Flora cherchait un cadeau pour sa sœur jumelle. Leur anniversaire approchait à grand pas et elle n’avait pas encore trouvé quel présent lui offrir. Cassiopéa méritait ce qu’il y avait de mieux, de plus précieux, de plus unique. Flora avait essayé de trouver des idées mais tous les magasins dans lesquels elle s’était rendue jusqu’à présent lui avaient paru si fades, si… Aseptisés. Tout y était trop standardisé, trop identique. Elle aurait bien voulu lui offrir des vêtements, connaissant sa passion pour la mode, mais c’était vraiment difficile de trouver une pièce et d’être sûre que sa sœur l’apprécierait. Elle avait des goûts très pointus, des goûts de connaisseuse… Flora avait envisagé une technique plus simple : lui demander directement ce qui lui ferait plaisir. Mais dans ce cas, il n’y aurait plus de surprise. Il n’y aurait plus cette joie d’offrir ou de recevoir un cadeau choisi avec réflexion, avec soin, pensé pour plaire et qui prouvait à l’autre qu’on le connaissait bien, qu’on était attentif à ses désirs et à ses intérêts. Alors elle avait décidé de continuer à chercher de son côté.

C’était ce qui l’avait mené à cette boutique d’antiquité. Le rétro, le vintage, c’était à la mode non ? C’était le meilleur endroit pour trouver quelque chose d’unique, quelque chose qui avait un passé. Un peu comme elles. Peut-être même quelque chose qui rappellerait un peu l’Italie, leur vie d’avant les ennuis. Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle cherchait exactement. Mais de toute façon, même si elle ne trouvait rien ici, elle savait qu’elle apprécierait sa visite. Parce que Flora avait cette âme de poète maudit. C’était une amoureuse des musées, des vieilles pierres. Elle connaissait le latin au point de la parler couramment au même titre que les autres langues qu’elle maîtrisait, elle avait une culture générale très étendue et en particulier concernant la littérature, la linguistique, la religion, et l’Antiquité en général. Il n’y avait aucun doute qu’elle saurait apprécier à leur juste valeur les objets qu’elle apercevrait ici, même s’ils sortaient de ses domaines de prédilection. Parce qu’elle avait ce respect et cette curiosité de l’ancien. Flora poussa doucement la porte, sursautant en entendant le bruit de la clochette signalant son arrivée et qui la tirait de sa rêverie.

« Bonjour, est-ce que je peux vous aider ? »

Flora rougit instantanément, comme presque à chaque fois qu’on lui adressait la parole. Elle aurait presque été tentée de regarder derrière elle comme pour être sûre que c’était bien à elle que le vendeur s’adressait mais elle savait, au fond, qu’il n’y avait qu’elle. Alors Flora lui adressa un sourire timide en approchant du comptoir.

- Bonjour, répondit-elle avec enthousiasme mais de sa petite voix encore pleine des rayons de soleil de son Italie natale, malgré les deux ans qu’elle avait passés ici déjà. Elle avait l’impression qu’elle ne perdrait jamais son accent, sans savoir si c’était une bonne chose ou non. Sans savoir si elle en avait envie ou non. En vérité, je ne sais pas trop. Je cherche un…

Mais alors qu’elle s’apprêtait à dire « cadeau », ses yeux se posèrent sur la machine à écrire, et plus exactement sur les lettres qu’elle apercevait au fond du petit tiroir ouvert. La machine était très belle, et donnait envie qu’on appuie sur ses touches pour en entendre le bruit si caractéristique, pour sentir le contact des touches froides. Flora adorait ce genre d’objets, elle aurait adoré en avoir une chez elle et pas uniquement pour la décoration. Ça donnait envie de taper des poèmes, des lettres d’amour enflammées. C’était le symbole de tout le romantisme, non ?

Mais ce qui avait captivé son attention, c’était l’adresse sur l’enveloppe de la première lettre.

- Oh, c’est en Italie ! S’exclama-t-elle, sans pouvoir s’en empêcher, avec cette sensation toute particulière d’assister à la découverte d’un trésor.

Elle devenait subitement encore plus curieuse, se demandant de quoi il pouvait s’agir, comme si cette simple adresse la connectait un peu à cette lettre. Est-ce qu’elle était en anglais ou en italien, déjà ? Elle avait envie de tout savoir de cette histoire, mais évidemment elle n’oserait pas le dire. Elle releva les yeux vers le vendeur, un air soudainement honteux et confus sur le visage.

