Le vent soufflait doucement dans les rues de Monterey. Malgré le ciel couvert, l’air était lourd, chaud, épuisant. Lloyd, pourtant, n’en pouvait plus de rester à son appartement. Il avait quitté les lieux en tee-shirt avec un peu d’eau et son chien, Joker, qui l’accompagnait pratiquement partout. Le quarantenaire essayait d’esquiver un maximum le bitume pour le faire marcher sur l’herbe, où il n’aurait pas mal aux coussinets. Si Joker ne semblait pas dérangé le moins du monde par une petite marche en ville — il faut dire qu’il avait fait des randonnées et de nombreux sites archéologiques avec Lloyd à l’époque — il haletait beaucoup. Lloyd savait qu’il allait devoir trouver un coin d’ombre tôt ou tard qui accepte les animaux et qui voudrait bien lui donner un petit récipient pour le faire boire. Avant d’arriver à une brasserie connue, Lloyd prit un chemin inhabituel, changeant d’itinéraire pour s’approcher davantage des airs de jeux, des fontaines et de tout ce qui pourrait le rapprocher de la fraîcheur.

Sur le chemin, Lloyd leva les yeux vers une petite librairie. En tête d’affiche, posée à l’entrée, son premier livre publiée trônait. « Une femme différente », écrit par Lloyd Hayes. La couverture lui fit un choc, surtout après que Deanna ait presque disparu de sa vie à la publication de ce bouquin. Après tant d’années, il ne pensait pas le retrouver dans une petite librairie. Seulement, son sang ne fit qu’un tour. La publication de ce livre avait eu trop de conséquences dans sa vie pour qu’il le laisse ici présent, à la vue de tous les habitants de Monterey. Il entra avec son chien, sans se préoccuper si Joker était le bienvenu ou non. On le salua, il répondit presque en grognant. Puis, il s’approcha doucement de la vitrine, attrapa le livre et se retourna vers la vendeuse qui avait les yeux rivés sur lui et le livre. On voyait une sorte de panique dans son regard. Pendant un instant, il se demanda si la jeune femme l’avait reconnu. Si elle connaissait le visage de tous les écrivains qu’elle exposait ici. « Mettez plutôt Missing Girl à la place, s’il vous plaît. » Devant ses bafouilles, il fronça les sourcils pour tenter de se faire comprendre. « Monsieur, je suis désolée si mon choix ne vous convient pas mais c’est ainsi. S’il vous plaît, remettez ce livre à sa place. Et faites sortir votre chien, il n’est même pas muselé. Il pourrait s’en prendre à un de mes clients. Même si j’adore les animaux, je suis désolée mais c’est la politique de la maison. » Sur ces mots, Joker s’allongea au sol en haletant, calmement, près des pieds de son maître. Il posa sa tête sur ses pattes. Le regard de Lloyd passa de Joker à la jeune femme. « Je suis l’auteur de ce foutu bouquin et il a assez mis la merde dans ma vie pour que je ne le vois pas chaque matin quand je passe devant votre boutique. Alors, vous seriez bien aimable de le virer de là. Mettez plutôt un de mes succès inattendu, Missing Girl. Au moins, ce livre a été bénéfique d’un certaine façon … »  

Ce n'était pas une époque simple pour la détective en ce moment. Elle ne sait pas pourquoi, elle pensait chaque jour à sa fille qu'elle avait abandonnée il y a vingt-huit ans. La moindre chose qu'elle voyait ou à laquelle elle pensait, c'était elle. Et si elle ne l'avait pas laissé ? Et si elle l'avait gardé ? Élevée ? Aimée tout simplement ? Deanna se posait tout un tas de questions. La dureté de la vie la ramena très vite à la réalité. Elle se souvenait comment tout c'était passé et à quel point elle avait souffert, à quel point elle en souffrait encore. C'était tout bonnement impossible de faire face à ça. Un jour où l'autre en regardant sa fille, elle lui aurait peut-être reproché tout un tas de choses qui n'étaient pas justes ni légitimes. Briséis serait sûrement d'accord avec tout ça, puisqu'elle l'avait aidé quand elle avait quinze ans et qu'elle avait du vivre tout ça. Enfin, Deanna eut un mouvement de tête qui l'a sorti de ses pensées. Ses mains posées autour de la tasse sur la table devant elle. Elle regarda finalement cette tasse, puis souffla un court instant dessus et but une gorgée du café noir qu'elle s'était servi ce matin. Elle posa ses yeux sur l'horloge accrochée au mur. Cette dernière ne fonctionnait plus. Dea soupira et jeta finalement un oeil à la montre à son poignet en prenant une énième fois une gorgée de café. Un râle s'échappa de sa gorge quand elle se rendit compte qu'elle était en retard. Elle avait rendez-vous avec un client. Elle se releva alors en urgence, termina avec rapidité son café et posa la tasse dans l'évier avant de quitter son appartement à toute vitesse.

