Ezra s’enfonçait dans la citadine clameur, frénésie d'un obscur rassemblement. Une foule compacte le cernait. D’aucuns flânaient, admiraient les étalages et agencements voués à desserrer le cordon des bourses. Un temps idéal s’offrait à lui. Un ciel bleu surplombait le plancher des vaches. Le bétail était bien là, piétinant inlassablement, s’arrêtant et repartant. Bras tendus, résolu à s’extraire de cette procession consumériste, Ezra joua des épaules et s’inséra dans la première brèche qu’il put trouver.  Il avançait sans but précis, à contre-courant.  Oui, une vive animation régnait en ces lieux. Battage qui l'avait attiré au cœur de ce groupement. Les échos étaient parvenus à la porte de son atelier. Sa curiosité piquée, Ezra avait fermé plus tôt qu'à l'accoutumée. Pas un client ne s'était présenté à lui aujourd'hui. La raison de cette désertion trouvait son origine ici-même. Un marché battait son plein, attirant la populace. Le trentenaire poursuivait son exploration, quand  un bras s’immisça dans son champ de vision. Une seconde plus tard, il tenait un flyer entre ses mains. Festival du cornichons polonais. Sourcil arqué, il bredouilla un merci tout juste audible. Il ignorait qu'un tel événement devait avoir lieu en ville. Quoi qu'il en soit, le programme de la journée promettait diverses activités, concours, dégustation, concert. Il avait d'ores et déjà déniché le marché. Quitte à être là, autant jeter un coup d’œil. Fondu dans la masse, Ezra devint un chaland de plus. Il commença par s'offrir une boisson à la buvette, puis remonta plusieurs allées, détaillant les présentoirs qui croisaient son regard. Le décor changea peu à peu. Les stands artisanaux laissèrent place à des meubles patinés et autres bibelots étalés sans réelle cohérence. La fameuse brocante, lui semblait-il. L'occasion était là. Les rassemblements de ce type lui permettait  parfois de chiner quelques belles pièces à restaurer. Une future trouvaille se cachait peut-être dans tout ce fouillis. Au hasard d'un stand, l'écossais repéra un vieil établi en bois. Devancé par son enthousiasme, il s'élança dans sa direction. Ce faisant, il fondit droit sur une silhouette surgie de nulle part. La collision fut inévitable. Ramené en arrière, il sentit un liquide glacé coulé le long son bras. Le contenu de son gobelet s'était déversé sous l'impact du choc. Figé, Ezra posa son regard sur la personne qu'il venait manifestement de baptiser, en plus de l'avoir percutée. Une citronnade gratuite... « Excusez-moi. » souffla-t-il, au comble de l'embarras.

Festival... Des cornichons ? Sérieusement ? Tu adores ça, sans doute trop. Plus jeune tu en dévorais des pots entier à la maison, à t'en brûler l'estomac à cause du vinaigre. Ta mère te jappait dessus, t'arrachant le pot d'entre tes mains pour y déposer des fruits. Bref, peu importe, tu allais passer au marché, pour trouver deux trois choses à acheter. Flâner devant les étales, c'est tout à fait ton genre. En plus, il y a une brocante, tu aurais bien tenu un stand pour tenter de vendre les meubles et affaires que tu ne veux plus. Mais, rester, attendre, piétiner, ce n'est pas pour toi. Tu as préféré les offrir de bon coeur.
Tu vagabondes, les yeux pétillants devant tout et rien. Tes lunettes de soleil relevés sur ta tête, tu venais de tendre un billet pour acheter un vieux bijou. Il est ancien, il doit bien coûter plus cher que le prix de vente, peu importe. Il ira à merveille avec tes robes fleuries cet été. Tu continues de marcher, d'explorer, de découvrir ce qui t'entoure. Quelques sourires, quelques bonjours à des clients habitués du restaurant. Tu aperçois au loin, un beau miroir, ancien, de beaux ornements. Tu commences à t'empresser pour partir à cette découverte. Ton petit coeur se serre presque, plus tu t'avances, plus tu t'émerveilles ; c'est CE miroir qu'il te faut sur l'un des murs de ta nouvelle demeure.
Ta course se stoppe nette, tu recules d'un pas en arrière après avoir percuté... Quelqu'un. Ou est-ce lui qui t'a percuté ? Peu importe ! Tu as rattrapé tes lunettes de soleil qui ont failli se faire la belle durant la collision. Tu remarques ton chemisier tâché, trempé. Un soupire sort de ta bouche.
- Outch !
Rapidement, tu entends des excuses, mais surtout tu reconnais la voix de cet homme. Tu lèves les yeux pour trouver les siens, étant plus grand que toi.
- Je pense que tu vas devoir te faire pardonner  @Ezra Scarbrough !