- Je suis navrée, je ne voulais pas vous interrompre, dit-elle en oubliant qu’elle s’était surtout interrompue toute seule et qu’elle n’avait même pas encore dit ce qu’elle faisait là, finalement.

Le regard du vendeur sur elle lui semblait insistant, il ne la mettait pas vraiment à l’aise. Flora baissa les yeux, cherchant ce qu’elle devrait dire ou faire pour se faire pardonner son impolitesse – parce que quoi qu’il se passe, c’était forcément de sa faute n’est-ce pas ? Mais elle aperçut que l’homme lui tendait une lettre, alors qu’elle se serait attendue à ce qu’il soit agacé qu’elle s’intéresse à des choses qui ne la regardaient pas le moins du monde. Et à ce qu’elle en parle, en plus, au lieu de garder sa curiosité pour elle.

« Faites-vous plaisir. Je viens de tomber dessus, je suis encore un train de déchiffrer. Y’en a tout un tas dans le tiroir de la machine. »

Flora lui sourit timidement en saisissant finalement la lettre avant de la déplier et de l’observer. Il y avait plusieurs pages, comme si plusieurs lettres avaient été rangées dans la même enveloppe au bout d’un moment, peut-être par soucis d’économiser la place dans le tiroir de la machine en se séparant des enveloppes superflues. Certaines pages étaient manifestement écrites à la machine, sans doute celle qu’ils avaient sous les yeux, quand d’autres feuilles étaient recouvertes d’une écriture très soignée, manuscrite, et sans aucun doute féminine. Chaque lettre mêlait l’anglais et l’italien, probablement parce que les deux personnes maîtrisaient ces langues là ou peut-être parce que l’un apprenait l’autre, ou quelque chose du genre. Elle commença à dévorer toutes les lignes avec curiosité, elle qui n’avait pas besoin de déchiffrer.

« On dirait des lettres d’amour, je me trompe ? »

Flora releva la tête vers le vendeur, attirée par sa voix qui l’éloigna des mots. Effectivement c’étaient des lettres d’amour, ou en tout cas celle qu’elle avait commencé à lire en était une. Très littéraire, très romantique, pleine de citations. Le genre de lettres que Flora aurait adoré recevoir, le genre de lettres qui lui rappelaient les déclaration de son défunt fiancé quand il s’essayait à la poésie pour tenter de lui faire plaisir, même si Alfonso avait toujours été très maladroit avec ce genre de choses.

- C’est bien cela, dit-elle doucement. Elle cite Dante, « L'amour et un noble coeur ne font qu'un, et quand l'un ose aller sans l'autre, c'est comme quand l'âme abandonne la raison. », et d’autres poètes italiens.

Elle traduisit quelques autres extraits avant de poser la première page, totalement lue, sur le comptoir. Elle enchaîna sur la deuxième, ses yeux dévalant rapidement les mots alors qu’elle lisait en diagonale jusqu’à se poser sur une autre partie en italien. Pas une citation cette fois.

- Hors de question que je traduise ça, dit-elle d’un air surpris et gêné.

Effectivement, c’étaient des lettres d’amour, et pas d’un amour toujours innocent. Elle posa la feuille sur la comptoir à la suite, lisant avec un peu plus de méfiance la dernière des pages en sa possession. Heureusement cette fois les choses restaient un peu plus sage. Elle finit par lancer à nouveau un regard timide au vendeur, en se demandant ce qu’il pensait de cette correspondance. Avait-elle un intérêt particulier pour lui, ou ne faisait-il qu’assouvir une curiosité personnelle comme elle ? Après tout, qui viendrait acheter de vieilles lettres ? La machine à écrire était bien plus intéressante. Quoique...

- Regardez… On dirait un code… Avec les lettres en majuscule… Indiqua-t-elle, tournant la fameuse page dont elle n’avait pas voulu traduire l’italien vers le vendeur. Les majuscules de chaque phrase semblaient former un mot anglais, mises bout à bout. Coïncidence ? Peut-être. Flora ne connaissait pas les statistiques et les possibilités à ce niveau. Mais peut-être que ce n’était pas un hasard, peut-être que ces lettres étaient sincères, ou pas, mais peut-être qu’en plus elles renfermaient un secret. Elle commença à observer toutes les phrases avec suspicion désormais, bien plus impliquée dans cette histoire qu’elle n’aurait voulu ou osé l’admettre.