La voilà, son sac à main sur l'épaule, sa chemise tombant d'une de ses épaules, légèrement débraillée, courant en pleine ville. C'est alors que son téléphone se met à sonner. Elle fronça les sourcils en essayant de ne pas s'arrêter. Elle releva son sac en cherchant l'objet qui sonnait. Elle répondit au téléphone. C'était justement le client avec qui la jolie rousse avait rendez-vous. Elle l'entendit s'excuser derrière l'appareil, lui signalant de ses plus plates excuses qu'il avait un contre- temps et qu'il devait annuler leur rendez-vous. Deanna se calma alors peu à peu. Si elle n'avait plus rendez-vous, elle n'avait plus besoin de se presser pas vrai ? Elle annonça à son interlocuteur que ça ne faisait rien et qu'ils conviendraient d'un prochain rendez-vous. Elle en conclut qu'ils se rappelleraient dans la semaine juste avant de raccrocher. Sa tête penchée sur le côté en train de tenir son portable de l'oreille, elle la releva pour récupérer l'iphone et le remettre dans son sac. Au moment où sa tête se releva, ses yeux se posèrent en face d'elle. Elle reconnut une tête connue : Lloyd. Vers une librairie, tiens comme c'était étrange venant d'un écrivain.

Elle le vit entrer dans la librairie, le suivant du regard, elle se rendit compte qu'il récupérait le fameux livre « une femme différente » qu'il avait écrit pour elle auparavant et elle le vit commencer à s'énerver contre une petite vendeuse qui se trouvait devant lui. Dea fronça les sourcils et s'avança. Elle l'entendit dire « Mettez plutôt Missing Girl à la place, s’il vous plaît. » L'employée ne se laissa pas démonter et lui répondit franchement que si ça ne lui plaisait pas, en gros c'était pareil. Elle ne manqua pas de lui demander de sortir son chien. Ce chien si doux et si gentil que Deanna affectionnait et n'avait pas vu tellement il pouvait être si sage. La détective vit le chien Joker s'allonger au sol en reposant sa tête sur ses pattes comme s'il avait compris les mots de la vendeuse. Lloyd regarda son chien, puis ensuite la jeune fille en face de lui et ajouta « Je suis l’auteur de ce foutu bouquin et il a assez mis la merde dans ma vie pour que je ne le vois pas chaque matin quand je passe devant votre boutique. Alors, vous seriez bien aimable de le virer de là. Mettez plutôt un de mes succès inattendu, Missing Girl. Au moins, ce livre a été bénéfique d’une certaine façon … »   À ces mots, Deanna fut à la fois choquée et à la fois non. Elle connaissait très bien Lloyd et elle savait à quel point parfois il pouvait être impulsif et même c*n. Elle leva les yeux au ciel et décida de s'interposer avant que les choses ne dégénèrent. Elle arracha le livre des mains de Lloyd en ajoutant  « Si c'était pour mal réagir à chaque fois que tu le vois, il ne fallait pas le sortir. » lui rappela-t-elle avec un sourire narquois.

