tw :: mention de guerre.
Le plus dur finalement dans ma situation, dans la situation de ceux qui reviennent, dans la situation de ceux qui survivent, ce n’est pas la journée, c’est bien la nuit… ces nuits blanches pendant lesquelles nous n’arrivons pas à dormir, ces nuits… ces longues nuits où on ne sait pas quoi faire pour réussir à dormir. J’ai en plus de cela un problème supplémentaire pour ma part, ma sœur travaille et elle a gentiment accepté de m’héberger donc je ne veux pas la réveiller, ni faire trop de bruit chez elle… Alors je reste là, allongé dans mon lit, à fixer le plafond. Je songe de plus en plus à acheter ces étoiles phosphorescentes, j’aurai ainsi l’impression de voir le ciel… c’est ce qui m’a le plus manqué lorsque j’étais captif, ça parmi tant d’autres, mais il est vrai que ne pas pouvoir voir le ciel c’était terrible… et ne pas savoir si je le reverrai un jour… Je n’arrête pas de prendre mon téléphone, puis de le reposer sur ma table de chevet. Et si j’envoyais un nouveau message à Délia… Non il ne faut pas. Mais… elle est là juste à côté… non, je dois la laisser se reposer auprès de ses enfants… mais… Ce combat est trop dur, je sais parfaitement qui va gagner si je reste allongé dans ce lit…alors même s’il est 4h du matin, et même si je ne veux pas réveiller ma sœur, je prends la décision de me lever. J’attrape mes béquilles du mieux que je peux et je me dirige vers la baie vitrée de sa maison. Je sors sur le petit bout de terrain qui est juste à côté de celui de Délia et de sa famille… famille dont je ne fais pas partie… et je referme discrètement la baie vitrée. Je lâche mes béquilles et à cloche pied, je vais m’asseoir sur le petit bout de pelouse. Je suis en tee-shirt et je reconnais que je n’ai pas très chaud mais à cet instant je m’en moque. Rapidement de la position assise, je passe à la position allongée et je fixe le ciel. Il n’y a pas un seul nuage, le ciel est vraiment très dégagé, alors je peux admirer les étoiles sans aucune difficulté.

A cet instant, je suis allongé dans la pelouse de ma sœur, les bras croisés derrière la tête, fixant les étoiles et je laisse un souvenir s’immiscer en moi. Une larme roule sans que je ne le veuille sur ma joue… C’est tellement douloureux… ça me prend aux trypes sans que je ne m’y attende… La souffrance est si intense… elle m’empêche presque de respirer… Je renifle alors que je repense à ce soldat qui fut un moment mon compagnon de cellule… il est arrivé après moi, mais il sentait qu’il n’aurait pas ma chance et que nos ravisseurs ne le laisseraient pas en vie si longtemps… je ne sais pas pourquoi il pensait cela… et lui non plus n’a jamais été capable de me l’expliquer mais il le sentait… alors il m’avait fait promettre à l’époque que si quelque chose lui arrivait, je devais aller voir sa fiancée et lui dire qu’il l’aimait… je devais lui mentir, lui dire qu’il n’avait pas souffert… lui dire que le soir, on regardait les étoiles et qu’il pensait à elle… alors bien évidemment, nous n’avons jamais vu une seule étoile… mais je lui ai promis et je tiendrai ma promesse… observé les étoiles ce soir a ravivé ce souvenir et ça fait tellement mal… ça me déchire le cœur… mon âme est tellement amoché… et forcément des tonnes de questions se bousculent dans ma tête… pourquoi est-ce qu’ils ne m’ont pas tué moi aussi ? Est-ce que cela n’aurait pas été plus simple de mourir là bas ?... j’en ai vu passé tellement dans les cellules de fortune dans lesquelles nous étions… je pleure désormais… et c’est à ce moment là…

J’entends du bruit dans le jardin juste à côté. Je peux clairement voir dans son jardin comme elle peut voir dans le mien, nos clôtures sont plus là pour empêcher de passer de l’un à l’autre plutôt que de voir chez l’autre. Elle est là. Délia sort aussi de sa maison pour venir observer les étoiles ou pour faire autre chose, je n’en sais rien finalement. Je me redresse légèrement, je ne sais pas si elle m’a vu à cet instant. J’essuie d’un revers de la main les larmes qui continuent de rouler sur mes joues et je renifle, ce qui lui fait tout de suite comprendre qu’elle n’est pas toute seule. Nos regards se croisent à cet instant. Je m’approche alors de la clôture qui nous sépare, en restant assis ce serait trop galère pour moi de me remettre debout, espérant simplement qu’elle fera comme moi. Ma main passe de l’autre côté de la clôture, à la recherche de la sienne, j’ai ce besoin de contact avec elle, j’ai besoin de la sentir, de sentir nos mains accrochées l’une à l’autre… Mon cœur bat à cent à l’heure mais contrairement à si cela avait été ma sœur, je ne me sens pas pris sur le fait accompli… je sais que Délia comprend, je sais qu’elle me comprend sans que je ne dise un mot… Mon dos est appuyé contre la clôture, mon regard plongé à nouveau sur les étoiles, et je lance tout bas, espérant qu’elle s’est approchée :

J’avais envie de voir les étoiles…