Après tout ce n’étaient pas ses affaires, ça ne la concernait pas, elle n’était même pas la propriétaire de ces lettres et le vendeur n’avait pas demandé son aide, il l’avait simplement laissé observer. Peut-être que son avis ne l’intéressait pas tant que ça, et le pauvre avait sûrement bien d’autres choses à faire que de jouer les détectives, n’est-ce pas ? Flora s’en voulait de le déranger en plein travail et cette soudaine réalisation la fit rougir encore davantage. 

Flora avait apparemment intrigué le vendeur avec son histoire de code, elle le vit bien à la manière dont il releva les yeux, soudainement mu par la curiosité.

« Je crois que ce sont des rues. Ils devaient sûrement se rejoindre en secret, parfois. Ou cacher des choses dans certains endroits. Ça vaudrait peut-être le coup d’aller jeter un œil … »

C’était tellement romantique. Des rencontres secrètes… Ce devait être une belle histoire d’amour, sans doute particulièrement tragique et mystérieuse pour en arriver à utiliser ce genre de subterfuges. Flora avait l’habitude de ce genre de manigances. Elle avait trop longtemps travaillé pour la mafia, ses yeux savaient lire entre les lignes, déceler les indices qui laissaient voir que les choses n’étaient pas ce qu’elles semblaient être. C’était pour ça qu’elle avait si facilement découvert le pot-aux-roses, parce que les livres de comptes étaient remplis de secrets qu’il fallait remarquer d’un coup d’oeil. Elle n’était pas fière de tout ce qu’elle avait dû faire dans sa vie, elle n’était pas fière de savoir à qui elle avait rendu service, elle n’était pas fière de toutes les victimes qu’il y avait eu par sa faute, jusque dans sa propre famille. Mais aujourd’hui, pour une fois, son savoir avait peut-être rendu service, au moins un peu. Il avait peut-être eu une destination plus sympathique.

- Je pourrais vous accompagner… Proposa-t-elle de sa petite voix à l’accent chantant.

Le mystère l’intéressait, tout comme cette histoire d’amour sur laquelle elle aurait voulu en apprendre plus. Toute seule, elle ne savait pas si elle se risquerait à investiguer, mais avec quelqu’un d’autre pourquoi pas ? Et puis, s’il refusait de la laisser venir elle avait encore une corde à son arc, et elle n’attendit pas pour la mentionner, décidée à mettre toutes les chances de son côté. Un peu d’aventure inoffensive lui ferait le plus grand bien.

- Vous aurez peut-être besoin d’une traductrice…

Flora parlait de nombreuses langues, c’était une de ses passions depuis fort longtemps, dont l’Italien qui ne manquerait pas d’être utile si la correspondance continuait à jouer un rôle dans cette histoire. Voire dans d’autres cas d’ailleurs, étant donné que c’était apparemment la langue d’au moins un des correspondants. Et puis, c’était elle qui avait remarqué le code, pas vrai ? Elle aurait toute sa place dans cette expédition. Ce dernier point cependant, elle choisit de ne pas le mentionner tout de suite. Elle n’avait envie que le vendeur s’imagine qu’elle le prenait de haut. Ça n’irait pas dans son sens.

Ce n’était pas pour ça du tout qu’elle était venue jusqu’à la boutique. Pourtant, ça devenait subitement exaltant, plus intéressant encore que sa mission première de recherche de cadeau d’anniversaire. Et quiconque la connaissait un peu savait à quel point elle tenait à sa jumelle, et donc à quel point cette mission avait de l’importance à ses yeux. Flora releva les yeux vers ceux de son interlocuteur, se forçant à lutter contre sa timidité pour croiser son regard en espérant qu’il ne refuserait pas sa proposition.

Flora avait une certaine détermination, mais elle manquait parfois un peu de force, d’assurance. S’il ne souhaitait pas qu’elle vienne, elle argumenterait sans doute, mais sans jamais s’imposer. En revanche, elle avait lu le code comme lui. Rien ne l’empêcherait d’y aller, avec ou sans lui. Sa réticence précédente laissait place à sa persévérance habituelle. Si elle avait peur, elle pourrait toujours demander à quelqu’un d’autre de l’accompagner dans le pire des cas. Mais s’il y avait quelque chose à trouver, ou simplement une histoire à suivre, elle voulait en être. Sur quoi pourraient-ils bien tomber de toute façon ? D’autres lettres, sans doute. Peut-être rien du tout, si le code avait été reçu et déchiffré avant, si ce n’étaient que des lieux de rendez-vous sans trace matérielle. Un graffiti peut-être, une gravure d’initiales dans une vieille pierre – si on considérait que l’Amérique possédait de vieilles pierres.