Elle se tourna rapidement vers la jeune femme  « S'il réagit comme ça c'est à cause de moi. Veuillez le pardonner. » lui indiqua-t-elle avec un léger sourire. Elle jeta un regard à Lloyd et se dirigea vers Joker à terre qui remuait déjà la queue.  « Oh regardez-moi ce beau pépère... » s'adressa-t-elle à l'animale en s'abaissant et en le caressant joyeusement. Le canidé se releva et commença à lui faire la fête  « Aller vient mon gros loulou on va aller dehors... » Elle se releva et toisa Lloyd  « Et papa va venir avec nous hein ?! » Qu'est ce que les hommes pouvaient être immatures quelques fois. Elle reposa le livre à son endroit initiale et tira Lloyd par le bras pour le ramener dehors.  « Comment ça va Lloyd ? Je vois que tu es en pleine forme ? Mis assez la merde dans ta vie ? Un livre ? Tu crois pas que tu en fais un peu trop ? » enchaîna-t-elle en affichant une petite moue sur le visage, le regardant droit dans les yeux.

« Une femme différente » contait la vie d’une jeune femme, détective privée, venue bouleverser la vie d’un jeune homme, dévasté, père d’une petite fille de 5 ans, seul. Cette histoire, elle a été raconté d’un point de vue externe. Mais, d’une certaine façon, étant presque une auto-biographie, elle était biaisée. Biaisée par le point de vue de l’écrivain, qui avait été acteur de cette vie. En écrivant ces mots, la première fois, sur son clavier, il ne s’attendait pas à être autant transporté dans cette histoire. Il ne pensait pas, en la faisant lire à quelqu’un, que cela prendrait autant de proportion : avant même qu’il n’ait eu le temps d’en discuter avec la concernée, Lloyd publiait cette histoire. Quand on lisait entre les lignes, on découvrait vite que le personnage principal devait être amoureux de cette femme, sans pour autant qu’il ne se passe jamais rien avec elle. Beaucoup de lecteurs avaient dit de ce livre qu’il était frustrant, qu’il méritait une meilleure fin, une happy ending. Sans savoir que tout s’était effondré après la publication, qu’une suite à ce livre n’aurait aucune saveur et dégoûterait même les lecteurs.
Pendant longtemps, il avait voulu écrire à nouveau sur cette histoire. La poursuivre. Mais en voyant la tournure des évènements, Lloyd avait simplement utilisé son logiciel de traitement de texte pour souffler, faire une thérapie par l’écriture, noyer sa peine dans les lignes d’un manuscrit. Quand il avait vu la couverture du livre à travers la vitre, il avait songé à ces premières ébauches. Il avait vu les conséquences d’une suite et, s’il aurait dû continuer sa route sans rien dire, Lloyd était entré dans cette foutue librairie pour taper un scandale.

Il avait les yeux rivés sur la vendeuse, la main serrée sur ce foutu livre qu’il aurait voulu brûler si ça avait pu sauver la situation avec Deanna. Si seulement il avait les clés pour réparer les pots cassés. Il n’aurait jamais pensé que le loup entrerait dans la boutique et lui arracherait le livre des mains. Lloyd, sourcils froncés, s’apprêtait à incendier la personne qui venait de lui faire un affront, quand il constata avec surprise qu’elle se tenait devant elle. La fameuse Deanna, celle qui avait été pendant longtemps son binôme, son ombre, sa confidente. Deanna savait beaucoup de choses de lui, elle était une des seules personnes avec qui il s’était confié. À l’époque, Lloyd était en couple mais Deanna et lui travaillaient ensemble. Elle l’avait beaucoup soutenu, beaucoup aidé à tenter de retrouver la trace de Lana. Il se souvenait même d’une nuit blanche passée à discuter profondément, comme jamais il n’avait pu avoir. Et pourtant, si ce soir avait été sous tension, quand ils se regardaient droit dans les yeux, il ne s’était rien passé. Parce que Lloyd avait une femme, des enfant et qu’il ne voulait pas tout gâcher.