Une note acidulée s'épand dans l'air, imprègne jusqu'à son bras. De son poing, il tient encore le gobelet tantôt plein d'une citronnade bien fraîche. Une citronnade qui macule à présent le sol. Ezra se sent proprement stupide. Cause de son empressement, l'établi a quitté sa pensée. La scène attire les regards, il les sent peser sur son dos. Vue de l'extérieur, la collision offrait probablement un spectacle comique. Il pourrait en rire. Le ridicule de la situation ne lui échappe pas. Il rirait volontiers de lui-même, s'il était le seul parti impliqué. Mais le contexte ne s'y prête pas. Non sans appréhension, Ezra consent à affronter le regard de la pauvre innocente. La stupéfaction gagne aussitôt ses traits. Le faciès lui est familier. Il connaît cette jeune femme... La connaît même assez bien. Silencieux, il accuse le coup. Ses lèvres s'entrouvrent légèrement, tandis qu'il constate de l'ampleur des dégâts. Son chemisier est marqué, victime collatérale. Un passage en machine viendra certainement à bout de la tache, à tout le moins, il l'espère. Ezra n'est pas exactement un expert textile, plutôt du genre à jeter les blancs et les rouges ensemble. Les chaussettes et sous-vêtements roses, il connaît plus sûrement. La demoiselle semble entière. Plus de peur que de mal. Il appréhendait la réaction de son vis-à-vis. Mais la présence de son amie change la donne. L'amusement prédomine face à cette coïncidence tenant presque de l'improbable. Cahin-caha, il s'efforce de contenir les prémices d'un rire. Leila demande réparation. Le sourire étouffé par son poing, il penche la tête de côté et fronce les sourcils. « Moi ? Et pourquoi pas toi ? » demande-t-il. À vrai dire, à qui la faute ? Elle est apparue sur sa trajectoire au dernier battement de cils. « Après tout, c'est peut-être toi qui m'as percuté. » Bien entendu, il ne parle pas sérieusement. La taquinerie se pose là. Responsable, Ezra l'est en grande partie, sinon en totalité. Une négligence coupable l'a jeté à ses devants. « Le monde est petit. » dit-il, encore. Les chances étaient minces de tomber précisément sur elle, hasard des rencontres. « Soit, comment puis-je me rattraper ? » Prière de ne pas demander la lune, aurai-il dû ajouter.

Presque devant ce beau miroir, prête à apercevoir ton reflet dedans, prête à admirer les ornements qui l'entoure. Non pas prête du tout. Tu viens de te recevoir de la citronnade sur ton chemisier, commençant sentir l'effet mouillé sur ta peau. Une sensation désagréable, malgré le soleil qui te surplombe haut dans le ciel. Ce soupire, cet éloignement de ton principal but : l'achat du miroir. Mais, lorsque tu lèves les yeux, lorsque tu reconnais la voix de celui qui t'a stoppé dans ta course, ton soupire s'arrête et laissant un beau sourire. Tu laisses ce petit rire que tu as souvent t'échapper, lorsqu'il prêtant que tu lui as peut-être foncé dessus. Avec tes beaux yeux marrons, tu lui demandes de se rattraper, de se faire pardonner. D'ailleurs, attendant sa réponse, tu jettes un coup d'oeil au miroir, qui... part loin, loin de toi. Dans les bras d'une autre femme, prêt à aller se fixer sur son mur à elle, ouai à elle et pas à toi. Déception ! Peut-être un signe qu'il ne te le fallait pas ! Autant se rassurer comme on le peut. Peu importe. Tu es face à Ezra qui te demande comment il peut se rattraper. Remarquant l'odeur des crêpes qui vient chatouiller tes narines depuis que tu arpentes les stands, l'idée te vient naturellement.
- Je veux bien que tu m'offres une super crêpe avec du nutella !
Quoi de mieux qu'une bonne crêpe toute simple avec du nutella ? Pourtant tu as l'habitude de manger de bons plats, parfois gastronomiques ou pas. Mais face à une crêpe tu ne résistes jamais longtemps.

