Je suis sorti de l’hôpital hier et je l’avoue mon acclimatation dans le logement de ma sœur ne se fait pas sans encombre. Je la remercie vivement de m’accueillir chez elle, même si bon, étant donné que c’est elle qui a vidé le mien, c’est un peu logique mais on ne se nourrit pas vraiment de la même manière tous les deux. Alors j’ai décidé d’aller faire des courses aujourd’hui. Bien évidemment, je ne vais pas aller très loin car je me déplace très difficilement avec ces putains de béquilles. J’ai vu lorsque l’ambulance taxi m’a amené hier, une petite supérette au coin de la rue et même si je sais que ça va être super cher et qu’il ne va pas y avoir grand-chose je crois que c’est un trajet suffisamment grand pour moi. D’ailleurs je choisis de ne pas faire ce trajet à pied et j’emprunte un bus qui n’est qu’à deux arrêts de la supérette.

Je ne peux pas empêcher les gens de me regarder mais je reconnais que c’est navrant de voir la société dans laquelle nous vivons. Heureusement pour moi à cette heure, il n’y a pas trop de monde dans le bus et je peux m’asseoir. Arrivé devant la supérette, j’oublie l’idée de prendre un panier assez rapidement, je ne vois pas comment je pourrai le tenir et m’appuyer sur mes béquilles. Je prends quelques fruits, ceux qui m’ont l’air pas trop mauvais et je file chercher un pack de bière. Je tente de le coincer entre mon bras et ma béquille mais je sens que ce n’est pas l’idée du siècle et alors que je galère bien comme il faut, une jeune femme semble sourire derrière moi. Je ne suis pas d’humeur, alors je lui lance :

Mais oui c’est super drôle de se foutre de la gueule d’un handicapé !!

Bon ok, elle ne m’a rien fait mais je ne suis pas d’humeur !! J’ai tenté d’appeler Délia sans réponse, alors forcément je suis à cran !!

En tant que maman célibataire, Clíodhna est désormais habituée à trimballer son fils Angus de huit ans un peu partout. Faire les courses avec un enfant, pas une mince affaire mais elle s'y emploie tout de même à raison d'une fois par semaine parce que le petit garçon change souvent d'avis sur ce qu'il a envie de manger. Panique à bord. Lors des dernières courses, elle a oublié le ketchup et les gâteaux qu'il mange en ce moment. Des oreos golden à la fraise et elle ne veut absolument pas gérer sa colère aujourd'hui. Non, elle est déjà bien trop fatiguée de sa semaine de boulot.

Entrainant le petit garçon jusqu'à l'épicerie du quartier, elle lui tient la main dans les allées jusqu'à ce qu'ils croisent en homme sur des béquilles. Angus chante alors une chanson qu'il a apprise à l'école, ce qui entraine un léger rire venant de la brune. A quel moment, le blond a pu penser qu'elle s'était moquée. Elle le fixe surprise et intriguée.

« Hein mais non, je riais juste à la chanson de mon fils.  Je ne moquais absolument pas. Mais si vous pouvez faire attention à votre langage, ça ne serait pas de refus. » souffle-t-elle, légèrement agacée.

Déjà qu'il se permet de l'accuser d'un truc qu'elle n'a pas fait, voilà qu'il parle familièrement et il n'était pas question que son fils se mette à parler comme ça. Fixant l'homme froidement, elle serre la main de son fils pour qu'il reste dans son champ de vision. Pour qui il se prend ce type à parler comme ça, elle soupire et tente de l'ignorer avant de reprendre.

« Eh bah, ça se voit que vous n'avez pas d'enfant à parler comme vous le faites. » ajoute-t-elle, ensuite.

Je l’avoue, je m’emporte légèrement, très légèrement contre la jeune femme qui semble se foutre de moi derrière moi, mais à ma décharge, je galère à mort avec ces béquilles, et en plus Délia ne m’a pas répondu… et puis je crois que je suis simplement à cran avec toutes les personnes qui m’entourent. Je n’arrive à être apaisé, un peu apaisé que lorsque je peux toucher Délia, lorsque nos mains sont en contact, lorsque je sens sa peau contre la mienne. Il n’y a absolument rien de sexuel là dedans, c’est simplement que j’ai besoin d’elle en ce moment, être prêt d’elle est simplement vital pour moi, alors forcément quand elle ne me répond pas, j’ai encore plus de mal à gérer.

La jeune femme semble surprise par mes propos et elle me fait remarquer qu’elle riait de la chanson de son fils. Je n’avais même pas remarqué sa présence. Elle n’apprécie pas la manière dont je parle, mon langage semble lui déplaire et elle ajoute une remarque acerbe sur le fait que je n’ai pas d’enfants. Sa remarque me fait tellement mal… Elle ne peut bien évidemment pas savoir et elle n’en saura sans doute jamais rien, mais je suis papa, papa d’un petit garçon qui a eu sept ans, il n’y a pas si longtemps. Je repose mes bières, de toute façon, il m’est impossible de prendre ce pack avec mes béquilles avant de lui répondre :

Quand on ne sait pas de quoi on parle, on se la ferme !!

Elle va sans doute me réprimander à nouveau sur mon vocabulaire mais à cet instant, je dois bien l’avouer, je n’en ai rien à carrer !! Avec mes fruits à la main, je reprends mes béquilles, la bousculant légèrement pour passer avant d’ajouter :

Les handicapés aussi peuvent faire des enfants madame !!