« Si c’était pour mal réagir à chaque fois que tu le vois, il ne fallait pas le sortir. » Son sourire narquois l’étonna. Il s’entendait plutôt à une tornade qui l’aurait engueulé, mais il y avait de la malice dans son regard. À quoi jouait-elle ? « S’il réagit comme ça, c’est à cause de moi. Veuillez le pardonner. » Abasourdi, Lloyd resta inerte, la regardant se baisser vers Joker pour le caresser. Il faut dire qu’ils se connaissaient bien tous les deux, Deanna ayant longuement fait partie de sa vie. Elle avait connu son chien précédent et celui-ci. Elle connaîtrait sûrement le suivant. Elle le vit reposer le livre tout en lui faisant comprendre qu’il était temps de sortir. Après un regard assassin vers Deanna, Lloyd tourna les yeux vers la vendeuse et s’excusa presque en marmonnant avant de se précipiter dehors pour rejoindre la détective. « Tu as été la première personne à détester ce bouquin. T’es sortie de ma vie à cause de lui et aujourd’hui, tu me reproches de ne pas le détester à mon tour ? » Elle n’avait pas beaucoup changé. Son regard était toujours aussi pétillant, son caractère toujours aussi fort. Son visage doux, son petit sourire, ses fossettes. Lloyd se gratta l’arrière du crâne, gêné. « Qu’est-ce que tu fais là, D ? T’es pas intervenue juste pour me sermonner ? » Il n’avait qu’une envie : la prendre dans ses bras. Parce qu’il savait à quel point elle lui avait manqué ces derniers mois.

Ce matin en quittant son appartement, Deanna ne se doutait pas le moins du monde de ce qui allait se passer par la suite. Elle avait rendez-vous avec un client, ça avait été annulé. Puis elle avait aperçu une tête connue au loin, une tête même très connue : Lloyd Hayes. Un garçon pour qui elle avait durant longtemps éprouver des sentiments, mais avec qui il ne s'était jamais rien passé, car ce dernier avait femme et enfants. Les moments où ils s'étaient retrouvés seuls tous les deux n'étaient pas rares et ça aurait pu déraper plus d'une fois. Mais l'un comme l'autre, étaient des personnes d'honneur et loyauté. Elle avait décidé de ne pas ignorer Lloyd, comme elle aurait fait par le passé. En voyant qu'il s'énervait contre une libraire, elle s'était sentie obligée d'intervenir. Surtout quand elle avait vu qu’il s’agissait du livre qui parlait d’elle. Après tout d’une manière ou d’une autre elle était concernée. Si les choses étaient différentes auparavant, beaucoup de choses étaient passées. Aujourd'hui il était devenu écrivain et de nombreuses engueulades et séparations avaient déjà eu lieu entre les deux « amis ». C'était devenu comme quelque chose d'habituel.

Des années auparavant, la jeune femme aurait très certainement mal réagi elle aussi à la vue de ce livre dans cette vitrine. Surtout quand elle était tombée sur le manuscrit inachevé qu’elle ne devait pas voir puisqu’il racontait leur histoire. Cependant, cette histoire dattait de pas mal d’années désormais, les choses avaient évolué et changé. Le fait qu’elle affiche un sourire narquois avait semblé choqué Lloyd, et ce à juste valeur. Cela fit rire intérieurement Deanna. C’était plus une sorte de taquinerie envers son ancien partenaire qu’elle n’avait pas vue depuis un petit moment. Et c’était surtout aussi pour défendre la pauvre petite vendeuse qui n’était pour rien dans cette histoire. Histoire de piquer un coup monsieur Hayes, mais aussi de détendre légèrement l’atmosphère. Ce qui fonctionna plutôt bien, car Lloyd resta là, abasourdi devant elle. Deanna s’était directement dirigée vers Joker, le chien de Lloyd qu’elle avait toujours adoré. Tout comme K9, le chien qu’il avait avant. Elle l’avait caressé et ce dernier lui avait tout bonnement fait la fête. Après avoir légèrement sermonné l’écrivain et récupéré le chien en suggérant que c’était le moment de sortir de la librairie. Tout en s’excusant à la place de Lloyd pour le comportement qu’il avait eu. Il posa le livre et la suivit à l’extérieur.  

