôt bien, même quand elle était dessus. « Je ne me suis jamais trouvée jolie sur les photos mais il faut croire que vous avez un vrai talent. Je ne me reconnais même pas. » Elle sourit avant qu’il ne lui annonce son prénom. « Je m’appelle Maya. » Elle sourit à sa question et lui répondit aussitôt : « J’essaye, le plus régulièrement possible, de les faire sortir. Je considère qu’on découvre mieux le monde en vrai que dans les livres scolaires. Alors, quand j’ai l’occasion, je fais tout en activité pratique : en général, ils apprennent tellement mieux que j’ai peu d’élèves avec des lacunes. Mais malheureusement, les parents et l’école ne sont pas toujours d’accord à cause du côté financier. Alors je fais comme je peux. Je sollicite parfois des sponsors que je connais de mon ancien métier. Et les enfants repartent avec des goodies qui font connaître la marque et finalement, ce sont les parents qui reviennent d’eux-mêmes dans ces endroits. » Maya avait toujours aimé faire plaisir et de voir que les enfants étaient aux anges la rendait joyeuse. C’était tout ce qui comptait pour elle : leur bonheur.