« Ces noms de rue ne m’ont pas l’air très américains. Je ne pensais pas aller investiguer avec quelqu’un que je ne connais pas dans un pays étranger. »

A vrai dire Flora n’avait pas imaginé ça non plus. Elle avait bêtement pensé que leur investigation se ferait dans le coin parce qu’elle avait lu les lettres ici, sans penser que la machine à écrire avait peut-être elle-même effectué un loin voyage avant de se retrouver dans les mains du vendeur. Elle n’avait aucune envie de remettre un seul pied en Italie, en sachant le nombre de personnes qui cherchaient sûrement à se venger d’elle, de sa sœur, de sa fratrie au complet pour leur trahison innommable. Elle regarda le vendeur chercher sur son téléphone et choisit de ne rien dire pour le moment, attendant la confirmation de leur destination avant de paniquer. Flora n’avait jamais eu un caractère très aventureux, il fallait l’avouer. Mais que pourrait-il leur arriver ? Elle chercha elle aussi le nom des rues sur son téléphone, juste pour être certaine, et fut assez soulagée de savoir que c’était effectivement aux Etats-Unis. Le voyage demanderait un peu de temps mais ce n’était pas si loin que ça.

« C’est d’accord. On peut partir en fin de semaine. T’es prête à ça ? À partir quelques jours dans cette aventure ? Ça ne t’effraie pas ? »

Elle n’arrivait pas à savoir si le vendeur cherchait à la rendre consciente d’un réel danger ou s’il cherchait surtout à la décourager de venir. Elle était assez certaine, au fond, que ce serait décevant. Qu’ils ne trouveraient rien, même en se laissant guider par les lettres, ou alors rien de valeur. Peut-être en apprendraient-ils plus sur ce couple, sur leur histoire, mais quoi d’autre ? Flora n’était jamais partie à la chasse au trésor. Ce n’étaient pas le genre d’occasions qui s’étaient présentées dans sa vie et pourtant, il était bien vrai qu’elle avait eu bon nombre d’opportunités qui sortaient de l’ordinaire. La SCU ne l’avait pas épargnée.

- Ça devrait ? Répondit-elle avec une sincère curiosité.

Il avait l’air d’en savoir plus qu’elle, lui. Et puis, voyager plusieurs jours avec quelqu’un qui n’avait pas envie qu’on soit là n’était pas une expérience plaisante, Flora le savait. Elle détestait avoir le sentiment d’être un fardeau pour qui que ce soit, encore plus un inconnu à qui elle aurait plus ou moins imposé sa présence. Alors quoi ? Devrait-elle être effrayée à l’idée de passer plusieurs jours avec un homme plus âgé qu’elle ne connaissait pas ? Peut-être. Mais Flora avait beau être une pacifiste convaincue depuis toujours, elle n’en était pas moins une personne déterminée et capable de se défendre. On lui avait appris très tôt à montrer les crocs. Elle n’aimait simplement pas le faire. Parce qu’au fond d’elle, son seul rêve avait toujours été d’être appréciée de tous. Aussi vain soit-il.

- Je suis prête, dit-elle en hochant la tête comme pour montrer son assurance, malgré sa voix toujours timide et son air angélique qui ne devait sans doute pas jouer en sa faveur.

Si le vendeur avait su combien d’argent elle avait détourné pour la mafia, il n’aurait sans doute pas tant voulu savoir si l’aventure lui faisait peur. Mais c’était un fait dont elle n’avait pas l’intention de se vanter une seule fois dans sa vie. Elle tendit lentement sa main vers la sienne, au-dessus du comptoir, pour qu’il la serre. Après tout, c’était comme ça qu’on scellait les affaires, qu’on scellait les décisions qu’on pouvait prendre. Elle lui lança un charmant sourire en plus de ça, se forçant encore à le regarder dans les yeux même si son esprit lui hurlait de détourner le regard et de regarder ailleurs.

- Je m’appelle Flora, ajouta-t-elle avec sa petite voix, prononçant son prénom à l’Italienne sans même y penser, parce que c’était ainsi qu’on l’avait toujours appelée. Du moins jusqu’à son arrivée à Monterey il y a deux ans. Les américains avaient du mal avec l’Italien apparemment, à part pour ceux qui parlaient Espagnol et qui arrivaient généralement à bien se débrouiller avec son prénom. Mais Flora ne les blâmerait pas. Vu le nombre de langues qu’elle parlait, dont le mandarin, le français et la langue des signes, il était évident qu’elle devait avoir un accent également dans la plupart d’entre elle. On l’entendait déjà en anglais, de toute façon.