Il lança un regard de tueur à la jolie rousse, néanmoins il s’adressa de nouveau à la vendeuse en marmonnant et s’excusant finalement. «  Tu as été la première personne à détester ce bouquin. T’es sortie de ma vie à cause de lui et aujourd’hui, tu me reproches de ne pas le détester à mon tour ? » . Suite à ces mots Deanna se rendait compte que son interlocuteur avait surement raison. Elle le regarda tout en l’écoutant attentivement. «  Qu’est-ce que tu fais là, D ? T’es pas intervenue juste pour me sermonner ? » » termina-t-il par lui demander. Elle eu une sorte de mouvement de tête comme pour acquiescer sur ce qu’il venait de lui dire. Elle était plutôt d’accord. Elle répondait alors « Je n’ai jamais détesté ce livre… Je n’ai pas aimé la façon dont j’ai découvert son existence, c’est différent. » Le reprit elle. Elle repensait à comment les choses s’étaient passée et le fait que Lloyd ait dit à la vendeuse que ce livre avait clairement foutu une partie de sa vie en l’air et qu’elle était sorti de sa vie à cause de lui la touchait quelque peu. Après tout ça l’avait peut-être touché lui aussi ? Elle ignorait tout ça. Elle revint à la réalité « J’avais rendez-vous avec un client. Il m’a appelé pour annuler et je me suis retrouvée ici parce que je t’ai vu au loin. Le destin peut-être qui sait ? » haussât elle les épaules. En pensant réellement que les aléas de la vie pouvaient ne pas être un hasard. « Et toi Lloyd ? qu’est-ce que tu faisais ? Comment tu vas ? » lui demanda-t-elle sincèrement en se rendant compte qu’il lui manquait. Elle l’observa quelque peu avant qu’il ne lui réponde. Elle le trouvait toujours aussi beau, plein de charme et elle n’était toujours pas de glace face à cet homme. Même si elle ne voulait rien en montrer.

Il se souvenait de chacun des gestes doux qu’elle avait pu avoir pour lui, à l’époque, quand elle prenait soin de lui après avoir perdu sa femme et sa fille. Il aurait pu sombrer sans sa présence et son soutien sans faille. Elle avait tenu bon, jusqu’au bout, sans jamais se plaindre ni lui reprocher quoi que ce soit. Mais à l’époque, Lloyd n’était pas le même homme : il était pire. Il se souvenait de ses phases différentes. Par certains bons jours, Lloyd devenait un homme doux, bon, attentionné, presque aimant. Comme il l’était avec sa femme. Il avait envie d’être ainsi, comme quand il était avec elle, parce que cela lui faisait du bien et qu’il avait envie d’être bon envers le monde, en particulier Deanna. Parce que Deanna était là depuis le début. Avant même qu’il ne rencontre sa femme. Elle avait toujours été là et il aurait pu se passer un jour quelque chose entre eux mais ça avait toujours été au mauvais moment.
D’autres jours, en revanche, Lloyd pouvait se monter plutôt coriace. Il devenait grognon, parfois blessant. Après quelques impatiences et gestes en l’air, il balayait la colère pour laisser la place à une tristesse monstrueuse, enveloppant tout son être. Alors, Deanna pouvait le voir vulnérable, les vagues de larmes déferlant sur les joues, avec une impuissance infinie. Dans ces moments, Lloyd sentait la plaie béante de son cœur lui faire terriblement mal, mais la douceur de Deanna le calmait toujours et le berçait pour qu’enfin, au réveil, il s’excuse de son comportement.

« Une femme différente » relatait de ces moments de faiblesse mais d’une manière bien plus romancée. Parfois, il avait dépeint Deanna un peu comme la méchante lors des disputes où il craquait. Puis, il la décrivait comme sa sauveuse, son ange gardien. Le portait ambivalent avait surtout pour but ne pas révéler pleinement son amour pour elle, parce qu’il avait peur de faire d’elle une relation pansement, tout en la glorifiant. Il le savait, à l’époque, que Lloyd était perdue. Perdu dans ses sentiments entre sa feue femme, Deanna et Sawyer. Son cœur était coupé et à mesure qu’il guérissait de sa première femme, deux autres étaient entrées dans son cœur, l’empêchant de choisir ou de faire poursuivre les histoires. Du moins, c’était ce qu’il avait fait. Gardant toujours des distances avec Deanna, qui avait été adorable avec lui mais dont il avait voulu préserver le cœur. Et se laissant aller avec Sawyer, comme s’il savait qu’elle n’en pâtirait peut-être jamais avec son tempérament de guerrière. Sawyer avait davantage été un pansement que Deanna, il le savait. Mais il n’avait jamais eu envie que Deanna devienne réellement un pansement. Depuis le temps qu’elle avait été là pour lui, ça lui aurait trop fendu le cœur.
Tout ça pour qu’aujourd’hui, il se retrouve seul. Certes, il avait croisé de nouveau Sawyer, ils avaient parlé du bon vieux temps, mais ça ne voulait rien dire. Et, quelques mois plus tard, il croise par hasard Deanna. Comme si le destin avait décidé de les mettre toutes les deux à nouveau sur son chemin. Devant une librairie. Où il avait fait un scandale pour qu’elle le calme tout de suite. Et qu’ils se retrouvent sur le trottoir, à discuter de l’incident.