La brocante devient scène de crime. Remis de sa surprise, Ezra mire son interlocutrice. Momentanément, ses traits cèdent à l'amusement. Nonobstant, son sérieux le reprend tout aussitôt. Il se sent quelque peu coupable à la voir ainsi, trempée, le chemisier taché. À l'ombre des cabanons, le soleil ne sera pas d'un grand secours. Le soupir ne lui a pas échappé. Pourtant, Leila prend sur elle, le gratifiant d'un sourire amical. D'autres se seraient montrés bien moins compréhensifs. Le drame est évité. Son amie ne lui jouera pas de scène. Quoiqu'il discute un tantinet, pour la forme, Ezra est son obligé. En tant que tel, il est tout disposé à se racheter. Dans un même temps, son regard suit tout naturellement le sien. Il remarque ainsi une illustre étrangère, laquelle s'éloigne du présentoir, porteuse d'un miroir dont elle vient manifestement de faire l'acquisition. L'attention de son amie semble se porter sur elle, plus précisément, sur l'objet nouvellement gagné. Il croit comprendre. Son humeur s'assombrit légèrement. Ezra lui a donc coûté un miroir. Miroir qui lui passe actuellement sous le nez, tant au littéral qu'au figuré. Son sentiment de culpabilité se renforce un peu plus. Silencieux, il ne dit mot, se contente de la regarder, écoutant sa requête. Une crêpe au Nutella. La réponse ravive son sourire. Un parfum alléchant embaume l'atmosphère, plein de promesses. « Tu es un estomac sur pattes. » taquine-t-il. « C'est dans mes cordes. » Sur ces bonnes paroles, il ouvre l’œil, survolant l'allée du regard. Un stand de nourriture se trouve à quelques mètres de là. D'un signe de tête, il l'invite à le suivre. Arrivée à hauteur du marchand, il commande non pas une, mais deux crêpes au Nutella. Le fumet lui a ouvert l'appétit. Qui plus est, la regarder manger  l'estomac vide serait une pure torture. « Je suis un esprit faible. » commente-t-il, badin. Il ne résiste jamais à l'appel d'une douceur. Une couche de pâte se voit généreusement étalée sur la crêpière. Un instant, Ezra se perd dans cette contemplation. Le geste aguerri, l'artisan poursuit son ouvrage, retourne la crêpe avec assurance, le sourire aux lèvres. Profitant de l'intermède, Ezra reporte son regard sur son amie. Silencieux, il prépare un billet pour le vendeur, puis délie ses lèvres. « Le miroir, tu voulais te l'acheter. Non ? » demande-t-il. C'est une question rhétorique. Il se doute de sa réponse, mais la pose quand même. Une première crêpe leur est tendue. Ezra l'échange contre son billet, puis l'offre à la jeune femme. « Bon appétit. Sommes-nous quittes ou pas encore ? » Rieur, il attrape sa propre crêpe, puis remercie le marchand. « Pour être honnête, je ne savais pas qu'un festival avait lieu en ville. Je me suis retrouvé là par hasard. » confesse-t-il. À vivre dans sa bulle, il en oublie parfois que le monde continue de tourner , passant souvent à côté de l'essentiel.

L'odeur des crêpes qui vient chatouiller tes deux narines, l'envie de ton estomac d'en dévorer une en quelques minutes. C'est l'idéal pour qu'Ezra se fasse pardonner d'avoir mouillé ton petit haut. Finalement, le miroir, c'est peut-être un signe qu'il ne devait pas être acheté par toi, ne pas décorer l'un de tes jolis murs; Peut-être même que tu l'aurais cassé par mégarde, t'apportant sept ans de malheur. Des années de malheur, tu as sans doute assez donné ces derniers temps, il est temps de dévorer un peu au bonheur. D'ailleurs cette crêpe savoureuse en fera sans doute partie de ton bonheur. Tu rigoles lorsqu'il te dit que tu es un estomac sur pattes, il n'a pas tord. Beaucoup de gens t'ont déjà fait cette remarque. Lorsque tu cuisines, tu as tendance à tout goûter. Heureusement, la vie semble bien faite de de côté-là, tu ne prends pas un gramme de trop. Peut-être parce que tu es une pile électrique, que tu ne cesses de marcher dans ta journée, de bouger.
Vous vus approchez du stand de crêpe, la vendeuse commence à étaler la pâte, tu la regardes avec attention, imaginant déjà le goût dans ta bouche.
- Oui je voulais l'acheter ! Mais j'en trouverai un autre. Je suis en plein déménagement et je souhaite investir dans une nouvelle décoration !
Si ton défunt mari était là, tu n'aurais certes pas changé de maison, mais la décoration oui. Tous les deux ans, tu as cette manie de vouloir tout changer, tout moduler. Tu attrapes ta crêpe avec un immense sourire.
- Merci ! Tu es complètement pardonné, il n'y avait pas de meilleure façon que celle-ci pour le faire.
Tu croques un bon morceau, lâchant un immense "hum". Ce genre e petit plaisir, il n'y a pas mieux !
- J'en avais vaguement entendu parler et j'adore les brocantes !
Pourtant, acquérir de vieux meubles, tenter de les restaurer n'est pas ton fort. La seule fois où tu as essayé de poncer un meuble, tu as eu des échardes dans le bout des doigts et ton mari avait passé des heures à tenter de te les retirer.
- Qu'est-ce que tu as prévu de beau ce soir ?