« Je n’ai jamais détesté ce livre … Je n’ai pas aimé la façon dont j’ai découvert son existence, c’est différent. » Lloyd bouillonnait déjà intérieurement, en particulier quand ce sujet retomba sur la table. Quand il était sur le manuscrit à l’époque, il ne savait pas où allait mener son livre. Il n’en avait clairement aucune idée, jusqu’à ce que l’idée mûrisse dans sa tête et qu’il finisse par écrire une histoire sur eux deux. Il savait que pendant longtemps, il avait songé à en parler avec Deanna. Mais une chose en amenant une autre, il n’avait eu ni le temps ni le courage et elle avait fini par tomber dessus avant qu’il n’ait le cran de lui avouer ce qu’il avait commencé à écrire. « Tu sais très bien que j’avais l’intention de t’en parler. Je n’ai jamais cessé de te le dire mais tu ne me crois pas. Bref, on va pas recommencer sur ce terrain, c’est pas la peine. » La dernière chose dont il avait envie actuellement, c’était de se disputer. Et encore moins avec Deanna. Parce qu’au fond de lui, il avait l’espoir d’enterrer la hache de guerre et de ne plus passer encore des années sans lui parler. Elle avait été trop importante dans sa vie pour qu’ils restent en colère l’un contre l’autre toute leur vie. « J’avais rendez-vous avec un client. Il m’a appelé pour annuler et je me suis retrouvée ici parce que je t’ai vu au lion. Le destin peut-être qui sait ? » Peut-être qu’au fond, il s’attendait à ce qu’elle lui dise qu’elle l’avait pisté ? Il connaissait Deanna parce qu’elle était détective privée. Si elle savait espionner les gens pour le compte des autres, elle pourrait très bien y arriver pour elle-même. Il haussa les épaules quand elle parla de destin. « Je crois pas au destin. » Parce que pour lui, le destin, ça avait été un florilège de merdes. « Je sortais le chien. » lança-t-il en coulant un regard à Joker, qui attendait à côté de lui en haletant. Constatant qu’il devait avoir soif, Lloyd se baissa avec l’eau qu’il avait emmené et fit couler un filet dans le bouchon pour permettre à Joker de boire un peu. Le malinois semblait ravi. « Il faut que je lui trouve un coin d’ombre. Je comptais aller au parc à la base, avant de voir la librairie. Tu viens ? » Il avait pas vraiment envie de l’obliger à le suivre. Si elle avait mieux à faire, il ne la retiendrait pas. Mais au fond de lui, il n’avait qu’une envie : qu’elle vienne avec lui, qu’ils poursuivent leur discussion et avec un peu de chance, ils iraient manger un bout dans le coin.  

Les souvenirs étaient toujours là. Du premier jour où Dea et Lloyd s’étaient croisés en tant que partenaires de travail, alors qu’ils n’étaient que deux jeunes ados de dix-huit, dix-neuf ans. Deanna se souvient quand elle avait dû faire face à un jeune homme à la recherche de son ex-petite amie. De cet ours mal léché qui pouvait ne pas paraître sympa au premier abord, qu’elle a finalement réussi à apprivoiser. Elle a même fini par l’apprécier et beaucoup l’aimer. Jusqu’à presque ne plus pouvoir s’en passer. Sauf qu’à ce moment-là, ils étaient jeunes, Lloyd en deuil d’une femme et marié à une autre avec en prime des enfants. Deanna n’aurait jamais tenté quoi que ce soit dans ce cas-là. Elle refusait d’être le sujet qui allait briser un couple ou même une famille. Ayant sa propre famille un peu dysfonctionnelle, il en était hors de question. Quand, ce jour-là, Deanna avait aperçu Lloyd dans cette librairie, elle n’avait pas trouvé autre idée que d’aller défendre la demoiselle contre qui il s’énervait pour avoir simplement mis en vitrine le livre qu’il avait écrit sur Deanna. Elle avait tiré Lloyd hors de la librairie et ils avaient commencé à discuter ensemble. Enfin, Lloyd lui avait rétorqué qu’elle avait été la première à détester ce bouquin et qu’elle était sortie de sa vie à cause de lui. Il avait demandé si elle allait lui reprocher à son tour de haïr ce livre. Elle lui avait alors expliqué que ce n’est pas le livre en lui-même qu’elle avait détesté, mais la façon dont il était sorti. A savoir sans qu’elle ne le sache et qu’elle ne le conçoit. « Tu sais très bien que j’avais l’intention de t’en parler. Je n’ai jamais cessé de te le dire, mais tu ne me crois pas. Bref, on va pas recommencer sur ce terrain, c’est pas la peine. » Deanna gardait un mauvais souvenir de cet époque, c’est sûr. Le fait que Lloyd ait écrit sur elle en disait à la fois beaucoup et à la fois ça ne voulait rien dire puisque rien ne s’était jamais passé entre eux. Il y avait eu des moments où ça aurait pu, mais aucun des deux n’avait franchi la limite. Et quelque part, la détective en avait peut-être gardé une certaine rancœur. Pourquoi avait-il écrit un livre sur leur histoire si elle ne représentait rien pour lui ? Plutôt étrange comme histoire. « Non, on ne va pas recommencer comme ça. C’est du passé. Si on le laissait derrière nous ?! » finit-elle par affirmer. Elle savait que Lloyd serait d’accord avec ça.

Lloyd, pour passer à autre chose, avait demandé à Dea ce qu’elle faisait là. Elle lui avait alors simplement expliqué qu’elle avait eu un rendez-vous qui avait été annulé. C’était donc un pur hasard qu’ils se retrouvent tous deux à cet endroit. Elle avait omis l’hypothèse que c’était peut-être lié au destin. « Je crois pas au destin. » Le retour du vieux ronchon. Elle plissa les yeux « D’accord, alors disons que tu me manquais trop et que je t’ai pisté pour enfin te retrouver. Tu préfères ça ? » lui demanda-t-elle en plaisantant pour relâcher un peu l’atmosphère grognon qu’il avait instaurée. Rire avec son partenaire, ça lui manquait, c’est vrai. Désormais, elle travaillait seule. Elle lui avait retourné la question sur ce qu’il faisait là. « Je sortais le chien. »  lui avait-il alors répondu le plus naturellement possible, tel Lloyd lui-même en toute splendeur. L’attention se posa alors sur Joker qui était à leurs pieds. Le maître s’abaissa pour lui donner à boire. « Il faut que je lui trouve un coin d’ombre. Je comptais aller au parc à la base, avant de voir la librairie. Tu viens ? » Le regard de Dea observa au loin vers le fameux parc dont il parlait. Elle adorait les animaux et plus particulièrement Joker, tout comme lui l’affectionnait. Elle hocha la tête « Avec plaisir ! » annonça-t-elle avec un sourire. Elle se réjouissait de pouvoir passer à nouveau un peu de temps avec lui. « Tu sais à quel point j’adore Joker ! » Lui affirma-t-elle. Il n’y avait pas que le chien qu’elle adorait, mais ça, elle ne le dirait pas. Et puis, ça se sentait. Elle n’avait rien besoin de dire au fond.

Les deux anciens partenaires partirent en direction du parc du centre-ville, en entamant une marche. Le chien les suivait gaiement de près. C’était agréable de se promener avec Lloyd après tout ce temps passé sans se voir ni se parler. Deanna n’était pas rancunière envers lui.  Un temps c’était de sa faute, un autre celle de Lloyd. Parfois, ils pouvaient agir comme des enfants, mais c’étaient leur caractère de cochon à tous les deux. « Alors, qu’est-ce que tu deviens ? » lui demanda-t-elle finalement en portant son regard, tournant la tête vers son interlocuteur et partenaire de marche, vivement intéressée par la réponse.